C'est un tout petit peu compliqué. En droit des sociétés, c'est le conseil d'administration qui dirige la société, mais il existe un rendez-vous annuel, celui de l'assemblée générale, où les actionnaires retrouvent leur rôle.
Antoine Frérot l'a dit hier dans une interview au journal Le Monde. Cette possibilité existe. Ils peuvent constituer un groupe d'actionnaires qui décidera que le conseil d'administration ne défend pas leurs intérêts et qu'il est urgent d'en changer. Cela nous rappelle une autre affaire dont on parle sur la place de Paris, qui concernait l'avenir de Lagardère, où certains actionnaires exprimaient une forme de mécontentement et demandaient aux tribunaux de convoquer une assemblée générale ce qui, dans le cas de Lagardère, a été refusé.
Il est très difficile d'obtenir la convocation d'une assemblée générale extraordinaire, mais il y a au printemps un rendez-vous annuel auquel ils ne pourront échapper.
Je suis persuadé que, d'ici là, une négociation aura véritablement été engagée. Je ne l'ai pas dit mais, entre le 30 septembre et le 5 octobre, ayant obtenu un délai supplémentaire pour Veolia avant de rendre notre réponse, j'ai pris l'initiative, à la demande de Bruno Le Maire, de réunir Antoine Frérot et Philippe Varin. Nous avons eu une série d'échanges assez intenses pendant trois ou quatre jours. J'ai eu le sentiment qu'il existait une véritable dynamique de négociation et qu'on aurait pu aboutir à un accord dans cette période.
Cela ne s'est pas concrétisé pour diverses raisons. Les conseils d'administration - celui de Suez en particulier - n'étaient peut-être pas prêts à entériner une forme d'accord, voire de dialogue, mais il y a eu un vrai débat autour du fait de savoir ce que l'on pouvait faire. Mon regret est de ne pas avoir pu amener cet échange à une conclusion différente.
Vous m'avez interrogé sur nos « solutions clients ». La partie qui a vocation à s'éloigner ne contient pas nos activités d'efficacité énergétique.
Quant au verdissement du gaz, c'est pour nous une priorité. Nos infrastructures gazières ont pendant un certain temps eu vocation à transporter du gaz naturel. C'est essentiel pour l'équilibre énergétique du pays et pour faire face aux pics de demande.
On ne le dit peut-être pas suffisamment mais l'originalité du gaz réside dans le fait qu'il se stocke très facilement et se déstocke très rapidement, ce qui n'est pas le cas de l'électricité.
Par ailleurs, toute l'infrastructure existe : on dispose des stockages souterrains qui, pour certains, représentent en capacité de déstockage l'équivalent de plusieurs tranches nucléaires. Il n'y a là aucun investissement à opérer : s'il fallait remplacer cette infrastructure gazière par des centrales fonctionnant uniquement à la pointe, les montants à investir seraient extrêmement conséquents.
Nous sommes toutefois bien conscients qu'il faut « verdir » ce gaz, à court terme, avec le biogaz - et nous sommes reconnaissants au Sénat des efforts qu'il fait sur ce plan. Nous nous heurtons quelquefois à une vraie difficulté pour expliquer les choses. Il existe un tropisme électrique très fort dans notre pays qui fait ignorer le potentiel du gaz.
À une échéance un peu plus lointaine, l'hydrogène a aussi vocation à entrer dans nos systèmes énergétiques. Certains de nos stockages souterrains se prêtent bien au stockage de l'hydrogène. Certains de nos réseaux peuvent être transformés pour le transport de l'hydrogène.
Par ailleurs, la situation est effectivement complexe en Belgique. Nous opérons sur deux centrales nucléaires, une dans le nord du pays, l'autre dans le sud, soit sept tranches au total. La loi belge dit depuis longtemps que ces tranches doivent s'arrêter en 2025.
Cela étant, deux d'entre elles pourraient être prolongées. Beaucoup de débats ont eu lieu sur l'éventuelle prolongation de ces centrales. Cela fait deux ans et demi que ce pays n'a plus de Gouvernement qui puisse disposer d'une majorité parlementaire. J'explique à tous ceux qui veulent bien m'entendre qu'il est urgent de savoir si l'on veut ou non prolonger ces deux tranches.
