Intervention de Sophie Primas

Commission des affaires économiques — Réunion du 2 novembre 2020 à 16h45
Audition de M. Alain Griset ministre délégué auprès du ministre de l'économie des finances et de la relance chargé des petites et moyennes entreprises

Photo de Sophie PrimasSophie Primas, présidente :

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous réunissons aujourd'hui dans un contexte particulier, qui fait suite aux très nombreuses alertes, c'est peu de le dire, que nous avons reçu du terrain ces derniers jours à propos de la situation du commerce de proximité. Je remercie le Président Larcher qui m'a autorisée à tenir cette audition 100 % en visio. Ce n'est ni l'usage ni la règle au Sénat mais au regard de la situation, nous faisons oeuvre de souplesse...

Ce confinement a entraîné, à nouveau, la fermeture administrative de tous les commerces vendant des produits dits « non essentiels », pour des raisons sanitaires que nous comprenons, liées aux risques de « brassage de population » et de diffusion du virus.

Nous partageons, cela va sans dire, l'objectif de freiner et d'éradiquer cette épidémie épouvantable. Le confinement doit sauver des vies et lutter contre l'engorgement prolongé des hôpitaux, tout en évitant à notre économie et à l'emploi de payer un tribut encore plus élevé, alors que nous découvrons à peine les conséquences économiques et budgétaires colossales du premier confinement.

Pour autant, force est de constater que les modalités de mise en oeuvre de ce reconfinement suscitent une forte incompréhension, voire de la colère parmi les acteurs économiques et les élus locaux.

Une colère qui pourrait déboucher sur une contestation d'ensemble du décret relatif au confinement, aussi bien de la part des commerçants que de certains élus, voire des Français. Le tout dans un contexte où, en Europe, les manifestations violentes contre les restrictions se multiplient.

Or, la lutte contre cette pandémie suppose le soutien plein et entier de l'ensemble des Français. Elle suppose donc des actions concertées, anticipées, accompagnées et partagées.

Alors qu'ils n'y étaient pas préparés, les commerçants ont accepté les fermetures impliquées par le confinement de printemps ; cette première vague a déjà couté cher en fermeture définitive de rideaux. Deux milles fleuristes, par exemple, ont d'ores et déjà fermé et deux milles autres s'apprêtent à le faire. Parallèlement, les grandes surfaces et les acteurs d'internet pouvaient continuer leurs ventes.

Alors même qu'une partie de ces commerçants avait réussi à passer ce cap, qu'ils avaient investi dans la sécurisation de leur magasin, qu'ils avaient anticipé une fin d'année qu'ils espéraient compensatrice et donc commandé de la marchandise, alors même qu'ils viennent de recevoir cette dernière, que leurs stocks sont pleins... Vous avez décidé de fermer leurs portes.

En outre, l'approche de cette période stratégique de huit semaines avant les fêtes les inquiète fortement. Ils craignent de ne pas pouvoir surmonter l'épreuve que représenterait des non-ventes en fin d'année et ceci malgré les aides que vous vous apprêtez à apporter. Ils rappellent notamment que les possibilités de vente en ligne ou de click & collect ne représentent qu'une très faible compensation en termes de chiffre d'affaires.

Le Premier ministre a donc annoncé hier soir deux mesures :

- la première est la fermeture dans les grandes surfaces, après les rayons « livres », de tous les rayons non essentiels, au nom de l'équité concurrentielle. Ce choix interroge puisqu'il prive de débouchés certains producteurs, les auteurs et éditeurs, les fournisseurs de jouets, de textile, les producteurs de fleurs, de sapins... tout en n'augmentant en rien le chiffre d'affaires des petits commerces. Ce n'est donc évidemment pas une solution optimale, bien au contraire ; j'ajoute que mobiliser des forces de l'ordre pour aller vérifier la bonne application des consignes dans les hypermarchés ne semble pas devoir être la priorité ;

- la seconde mesure est une clause de revoyure et la possibilité de rouvrir certains commerces dans deux semaines, si la situation le permet et sous conditions.

Il nous paraît essentiel, et surtout urgent, Monsieur le Ministre, d'entendre les demandes des commerçants, d'entendre cette contestation et de tenter de l'apaiser, notamment en faisant preuve de souplesse quand la situation le permet.

Il nous semble également qu'il faille dépasser l'opposition frontale, trop souvent mise en avant, entre grandes surfaces, sites marchands et commerces de proximité. Les acteurs économiques, fournisseurs français et autres, grandes entreprises, PME et TPE, ont besoin de tous ces circuits de distribution.

Bien entendu, tous les acteurs ont intérêt à stopper cette pandémie, tous sont mobilisés contre le développement du virus qui contamine plus de 46 000 personnes par jour et qui va vraisemblablement, dans les prochaines semaines, saturer notre système de soin dans de nombreuses régions. Aussi sont-ils prêts à beaucoup d'adaptations pour passer ce cap.

Nous avons donc souhaité échanger avec vous très rapidement, Monsieur le ministre, et je vous remercie d'avoir répondu favorablement à notre demande dans des délais si courts. L'objectif de cette audition est d'expliciter la réponse du Gouvernement à ces contestations et de préciser les nouvelles mesures de soutien que vous comptez mettre en oeuvre pour soutenir les PME.

À titre personnel, je souhaiterais partager un avis, puis vous poser deux questions.

Un avis d'abord : après les deux mesures annoncées, je vois aujourd'hui trois risques de concentration. Premièrement, une concentration des risques dans l'espace : en effet, avec seulement quelques magasins ouverts, les courses de Noël vont physiquement avoir lieu dans un nombre restreint de magasins. Cette concentration des acheteurs est-elle vraiment préférable à leur répartition sur un nombre important de points de vente ?

Deuxièmement, la concentration des risques dans le temps : dans cette période stratégique des fêtes de fin d'année, les courses de Noël se feront donc au mieux sur quatre semaines au lieu de huit, favorisant ainsi la densification des flux de clients.

Troisièmement, la multiplication et la concentration des tâches dans les entrepôts de logistique et de transport des acteurs du e-commerce. Ces derniers vont être en effet pris d'assaut, au-delà de leurs espérances, les Français n'ayant plus que ce canal de distribution disponible. Je me questionne donc sur l'efficacité réelle du dispositif pour lequel vous avez opté.

Je souhaiterais vous poser deux questions : premièrement, les commerçants ont-ils été suffisamment associés aux décisions prises pour ce reconfinement ? Au regard du risque avéré de seconde vague, aviez-vous construit avec eux au coeur de l'été un plan de prévention du risque de contamination pour envisager ces fermetures, leurs modalités et leurs alternatives ? Ma deuxième question concerne le fait que le Gouvernement ait rejeté la possibilité ouverte par le Sénat que le préfet, en fonction des circonstances sanitaires locales, puisse décider de la réouverture de certains commerces sous réserve de précautions sanitaires renforcées : cela signifie-t-il que le Gouvernement n'envisage aucune adaptation locale des règles en vigueur, même si la situation sanitaire ici ou là permettrait d'apporter de l'air aux commerçants ?

Je vous laisse maintenant la parole pour un propos liminaire, puis mes collègues sénateurs vous poseront leurs questions, en commençant par M. Babary, qui est rapporteur des crédits liés au commerce et à l'artisanat dans la mission « Économie » du budget 2021, et président de la Délégation aux entreprises.

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