La durée de cette audition démontre l'intérêt suscité par vos travaux. Je retiens la place de la politique dans votre action et je partage avec vous la nécessité d'une acculturation de notre pays ainsi que, parmi nos atouts, celui de la construction historique de notre pays. Il faut expliquer à nos jeunes la chance que constitue le fait d'être français.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 00.
- Présidence de de Mme Sophie Primas, présidente, et M. Jean-François Longeot, président, puis de Mme Marta de Cidrac, vice-présidente, et M. Daniel Gremillet, vice-président -
La réunion est ouverte à 16 heures 30.
Nous poursuivons notre cycle d'auditions consacrées au projet de rachat de Suez par Veolia en accueillant Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie.
Le 31 juillet dernier, Engie annonçait le lancement d'une revue stratégique de ses activités, incluant sa participation dans le groupe Suez. Un mois plus tard, Veolia proposait à Engie une offre pour l'acquisition de 29,9 % de ses parts dans Suez, première étape avant le rachat du reste du capital.
Cette annonce a immédiatement été qualifiée d'hostile par les dirigeants de Suez, qui ont mis en garde contre les dangers que présente à leurs yeux un tel rachat : démantèlement du groupe, destruction d'emplois et risque industriel.
Philippe Varin, président du conseil d'administration et Bertrand Camus, directeur général de Suez, ont réaffirmé hier devant nous leur opposition farouche à ce projet.
Après avoir refusé une première offre de Veolia, en raison d'un prix de rachat jugé trop bas, le conseil d'administration d'Engie a approuvé, le 5 octobre dernier, une deuxième offre pour un montant de 3,4 milliards d'euros.
Cette décision a été prise contre l'avis de l'État, pourtant actionnaire principal d'Engie. Celui-ci s'opposait à la cession en l'absence d'accord entre les deux groupes.
Bruno Le Maire avait d'ailleurs appelé à plusieurs reprises à ce qu'un accord soit trouvé, sans succès.
Nombreux sont ceux qui y ont vu un camouflet pour l'État. D'autres l'ont, au contraire, soupçonné d'avoir dénoncé publiquement cette opération tout en la soutenant dans les coulisses, sans quoi elle n'aurait pu aboutir.
Il est vrai que les conditions de ce rachat peuvent poser un certain nombre de questions.
Pourquoi ne pas avoir pris davantage de temps avant d'examiner l'offre de Veolia afin de permettre à des propositions alternatives solides d'être présentées ?
Pourquoi ne pas avoir attendu un accord amiable entre les groupes avant de procéder à cette cession ?
Quel rôle l'État a-t-il joué au cours de ce processus ?
Pourquoi avoir outrepassé le refus de l'État que cette cession intervienne avant qu'un accord soit trouvé?
Voilà une partie des questions que nous nous posons, monsieur le président, au regard des conséquences importantes qu'aurait le rachat de Suez par Veolia sur la structuration du marché de l'eau et du marché des déchets en France.
Monsieur le président, comme l'a justement indiqué le président Jean-François Longeot, la cession par Engie de ses participations dans Suez soulève de très nombreuses interrogations.
La première série d'interrogations renvoie aux conditions de cession des parts de Suez par Engie.
Entre l'annonce de la stratégie de recentrage du groupe en juillet de cette année, la présentation des offres successives de Veolia en août puis en septembre et la cession effective des participations en octobre, quelques semaines seulement se sont écoulées.
Ces délais très contraints étaient clairement insuffisants pour permettre un examen complet de l'impact de cette session, en particulier au regard du droit de la concurrence, et peut-être surtout au regard d'autres offres, le fonds d'investissement Ardian, par exemple, ayant renoncé à déposer une contre-offre. Vous pourrez peut-être aborder ce point.
Si nous nous interrogeons, c'est parce que nous souhaitons savoir quel est le devenir du capital détenu par Engie dans Suez, la question se posant depuis l'expiration du pacte d'actionnaires c'est-à-dire depuis 2013. Pourquoi avoir bouleversé en quatre mois une situation inchangée depuis sept ans ?
Pourquoi avoir agi dans l'urgence - pour ne pas dire dans une forme de précipitation -, vous exposant au risque que tout ceci soit interprété comme résultant d'un processus engagé et bouclé auparavant « en chambre » ?
Ainsi, on entend ainsi parler d'un « quasi-accord » entre M. Frérot et vous-même dès le mois de juin. Vous nous livrerez votre version.
Pourquoi cette cession n'a-t-elle pas fait l'objet d'une procédure transparente ?
Pourquoi ne pas avoir attendu, après le départ d'Isabelle Kocher, que la nouvelle directrice générale choisie par votre conseil d'administration, Catherine McGregor, qui prendra ses fonctions exécutives le 1er janvier prochain, ne prenne le temps de réaffirmer elle-même une stratégie opérationnelle pour Engie et d'engager cette cession si celle-ci entrait dans sa stratégie ?
Mme Kocher était venue présenter la stratégie d'Engie devant la commission des affaires économiques du Sénat le 6 juin 2018 - on pourrait penser il y a un siècle. Nous avions été plutôt convaincus par sa vision et satisfaits de voir ensuite que cette stratégie donnait des résultats.
En quoi le recentrage de la stratégie décidé après son départ appelait-il la cession des parts de Suez dans l'urgence ?
La deuxième série de questions concerne les relations entre Engie et l'État.
Avec un quart du capital et un tiers des droits de vote, l'État demeure le premier actionnaire d'Engie.
L'État avait légitimement fixé plusieurs conditions à la cession des participations dans Suez : son caractère amical, la préservation de l'emploi et le maintien sous contrôle français de cette société.
Seule cette dernière condition semblerait remplie par l'offre de Veolia.
Pourquoi est-on passé outre la demande initiale de l'État ? Comment est-il possible que l'État, votre premier actionnaire, ait pu accepter ? Avez-vous échangé avec l'État sur les conditions de la vente, avant la décision de votre conseil d'administration ?
Par ailleurs, cette cession a été adoptée d'extrême justesse au conseil d'administration par sept voix pour, quatre contre et deux abstentions.
Les administrateurs de l'État ont été défaits à cette occasion.
Pour autant, la presse a évoqué l'hypothèse selon laquelle l'État serait intervenu en faveur de ce vote auprès d'autres administrateurs.
Comment le vote s'est-il déroulé de votre point de vue ? Nous sommes, monsieur le président, un peu perdus !
La troisième interrogation a trait à la stratégie de recentrage poursuivie par Engie. Annoncée l'été dernier, cette stratégie vise à simplifier le groupe et à clarifier ses activités pour lui permettre d'investir davantage dans les énergies renouvelables et les infrastructures.
Pour ce faire, Engie a engagé une revue stratégique de ses « solutions clients », qui représentent les deux tiers de son chiffre d'affaires mais aussi de ses salariés.
Des activités non stratégiques - nous pourrions dire, au regard de l'actualité, « non essentielles » - pourraient in fine être « mises à distance », Engie ayant annoncé un programme de rotation d'actifs de 8 milliards d'euros d'ici 2022.
L'ampleur de ce chantier est telle que la presse s'inquiète de risques de « scission » du groupe. Certains d'entre nous, j'en suis sûr, évoqueront sûrement un « démantèlement ».
Dans le même temps, Engie a engagé une réflexion pour rééquilibrer ses activités de réseaux en France et à l'international et faire évoluer ses participations dans Gaz réseau distribution France (GrDF) - le distributeur de gaz - et Gaz de réseau de transport (GRT Gaz) - le transporteur.
Comment répondre aux inquiétudes suscitées par l'annonce de cette stratégie de recentrage et garantir que les 3,4 milliards d'euros dégagés par la cession de Suez soient effectivement alloués au financement des énergies renouvelables et des infrastructures ?
Enfin, cette cession n'est-elle pas le prélude d'un profond remaniement des activités d'énergie sur le marché du gaz si les participations de GrDF et GRT Gaz devaient à leur tour évoluer ?
Avant de vous laisser répondre, je voudrais dire que nous assistons peut-être aujourd'hui au contrecoup de la loi Pacte, qui avait été d'ailleurs - je le rappelle - rejetée par le Sénat. Le Gouvernement avait en effet souhaité dans ce texte abaisser la part du capital d'Engie devant être conservée par l'État.
Sur ce dossier, je m'interroge sur les changements de pied de l'État actionnaire, de l'État stratège, dont nous avons pourtant tant besoin, comme l'a souligné le Haut-Commissaire au plan, ce matin même, pour accélérer la reprise économique et réussir la transition énergétique.
Voilà beaucoup de questions. Je vais essayer de vous apporter quelques éléments de réponse. Un mot de présentation. J'ai derrière moi une longue carrière d'industriel, essentiellement dans la chimie. J'ai été durant quinze ans dirigeant de deux groupes de chimie successifs, Rhodia puis Solvay, le second ayant racheté le premier. J'ai décidé, à soixante ans, d'exercer des fonctions non exécutives, c'est-à-dire des activités de conseil d'administration. Je suis aujourd'hui administrateur d'AXA, d'Airbus et, depuis deux ans, président du conseil d'administration d'Engie.
Deux précisions préalables, la première touchant à l'histoire entre Engie et Suez, et la seconde à la stratégie d'Engie.
Lorsque Gaz de France (GDF) et Suez, qui ne faisaient à l'époque pas partie du même groupe, se sont rapprochés, il y a maintenant douze ou treize ans, il a été décidé - je crois même que c'était une initiative de l'État, et peut-être même du Président de la République de l'époque - que les activités « environnement » seraient confiées à une société autonome dont le capital serait mis en bourse.
Engie - GDF Suez à l'époque - a conservé dans un premier temps une participation dans le groupe Suez dans le cadre d'un pacte d'actionnaires, qui est arrivé à échéance en 2013.
Depuis 2013, Suez constitue une simple participation financière pour Engie. Nous détenions 32 % du capital. Nous avions et avons toujours deux administrateurs siégeant au conseil d'administration de Suez mais il n'existe aucun lien opérationnel entre les deux sociétés. Nous réalisons une dizaine de millions d'euros d'activités sur des projets communs ce qui, pour des groupes qui génèrent 60 milliards d'euros de chiffre d'affaires s'agissant d'Engie ou une vingtaine de milliards s'agissant de Suez, représente une « tête d'épingle ».
Il existe quelques points de contacts entre les métiers de ces deux sociétés. Peut-être, dans certains des territoires que vous représentez, sommes-nous parfois ensemble. Pour l'essentiel, nous travaillons cependant de manière totalement séparée.
Depuis sept ans, avec la fin de ce pacte d'actionnaires, la question est effectivement régulièrement posée à Engie de savoir ce que le groupe va faire de sa participation dans Suez.
