Il y a quelques années, nous avions commis, avec mon collègue Philippe Dallier, un rapport d'information sur cette mission, dans lequel nous évoquions la fraude à la TVA. Celle-ci demeure encore aujourd'hui un enjeu considérable pour les deux directions, et nous sommes encore loin d'atteindre nos objectifs. C'est d'autant plus important que le commerce électronique explose aujourd'hui, avec la crise sanitaire et le confinement, et vient concurrencer les commerces de proximité. Or, l'inspection générale des finances (IGF) avait rappelé que 98 % des vendeurs sur les plateformes internet n'étaient pas immatriculés à la TVA. De même, nous attendons toujours la traduction opérationnelle de certaines dispositions législatives votées par le Parlement, comme le principe de responsabilité solidaire des plateformes ou la concrétisation de la facturation électronique. Par ailleurs, avec la fin de l'exonération pour les envois dits de « valeur négligeable », la DGDDI nous a confirmé qu'elle s'attendait à voir exploser le fret aérien. En effet, jusqu'à maintenant, tous les envois de moins de vingt-deux euros étaient exonérés de TVA. La suppression de cette règle conduit à l'explosion du nombre de déclarations, que la DGDDI ne sera pas en mesure de contrôler. S'ajoute à cela l'impossibilité d'ouverture des commerces physiques avec le confinement et donc le report sur le commerce électronique. Ces flux sont donc sans commune mesure avec ceux d'il y a quelques années. On peut ainsi regretter l'absence de mise en priorité de la lutte contre la fraude sur la TVA. Les techniques de datamining ne seront pas suffisantes, les directions doivent aussi se doter de nouveaux moyens matériels, comme des scanners, qu'elle n'a cependant pas obtenus, malgré ses efforts, sur le plan de relance.
Le cinquième sujet que nous souhaitions aborder est celui du pilotage par les directions du ministère de leurs projets informatiques. Notre commission avait demandé un rapport à la Cour des comptes sur cette question, sur le périmètre État. Nous constatons des dépassements de délais et des coûts encore trop importants, qui traduisent un défaut de gouvernance.
Le sixième axe de transformation concerne la dématérialisation des administrations et des procédures administratives. Même si celle-ci peut offrir des gains de productivité aux administrations et une simplification pour les usagers, elle ne doit pas se faire au détriment de ces derniers, et donc il faut maintenir un accueil physique et téléphonique de qualité. Tous ne peuvent pas réaliser leurs démarches sur internet, notamment parce qu'ils n'ont pas accès au numérique. Il est assez scandaleux de voir que le numéro d'aide proposé est parfois surtaxé. On nous a dit que les numéros surtaxés prendraient fin au 1er janvier 2021, mais encore faut-il qu'ils donnent vraiment accès à un interlocuteur, ce qui n'est pas toujours le cas.
Cette réflexion me conduit naturellement vers la mission « Transformation et fonction publiques ». Cette mission correspond en réalité à la mission « Action et transformation publiques », créée en 2018. Elle a été renommée pour le PLF 2021, avec le rattachement du programme 148 « Fonction publique ». Elle se compose donc désormais de cinq programmes à vocation interministérielle, qui concernent des sujets aussi variés que la rénovation des cités administratives de l'État, les ressources humaines ou encore les start-up d'État. On ne peut qu'être dubitatifs sur les résultats de cette mission, et ce pour plusieurs raisons.
La première, c'est la consommation des crédits. En 2021, ces derniers augmenteraient de 14 % à périmètre constant et avoisineraient les 500 millions d'euros, ce qui laisse supposer une montée en charge de la mission. Toutefois, cela fait deux ans que nous constatons chaque année de fortes sous-consommations, et cela ne devrait pas changer en 2020, puisque près de 75 % des crédits sont annulés dans le quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR4). Autant dire que cette mission relève plutôt de l'affichage que de la réalité. C'est pour cette raison que nous vous proposerons, avec Claude Nougein, un amendement d'appel annulant 75 % des crédits des trois programmes, qui connaissent chaque année des sous-exécutions allant de 80 % à 90 %. Il est temps que le Gouvernement nous donne des explications plus convaincantes quant à la non-consommation des crédits.
La seconde raison tient à la capacité des administrations à engager tous les crédits mis à leur disposition. Les annulations pour 2020 ne tiennent pas seulement à la crise sanitaire : elles s'expliquent aussi par les retards de contractualisation et par un décalage entre les besoins anticipés des porteurs de projets et leurs besoins réels. Après trois ans, on aurait pu penser que ces problèmes aient été résolus.
Nous nous sommes enfin intéressés au changement de périmètre de la mission ; nous avons auditionné la ministre de la transformation et de la fonction publiques Amélie de Montchalin. Son ministère exerce maintenant la tutelle sur trois directions transversales : la direction interministérielle de la transformation publique, la direction générale de l'administration et de la fonction publique et la direction interministérielle du numérique. La ministre nous a dit ne pas être la ministre de la fonction publique, mais celle de la « qualité des services publics ». Si nous saluons cet objectif, nous sommes plutôt réservés sur la capacité des programmes de la mission à concourir à cet objectif. Les chantiers du ministère en matière de dématérialisation et de réforme de la fonction publique sont par ailleurs considérables et avancent plutôt lentement. Sur la fonction publique, le Gouvernement a rapidement abandonné ses objectifs de rationalisation, même sur les ministères non régaliens. Le ministère doit également finir de traduire toutes les dispositions de la loi de transformation de la fonction publique, y compris sur le télétravail en période « ordinaire ».
