Intervention de Jean-Pierre Clamadieu

Commission des affaires économiques — Réunion du 4 novembre 2020 à 16h30
Audition en commun avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable de M. Jean-Pierre Clamadieu président du conseil d'administration d'engie

Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie :

Je ne voulais pas du tout être désobligeant. Je pense simplement que le rôle des conseils d'administration des grandes entreprises privées est souvent méconnu.

Vous m'avez demandé si je pouvais prendre une décision sur la stratégie en l'absence d'un directeur général. La responsabilité première d'un conseil d'administration est de définir la stratégie. Oui, nous sommes parfaitement capables de définir une stratégie même en l'absence d'un directeur général. Je voulais le rappeler, car c'est un commentaire que j'ai souvent entendu.

Chez Engie, nous avons d'ailleurs fait le choix - et ce n'est pas tout à fait un hasard - d'arrêter nos orientations stratégiques fin juillet, avant de finaliser le recrutement d'un directeur général, qui a été annoncé à la fin du mois de septembre. Pourquoi ? Nous voulions un directeur général qui soit bien en ligne avec nos orientations stratégiques et qui arrive avec pour objectif de les mettre en oeuvre, plutôt que de faire l'inverse, c'est-à-dire nommer un directeur général et lui demander la stratégie qu'il compte appliquer.

Le rôle du conseil d'administration est de définir la stratégie du groupe. Je ne voulais être désobligeant vis-à-vis de quiconque. Je ne connais pas très bien les arcanes du travail sénatorial, et je pensais qu'il n'était pas inutile de vous rappeler comment fonctionne la gouvernance.

Pour le reste, nous n'avons pas un besoin urgent de liquidités. Le groupe a environ une trentaine de milliards d'euros de trésorerie disponible. Pour autant, lorsque l'on lance un projet, il faut essayer de le réaliser dans un temps relativement raisonnable.

S'agissant de la garantie de l'emploi, plusieurs questions concernent à la fois le plan stratégique d'Engie et la cession de notre participation dans Suez.

Le sujet de Suez est très particulier. Il s'agit simplement de la cession d'une participation financière. À nouveau, nous n'exercions aucun contrôle opérationnel sur Suez. Nous ne consolidions pas les résultats de Suez dans les nôtres. Nous percevions un dividende, comme tous les autres actionnaires, et n'avions donc pas d'impact direct sur l'activité de ce groupe.

Les garanties d'emploi données par Veolia sont assez simples : elles consistent à dire que, d'ici à la fin de l'année 2023, il n'y aura pas de perte d'emplois sur le périmètre de Suez France tel qu'il est aujourd'hui. L'exercice que nous avons mené avec les équipes de Veolia a consisté à identifier, par grands périmètres, ce que sont les effectifs de Suez aujourd'hui et à regarder comment ces engagements pouvaient être mis en oeuvre. Nous avons été, à la fin de cet exercice, convaincus que ces engagements avaient du sens.

Les administrateurs représentant les salariés siégeant au conseil d'administration d'Engie étaient évidemment très attentifs à ce sujet. Ils ont demandé à être destinataires des résultats de ces travaux et les ont jugés convaincants, ce qui les a amenés, pour certains, à exprimer un soutien à ce projet, pour d'autres à ne pas prendre part au vote, le quatrième administrateur s'y étant déclaré hostile.

S'agissant de l'évolution des activités de services d'Engie, nous avons annoncé que nous allions nous interroger sur l'avenir d'un ensemble d'activités qui représentent à peu près les deux tiers des activités de services du groupe et 12 milliards d'euros de chiffre d'affaires - soit un cinquième du chiffre d'affaires total d'Engie.

Cette revue stratégique est en cours. Nous ferons un point d'étape, à l'occasion de la présentation de nos résultats la semaine prochaine. Il est trop tôt pour se prononcer sur les aboutissants de cette revue stratégique. Celle-ci pourrait effectivement se traduire par une « mise à distance » du groupe de ces activités de services, qui pourrait avoir pour conséquence de constituer un tour de table dans lequel Engie reste partie prenante sans être seul. On pourrait penser qu'un autre acteur acquière ces activités de services mais je n'y crois pas beaucoup car il s'agit d'un ensemble de grande taille. On pourrait aussi imaginer sa mise en bourse progressive. Nous n'avons pas tranché ces différentes hypothèses et je pense que nous ne trancherons pas avant le début de l'année prochaine.