Lorsque je suis arrivé, ma première réaction d'industriel, en tant que président du conseil d'administration d'Engie, a été de considérer que détenir une participation de 30 %, c'était soit trop soit pas assez.
On constate en effet que nous n'avons pas d'activités communes, ni aucune raison de détenir une participation dans ce groupe industriel. Le temps des « noyaux durs » est loin. D'autres utilisations de ces capitaux sont possibles.
A l'inverse, nous aurions pu imaginer un rapprochement et une intégration des deux groupes. Beaucoup de débats ont eu lieu au sein de la direction et du conseil d'administration d'Engie sur ces sujets. Nous avons annoncé, avec Isabelle Kocher, en décembre 2018, que nous nous satisfaisions de notre position d'actionnaire à 32 % et que nous ne souhaitions pas, à court terme, la faire évoluer. Pourquoi ? Nous entrions dans la phase dans laquelle le conseil d'administration de Suez devait choisir un dirigeant - Bertrand Camus, que vous avez auditionné hier - puis, quelques mois plus tard, un président - Philippe Varin, que vous avez également entendu. Il nous paraissait important que ces choix s'effectuent dans un contexte de relative stabilité.
La stratégie d'Engie a fait l'objet de beaucoup de travaux de la part du conseil d'administration depuis environ un an. Je voudrais à ce propos revenir sur l'un de vos commentaires, qui me paraît quelque peu méconnaître la vie des affaires et la gouvernance : l'organe qui décide de la stratégie du groupe est le conseil d'administration. Le directeur général est chargé de mettre en oeuvre cette stratégie.
Le conseil d'administration en juillet dernier se sentait parfaitement légitime pour approuver de nouvelles orientations stratégiques pour Engie, qui ne constituent d'ailleurs pas un virage à 180 degrés par rapport à la stratégie que nous poursuivions jusqu'alors. Elles traduisent notre souci de simplifier le groupe et de le concentrer sur des métiers dans lesquels nous avons la capacité de nous positionner en tant que leader mondial.
Onze millions de foyers français reçoivent une facture assortie du sigle d'Engie mais nous sommes un groupe mondial dont le chiffre d'affaires s'élève à 60 milliards d'euros et le nombre de salariés à 170 000. Nous exerçons un vaste ensemble de métiers, à commencer par les infrastructures gazières, le transport et la distribution de gaz, essentiellement en France mais aussi un peu à l'étranger. Nous sommes aussi le premier générateur privé d'électricité, si l'on exclut de ce classement les acteurs historiques que sont EDF, Enel ou Iberdrola, notre capacité installée de production étant de 90 gigawatts. Nous produisons de l'électricité essentiellement au Benelux - en particulier en Belgique où nous disposons d'un parc de centrales nucléaires - et en Amérique latine, mais très peu en France.
Notre troisième métier concerne les énergies renouvelables, et le quatrième regroupe à la fois les activités d'infrastructures urbaines - réseaux de chaleur et réseaux de froid - et les activités de services.
Face à cet ensemble un peu complexe, le conseil d'administration a annoncé le 30 juillet dernier quelques simplifications et sa volonté d'accélérer nos développements dans les énergies renouvelables. En effet, ce marché décolle dans beaucoup de parties du monde. Nous sommes un très grand acteur au plan mondial, au niveau des plus importants que sont Enel, Iberdrola ou EDF, et nous avons la volonté de continuer à croître dans ces métiers. Pour cela, nous avons besoin d'y affecter des moyens financiers supplémentaires.
L'autre métier dans lequel nous avons choisi de croître, ce sont les infrastructures gazières à l'international mais aussi les infrastructures urbaines. Nous avons le sentiment que l'accompagnement des collectivités, en France ou dans les autres pays où nous opérons, autour de projets de réseaux de chaleur, de réseaux de froid, de réseaux de charge de véhicules électriques, de smart cities dans un certain nombre de cas, représente un potentiel très important pour contribuer à la transition énergétique. Le groupe souhaitait, là aussi, disposer des moyens nécessaires pour accompagner ces efforts.
En revanche, nous avons décidé de classer nos activités de services, qui représentent à peu près 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires, en deux catégories, celles véritablement liées aux problématiques énergétiques - qui ont vocation à rester dans le groupe et représentent le tiers de ce chiffre d'affaires - et celles qui se situent plus loin de la problématique énergétique : installations électriques, installations de climatisation, facility management notamment.
Nous avons donc, sur ce point, engagé une revue stratégique qui est en cours pour définir ce que peut être l'avenir de cet ensemble de métiers.
Nous avons annoncé, ce même 30 juillet, que nous nous interrogions sur nos participations financières dans quelques sociétés. Suez en faisait partie. Il s'agit de la plus importante de nos participations mais ce n'est pas la seule. À la question de savoir ce qui pouvait advenir de notre participation dans Suez, j'ai répondu que tout était ouvert et que nous regarderions les offres qui pourraient être faites.
Voilà l'histoire qui a conduit à cette communication, à la fin du mois de juillet.
Je précise, s'agissant de Suez - ce que ne vous ont peut-être pas dit hier Philippe Varin et Bertrand Camus - que, lorsque j'ai rencontré Bertrand Camus en mai 2019, après sa nomination en tant que directeur général de Suez avec le soutien d'Engie, je lui ai dit qu'il dirigeait une société industrielle où Engie, son actionnaire, n'allait sans doute pas rester dans la situation où il se trouvait.
Je lui ai même dit très explicitement qu'avant la fin de son premier mandat en 2022, nous aurions décidé, soit de monter au capital et d'intégrer Suez dans Engie, soit d'en sortir, et qu'il fallait qu'il s'y prépare. Si, dans la première hypothèse, la préparation ne dépendait sans doute pas de lui, dans la seconde, je lui ai fait valoir qu'il fallait qu'il soit prêt à imaginer un mécanisme permettant à Engie de sortir de cette participation dans les meilleures conditions possible.
Lorsque j'ai rencontré Philippe Varin, en janvier dernier, alors candidat à la présidence du conseil d'administration de Suez, je lui ai tenu à peu près les mêmes propos. Je lui ai dit qu'à un moment ou à un autre durant son mandat, la question de l'avenir de la participation d'Engie dans Suez allait se poser et qu'il nous faudrait un interlocuteur pour pouvoir en discuter. Depuis que Philippe Varin a été désigné président du conseil d'administration au mois de mai dernier, nous échangeons une fois par mois. Cette question est venue sur la table lors de toutes nos réunions. Je l'ai appelé, une semaine avant le 30 juillet, pour lui indiquer que le conseil d'administration d'Engie travaillait sur de nouvelles orientations stratégiques traduisant notre volonté de sortir du capital de Suez et qu'il fallait qu'il s'y prépare.
Les orientations stratégiques que nous avons présentées, le 30 juillet, ont été adoptées à l'unanimité du conseil d'administration. Bruno Le Maire a exprimé à plusieurs reprises, au cours du mois de septembre, son soutien à ces orientations, de même que les trois représentants des salariés et celui des salariés actionnaires.
J'ai reçu un appel d'Antoine Frérot dans les premiers jours du mois d'août. Il m'a indiqué qu'il avait entendu notre communication, qu'il était intéressé et qu'il pourrait avoir des idées sur la manière de nous aider à sortir de cette participation. Je lui ai dit de m'en parler dès qu'il aurait un projet. Je n'ai pas eu de contact avec lui en juin ni en août. En revanche, le dimanche 30 août, il m'a adressé une demande quelque peu pressante me faisant part de son souhait de me rencontrer. Lorsque quelqu'un vous demande un rendez-vous un dimanche, c'est généralement qu'il a envie de parler de quelque chose qui se traite plus facilement quand les bourses sont fermées que lorsqu'elles sont ouvertes. Cela signifiait qu'il avait sans doute préparé quelque chose d'important mais dont je n'avais pas connaissance avant que cette réunion ait eu lieu, près d'ici, le dimanche 30 août au matin.
J'ai été un peu surpris de la proposition qui était faite pour deux raisons. En premier lieu, plutôt que de racheter notre participation de 32 %, l'idée d'Antoine Frérot était de n'en racheter que 29,9 %. Il existe une nuance importante entre les deux proportions : racheter 32 % suppose de soumettre une offre à l'ensemble des actionnaires minoritaires, ce qui nécessite une autorisation des autorités de la concurrence.
Le rachat à hauteur de 29,9 % était une idée à mon sens astucieuse permettant de proposer à Engie de lui racheter l'essentiel de son bloc, sans aucun risque d'exécution, c'est-à-dire en étant certain que l'opération puisse se faire.
Ce qui m'a surpris, en second lieu, c'est l'extrême importance accordée au délai d'un mois durant lequel cette offre était ouverte.
Les opérations ont été largement publiques, Antoine Frérot ayant souhaité rendre cette offre publique, ce qui n'était pas absolument nécessaire. Je lui avais dit préférer une série de discussions et d'échanges discrets. Antoine Frérot a considéré que l'intérêt suscité par un tel projet rendait la confidentialité difficile et qu'il fallait lui préférer la publicité, ce qui est une très bonne chose lorsque l'on est attaché à la transparence. Cela étant, lorsque l'on négocie publiquement, on le fait sous un certain niveau de pression ou, à tout le moins, d'attention.
À partir du 30 août, nous avons agi dans deux directions. Nous avons indiqué à Veolia que l'offre ne nous paraissait pas acceptable en l'état. Elle a d'ailleurs été formellement refusée par le conseil d'administration d'Engie, autour du 10 septembre, considérant à la fois que le prix - de 15,50 euros - n'était pas assez élevé, que les garanties en matière d'emploi n'étaient pas suffisantes et que Veolia devait s'engager sur le caractère amical de ce projet.
Nous avons signifié à Suez que cette offre était sur la table et que nous étions désireux de voir une seconde offre se constituer. Je dis bien « désireux » car, lorsque l'on veut vendre quelque chose, il vaut mieux avoir en face de soi deux acheteurs qu'un seul. Il nous semblait par ailleurs nécessaire que Suez engage un dialogue avec Veolia pour connaître le contenu de leur offre et voir comment celle-ci pouvait être évaluée et améliorée.
Malheureusement, durant ce mois, il ne s'est pas produit grand-chose sur ces deux sujets. Vous l'avez entendu hier : Philippe Varin et Bertrand Camus ont refusé, avec beaucoup de force et de conviction, tout dialogue avec Veolia.
Par ailleurs, Suez n'a pas été en mesure de proposer une offre alternative. C'est vraiment dommage, et j'ai rappelé par voie de presse durant cette période combien une alternative aurait pu être intéressante.
C'est seulement le 30 septembre, le jour où expirait l'offre de Veolia, que nous avons reçu un document, que j'ose à peine qualifier d'offre qui était plutôt une expression d'intérêt émise par Ardian, ne contenant ni prix ni description du projet. Ce projet était très en rupture, l'idée d'Ardian étant de réaliser une opération consistant à retirer complètement Suez de la cote et d'en faire une entreprise privée, dans le cadre d'un fonds de private equity.
