Intervention de Sophie Primas

Commission des affaires économiques — Réunion du 4 novembre 2020 à 16h30
Audition en commun avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable de M. Jean-Pierre Clamadieu président du conseil d'administration d'engie

Photo de Sophie PrimasSophie Primas, présidente :

Monsieur le président, comme l'a justement indiqué le président Jean-François Longeot, la cession par Engie de ses participations dans Suez soulève de très nombreuses interrogations.

La première série d'interrogations renvoie aux conditions de cession des parts de Suez par Engie.

Entre l'annonce de la stratégie de recentrage du groupe en juillet de cette année, la présentation des offres successives de Veolia en août puis en septembre et la cession effective des participations en octobre, quelques semaines seulement se sont écoulées.

Ces délais très contraints étaient clairement insuffisants pour permettre un examen complet de l'impact de cette session, en particulier au regard du droit de la concurrence, et peut-être surtout au regard d'autres offres, le fonds d'investissement Ardian, par exemple, ayant renoncé à déposer une contre-offre. Vous pourrez peut-être aborder ce point.

Si nous nous interrogeons, c'est parce que nous souhaitons savoir quel est le devenir du capital détenu par Engie dans Suez, la question se posant depuis l'expiration du pacte d'actionnaires c'est-à-dire depuis 2013. Pourquoi avoir bouleversé en quatre mois une situation inchangée depuis sept ans ?

Pourquoi avoir agi dans l'urgence - pour ne pas dire dans une forme de précipitation -, vous exposant au risque que tout ceci soit interprété comme résultant d'un processus engagé et bouclé auparavant « en chambre » ?

Ainsi, on entend ainsi parler d'un « quasi-accord » entre M. Frérot et vous-même dès le mois de juin. Vous nous livrerez votre version.

Pourquoi cette cession n'a-t-elle pas fait l'objet d'une procédure transparente ?

Pourquoi ne pas avoir attendu, après le départ d'Isabelle Kocher, que la nouvelle directrice générale choisie par votre conseil d'administration, Catherine McGregor, qui prendra ses fonctions exécutives le 1er janvier prochain, ne prenne le temps de réaffirmer elle-même une stratégie opérationnelle pour Engie et d'engager cette cession si celle-ci entrait dans sa stratégie ?

Mme Kocher était venue présenter la stratégie d'Engie devant la commission des affaires économiques du Sénat le 6 juin 2018 - on pourrait penser il y a un siècle. Nous avions été plutôt convaincus par sa vision et satisfaits de voir ensuite que cette stratégie donnait des résultats.

En quoi le recentrage de la stratégie décidé après son départ appelait-il la cession des parts de Suez dans l'urgence ?

La deuxième série de questions concerne les relations entre Engie et l'État.

Avec un quart du capital et un tiers des droits de vote, l'État demeure le premier actionnaire d'Engie.

L'État avait légitimement fixé plusieurs conditions à la cession des participations dans Suez : son caractère amical, la préservation de l'emploi et le maintien sous contrôle français de cette société.

Seule cette dernière condition semblerait remplie par l'offre de Veolia.

Pourquoi est-on passé outre la demande initiale de l'État ? Comment est-il possible que l'État, votre premier actionnaire, ait pu accepter ? Avez-vous échangé avec l'État sur les conditions de la vente, avant la décision de votre conseil d'administration ?

Par ailleurs, cette cession a été adoptée d'extrême justesse au conseil d'administration par sept voix pour, quatre contre et deux abstentions.

Les administrateurs de l'État ont été défaits à cette occasion.

Pour autant, la presse a évoqué l'hypothèse selon laquelle l'État serait intervenu en faveur de ce vote auprès d'autres administrateurs.

Comment le vote s'est-il déroulé de votre point de vue ? Nous sommes, monsieur le président, un peu perdus !

La troisième interrogation a trait à la stratégie de recentrage poursuivie par Engie. Annoncée l'été dernier, cette stratégie vise à simplifier le groupe et à clarifier ses activités pour lui permettre d'investir davantage dans les énergies renouvelables et les infrastructures.

Pour ce faire, Engie a engagé une revue stratégique de ses « solutions clients », qui représentent les deux tiers de son chiffre d'affaires mais aussi de ses salariés.

Des activités non stratégiques - nous pourrions dire, au regard de l'actualité, « non essentielles » - pourraient in fine être « mises à distance », Engie ayant annoncé un programme de rotation d'actifs de 8 milliards d'euros d'ici 2022.

L'ampleur de ce chantier est telle que la presse s'inquiète de risques de « scission » du groupe. Certains d'entre nous, j'en suis sûr, évoqueront sûrement un « démantèlement ».

Dans le même temps, Engie a engagé une réflexion pour rééquilibrer ses activités de réseaux en France et à l'international et faire évoluer ses participations dans Gaz réseau distribution France (GrDF) - le distributeur de gaz - et Gaz de réseau de transport (GRT Gaz) - le transporteur.

Comment répondre aux inquiétudes suscitées par l'annonce de cette stratégie de recentrage et garantir que les 3,4 milliards d'euros dégagés par la cession de Suez soient effectivement alloués au financement des énergies renouvelables et des infrastructures ?

Enfin, cette cession n'est-elle pas le prélude d'un profond remaniement des activités d'énergie sur le marché du gaz si les participations de GrDF et GRT Gaz devaient à leur tour évoluer ?

Avant de vous laisser répondre, je voudrais dire que nous assistons peut-être aujourd'hui au contrecoup de la loi Pacte, qui avait été d'ailleurs - je le rappelle - rejetée par le Sénat. Le Gouvernement avait en effet souhaité dans ce texte abaisser la part du capital d'Engie devant être conservée par l'État.

Sur ce dossier, je m'interroge sur les changements de pied de l'État actionnaire, de l'État stratège, dont nous avons pourtant tant besoin, comme l'a souligné le Haut-Commissaire au plan, ce matin même, pour accélérer la reprise économique et réussir la transition énergétique.

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