Il s'agit de nos équipes, de nos salariés, de nos métiers, de nos clients. Contrairement à Suez, où nous sommes dans une position d'actionnaires financiers un peu loin des opérations, nous sommes ici en première ligne, et il est de la responsabilité du conseil d'administration et du management de mener à bien ce projet dans les meilleures conditions possible, dans un contexte de dialogue social.

L'objectif que nous nous sommes fixé est d'être capables de débuter la consultation des instances représentatives du personnel au début de l'année 2021.

Pour ce qui est du gaz, les choses sont relativement simples. Nous avons aujourd'hui deux activités dans le domaine du gaz en France, le grand transport - GRTgaz - et les activités de distribution - GrDF.

S'agissant de GRT Gaz, nous avons déjà des partenaires au sein du capital, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et CNP Assurances. Dans les orientations stratégiques que nous avons annoncées au mois de juillet, nous avons indiqué que nous envisagions éventuellement la cession d'une tranche supplémentaire de capital mais en conservant le contrôle et la consolidation de cet ensemble, ce qui veut dire, en pratique, que l'on peut imaginer céder une dizaine de pourcents supplémentaires. La manière dont se passent les autres opérations rendra ceci utile ou non.

Nous n'avons pas du tout commencé à travailler sur cette hypothèse mais nous avons clairement dit que nous voulions rester l'actionnaire majoritaire, l'actionnaire de contrôle et, d'un point de vue comptable, être en situation de consolider les activités de GRT Gaz, ce qui signifie que l'évolution envisagée est à la marge.

Pour ce qui est de GrDF, nous n'envisageons aucune évolution capitalistique. La situation est donc relativement simple.

Je me permets d'ailleurs, ayant la chance d'être entendu par la représentation nationale, de vous dire que notre préoccupation, s'agissant des infrastructures gazières françaises - qui représentent à peu près la moitié des activités du groupe - réside dans la place du gaz dans le mix énergétique français dans les trente prochaines années.

Nous constatons souvent avec inquiétude que les instances publiques françaises font preuve d'un tropisme électrique qui nous paraît quelquefois excessif. Une transition énergétique efficace doit laisser sa place au gaz. Le jour le plus froid de l'hiver, il sort une fois et demie plus d'énergie des stockages de gaz d'Engie que de l'ensemble du parc nucléaire d'EDF.

Cette année, alors qu'EDF connaît un certain nombre de difficultés en matière de disponibilité de tranches, c'est grâce à Engie et au gaz que nous pourrons continuer à nous chauffer durant les jours les plus froids de cet hiver.

Soyons attentifs à ne pas créer une situation dans laquelle, progressivement, nous serions amenés à abandonner la desserte en gaz d'un certain nombre de territoires parce que nous n'aurions plus de volumes suffisants à y transporter.

J'en reviens aux questions posées sur la cession. Était-ce le bon moment de vendre ? D'un point de vue simplement financier, même si cette opération est plus industrielle que financière, 18 euros représentent la valeur maximum de l'action Suez sur les dix dernières années. Fin juillet, l'action valait 10 euros. Après nos annonces, elle valait 12 euros. En février, avant le début de la crise, elle était à 15 euros. Je pense qu'en termes de valeur - c'est ce que nous disent nos actionnaires -, nous avons réalisé une bonne opération. Ce n'était pas le seul critère mais c'était un critère important pour nous. Il faut beaucoup d'imagination pour envisager un scénario dans lequel l'action de Suez aurait pu dépasser ce niveau dans un avenir prévisible.

Vous m'avez également interrogé, s'agissant d'Engie, sur les impacts de la crise. Ils ont été très importants sur nos activités de services pour ce qui est du premier confinement. Ce sont des activités pour partie liées au bâtiment et aux travaux publics. Nous sommes en effet souvent sur les sites de nos clients industriels qui, pour beaucoup, ont été fermés à partir de la mi-mars.