Ce n'était donc pas un projet anodin, et nous ne disposions, dans l'offre reçue le 30 septembre - une heure après le début du conseil d'administration -, d'aucun élément permettant de juger de celle-ci.
De notre point de vue, il n'était pas nécessaire de conclure cette opération à telle ou telle date. Engie dispose de liquidités et n'a pas besoin de 3,4 milliards d'euros, même dans une année un peu compliquée comme celle-ci.
En revanche, ce qui créait l'urgence, c'est le fait que Veolia indiquait vouloir retirer son offre le 30 septembre si elle n'était pas acceptée, pour lancer une offre publique - dans un contexte comme celui-ci, cela aurait représenté probablement entre 12 et 24 mois de délai - ou renoncer complètement au projet. Le cours de bourse de Suez, qui était monté de 12 euros à 16 ou 17 euros, allait probablement redescendre à sa valeur précédente, avec un risque de perte de valeur manifeste pour Engie.
Ce sont ces éléments que le conseil d'administration a mesurés, après avoir, à la demande des pouvoirs publics, obtenu un délai supplémentaire de cinq jours. Le conseil d'administration s'est retrouvé le 5 octobre avec une offre de Veolia dont le prix avait été amélioré- à hauteur de 18 euros - et comprenant des engagements en termes d'emplois. Ces engagements nous paraissent réels ; nous les avons examinés avec attention, et nos administrateurs salariés, qui ont demandé à y avoir accès, s'en sont déclarés satisfaits. S'agissant de l'amicalité, Veolia s'est par ailleurs engagé à ne proposer qu'une offre approuvée par le conseil d'administration de Suez.
Le conseil d'administration d'Engie ou, en tout cas, ses administrateurs indépendants, avaient le sentiment de se trouver face à une offre répondant aux conditions posées.
La vision de l'État était légèrement différente, Bruno Le Maire souhaitant, tout comme moi d'ailleurs, que cette offre soit amicale. Personne de sérieux n'éprouve de plaisir à voir deux grands groupes français s'invectiver par presse interposée.
Je vous ai indiqué avoir été dirigeant de Rhodia. Ce groupe a fait l'objet d'une offre non sollicitée de la part de Solvay. Nous nous sommes mis rapidement autour de la table, avons dialogué et trouvé un terrain d'entente, ainsi que les voies et moyens de réaliser une fusion qui, je le crois, s'est bien déroulée. Je suis convaincu qu'une fusion se réalise d'autant mieux qu'elle est amicale. Cela étant, il faut pour cela que les deux parties puissent engager le dialogue.
À la différence de Bruno Le Maire, qui souhaitait que l'amicalité précède la cession du bloc d'Engie, j'ai considéré qu'il était impossible d'obtenir un accord entre les deux parties dans un délai court avant que la cession de ce bloc puisse avoir lieu.
Il n'y a pas de grand mystère sur le vote du conseil d'administration d'Engie. Je n'ai pas vocation à rendre les votes du conseil d'administration publics. Toutefois beaucoup de commentaires ayant été entendus sur ce sujet, je peux rappeler quelques faits. L'État dispose de trois sièges au conseil d'administration, habituellement composé de quatorze administrateurs. Faute de directeur général, celui-ci étant administrateur, nous n'en avons actuellement que treize.
L'influence de l'État au sein du conseil d'administration est proportionnelle au nombre d'administrateurs dont il dispose. Je suis président de ce conseil : je dois défendre l'intérêt de tous les actionnaires. Je porte un intérêt tout particulier à mon premier actionnaire, l'État, qui détient 22 ou 23 % du capital, mais les autres actionnaires, qui en représentent 77 %, comptent tout autant sur moi pour défendre leurs intérêts.
Je considère que mon rôle consiste à trouver un bon alignement entre ces deux groupes d'actionnaires, ce qui est le cas sur l'essentiel des sujets. Sur ce point, les actionnaires autres que l'État faisaient valoir avec force que 18 euros par action constituait une valeur que nous ne retrouverions pas avant longtemps. Or le groupe a des besoins d'investissement, et les montants que l'on pouvait espérer dégager dans cette cession pouvaient être très utiles pour accélérer nos efforts dans le domaine des énergies renouvelables.
Nous nous sommes retrouvés dans une situation en définitive assez rare, dans laquelle l'intérêt social d'Engie était différent de l'intérêt de l'État, qui cherche à avoir - et c'est son rôle - une vision de l'intérêt public.
Avec Bruno Le Maire, nous avons constaté avant le début du conseil d'administration que l'on allait sans doute arriver à une situation dans laquelle le poids respectif des forces en présence allait conduire à ce qu'une décision différente de celle proposée par l'État soit prise.
Les administrateurs indépendants, qui sont au nombre de six, ont voté en faveur de la cession. Deux des trois représentants de l'État ont voté contre et le troisième s'est abstenu. Parmi les représentants des salariés, un seul a pris part au vote et s'est lui aussi exprimé en faveur de la cession. Sept voix se sont dégagées en faveur de la cession et deux contre. Je ne sais pas s'il s'agit ici d'une faible majorité.
Dans nos conseils d'administration, les abstentions comptent comme des voix contre. Il faut donc obtenir la majorité des suffrages exprimés. Onze administrateurs seulement ont pris part au vote. Il fallait six voix pour remporter cette décision. Nous en avons eu sept. C'est le fonctionnement normal du conseil d'administration.
Que va-t-on faire de cet argent, madame la présidente ? La réponse est simple, claire et précise : nous avons annoncé que nous dépenserions 8 milliards d'euros supplémentaires, au-delà de notre programme d'investissement normal, pour accélérer nos développements dans le domaine des énergies renouvelables et dans celui des infrastructures, en particulier urbaines. C'est bien ce que nous allons faire. Le groupe investit chaque année 6 à 7 milliards d'euros dans différents projets à travers le monde. Nous allons, pendant deux ou trois ans, accélérer et passer à un niveau d'investissement qui va nous permettre d'être un acteur encore plus important dans la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique.
Merci de votre intervention, monsieur le président.
On a lu dans la presse que vous aviez un besoin urgent de liquidités. Vous venez de répondre qu'il n'en était rien. On a pu penser que tout ceci avait été assez précipité, mais vous nous avez rappelé les faits.
Pouvez-vous en dire plus sur le recentrage des activités d'Engie et nous parler de ses conséquences en termes d'emploi ?
Le groupe Engie entend-il réduire ou céder ses participations dans le distributeur de gaz - GrDF - et le transporteur de gaz - GRT Gaz ? Si c'est le cas, quels partenaires extérieurs pourraient être pressentis au capital de ces sociétés ? Quelles sont les garanties qu'Engie envisage de prendre pour préserver les intérêts de la France dans le secteur de l'énergie ?
Monsieur le président, vous avez évoqué le contexte de la crise sanitaire. Je souhaiterais que l'on puisse approfondir ce sujet.
Ce contexte est-il vraiment propice à une cession des participations d'Engie dans Suez, dans la mesure où il déprime l'activité économique et donc le montant de l'action de la société ? Un prix supérieur à 18 euros par action n'aurait-il pu être obtenu, l'action de Suez ayant pu s'établir à des montants supérieurs par le passé ?
Par ailleurs, la crise économique actuelle, et plus spécifiquement la chute de la demande et des prix de l'énergie, a nécessairement une incidence négative sur l'activité, le résultat et les investissements d'Engie. Pouvez-nous nous éclairer à ce sujet ?
Enfin, les objectifs et les modalités de financement de la stratégie de recentrage du groupe sont-ils adaptés à ce nouveau contexte ?
Le fonds d'investissement Ardian a indiqué à la presse ne pas avoir eu assez de temps pour proposer une offre alternative. Pourquoi ne pas avoir accordé des délais supplémentaires à cette alternative ? Vous avez reçu une lettre d'intention que vous qualifiez d'assez sommaire. Plus de temps aurait sans doute permis de construire un dossier plus solide.
Par ailleurs, nous avons appris que Veolia, pour des raisons liées au respect du droit de la concurrence, serait obligé de céder sa branche « eau » au fonds Meridiam. Pourquoi ne pas avoir recherché une solution avec ce dernier pour la constitution d'une offre de reprise ?
J'ai bien compris qu'il existait dans tout cela une logique de recentrage, mais également une logique financière, avec un accroissement assez substantiel de la capitalisation boursière d'Engie à la suite de cette opération. Vous avez précisé que le cours de l'action était passé de 12 à 17 euros. Il s'agit donc d'une opération financière pour Engie. Néanmoins, pourquoi avoir retenu un calendrier aussi serré ? Cette accélération est-elle de votre fait, du fait de Veolia ou de celui de l'État ?
J'en reviens au rôle de l'État vis-à-vis d'Engie : comment concevez-vous l'articulation de votre activité au sein d'un groupe de grandes dimensions comme Engie face au rôle de l'État actionnaire ? Comment l'État actionnaire, alors que vous n'avez pas suivi ses préconisations, peut-il encore envisager un partenariat solide qui prenne en compte les intérêts de l'un et de l'autre ?
Monsieur le président, vous avez fait remarquer à notre présidente, Sophie Primas, que nous n'avions pas, comme vous, connaissance de tous les arcanes des grands groupes. Nous ne sommes pas nous-mêmes administrateurs de trois grandes sociétés, mais cela ne nous empêche pas d'être très attachés à la transparence, notamment quand l'argent public est en cause et que l'État est impliqué. J'ai trouvé votre remarque désobligeante à l'endroit de notre présidente.
Ma première question sera directe et toute simple : l'État actionnaire vous a-t-il demandé de surseoir à la délibération concernant l'offre de Veolia pour évaluer l'impact de celle-ci au regard du droit de la concurrence ou pour envisager des offres alternatives ?
Deuxièmement, quelles activités vont faire l'objet d'une « mise à distance » dans le cadre de la stratégie de recentrage du groupe ? En quoi consiste précisément cette « mise à distance », des introductions en bourse et des cessions d'actifs ayant été évoquées ? Comment éviter que d'autres cessions d'actifs n'induisent de nouvelles difficultés, à l'image de celles qui touchent actuellement Suez ?
Enfin, la crise de gouvernance qui a frappé Engie cette année est-elle définitivement derrière nous avec la désignation de Catherine McGregor en tant que directrice générale, à compter du 1er janvier prochain ?
Je ne voulais pas du tout être désobligeant. Je pense simplement que le rôle des conseils d'administration des grandes entreprises privées est souvent méconnu.
Vous m'avez demandé si je pouvais prendre une décision sur la stratégie en l'absence d'un directeur général. La responsabilité première d'un conseil d'administration est de définir la stratégie. Oui, nous sommes parfaitement capables de définir une stratégie même en l'absence d'un directeur général. Je voulais le rappeler, car c'est un commentaire que j'ai souvent entendu.