Je présenterai maintenant rapidement le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». Globalement, il y a peu de changements : pour être très clair, je considère que l'État n'a pas de politique immobilière. Celle-ci souffre toujours du manque d'une gouvernance solide et d'un manque de compétences. Au 31 décembre 2019, la surface totale des bâtiments de l'État était en effet de 96,8 millions de mètres carrés, pour une valeur comptable estimée à 65,7 milliards d'euros. Force est de reconnaître que la connaissance du parc s'est améliorée, sauf pour les opérateurs, qui sont très en retard sur ce point. Cela est très inquiétant.
Le CAS est supposé servir de vecteur budgétaire pour financer des opérations immobilières structurantes et des dépenses d'entretien lourd. On peut toutefois se féliciter du fait que les dépenses d'entretien soient sanctuarisées, même si leur montant, qui s'élève à 160 millions d'euros, peut sembler faible. L'entretien est essentiel pour éviter que les biens non utilisés de l'État continuent de se dégrader.
Les recettes et les dépenses du CAS connaissent une baisse tendancielle, même si l'année 2019 a constitué une exception pour les cessions, du fait de la vente de deux biens exceptionnels, dont l'îlot Saint-Germain, ayant représenté 70 % de ses recettes. En 2021, les produits de cession sont attendus à 280 millions d'euros, un point bas, et les redevances domaniales à 90 millions d'euros. Les dépenses sont, elles, estimées à 275 millions d'euros. Résultat, la politique immobilière de l'État est fragmentée : le CAS ne représente que 15 % des dépenses d'investissement de l'État en matière immobilière et environ 4 % à 7 % du total des crédits qui sont consacrés à l'immobilier.
Selon la direction de l'immobilier de l'État, il est encore trop tôt pour avoir une estimation des effets de la crise sanitaire sur les recettes et les dépenses du CAS. Les redevances domaniales devraient largement dépasser la prévision révisée : elles s'élevaient déjà à 96 millions d'euros fin octobre. En revanche, les produits de cessions seraient faibles en 2021, en raison des effets conjugués de la conjoncture, ou encore de la difficulté de trouver des acheteurs. Si la prévision révisée pour 2020 était de 220 millions d'euros, les produits encaissés fin octobre s'élevaient seulement à 126 millions d'euros.
Marginalisé, le CAS est aussi contourné dans ses règles mêmes de fonctionnement. Les produits de cessions sont en principe répartis à égalité entre les anciens ministères occupants et le compte d'affectation spéciale, mais ce n'est pas toujours le cas. D'autres bénéficient par ailleurs d'avances sur cession, comme le ministère de la défense, de l'Europe et des affaires étrangères, ou encore la présidence de la République.
Le CAS ne suffit donc plus pour porter les grands projets de l'État dans le domaine immobilier : la rénovation des cités administratives est portée par le programme 348 de la mission « Transformation et fonction publiques » et la rénovation thermique des bâtiments publics fait l'objet d'une action dans le programme 362 « Écologie » de la mission « Plan de relance ». L'enveloppe allouée aux bâtiments publics serait de 4 milliards d'euros, dont 2,7 milliards d'euros pour les bâtiments de l'État, soit bien plus que le CAS n'est en l'état actuel capable de mobiliser.
Il faut donc s'interroger sur la réforme du CAS et de ses principes de fonctionnement. Deux objectifs doivent être plus particulièrement poursuivis : le premier est la diversification des modes de valorisation des biens non utilisés par l'État. Les cessions sont de plus en plus dépendantes de biens « exceptionnels », et cette contrainte pèse sur le solde du CAS, extrêmement sensible à la conjoncture. Les modes de valorisation du parc doivent donc être diversifiés. Le second objectif est de faire participer le parc immobilier de l'État à l'effort en faveur de la transition écologique. Les progrès réalisés sur ce point demeurent cependant bien difficiles à suivre.
Nous sommes donc très loin de l'objectif de transformation de la gestion immobilière de l'État. Néanmoins, nous vous proposerons l'adoption des crédits de l'ensemble des missions et du compte d'affectation spéciale, en raison de la conjoncture très particulière dans laquelle nous nous trouvons cette année. La DGFiP a, par exemple, montré une très grande réactivité sur le versement du fond de solidarité même si l'on peut regretter qu'un certain nombre d'objectifs aient été oubliés, parmi lesquels la lutte contre la fraude à la TVA. Cette question n'est pas simplement un problème de recettes publiques, mais aussi une question morale et d'équité de traitement, notamment entre les commerçants et le e-commerce.
Enfin, je vous précise que, sur la mission « Gestion des finances publiques », les articles 54 octies, 54 nonies et 54 decies, ainsi qu'un amendement de crédit tirant les conséquences de ces articles ont été adoptés hier après-midi à l'Assemblée nationale. Compte tenu de leur vote tardif, nous n'avons pas encore eu le temps nécessaire pour les expertiser et nous vous présenteront notre analyse le 19 novembre, lors de l'examen définitif des missions et articles rattachés.