Intervention de Bertrand Camus

Commission des affaires économiques — Réunion du 3 novembre 2020 à 15h00
Audition en commun avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable de Mm. Philippe Varin président du conseil d'administration et bertrand camus directeur général de suez

Bertrand Camus, directeur général du groupe Suez :

Suez est un groupe qui va bien, qui se développe, qui investit et recrute en France comme ailleurs dans le monde. Nous sommes un fer de lance d'une filière d'excellence, l'école française de l'eau, qui constitue un écosystème solide et vivant de petites et moyennes entreprises et d'entreprises de taille intermédiaire françaises qui prospèrent à l'international. Suez est le numéro un mondial pour l'eau et l'assainissement en termes de population desservie ; le numéro deux mondial dans l'eau industrielle, à la suite de l'acquisition des activités de General Electric dans le domaine de l'eau, en 2017. Nous sommes aussi le numéro deux en matière de traitement des déchets en Europe. Nous déployons en ce moment un projet stratégique, avec l'ambition de devenir le leader mondial des services à l'environnement dans dix ans.

Notre modèle combine l'innovation, l'agilité et le partenariat. Le projet alternatif de Veolia ressemble beaucoup à la création d'un conglomérat. Notre stratégie est basée sur une prime à l'excellence, au service de nos clients, et non sur une course à la taille. Nous mettons tout en oeuvre pour que les circonstances actuelles ne freinent pas nos ambitions. Nos résultats du troisième trimestre sont bons, malgré la crise. Ils témoignent d'une véritable dynamique commerciale, non seulement en France, mais aussi à l'international : nous avons signé de nombreux contrats ces derniers mois - au Sénégal, en Ouzbékistan, etc. -, grâce au savoir-faire que nous avons développé sur le territoire national.

En cette année 2020, très particulière, nous avons deux priorités : être aux côtés des collectivités pour affronter la deuxième vague de covid-19 et prendre pleinement part à la relance verte. Nous faisons face aujourd'hui à un défi immense, celui d'une crise sanitaire mondiale sans précédent, que nos équipes ont su relever en France, comme ailleurs dans le monde. Nous avons d'ailleurs pu bénéficier de notre expérience acquise en Chine avant que l'épidémie ne gagne le territoire national au mois de mars. Pendant la période de confinement, nos équipes ont été au rendez-vous - pas un seul droit de retrait ! - pour assurer les services essentiels à nos concitoyens. En cette période de deuxième vague, je tiens à saluer la mobilisation de tous nos agents, qui contribuent chaque jour à la continuité des services publics de l'eau et des déchets.

Notre seconde priorité est de participer à la relance économique. Nous comptons prendre toute notre part au plan initié par le gouvernement. Nous serons aux côtés des élus pour être un acteur majeur de la relance des territoires. Dans le cadre de la définition du plan de relance, nous avons, au travers des filières industrielles, contribué à quantifier les niveaux d'investissements nécessaires pour atteindre les objectifs ambitieux fixés en termes d'économie circulaire et pour compenser le déficit d'investissement qui avait été identifié dans le cadre des Assises de l'eau : ces investissements supplémentaires s'élèvent à peu près à 25 milliards d'euros sur une période de cinq ans. Le plan France Relance prévoit seulement 4,3 milliards d'euros sur trois ans. Autant dire que cela est insuffisant car les défis sont immenses.

Chaque jour, nous répondons à des appels d'offre pour financer des projets dans les territoires afin d'améliorer l'environnement et la qualité de vie. Ainsi, la nouvelle station d'épuration de la communauté d'agglomération Sète Agglopôle Méditerranée est une station de nouvelle génération, qui éliminera les micropolluants avec des traitements membranaires. À La Réunion, avec Inovest, nous valoriserons 70 % des déchets de l'île en créant plus de 500 emplois, en appliquant les principes de l'économie circulaire. Nous sommes d'ailleurs un acteur majeur outre-mer, puisque nous desservons plus de la moitié de la population ultramarine, de Papeete à Cayenne. Nous proposons aussi de nouvelles offres en ce qui concerne la qualité de l'air : à Poissy, nous expérimentons un dispositif pour éliminer les particules fines dans la cour de récréation d'une école primaire en utilisant des algues pour capturer et éliminer les polluants. Nous proposons aussi des solutions aux élus pour éliminer les polluants dans l'eau, recycler le plastique ou purifier l'air. Nous sommes le premier acteur pour les sociétés d'économie mixte à opération unique (Semop) avec six contrats déjà signés. Nous sommes pionniers en matière de smart cities, comme à Dijon par exemple. Tous ces projets sont au coeur de la transition écologique et contribuent à améliorer la qualité de vie et la santé des Français. En investissant dans nos métiers, nous assurons la pérennité d'emplois locaux et non délocalisables.