Chez Engie, nous avons d'ailleurs fait le choix - et ce n'est pas tout à fait un hasard - d'arrêter nos orientations stratégiques fin juillet, avant de finaliser le recrutement d'un directeur général, qui a été annoncé à la fin du mois de septembre. Pourquoi ? Nous voulions un directeur général qui soit bien en ligne avec nos orientations stratégiques et qui arrive avec pour objectif de les mettre en oeuvre, plutôt que de faire l'inverse, c'est-à-dire nommer un directeur général et lui demander la stratégie qu'il compte appliquer.
Le rôle du conseil d'administration est de définir la stratégie du groupe. Je ne voulais être désobligeant vis-à-vis de quiconque. Je ne connais pas très bien les arcanes du travail sénatorial, et je pensais qu'il n'était pas inutile de vous rappeler comment fonctionne la gouvernance.
Pour le reste, nous n'avons pas un besoin urgent de liquidités. Le groupe a environ une trentaine de milliards d'euros de trésorerie disponible. Pour autant, lorsque l'on lance un projet, il faut essayer de le réaliser dans un temps relativement raisonnable.
S'agissant de la garantie de l'emploi, plusieurs questions concernent à la fois le plan stratégique d'Engie et la cession de notre participation dans Suez.
Le sujet de Suez est très particulier. Il s'agit simplement de la cession d'une participation financière. À nouveau, nous n'exercions aucun contrôle opérationnel sur Suez. Nous ne consolidions pas les résultats de Suez dans les nôtres. Nous percevions un dividende, comme tous les autres actionnaires, et n'avions donc pas d'impact direct sur l'activité de ce groupe.
Les garanties d'emploi données par Veolia sont assez simples : elles consistent à dire que, d'ici à la fin de l'année 2023, il n'y aura pas de perte d'emplois sur le périmètre de Suez France tel qu'il est aujourd'hui. L'exercice que nous avons mené avec les équipes de Veolia a consisté à identifier, par grands périmètres, ce que sont les effectifs de Suez aujourd'hui et à regarder comment ces engagements pouvaient être mis en oeuvre. Nous avons été, à la fin de cet exercice, convaincus que ces engagements avaient du sens.
Les administrateurs représentant les salariés siégeant au conseil d'administration d'Engie étaient évidemment très attentifs à ce sujet. Ils ont demandé à être destinataires des résultats de ces travaux et les ont jugés convaincants, ce qui les a amenés, pour certains, à exprimer un soutien à ce projet, pour d'autres à ne pas prendre part au vote, le quatrième administrateur s'y étant déclaré hostile.
S'agissant de l'évolution des activités de services d'Engie, nous avons annoncé que nous allions nous interroger sur l'avenir d'un ensemble d'activités qui représentent à peu près les deux tiers des activités de services du groupe et 12 milliards d'euros de chiffre d'affaires - soit un cinquième du chiffre d'affaires total d'Engie.
Cette revue stratégique est en cours. Nous ferons un point d'étape, à l'occasion de la présentation de nos résultats la semaine prochaine. Il est trop tôt pour se prononcer sur les aboutissants de cette revue stratégique. Celle-ci pourrait effectivement se traduire par une « mise à distance » du groupe de ces activités de services, qui pourrait avoir pour conséquence de constituer un tour de table dans lequel Engie reste partie prenante sans être seul. On pourrait penser qu'un autre acteur acquière ces activités de services mais je n'y crois pas beaucoup car il s'agit d'un ensemble de grande taille. On pourrait aussi imaginer sa mise en bourse progressive. Nous n'avons pas tranché ces différentes hypothèses et je pense que nous ne trancherons pas avant le début de l'année prochaine.
Il s'agit de nos équipes, de nos salariés, de nos métiers, de nos clients. Contrairement à Suez, où nous sommes dans une position d'actionnaires financiers un peu loin des opérations, nous sommes ici en première ligne, et il est de la responsabilité du conseil d'administration et du management de mener à bien ce projet dans les meilleures conditions possible, dans un contexte de dialogue social.
L'objectif que nous nous sommes fixé est d'être capables de débuter la consultation des instances représentatives du personnel au début de l'année 2021.
Pour ce qui est du gaz, les choses sont relativement simples. Nous avons aujourd'hui deux activités dans le domaine du gaz en France, le grand transport - GRTgaz - et les activités de distribution - GrDF.
S'agissant de GRT Gaz, nous avons déjà des partenaires au sein du capital, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et CNP Assurances. Dans les orientations stratégiques que nous avons annoncées au mois de juillet, nous avons indiqué que nous envisagions éventuellement la cession d'une tranche supplémentaire de capital mais en conservant le contrôle et la consolidation de cet ensemble, ce qui veut dire, en pratique, que l'on peut imaginer céder une dizaine de pourcents supplémentaires. La manière dont se passent les autres opérations rendra ceci utile ou non.
Nous n'avons pas du tout commencé à travailler sur cette hypothèse mais nous avons clairement dit que nous voulions rester l'actionnaire majoritaire, l'actionnaire de contrôle et, d'un point de vue comptable, être en situation de consolider les activités de GRT Gaz, ce qui signifie que l'évolution envisagée est à la marge.
Pour ce qui est de GrDF, nous n'envisageons aucune évolution capitalistique. La situation est donc relativement simple.
Je me permets d'ailleurs, ayant la chance d'être entendu par la représentation nationale, de vous dire que notre préoccupation, s'agissant des infrastructures gazières françaises - qui représentent à peu près la moitié des activités du groupe - réside dans la place du gaz dans le mix énergétique français dans les trente prochaines années.
Nous constatons souvent avec inquiétude que les instances publiques françaises font preuve d'un tropisme électrique qui nous paraît quelquefois excessif. Une transition énergétique efficace doit laisser sa place au gaz. Le jour le plus froid de l'hiver, il sort une fois et demie plus d'énergie des stockages de gaz d'Engie que de l'ensemble du parc nucléaire d'EDF.
Cette année, alors qu'EDF connaît un certain nombre de difficultés en matière de disponibilité de tranches, c'est grâce à Engie et au gaz que nous pourrons continuer à nous chauffer durant les jours les plus froids de cet hiver.
Soyons attentifs à ne pas créer une situation dans laquelle, progressivement, nous serions amenés à abandonner la desserte en gaz d'un certain nombre de territoires parce que nous n'aurions plus de volumes suffisants à y transporter.
J'en reviens aux questions posées sur la cession. Était-ce le bon moment de vendre ? D'un point de vue simplement financier, même si cette opération est plus industrielle que financière, 18 euros représentent la valeur maximum de l'action Suez sur les dix dernières années. Fin juillet, l'action valait 10 euros. Après nos annonces, elle valait 12 euros. En février, avant le début de la crise, elle était à 15 euros. Je pense qu'en termes de valeur - c'est ce que nous disent nos actionnaires -, nous avons réalisé une bonne opération. Ce n'était pas le seul critère mais c'était un critère important pour nous. Il faut beaucoup d'imagination pour envisager un scénario dans lequel l'action de Suez aurait pu dépasser ce niveau dans un avenir prévisible.
Vous m'avez également interrogé, s'agissant d'Engie, sur les impacts de la crise. Ils ont été très importants sur nos activités de services pour ce qui est du premier confinement. Ce sont des activités pour partie liées au bâtiment et aux travaux publics. Nous sommes en effet souvent sur les sites de nos clients industriels qui, pour beaucoup, ont été fermés à partir de la mi-mars.
Certaines de nos activités liées à l'énergie ont souffert parce que l'on a acheté par avance des volumes d'énergie que nos clients n'ont pas consommés, l'activité économique ayant chuté fortement durant cette période. Nous avons dû encaisser une forme de pertes sur ces activités de fourniture.
Nous avons toutefois été bien moins affectés que d'autres groupes. Je suis également administrateur d'Airbus, qui a pris cette crise de plein fouet. Pour ce qui est d'Engie, la crise a un impact - nous aurons l'occasion de le commenter dans nos résultats la semaine prochaine - sans remettre pas en cause les fondements du groupe.
Quant à nos projets d'investissement, la crise a plutôt montré l'importance des énergies renouvelables. Nous allons connaître de légères difficultés cette année parce qu'un certain nombre de chantiers ont été arrêtés, mais je pense que l'on assistera à une accélération des investissements dans ce domaine dans les prochaines années.
S'agissant des fonds d'investissement, à nouveau, j'aurais été ravi qu'Ardian nous fasse une offre. Philippe Varin ne vous l'a pas dit hier mais je l'ai appelé, juste après qu'Ardian a annoncé qu'il abandonnait l'idée d'une offre ferme, pour lui conseiller d'en solliciter une. Ardian m'avait dit être sur le point d'en faire une mais demandait six semaines d'analyses et d'expertises supplémentaires. Philippe Varin a appelé la dirigeante d'Ardian et m'a ensuite rappelé pour me dire que ceux-ci n'étaient pas décidés.
Tous ceux qui ont travaillé avec des fonds d'investissement savent que la seule manière d'obtenir un prix satisfaisant est de faire jouer la concurrence.
Lorsque Ardian nous disait d'abandonner l'offre de Veolia en nous assurant qu'il ferait une offre au même prix, très franchement, je n'y croyais pas un instant. Si l'on se retrouve seul face à Ardian, le prix qui est à 18 euros le premier jour termine à 14 ou 15 euros après six semaines d'analyses. Il faut forcément avoir une forme de concurrence. Ce qui est vraiment dommage en revanche, c'est qu'Ardian ne se soit pas mis au travail immédiatement.
Je sais que le management de Suez est passé par des moments difficiles, mais je pense qu'ils n'ont pas réagi suffisamment vite quand la question de l'avenir de notre participation s'est posée.
Bertrand Camus a dit publiquement avoir reçu deux appels téléphoniques d'Antoine Frérot pour lui proposer de discuter d'un rapprochement. Si un jour le patron de tel ou tel groupe d'énergie me passait un coup de téléphone pour me dire cela, après avoir raccroché et lui avoir dit non, je me préparerais immédiatement à réagir à l'étape suivant un tel appel. Je pense que Bertrand Camus n'a pas eu cette réaction et qu'ils ne se sont pas mis au travail, le 1er août, pour essayer de construire une offre alternative. En deux mois, on peut y arriver.
Je ne crois pas à la logique financière mais à la logique industrielle. Comment fait-on pour disposer de plus d'argent pour construire des éoliennes, des champs de panneaux photovoltaïques, des réseaux de chaleur ou des réseaux de froid dans les territoires que vous représentez ? C'est ce que l'on cherche à faire aujourd'hui. Engie est un groupe qui investit massivement. Nous souhaitons disposer de plus de ressources pour investir.