Certaines de nos activités liées à l'énergie ont souffert parce que l'on a acheté par avance des volumes d'énergie que nos clients n'ont pas consommés, l'activité économique ayant chuté fortement durant cette période. Nous avons dû encaisser une forme de pertes sur ces activités de fourniture.

Nous avons toutefois été bien moins affectés que d'autres groupes. Je suis également administrateur d'Airbus, qui a pris cette crise de plein fouet. Pour ce qui est d'Engie, la crise a un impact - nous aurons l'occasion de le commenter dans nos résultats la semaine prochaine - sans remettre pas en cause les fondements du groupe.

Quant à nos projets d'investissement, la crise a plutôt montré l'importance des énergies renouvelables. Nous allons connaître de légères difficultés cette année parce qu'un certain nombre de chantiers ont été arrêtés, mais je pense que l'on assistera à une accélération des investissements dans ce domaine dans les prochaines années.

S'agissant des fonds d'investissement, à nouveau, j'aurais été ravi qu'Ardian nous fasse une offre. Philippe Varin ne vous l'a pas dit hier mais je l'ai appelé, juste après qu'Ardian a annoncé qu'il abandonnait l'idée d'une offre ferme, pour lui conseiller d'en solliciter une. Ardian m'avait dit être sur le point d'en faire une mais demandait six semaines d'analyses et d'expertises supplémentaires. Philippe Varin a appelé la dirigeante d'Ardian et m'a ensuite rappelé pour me dire que ceux-ci n'étaient pas décidés.

Tous ceux qui ont travaillé avec des fonds d'investissement savent que la seule manière d'obtenir un prix satisfaisant est de faire jouer la concurrence.

Lorsque Ardian nous disait d'abandonner l'offre de Veolia en nous assurant qu'il ferait une offre au même prix, très franchement, je n'y croyais pas un instant. Si l'on se retrouve seul face à Ardian, le prix qui est à 18 euros le premier jour termine à 14 ou 15 euros après six semaines d'analyses. Il faut forcément avoir une forme de concurrence. Ce qui est vraiment dommage en revanche, c'est qu'Ardian ne se soit pas mis au travail immédiatement.

Je sais que le management de Suez est passé par des moments difficiles, mais je pense qu'ils n'ont pas réagi suffisamment vite quand la question de l'avenir de notre participation s'est posée.

Bertrand Camus a dit publiquement avoir reçu deux appels téléphoniques d'Antoine Frérot pour lui proposer de discuter d'un rapprochement. Si un jour le patron de tel ou tel groupe d'énergie me passait un coup de téléphone pour me dire cela, après avoir raccroché et lui avoir dit non, je me préparerais immédiatement à réagir à l'étape suivant un tel appel. Je pense que Bertrand Camus n'a pas eu cette réaction et qu'ils ne se sont pas mis au travail, le 1er août, pour essayer de construire une offre alternative. En deux mois, on peut y arriver.

Je ne crois pas à la logique financière mais à la logique industrielle. Comment fait-on pour disposer de plus d'argent pour construire des éoliennes, des champs de panneaux photovoltaïques, des réseaux de chaleur ou des réseaux de froid dans les territoires que vous représentez ? C'est ce que l'on cherche à faire aujourd'hui. Engie est un groupe qui investit massivement. Nous souhaitons disposer de plus de ressources pour investir.

Pour en revenir au calendrier, c'est Veolia qui l'a fixé. J'ai essayé de le faire évoluer. J'ai finalement obtenu une petite semaine supplémentaire. Je pense que Bruno Le Maire a passé beaucoup d'appels téléphoniques à Antoine Frérot, dont certains très vigoureux, pour lui demander quinze jours ou un mois supplémentaires. Antoine Frérot a été inflexible. Je vous invite à lui poser la question la semaine prochaine pour savoir pourquoi. C'est lui qui a fixé ce calendrier.