Il existe un Gouvernement de plein exercice en Belgique depuis un mois maintenant. Il semble qu'il ait répondu clairement à cette question en disant qu'il ne souhaitait pas prolonger ces centrales, ce qui nous conduit à un certain nombre d'actions concrètes.
Malheureusement, le Gouvernement belge a ajouté qu'il prendrait peut-être une position différente d'ici la fin 2021 s'il s'aperçoit qu'il a du mal à faire face aux problématiques de production d'énergie électrique dans le pays.
Nous avons indiqué au Premier ministre et à ses collègues qu'il sera trop tard pour prolonger la vie de ces centrales. Nous devons prendre une position dans les prochains mois. Préparer l'arrêt d'une centrale nucléaire est une opération très lourde et très complexe, et on ne peut imaginer qu'on nous dise au dernier moment de continuer à produire.
L'enjeu pour la Belgique - et nous sommes également partenaires sur cet aspect des choses - ce sont les capacités alternatives, probablement en gaz.
Le Gouvernement, il y a près de deux ans, avait mis en place un dispositif d'incitation à la création de capacités de production d'électricité à partir de gaz naturel, ce qu'on appelle des mécanismes de capacité. Ce projet n'a pas obtenu l'autorisation des instances européennes et a pris beaucoup de retard.
Le nouveau Gouvernement belge reprend les choses en main. Une sorte de course contre la montre est engagée. Nous produisons aujourd'hui la moitié de l'électricité consommée en Belgique à travers, soit nos centrales nucléaires, soit d'autres installations, et nous souhaitons conserver cette part de marché. Nous serons donc déterminés à répondre aux appels d'offres dès qu'ils seront lancés.
Pour ce qui est du marché de l'eau, je ne me sens pas le plus capable de vous apporter une réponse sur ce que doit être son organisation en France. Le droit de la concurrence fait que Veolia et Suez ne pourront pas consolider leurs activités en France dans le domaine de l'eau, d'où l'autre idée originale de Veolia de venir avec un fonds d'investissement prêt à reprendre l'activité de Suez dans ce domaine.
J'ai le sentiment que cela se traduit de fait par le maintien d'une concurrence. On va passer de trois acteurs, deux stratégiques, un financier, à une situation dans laquelle il y aurait un acteur stratégique et deux acteurs financiers.
Les quelques échanges que j'ai avec ceux qui connaissent bien le marché de l'eau en France me donnent à penser qu'une tendance forte réside dans la « remunicipalisation » de l'eau. Je n'ai pas d'avis sur le sujet, mais cela signifie que l'eau, en France, n'était pas pour Suez un segment de développement prioritaire.
Comme pour beaucoup de créations de champions d'origine française, les règles de la concurrence européenne, que vous semblez d'ailleurs soutenir dans votre question, conduisent à trouver en France un autre mode d'organisation du marché de l'eau par rapport à l'international.
Enfin, le chiffre de 4 000 suppressions d'emplois évoqué par ceux qui étaient hier à cette tribune me paraît manifestement très exagéré. Veolia dit aujourd'hui qu'il garantit l'emploi jusqu'en 2023. Ces métiers de services ne se prêtent pas à des réductions massives d'effectifs. Je crois d'ailleurs que ni les uns ni les autres n'en ont la volonté.
Je trouve quelque peu dommage d'avoir inquiété le corps social de Suez de cette manière. J'ai vu des collaborateurs de Suez réellement inquiets venir manifester au pied de la tour Engie. Je reçois aussi beaucoup de courriels ou de messages via les réseaux sociaux sur ce thème.
Il faut être attentif, quand on a la responsabilité d'une entreprise et que l'on en assume la direction, à ne pas créer d'inquiétudes excessives pour peut-être servir d'autres objectifs. Il est très naturel de vouloir défendre l'indépendance d'une société, même si, à un certain moment, il faut accepter le dialogue avec ceux qui portent d'autres projets. C'est la règle du jeu dans notre économie de marché. Attention cependant à ne pas instrumentaliser le corps social d'une entreprise en agitant des menaces qui provoquent de réelles inquiétudes dans les équipes.
Quel que soit le projet qui prévaudra, qu'il favorise l'indépendance à long terme de Suez ou la création d'un champion comme le propose Veolia, je pense que l'essentiel des collaborateurs et des équipes de Suez y auront un rôle à jouer. Je m'en réjouis au titre des liens historiques d'Engie avec ces activités.