Pour en revenir au calendrier, c'est Veolia qui l'a fixé. J'ai essayé de le faire évoluer. J'ai finalement obtenu une petite semaine supplémentaire. Je pense que Bruno Le Maire a passé beaucoup d'appels téléphoniques à Antoine Frérot, dont certains très vigoureux, pour lui demander quinze jours ou un mois supplémentaires. Antoine Frérot a été inflexible. Je vous invite à lui poser la question la semaine prochaine pour savoir pourquoi. C'est lui qui a fixé ce calendrier.
Il aurait été très difficile pour le conseil d'administration d'Engie de renoncer à cette option. Face à cette situation, il a considéré que sa responsabilité était d'accepter cette offre tant qu'elle était disponible.
Nous avons travaillé en très bonne intelligence avec l'État, presque jusqu'à la fin, et je salue le rôle de Bruno Le Maire, qui en définitive a affirmé à peu près la même chose que moi. Il a indiqué qu'il fallait une seconde offre. Il a appelé au dialogue. Il n'a malheureusement pas été plus entendu que moi, ni sur le premier point, ni sur le second. Nous avons simplement eu, à la fin du processus, une divergence d'appréciation, qui a conduit effectivement à cette position.
Le rôle de l'État actionnaire dépend des conditions capitalistiques dans lesquelles il se trouve. Quand il est actionnaire d'EDF, l'État a beaucoup de pouvoirs. Quand il est actionnaire à 22 % du capital ou dispose de 30 % des droits de vote, il contrôle dans les faits l'assemblée générale et a donc un mot très important à dire dans les décisions qui relèvent de celle-ci, mais en revanche, au sein du conseil d'administration, il pèse à hauteur de son poids. C'est la règle du jeu en droit des sociétés. Que diraient nos autres actionnaires si nous leur disions que c'est l'État qui, avec ses 22 %, fait la loi et prend les décisions chez Engie ? Ils considéreraient, à juste titre, que leurs intérêts ne sont pas entendus.
Le rôle du conseil d'administration est de faire la synthèse de ces éléments et d'essayer de prendre des décisions dans l'intérêt de la société. Je ne veux pas vous donner le sentiment d'avoir une vision égoïste des choses, mais franchement cette décision est dans l'intérêt d'Engie, de toutes ses parties prenantes, de tous ses métiers, de toutes ses activités.
Transformer une participation financière dans un groupe qui ne nous rapporte qu'un dividende, avec lequel nous n'avons jamais réussi à développer des partenariats opérationnels concrets, en investissements, en actifs de production d'énergie renouvelables ou d'infrastructures, qui concourent à notre stratégie de développement, est vraiment dans l'intérêt du groupe ; j'en suis intimement persuadé.
La vie des affaires évolue et le rôle des conseils administration va croissant. Aujourd'hui, ils ont des responsabilités et essayent de les exercer le mieux possible. La crise de gouvernance est derrière nous.
Peut-être la présence de l'État au capital du groupe donne-t-elle le sentiment qu'il existe toujours une capacité à aller chercher une décision ou un arbitrage au-delà du conseil d'administration - même si c'est bien ce dernier qui a pris ses responsabilités et les décisions in fine sur tous les sujets traités cette année.
Néanmoins, le fait qu'un conseil d'administration, après un premier mandat de quatre ans d'un dirigeant, dise qu'il faut un style un peu différent est assez légitime. Ce sont des choses qui se passent assez régulièrement dans la vie des affaires. En l'espèce, elles ont pris une ampleur médiatique un peu inattendue mais ce n'est pas nécessairement de notre fait.
Je crois qu'il existe aujourd'hui un bon alignement ; au sein du conseil d'administration, il est total. Nos orientations stratégiques ont été approuvées à l'unanimité. Je pense que Catherine McGregor est un dirigeant qui arrive avec les savoir-faire nécessaires. Comme elle le dit avec humour, une stratégie n'est jamais que de l'encre sur une feuille de papier ou un transparent projeté sur un écran. Ce qui compte, c'est la manière dont on la met en oeuvre. Il y a énormément de choses à faire dans les prochaines années chez Engie, et il existe un très bon alignement entre le conseil d'administration et notre nouvelle directrice générale.
Je me suis exprimé, il y a quelques instants, sur l'avenir de nos activités de services. C'est un sujet que l'on étudie avec beaucoup d'attention.
Les activités de services que j'ai essayé de vous décrire tout à l'heure ressemblent beaucoup à celles d'un autre groupe français, Spie. Il va y avoir dans cet ensemble des activités très proches de celles de Spie ou encore de Vinci Énergies. L'ensemble aura toutefois environ deux fois la taille de Spie.
Monsieur Clamadieu, je voudrais profiter de votre présence pour connaître votre perception de la crise sanitaire. Quelle leçon en tirez-vous en tant qu'administrateur de différents groupes et président de conseil d'administration ? Comment Engie a-t-il traversé la crise ?
Vous avez estimé que cette crise sanitaire peut constituer un facteur d'accélération dans la transition écologique. Comment percevez-vous le plan de relance dans ce domaine ? Comment Engie va-t-il s'inscrire dans ce plan ?
Vous avez récemment inauguré un centre de recherche appelé Engie Lab Crigen. On sait que la recherche et développement est fondamentale pour la compétitivité et la transition énergétique. Pouvez-vous nous parler de ce laboratoire ? Qu'en attendez-vous concrètement ?
Monsieur le président, l'État est un actionnaire parmi d'autres, et vous avez travaillé avec lui jusqu'à la fin. Le Premier ministre a estimé qu'il s'agissait d'un bon rapprochement. Bruno Le Maire a plutôt dit l'inverse et les administrateurs de l'État se sont abstenus ou ont voté contre.
La loi Pacte, contre laquelle nous avons voté pour notre part, a autorisé l'État à descendre en dessous de 33 % de capital. Bruno Le Maire nous avait dit à l'époque de ne pas nous inquiéter. L'État devait, selon lui, détenir 22 % des parts mais 30 % des votes et rester actionnaire majoritaire grâce à la golden share, qui devait permettre de bloquer des décisions qui ne conviendraient pas. Pourquoi ceci n'a-t-il pas fonctionné ?
Par ailleurs, le président de Suez et ses salariés nous ont indiqué que ce rapprochement pourrait entraîner 4 000 à 5 000 pertes d'emplois sur notre territoire. Vous dites avoir étudié les choses avec Veolia et être sûr qu'il n'y aura pas de pertes d'emplois jusqu'en 2023. Qu'en est-il vraiment ?
Enfin, je pense qu'il s'agit là de la première partie du démantèlement d'Engie. Scinder l'entreprise en deux entités, New Engie et New Solutions, et faire entrer cette dernière en bourse revient à mettre en place le même procédé qu'EDF avec le projet Hercule. De quelles garanties dispose-t-on pour ne pas voir le groupe Engie être démantelé dans ce cadre ?
Mes questions concernent Engie, Veolia et Suez, qui constituent trois belles entreprises françaises. La première cède à la deuxième ses parts dans la troisième, ce que cette dernière ne souhaite pas !
Dans vos propos liminaires, vous avez fait part de vos regrets concernant la situation actuelle, que vous vivez, je suppose et tout comme nous, de manière inconfortable. Vous avez rappelé qu'Engie n'avait pas en réalité une nécessité urgente de céder ses parts dans Suez. La décision d'Engie est-elle aujourd'hui irrévocable, compte tenu de cet imbroglio ?
Nos territoires sont très attachés à ces trois entreprises. Vous devez également être sensible à la crise sanitaire, qui constitue aujourd'hui un sujet prégnant dans l'opinion publique. Derrière ces groupes, il y a des hommes et des femmes qui seront forcément touchés à un moment ou à un autre par les décisions prises, quelles qu'elles soient.
Monsieur le président, le tribunal judiciaire de Paris, saisi en référé par les comités sociaux et économiques du groupe Suez, a ordonné la suspension de l'opération résultant de l'offre d'acquisition par Veolia des actions de Suez détenues par Engie, ainsi que l'offre publique d'achat prévue dans la foulée. Cette suspension a été décidée tant que les comités sociaux et économiques de Suez et Suez Eau France, à l'origine de la procédure, n'auront pas été « informés et consultés sur les décisions prises ».
Si votre participation n'a pas vocation à être pérenne - on peut le comprendre - pourquoi avoir choisi de faire appel et ne pas vous être conformés à la décision du tribunal ? Pourquoi ne serait-il pas possible d'informer et de consulter les comités sociaux et économiques, comme l'a exigé le tribunal judiciaire, eu égard au droit des salariés, lesquels doivent d'ailleurs être assez inquiets ?
Monsieur le président, trois groupes, dont Engie est sensiblement le plus important en chiffre d'affaires, sont ici concernés. Ces trois entreprises sont connues et se connaissent par ailleurs de longue date ; rappelons que la fusion de GDF-Suez résultait à l'époque d'une réponse à une offre publique d'achat hostile d'une société italienne. Ce qui me trouble, c'est le rôle de l'État ou d'un certain nombre d'actionnaires, au moment du vote de la cession des actions d'Engie à Veolia. L'État aurait fort bien pu, avec les droits de vote qu'il détient, surseoir ou faire en sorte qu'un vote positif sur la vente ne soit pas pris au moment du conseil d'administration. Il ne l'a pas fait.
Sa position est parfois surprenante, mais ce n'est pas la première fois. Vous avez récemment dit dans la presse que l'État est certes actionnaire de l'entreprise, mais qu'Engie n'est pas une entreprise publique - et je partage parfaitement votre point de vue.
Comment expliquer que l'État, alors qu'il disposait de près de 35 % des droits de vote, n'ait pas voulu prendre une position claire qui aurait permis de desserrer les délais ? Selon moi, il y a un consentement tacite de la part de l'État à la cession des actions d'Engie à Veolia.
Monsieur le président, vous avez un parcours brillant. Vous avez repris en son temps la direction de Rhodia, qui était alors dans une situation de quasi-faillite à l'époque, et en avez fait une entreprise qui est devenue non seulement rentable, mais également un des leaders dans son domaine.
Vous avez ensuite conduit l'offre publique d'achat amicale de Solvay sur Rhodia, qui a constitué un exemple en la matière et qui a débouché sur un groupe international exceptionnel, dont vous avez pris assez rapidement la présidence.
Vous avez su redresser la situation de Rhodia et accompagner cette offre publique d'achat amicale qui s'est excellemment bien déroulée. Vous avez indiqué à Bertrand Camus et Philippe Varin qu'il faudrait s'attendre, soit à ce que vous vous retiriez de l'actionnariat de Suez, soit que vous augmentiez votre part. Pourquoi n'avez-vous pas saisi l'opportunité d'accompagner Suez plutôt que de vous retirer du jour au lendemain en le « jetant en pâture » à n'importe quel investisseur, sans avoir préparé le groupe à ce retrait du capital ?