Il aurait été très difficile pour le conseil d'administration d'Engie de renoncer à cette option. Face à cette situation, il a considéré que sa responsabilité était d'accepter cette offre tant qu'elle était disponible.

Nous avons travaillé en très bonne intelligence avec l'État, presque jusqu'à la fin, et je salue le rôle de Bruno Le Maire, qui en définitive a affirmé à peu près la même chose que moi. Il a indiqué qu'il fallait une seconde offre. Il a appelé au dialogue. Il n'a malheureusement pas été plus entendu que moi, ni sur le premier point, ni sur le second. Nous avons simplement eu, à la fin du processus, une divergence d'appréciation, qui a conduit effectivement à cette position.

Le rôle de l'État actionnaire dépend des conditions capitalistiques dans lesquelles il se trouve. Quand il est actionnaire d'EDF, l'État a beaucoup de pouvoirs. Quand il est actionnaire à 22 % du capital ou dispose de 30 % des droits de vote, il contrôle dans les faits l'assemblée générale et a donc un mot très important à dire dans les décisions qui relèvent de celle-ci, mais en revanche, au sein du conseil d'administration, il pèse à hauteur de son poids. C'est la règle du jeu en droit des sociétés. Que diraient nos autres actionnaires si nous leur disions que c'est l'État qui, avec ses 22 %, fait la loi et prend les décisions chez Engie ? Ils considéreraient, à juste titre, que leurs intérêts ne sont pas entendus.

Le rôle du conseil d'administration est de faire la synthèse de ces éléments et d'essayer de prendre des décisions dans l'intérêt de la société. Je ne veux pas vous donner le sentiment d'avoir une vision égoïste des choses, mais franchement cette décision est dans l'intérêt d'Engie, de toutes ses parties prenantes, de tous ses métiers, de toutes ses activités.

Transformer une participation financière dans un groupe qui ne nous rapporte qu'un dividende, avec lequel nous n'avons jamais réussi à développer des partenariats opérationnels concrets, en investissements, en actifs de production d'énergie renouvelables ou d'infrastructures, qui concourent à notre stratégie de développement, est vraiment dans l'intérêt du groupe ; j'en suis intimement persuadé.

La vie des affaires évolue et le rôle des conseils administration va croissant. Aujourd'hui, ils ont des responsabilités et essayent de les exercer le mieux possible. La crise de gouvernance est derrière nous.

Peut-être la présence de l'État au capital du groupe donne-t-elle le sentiment qu'il existe toujours une capacité à aller chercher une décision ou un arbitrage au-delà du conseil d'administration - même si c'est bien ce dernier qui a pris ses responsabilités et les décisions in fine sur tous les sujets traités cette année.

Néanmoins, le fait qu'un conseil d'administration, après un premier mandat de quatre ans d'un dirigeant, dise qu'il faut un style un peu différent est assez légitime. Ce sont des choses qui se passent assez régulièrement dans la vie des affaires. En l'espèce, elles ont pris une ampleur médiatique un peu inattendue mais ce n'est pas nécessairement de notre fait.

Je crois qu'il existe aujourd'hui un bon alignement ; au sein du conseil d'administration, il est total. Nos orientations stratégiques ont été approuvées à l'unanimité. Je pense que Catherine McGregor est un dirigeant qui arrive avec les savoir-faire nécessaires. Comme elle le dit avec humour, une stratégie n'est jamais que de l'encre sur une feuille de papier ou un transparent projeté sur un écran. Ce qui compte, c'est la manière dont on la met en oeuvre. Il y a énormément de choses à faire dans les prochaines années chez Engie, et il existe un très bon alignement entre le conseil d'administration et notre nouvelle directrice générale.

Je me suis exprimé, il y a quelques instants, sur l'avenir de nos activités de services. C'est un sujet que l'on étudie avec beaucoup d'attention.

Les activités de services que j'ai essayé de vous décrire tout à l'heure ressemblent beaucoup à celles d'un autre groupe français, Spie. Il va y avoir dans cet ensemble des activités très proches de celles de Spie ou encore de Vinci Énergies. L'ensemble aura toutefois environ deux fois la taille de Spie.

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