Il faut distinguer la qualité d'un investisseur et l'entreprise. On sait que pour faire face au changement climatique, nous aurons à investir massivement dans les infrastructures d'eau. La Seine, par exemple, aura deux fois moins d'eau en été en 2040 : il sera donc nécessaire de doubler l'efficacité du traitement des eaux. La question du financement n'est pas première dans la mesure où ils sont plus facilement disponibles dans le monde d'aujourd'hui. La différence se fera dans le développement de capacités technologiques permettant de réaliser ces investissements à moindre coût et d'abaisser la facture pour l'usager, à l'image du photovoltaïque qui coûtait très cher au début et dont les coûts de revient ont été abaissés.
Il y a donc un enjeu lié au maintien des savoir-faire et à la maîtrise des technologies. Ainsi, pour traiter les micropolluants, on utilise des techniques membranaires assez poussées que nous maîtrisons dans notre portefeuille international, en particulier grâce à GE Water. Il faut donc se poser la question du découpage des activités de Suez Eau France et s'assurer que cette entité puisse être viable. C'est là où le bât blesse. Notre activité de gestion de l'eau en France, dans le cadre de délégations de service public (DSP), est associée à des activités de constructions de stations. C'est un héritage de la société Degrémont. Cette activité est déficitaire en France, mais rentable grâce à l'international, et c'est ce qui nous permet d'innover et d'investir. Il en va de même pour le digital, le comptage intelligent, les algorithmes de gestion dynamique des réseaux. Notre laboratoire de recherche, qui a trouvé la technique permettant de détecter la présence du virus de la covid-19 dans les eaux usées, est intégré dans un réseau mondial et on ne saurait l'isoler. Or, soit il sera récupéré par Veolia, auquel cas il ne restera plus qu'un seul acteur, soit il restera chez le repreneur des activités Eau, mais celles-ci ne permettront pas de financer son développement à terme.
Meridiam est un investisseur spécialisé dans les infrastructures. Nous avons d'ailleurs noué des partenariats avec lui à l'international, mais il n'a guère d'expérience en France et aucune dans l'eau. Il est aussi un petit peu bizarre que, dans cette opération, Veolia choisisse son futur concurrent - les meilleurs amis deviendront-ils les meilleurs ennemis ? - à un moment où de nombreux contrats vont devoir être renouvelés : en Île-de-France, ou dans de grandes villes qui ont annoncé leur passage en régie, comme à Lyon ou Bordeaux. Le marché de l'eau évolue et le portefeuille de Veolia sera touché.
Nos salariés n'ont pas été consultés. Ils ont déposé un recours. Le tribunal de Paris a ordonné le lancement d'une information-consultation du comité social et économique. La question sous-jacente est de savoir si l'acquisition d'un bloc de 29,9 % des parts d'Engie par Veolia peut être dissociée, ou non, de la totalité du projet de prise de contrôle de Suez. Dans ce cas, l'information des salariés est nécessaire quant aux conséquences sur l'emploi et sur l'entreprise, de manière assez détaillée, afin qu'ils puissent se prononcer. Le tribunal a statué le 9 octobre dernier, soit quatre jours après la cession des parts d'Engie. L'appel sera jugé ce jeudi. Les actionnaires salariés, qui possèdent 4 % du capital, ont un représentant au sein du conseil d'administration de Suez qui est pleinement informé de la situation et de la stratégie développée par le conseil d'administration. Nous avons également des contacts fréquents avec l'ensemble de nos actionnaires, y compris les activistes. Nous avons ainsi eu un long échange avec eux la semaine dernière après la présentation de nos résultats, ce qui nous a permis de les informer et de leur expliquer les prises de position de l'entreprise.