Monsieur le président, la vente des parts de Suez va vous donner les moyens d'agir pour accélérer votre plan stratégique. Or le groupe Engie compte de nombreuses implantations territoriales, et les territoires sont les premiers à ressentir le « vent du boulet » lorsque des projets stratégiques se mettent en oeuvre.
On a bien compris qu'Endel était par exemple dans le périmètre. Cette filiale d'Engie représente 140 implantations en France et, même si son chiffre d'affaires n'est que de 750 millions d'euros, elle compte 6 000 salariés.
J'ai bien compris qu'Engie Solutions, soit 12 000 salariés, serait aussi dans le périmètre. Quel niveau d'exigence afficherez-vous par rapport aux futurs acquéreurs ? Quel dialogue allez-vous engager avec les territoires ?
Monsieur le président, les sénateurs pourraient-ils disposer du procès-verbal du conseil d'administration du 5 octobre ?
Par ailleurs, où en est le référé déposé par les comités sociaux et économiques de Suez et Suez Eau France ? On a annoncé, dans les médias, la suspension de l'acquisition. Quel effet cela a-t-il sur la procédure ?
Enfin, j'ai entendu parler d'un signalement au parquet national financier. Qu'en est-il ?
La cession porte sur 3,4 milliards d'euros. L'impact est très relatif au regard de votre réserve financière de 30 milliards d'euros. Vous n'aviez donc pas forcément besoin de cette somme pour la mise en oeuvre de votre stratégie de recentrage. Votre décision s'explique-t-elle simplement par l'attractivité du prix de 18 euros par action car vous nous avez indiqué que la conjoncture était, selon vous, très favorable sur ce plan ? À l'évidence, vous n'aviez pas stratégiquement besoin de vendre cette participation, dont vous avez d'ailleurs indiqué qu'elle ne présentait qu'un caractère financier et non opérationnel.
Monsieur le président, pouvez-vous nous confirmer qu'il n'y a eu aucun échange avec les dirigeants de Veolia entre les mois de mai et septembre ?
Par ailleurs, quelles sont les solutions clients dont Engie envisage la « mise à distance » - pour ne pas dire la cession ? Les solutions clients ainsi cédées n'ont-elles bien aucun lien avec le secteur de l'énergie ? Dans le cas contraire, nous serions dans une situation tout à fait paradoxale dans laquelle Engie ambitionnerait de devenir un leader de la transition énergétique tout en cédant ses activités d'efficacité énergétique réalisées au profit des entreprises ou des collectivités territoriales.
Dans le cadre de son activité législative, le Sénat est très sensible à l'enjeu de la transition énergétique. Or il est nécessaire de disposer d'une gouvernance claire et de capitaux suffisants pour promouvoir le verdissement du marché du gaz. J'insiste sur importance du biogaz et de l'hydrogène gazeux, auxquels le Sénat est très attaché, et pour lesquels il a fait adopter des dispositions non négligeables dans le cadre de la loi énergie-climat ou de la loi sur l'accélération et la simplification de l'action publique (ASAP). L'autre enjeu est celui de la souveraineté énergétique, autrement dit le maintien sous contrôle français de GrDF et de GRT Gaz car le domaine de l'énergie est un secteur stratégique. Comment appréhendez-vous ces enjeux ?
Enfin, ma dernière question porte sur la manière dont Engie fait face à l'évolution du mix énergétique européen. Electrabel, la filiale d'Engie, qui exploite la plupart des centrales nucléaires belges et représente la moitié de la production d'électricité de ce pays, y est confrontée à la sortie du nucléaire d'ici 2025. Pour s'y préparer, Electrabel installe notamment des centrales à gaz. Quel est votre point de vue sur cette situation et son impact sur l'activité du groupe ?
Suez et Veolia représentent 60 % du marché privé de l'eau et de l'assainissement en France, la part restante se divisant entre la Saur et les entreprises de taille plus modeste.
Dans ces circonstances, vous comprendrez que les élus locaux et, à travers eux, les usagers, se montrent très inquiets face à la naissance de ce nouveau géant qui risque fort de dégrader les conditions de concurrence dans un marché déjà quasi-monopolistique.
La question du prix de service, mais aussi de la qualité du service, se pose également puisque, face à l'affaiblissement de la concurrence, la pression sur le concessionnaire sera forcément moindre.
Face à ces risques, de nombreux élus risquent de choisir finalement de reprendre la gestion de l'eau en régie, ce qui pourrait de fait conduire à un affaiblissement de votre groupe. Quelles garanties pouvez-vous aujourd'hui donner aux nombreux élus inquiets pour l'avenir ?
Plusieurs leçons sont à tirer de la crise sanitaire. Je suis, comme tout le monde, par moment effaré de son impact et de la vulnérabilité qu'elle fait apparaître dans nos sociétés.
Il est assez incroyable de voir que tous les échanges entre pays, en termes de personnes en tous cas, sont réduits à leur plus simple expression. Nos modes de travail se sont complètement transformés. J'étais hier dans la tour Engie : on peut y compter vingt personnes dans un lieu qui en accueille habituellement 3 000. Je pourrais ainsi multiplier les exemples.
Notre monde est vulnérable et le prochain grand risque sera le changement climatique. Je suis très heureux de voir que les gouvernements et l'Union européenne ont réagi, en appelant à rendre le monde plus résilient lors de la prochaine crise. Je suis persuadé que celle-ci sera climatique.
On est toutefois capable de réagir très vite face au danger. J'ai pris l'exemple assez triste d'une tour presque vide à La Défense. Je pourrais dire, de manière plus positive, qu'Engie a une seconde fois placé environ 40 000 personnes en télétravail en l'espace de 24 ou 48 heures. On arrive à le faire avec un impact presque nul sur notre qualité de service.
Je ne dis pas que c'est un mode de fonctionnement optimal, loin s'en faut : cela pose d'énormes difficultés mais, en revanche, on assure la sécurité d'approvisionnement et la relation avec nos 11 millions de clients français. On est donc capable, face à des situations exceptionnelles, de prendre des mesures extrêmement fortes. C'est un élément encourageant, même si je crois qu'il nous faut nous préparer à la crise climatique afin d'en atténuer les impacts, réduire le phénomène lui-même, et rendre notre monde plus résilient.
Les temporalités sont très différentes. La crise climatique va mettre quelques décennies à se cristalliser. La crise sanitaire s'est cristallisée en quelques semaines, mais il ne faut pas que cela nous donne le sentiment que l'on a le temps de s'y préparer. Je pense au contraire qu'il s'agit d'une vraie urgence. La crise climatique est irréversible, ce qui n'est pas le cas, je l'espère, de la crise sanitaire.
Priorité à la transition énergétique, on l'a dit. Beaucoup de choses nous conviennent dans le plan de relance, avec des mesures de très court terme autour de l'efficacité énergétique dans les bâtiments, jusqu'à des choses de plus long terme, comme l'introduction de l'hydrogène. Je trouve qu'il y a là un bon équilibre.
Que n'y trouve-t-on pas ? On aurait aimé voir une accélération du développement du biogaz. Vous avez rappelé que cette maison était attentive à ce type de projets. Je suis convaincu que le biogaz, à court terme, et l'hydrogène, à moyen terme, sont des éléments très importants du mix énergétique. Ils ont par ailleurs des effets importants sur l'aménagement du territoire qu'il faut être capable de faire valoir.
L'État n'a pas assez de ressources pour faire face à tous les projets de développement de biogaz qui sont en train de se développer sur le territoire. J'aurais espéré que le plan de relance contienne un volet permettant de faire face à toutes ces opportunités. Le commentaire vaut sur les énergies renouvelables, qu'il s'agisse de l'éolien ou du solaire : le plan de relance ne comporte pas non plus d'accélération dans ce secteur, mais une dynamique suffisamment forte est engagée pour que l'on n'ait pas d'inquiétude quant à ses effets et à ses retombées.
Quant à la recherche et développement, je suis un de ceux qui, au conseil d'administration d'Engie, considèrent que l'on n'en fait pas assez, probablement parce que je viens d'un métier - la chimie - dans lequel les entreprises dépensent 3 % ou 4 % de leurs chiffre d'affaires dans ce domaine. Or nos chiffres sont bien inférieurs. Le centre de recherche que vous avez évoqué, que j'ai inauguré dans le nord de Paris il y a quelques semaines, travaille autour des gaz renouvelables - biogaz, hydrogène -, mais aussi autour du développement du digital, qui s'applique dans beaucoup d'endroits et nous permet de mieux gérer nos propres installations de production ou de transport d'énergie, ainsi que l'énergie chez nos clients.
Ces travaux contribuent à faire de nous un leader dans ces problématiques de transition énergétique. Je pense qu'il nous faut probablement en faire davantage. Je suis frappé de la modestie de nos efforts dans le domaine du biogaz ou de l'hydrogène. Beaucoup de champs sont encore à investir, beaucoup de progrès à accomplir. Il nous faut être encore plus déterminés.
Pour avoir beaucoup échangé avec Catherine McGregor sur ce sujet, je pense qu'elle partage ce souci de développer plus de savoir-faire ou de technologies appartenant à Engie, alors que nous sommes souvent un ensemblier qui va chercher différentes solutions ici ou là. Dans certains cas, il faut que nous sachions développer nos propres solutions technologiques.
Chez Engie, l'État n'a pas de golden share. Dans la pratique, lorsque l'on possède 30 % du capital d'une société, on contrôle l'assemblée générale, où un peu plus de 50 % des actionnaires sont généralement représentés. Arithmétiquement, on a donc la majorité.
En revanche - et en bonne gouvernance - on ne contrôle pas le conseil d'administration. C'est d'ailleurs la situation que nous connaissions chez Suez, où nous détenions 32 % du capital et contrôlions l'assemblée générale de fait mais où, pour autant, nous avions - et avons toujours - deux administrateurs sur seize ou dix-sept.
Pour en revenir à Engie, je redis que l'État n'a pas de golden share, c'est-à-dire de droits spécifiques comme dans des sociétés liées à la défense nationale. Nous sommes soumis au code de commerce de la manière la plus simple et la plus directe.
L'État, pas plus que n'importe quel autre actionnaire, ne peut demander au conseil d'administration de retarder une décision sur un sujet ou de prendre une décision de telle ou telle nature. L'État est un actionnaire comme les autres, certes important, mais il ne peut faire la pluie et le beau temps.
Ceci étant rappelé, mon rôle en tant que président du conseil d'administration est bien sûr de trouver un alignement, ce qui est le cas sur beaucoup de sujets. Sur celui-ci, on a constaté au moment de la prise de décision qu'il existait des positions différentes qui ont conduit à ce que j'ai décrit tout à l'heure.