Le projet de Veolia serait néfaste pour le rayonnement de la France. Ce projet est hasardeux, à contre-temps, voire à contre-courant. La concurrence internationale est rude. Si nous voulons que la France conserve son avance, qui est réelle, elle doit non seulement éviter la disparition d'un de ses fleurons, mais veiller aussi à ce que ses deux leaders ne ratent pas le train de l'investissement technologique à cause des perturbations qui ne manqueraient pas de découler de cette opération. À l'heure où la France souhaite miser sur son industrie, nous devons développer nos entreprises plutôt que de jouer au Meccano industriel !

Ce projet est aussi néfaste pour l'emploi : les experts que nous avons consultés estiment qu'entre 4 000 et 5 000 emplois directs sont menacés en France, sans compter les emplois indirects, et près du double au niveau mondial. En France, nos salariés et notre encadrement ont exprimé leurs inquiétudes légitimes : un tel projet ne peut se faire sans éliminer les doublons, sans toucher aux fonctions support, aux équipes de développement commercial ou d'encadrement.

Ce projet entraînerait aussi la cession de quasiment 70 % des actifs de Suez en France. On a beaucoup parlé de la cession de la branche eau en France mais, compte tenu de la position dominante des deux acteurs dans le domaine des déchets, il faudrait également vendre près de la moitié des activités de Suez dans ce secteur, soit des cessions représentant entre 1,5 et 1,7 milliard de chiffre d'affaires sur un total de 3,5 milliards. Nos entreprises possèdent, à deux, entre 60 et 65 % des unités de valorisation énergétique sur le territoire national, entre 60 et 65 % des unités d'enfouissement, 95 % des centres de traitement de déchets dangereux, etc. Les cessions seront donc considérables et cela bouleversera des organisations qui sont déjà mises sous tension par la crise que nous traversons.

Les équipes de R&D, qui sont principalement basées en France, seront aussi touchées : outre les suppressions des doublons avec notre concurrent, elles ne bénéficieraient plus du rayonnement mondial qu'elles ont aujourd'hui, dans la mesure où les technologies que nous utilisons sur le territoire national sont exportées et que, inversement, nos expériences à l'international profitent à nos clients français. Cette fusion fragiliserait l'innovation : un vrai gâchis, alors que nous sommes incontestablement leader en la matière. Suez investit deux fois plus par an que Veolia. Lorsqu'un président d'agglomération, un président de communauté de communes ou un président de région lance un appel d'offres pour la gestion de l'eau ou le traitement des déchets, il est sûr d'avoir en réponse deux belles offres qui lui offriront toute la technologie et les savoir-faire qui sont le fruit de la concurrence qui existe depuis des décennies. Si cette opération venait à se concrétiser, le choix disparaîtrait. La concurrence sur notre marché domestique est un moteur pour l'innovation qui nous donne la capacité de nous développer à l'international. Ce n'est pas en l'éliminant que nous aiderons le secteur à se renforcer face à la concurrence. Au contraire ! Oui, la concurrence chinoise existe, mais c'est par notre différenciation technologique et contractuelle, ainsi que par notre culture partenariale avec nos clients que nous l'emporterons. Nous sommes présents à Alger, Casablanca, Santiago du Chili, aux États-Unis, en Jordanie, etc. En France, nous sommes présents de Dijon à Créteil, de Toulouse à Saint-Étienne. Partout dans le monde, nos clients nous font confiance et nous tenons à préserver ce lien privilégié.

Nous ne croyons pas au mirage d'un super champion de la transition écologique dans un secteur où c'est l'agilité, l'innovation, les bons partenariats qui font gagner et non la taille. Le projet de notre concurrent revient à transformer deux champions mondiaux en un seul groupe endetté et affaibli. Il est simple, voire simpliste : démanteler Suez et affaiblir la concurrence. Les députés membres de la « mission flash » à l'Assemblée nationale ont fait le même constat la semaine dernière. Les failles et les dangers du projet de notre concurrent sont à mettre en relation avec la méthode, brutale et précipitée, qui a conduit à la cession des parts d'Engie le 5 octobre dernier. À l'heure où nous voulons réindustrialiser la France, pourquoi se priver des numéros un et deux mondiaux dans un secteur porteur et vital pour l'avenir ?

Nous restons combatifs : forts de nos 150 ans d'histoire, nous sommes convaincus du bien-fondé de notre projet industriel et je parle aujourd'hui au nom de l'ensemble des 90 000 collaborateurs du groupe qui sont particulièrement attachés à leur entreprise, à son savoir-faire et à sa spécificité. Enfin, comment ne pas être surpris du moment choisi par Veolia, alors que les activités de traitement de l'eau et des déchets sont des secteurs essentiels, que la crise sanitaire fait rage et que l'emploi et la relance économique sont des enjeux prioritaires. J'ai le sentiment d'une perte du sens des priorités.

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