Pour ce qui est de l'impact sur l'emploi, nos administrateurs salariés nous demandent, dans le cadre des projets que nous avons aujourd'hui, de leur concéder les mêmes garanties que celles que Veolia est prêt à concéder à Suez dans le cadre d'un rapprochement. Cette position n'est pas surprenante.
Même si nous n'en sommes pas encore à parler de ce sujet, puisque nous sommes encore en train d'étudier la forme que pourrait prendre l'organisation de cette nouvelle société et la façon dont elle pourrait acquérir une certaine autonomie vis-à-vis d'Engie, nous serons, le moment venu, amenés à prendre des garanties comme on le fait traditionnellement.
Le démantèlement d'Engie n'est évidemment pas l'objectif. Je ne suis pas sûr que le fait de se recentrer sur les métiers qui sont au coeur des savoir-faire du groupe soit les prémices d'un démantèlement. Engie, dans sa culture, dans son ADN, est un groupe industriel, qui est à l'aise dans le développement de grands projets, la construction de grandes installations, leur exploitation dans le cadre de contrats à très long terme. Dans l'une de nos filiales, Ineos, la taille moyenne du contrat est de 10 000 euros. Il s'agit donc de petites activités.
Nous n'avons pas chez nous les savoir-faire pour gérer des activités aussi capillaires. C'est le constat que l'on fait aujourd'hui. Il n'est pas simple d'avoir des centrales nucléaires dans notre portefeuille d'activités et des gens qui réalisent des opérations de maintenance dans des immeubles, dont les facturations sont de l'ordre de quelques milliers d'euros. Ce sont des métiers très différents. Pour moi, il ne s'agit pas d'un démantèlement mais, au contraire, d'un renforcement d'Engie sur les métiers les plus importants.
La vente est-elle irrévocable ? Oui, la vente a été exécutée. C'était l'originalité de la proposition de Veolia : elle pouvait se faire très simplement. Elle n'était soumise à aucune forme d'autorisation. Sauf à imaginer une décision de justice qui casserait cette vente - mais je ne vois franchement pas sur quelle base une telle décision pourrait être prise - la vente est réalisée aujourd'hui.
La décision du tribunal judiciaire de Paris ne remet pas en question la vente mais demande de surseoir aux effets de celle-ci. Nous nous sommes demandé ce que cela signifiait. Pour Veolia, même si je ne suis pas sûr que cela leur plaise beaucoup, cela signifie qu'ils ne peuvent pas exercer les droits du propriétaire et ne peuvent pas voter en assemblée générale - mais il n'y en aura probablement pas très rapidement. Pour Engie, nous ne savons pas vraiment ce que la décision implique. Le texte nous semblant quelque peu ambigu, nous avons fait appel de cette décision pour obtenir des clarifications. Ce n'est pas Engie qui peut aller présenter le projet de Veolia devant les instances de Suez.
Vous comprenez la difficulté de l'exercice : au fond, la question qui est posée à travers cette décision est de savoir si le projet de rachat de 29,9 % et l'idée de prendre le contrôle et d'intégrer les deux sociétés forment un tout et nécessitent une consultation immédiate du comité social et économique ou si, au contraire, il s'agit de deux projets successifs ; auquel cas, le premier n'a pas vocation à donner lieu à consultation. Nous avons une décision de justice et un appel a été formé. On verra ce qu'il en est dans les prochains jours.
Vous m'avez demandé, d'une manière assez imagée, les raisons pour lesquelles on aurait « jeté en pâture » Suez. Aurions-nous pu faire les choses différemment ? A posteriori, oui, bien sûr. Cela étant, le conseil d'administration de Suez et le management ne nous ont pas beaucoup aidés dans cet exercice.
Malgré toute l'estime que j'ai pour Philippe Varin, que je connais depuis longtemps, et pour Bertrand Camus, qui est un dirigeant de grande qualité, malgré les appels à se préparer à la situation lancés depuis presque dix-huit mois, je crois qu'ils n'ont pas compris qu'elle pouvait se cristalliser et que les choses pouvaient avancer vite.
Pourquoi ne les a-t-on pas davantage accompagnés ? Je pense qu'ils souhaitaient garder leurs distances et leur indépendance et ne désiraient pas qu'on les prenne par la main.
On aurait peut-être pu faire les choses différemment, j'en conviens. Je suis de ceux qui pensent qu'il faut faire preuve d'esprit critique, y compris sur ses propres décisions. On aurait peut-être pu avoir un processus beaucoup plus formalisé le 30 juillet...
Très franchement, pour moi, à cette date, ce sujet n'était pas sur le haut de la pile. J'avais le sentiment que ce qu'on s'apprêtait à faire dans nos activités de service était plus important et plus complexe. On était directement à la manoeuvre. Je nous voyais plutôt passer notre automne à travailler sur ce sujet. J'ai été un peu surpris par l'offre de Veolia.
Il existe toutefois des règles du jeu dans le monde des affaires : quand vous voulez vendre un actif et que quelqu'un fait une offre, il faut se déterminer. Quand l'offre est bonne, il n'est pas facile pour un conseil d'administration de la refuser.
S'agissant de nos activités de services, je ne reviendrai pas sur tous les détails, mais nous avons annoncé, hors de ce projet, rechercher un acquéreur pour Endel, qui réalise des activités d'entretien en milieu nucléaire, mission très spécialisée qui emploie des personnes très qualifiées. Il exerce ses activités d'entretien industriel dans un environnement concurrentiel très fort. Nous recherchons donc un acquéreur pour cet ensemble, qui est très loin de nos métiers, y compris des métiers de services que j'évoquais tout à l'heure.
Les activités d'efficacité énergétique vont rester chez Engie. Cofely a en particulier vocation à être maintenue dans le périmètre d'Engie. Nous souhaitons conserver tout ce qui a trait aux problématiques d'optimisation des consommations d'énergie de nos clients, qu'il s'agisse d'entreprises ou de collectivités locales.
Les activités qui font l'objet de cette revue stratégique sont des activités d'installation - qui peuvent concerner les systèmes électriques dans les bâtiments -, de maintenance, de facility management - donc de gestion d'immeubles -, qui sont loin des métiers de l'énergie et pour lesquelles nous n'avons pas réussi, au fil des années, à créer des synergies suffisantes.
Nous aurons l'occasion, la semaine prochaine, lors de la présentation de nos résultats, d'en préciser un peu plus le périmètre. Le découpage, dans son principe, est très simple : tout ce qui touche à l'efficacité énergétique reste chez Engie, ce qui représente le tiers de nos activités de services, soit 7 milliards d'euros.
Ce qui ne concerne pas l'efficacité énergétique a en revanche vocation à constituer cette nouvelle société dont je disais, tout à l'heure, que les activités ressembleraient beaucoup à celle de Spie.
Pouvez-vous disposer du procès-verbal du conseil d'administration ? A priori, un procès-verbal est confidentiel. Existe-t-il des conditions dans lesquelles le Sénat pourrait nous le demander, et qui nous obligeraient à le lui donner ? Je donne ma langue au chat sur ce point. Je sais que les pouvoirs des commissions peuvent être importants, mais ce document n'est pas public. Si vous pouviez le lire, vous y verriez une succession d'expressions de très grande qualité de la part d'administrateurs qui se sont vraiment posé la question, en leur âme et conscience, de savoir ce que devait être leur position face à un tel sujet.
On a tous senti la gravité du moment et compris qu'on prenait une décision lourde de conséquences. J'ai été impressionné par la qualité de l'expression de nos collègues, qu'elle qu'ait été leur position. Ce sont des positions réfléchies.
La question ne m'a pas été posée, mais la presse s'en est fait souvent l'écho : on a parlé du fait que deux administrateurs salariés étaient sortis de la salle. Cela donnait une ambiance de pièce de boulevard, alors qu'un conseil d'administration est bien plus sérieux que cela.
La réalité est assez simple. Aujourd'hui, contrairement aux assemblées générales, la loi prévoit que, dans les conseils d'administration, l'abstention est considérée comme un vote contre. Quand quelqu'un veut réellement s'abstenir et être neutre face à une décision, il ne prend pas part au vote. Cela se produit assez régulièrement chez Engie. Quand j'ai été nommé président du conseil d'administration, un des représentants salariés n'a pas voulu s'exprimer. Il n'a pas pris part au vote. C'est une vraie position de neutralité, alors que s'il s'était abstenu, cela aurait été considéré comme un vote contre.
Étant donné l'importance des enjeux du conseil d'administration du 5 octobre, et pour éviter toute ambiguïté, j'ai effectivement demandé aux administrateurs qui ne prenaient pas part au vote de sortir de la salle, d'où les échos publiés dans la presse.
Quelles sont les procédures ouvertes aujourd'hui ? Il y a tout d'abord la procédure de référé devant le tribunal judiciaire, qui fait l'objet d'un appel, dont la première décision a été en effet de considérer que les effets de la vente étaient suspendus tant que les consultations n'avaient pas eu lieu.
En matière de droit boursier, Suez a sollicité l'Autorité des marchés financiers, qui a réuni son collège pour savoir si nous étions déjà dans une période de pré-offre ou non. Si l'on avait été en période de pré-offre, l'opération n'aurait pas été possible. Le collège s'est exprimé avec clarté, confirmant la position prise par les équipes de cette institution.
Suez a fait appel de cette décision du collège, qui sera jugée dans quelques mois. J'avoue que je me perds un peu en conjectures sur ce que seraient les conséquences d'une décision en appel qui ne soutiendrait pas la position prise par le collège.
Pour ce qui est du droit de la concurrence, Veolia a consulté la Commission européenne, ce que nous avons également fait. Selon les retours que nous avons eus, cette approche en deux étapes était conforme au droit européen. La cour compétente peut s'exprimer sur le sujet, mais nous avons le sentiment que les procédures en première instance, à l'exception de la consultation du comité social et économique, soutenaient le fait que l'approche de Veolia était acceptable.
Quant à la saisine du parquet national financier, je ne sais ce que celui-ci pourra décider. Je n'ai aucun commentaire à ajouter à ce sujet. J'avoue avoir du mal à voir l'accroche pénale sur ce sujet.
Un sénateur a indiqué, à propos des 3,4 milliards d'euros, que nous disposions de 30 milliards de ressources. Remettons les choses en perspective : les deux chiffres ne décrivent pas la même chose. Les 30 milliards d'euros représentent la trésorerie disponible. Demain, le groupe, en faisant la somme de ce qu'il a dans ses comptes en banque et des engagements qu'ont pris les banques de lui prêter de l'argent, peut mobiliser 30 milliards d'euros. Notre liquidité est très forte parce que nous sommes un grand groupe, que notre bilan solide et que les agences de notation nous ont donné des notes favorables.
Les 3,4 milliards d'euros représentent quant à eux le montant des capitaux investis dans Suez, que l'on va pouvoir investir ailleurs. Il faut le comparer à nos budgets d'investissement, de 6 milliards d'euros par an. Cette simple opération permet donc d'augmenter de 50 % nos budgets d'investissement pour une année.
Au total, on a annoncé, lorsque l'on a clarifié nos orientations stratégiques, fin juillet, que nous voulions être capables de mobiliser 8 milliards d'euros supplémentaires pour accélérer nos investissements. 3,4 milliards d'euros représentent ainsi 40 % de ce total. Cette somme est la bienvenue, mais le groupe n'est pas dans l'obligation, comme d'autres peuvent l'être dans cette période de crise, de générer du cash pour continuer son exploitation. Notre situation est très solide.
Y a-t-il eu des échanges avec les dirigeants de Veolia ? Je me suis exprimé avec une totale clarté sur le sujet. Le seul contact qui a eu lieu avec les dirigeants de Veolia depuis le début de l'année 2020 - sauf peut-être une rencontre fortuite avec Antoine Frérot qui préside l'Institut de l'entreprise, où il m'arrive d'aller de temps en temps - a été un échange deux ou trois jours après la présentation de nos résultats, fin juillet. Antoine Frérot m'a alors dit qu'il avait entendu ce que nous disions à propos de notre participation dans Suez. Il m'a précisé que cela l'intéressait, qu'il allait réfléchir et qu'il viendrait nous voir quand il aurait quelque chose de concret à nous proposer.
Il n'y a eu aucune discussion ou préparation, et j'ai été à nouveau surpris, le 30 août, lorsque la proposition a été structurée comme elle l'était. Pour l'anecdote, lorsque ce rendez-vous a été organisé, un dimanche, alors que la demande m'en avait été faite le jeudi, je me suis retourné vers le directeur financier d'Engie pour lui demander si des banques avaient mandat pour nous conseiller sur ce sujet. La réponse a été négative, et nous avons choisi nos banques le lundi suivant. Nous n'avions pas travaillé sur ce sujet.
Si je comprends bien, en cet instant, Veolia, dans le cadre de l'assemblée générale, peut renverser le conseil d'administration...
C'est un tout petit peu compliqué. En droit des sociétés, c'est le conseil d'administration qui dirige la société, mais il existe un rendez-vous annuel, celui de l'assemblée générale, où les actionnaires retrouvent leur rôle.
Antoine Frérot l'a dit hier dans une interview au journal Le Monde. Cette possibilité existe. Ils peuvent constituer un groupe d'actionnaires qui décidera que le conseil d'administration ne défend pas leurs intérêts et qu'il est urgent d'en changer. Cela nous rappelle une autre affaire dont on parle sur la place de Paris, qui concernait l'avenir de Lagardère, où certains actionnaires exprimaient une forme de mécontentement et demandaient aux tribunaux de convoquer une assemblée générale ce qui, dans le cas de Lagardère, a été refusé.
Il est très difficile d'obtenir la convocation d'une assemblée générale extraordinaire, mais il y a au printemps un rendez-vous annuel auquel ils ne pourront échapper.
Je suis persuadé que, d'ici là, une négociation aura véritablement été engagée. Je ne l'ai pas dit mais, entre le 30 septembre et le 5 octobre, ayant obtenu un délai supplémentaire pour Veolia avant de rendre notre réponse, j'ai pris l'initiative, à la demande de Bruno Le Maire, de réunir Antoine Frérot et Philippe Varin. Nous avons eu une série d'échanges assez intenses pendant trois ou quatre jours. J'ai eu le sentiment qu'il existait une véritable dynamique de négociation et qu'on aurait pu aboutir à un accord dans cette période.
Cela ne s'est pas concrétisé pour diverses raisons. Les conseils d'administration - celui de Suez en particulier - n'étaient peut-être pas prêts à entériner une forme d'accord, voire de dialogue, mais il y a eu un vrai débat autour du fait de savoir ce que l'on pouvait faire. Mon regret est de ne pas avoir pu amener cet échange à une conclusion différente.
Vous m'avez interrogé sur nos « solutions clients ». La partie qui a vocation à s'éloigner ne contient pas nos activités d'efficacité énergétique.
Quant au verdissement du gaz, c'est pour nous une priorité. Nos infrastructures gazières ont pendant un certain temps eu vocation à transporter du gaz naturel. C'est essentiel pour l'équilibre énergétique du pays et pour faire face aux pics de demande.
On ne le dit peut-être pas suffisamment mais l'originalité du gaz réside dans le fait qu'il se stocke très facilement et se déstocke très rapidement, ce qui n'est pas le cas de l'électricité.
Par ailleurs, toute l'infrastructure existe : on dispose des stockages souterrains qui, pour certains, représentent en capacité de déstockage l'équivalent de plusieurs tranches nucléaires. Il n'y a là aucun investissement à opérer : s'il fallait remplacer cette infrastructure gazière par des centrales fonctionnant uniquement à la pointe, les montants à investir seraient extrêmement conséquents.
Nous sommes toutefois bien conscients qu'il faut « verdir » ce gaz, à court terme, avec le biogaz - et nous sommes reconnaissants au Sénat des efforts qu'il fait sur ce plan. Nous nous heurtons quelquefois à une vraie difficulté pour expliquer les choses. Il existe un tropisme électrique très fort dans notre pays qui fait ignorer le potentiel du gaz.
À une échéance un peu plus lointaine, l'hydrogène a aussi vocation à entrer dans nos systèmes énergétiques. Certains de nos stockages souterrains se prêtent bien au stockage de l'hydrogène. Certains de nos réseaux peuvent être transformés pour le transport de l'hydrogène.
Par ailleurs, la situation est effectivement complexe en Belgique. Nous opérons sur deux centrales nucléaires, une dans le nord du pays, l'autre dans le sud, soit sept tranches au total. La loi belge dit depuis longtemps que ces tranches doivent s'arrêter en 2025.
Cela étant, deux d'entre elles pourraient être prolongées. Beaucoup de débats ont eu lieu sur l'éventuelle prolongation de ces centrales. Cela fait deux ans et demi que ce pays n'a plus de Gouvernement qui puisse disposer d'une majorité parlementaire. J'explique à tous ceux qui veulent bien m'entendre qu'il est urgent de savoir si l'on veut ou non prolonger ces deux tranches.
Il existe un Gouvernement de plein exercice en Belgique depuis un mois maintenant. Il semble qu'il ait répondu clairement à cette question en disant qu'il ne souhaitait pas prolonger ces centrales, ce qui nous conduit à un certain nombre d'actions concrètes.
Malheureusement, le Gouvernement belge a ajouté qu'il prendrait peut-être une position différente d'ici la fin 2021 s'il s'aperçoit qu'il a du mal à faire face aux problématiques de production d'énergie électrique dans le pays.
Nous avons indiqué au Premier ministre et à ses collègues qu'il sera trop tard pour prolonger la vie de ces centrales. Nous devons prendre une position dans les prochains mois. Préparer l'arrêt d'une centrale nucléaire est une opération très lourde et très complexe, et on ne peut imaginer qu'on nous dise au dernier moment de continuer à produire.
L'enjeu pour la Belgique - et nous sommes également partenaires sur cet aspect des choses - ce sont les capacités alternatives, probablement en gaz.
Le Gouvernement, il y a près de deux ans, avait mis en place un dispositif d'incitation à la création de capacités de production d'électricité à partir de gaz naturel, ce qu'on appelle des mécanismes de capacité. Ce projet n'a pas obtenu l'autorisation des instances européennes et a pris beaucoup de retard.
Le nouveau Gouvernement belge reprend les choses en main. Une sorte de course contre la montre est engagée. Nous produisons aujourd'hui la moitié de l'électricité consommée en Belgique à travers, soit nos centrales nucléaires, soit d'autres installations, et nous souhaitons conserver cette part de marché. Nous serons donc déterminés à répondre aux appels d'offres dès qu'ils seront lancés.
Pour ce qui est du marché de l'eau, je ne me sens pas le plus capable de vous apporter une réponse sur ce que doit être son organisation en France. Le droit de la concurrence fait que Veolia et Suez ne pourront pas consolider leurs activités en France dans le domaine de l'eau, d'où l'autre idée originale de Veolia de venir avec un fonds d'investissement prêt à reprendre l'activité de Suez dans ce domaine.
J'ai le sentiment que cela se traduit de fait par le maintien d'une concurrence. On va passer de trois acteurs, deux stratégiques, un financier, à une situation dans laquelle il y aurait un acteur stratégique et deux acteurs financiers.
Les quelques échanges que j'ai avec ceux qui connaissent bien le marché de l'eau en France me donnent à penser qu'une tendance forte réside dans la « remunicipalisation » de l'eau. Je n'ai pas d'avis sur le sujet, mais cela signifie que l'eau, en France, n'était pas pour Suez un segment de développement prioritaire.
Comme pour beaucoup de créations de champions d'origine française, les règles de la concurrence européenne, que vous semblez d'ailleurs soutenir dans votre question, conduisent à trouver en France un autre mode d'organisation du marché de l'eau par rapport à l'international.
Enfin, le chiffre de 4 000 suppressions d'emplois évoqué par ceux qui étaient hier à cette tribune me paraît manifestement très exagéré. Veolia dit aujourd'hui qu'il garantit l'emploi jusqu'en 2023. Ces métiers de services ne se prêtent pas à des réductions massives d'effectifs. Je crois d'ailleurs que ni les uns ni les autres n'en ont la volonté.
Je trouve quelque peu dommage d'avoir inquiété le corps social de Suez de cette manière. J'ai vu des collaborateurs de Suez réellement inquiets venir manifester au pied de la tour Engie. Je reçois aussi beaucoup de courriels ou de messages via les réseaux sociaux sur ce thème.
Il faut être attentif, quand on a la responsabilité d'une entreprise et que l'on en assume la direction, à ne pas créer d'inquiétudes excessives pour peut-être servir d'autres objectifs. Il est très naturel de vouloir défendre l'indépendance d'une société, même si, à un certain moment, il faut accepter le dialogue avec ceux qui portent d'autres projets. C'est la règle du jeu dans notre économie de marché. Attention cependant à ne pas instrumentaliser le corps social d'une entreprise en agitant des menaces qui provoquent de réelles inquiétudes dans les équipes.
Quel que soit le projet qui prévaudra, qu'il favorise l'indépendance à long terme de Suez ou la création d'un champion comme le propose Veolia, je pense que l'essentiel des collaborateurs et des équipes de Suez y auront un rôle à jouer. Je m'en réjouis au titre des liens historiques d'Engie avec ces activités.
Je vous remercie également de votre participation à cet exercice sur ce sujet de premier ordre.
Nous serons vigilants afin que ce dossier prenne une bonne tournure pour nos territoires.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 heures 30.