J'en viens désormais à l'appréciation de la politique d'aide publique au développement de la France mise en oeuvre depuis plusieurs années.
Comme l'a indiqué Michel Canevet, les crédits de la mission proposés pour 2021 poursuivent leur trajectoire haussière, conformément aux engagements pris en 2018 par le Président de la République. En réalité, l'aide publique au développement de la France a amorcé son augmentation en 2015, et elle a dépassé le montant de 10 milliards d'euros en 2017. En 2019, elle devrait atteindre 10,9 milliards d'euros.
Cette augmentation a permis à la France de maintenir son rang, à défaut d'améliorer son classement, parmi les principaux contributeurs de l'OCDE. Ainsi, en 2019, la France reste le cinquième pourvoyeur d'aide publique au développement en volume, après les États-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon. Toutefois, en termes de ratio d'aide publique au développement dans le revenu national brut (RNB), la France n'occupe que la neuvième place, alors que les pays de l'Europe du Nord, et notamment la Suède, sont largement en tête.
Comme je l'avais déjà souligné l'année dernière, le profil de l'aide publique au développement de la France continue de se caractériser par un recours important aux prêts, au regard du montant des dons, par opposition aux autres pays de l'OCDE. Cette spécialité française a été privilégiée au cours de la dernière décennie en raison de son moindre coût pour les finances publiques. Toutefois, les auditions ont rappelé qu'un rééquilibrage avait été initié, et la part des prêts devrait reculer en 2019 pour se limiter à 14 % de notre aide publique au développement.
Le pilotage de cette politique publique a fait l'objet de critiques nourries depuis quelques années, y compris devant notre commission. En effet, fortement interministérielle, la politique d'aide publique au développement paraît éclatée en raison des multiples instruments budgétaires et de l'intervention de plusieurs acteurs publics, tels que le ministère des affaires étrangères, le ministère de l'économie, et l'Agence française de développement.
Les auditions menées nous ont confortés dans l'idée que la recherche d'un meilleur pilotage était désormais une priorité des ministères en charge de ce budget.
Dans cette perspective, les conclusions du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de février 2018 ont permis de fixer les priorités politiques et géographiques de notre aide publique au développement. Ce cadrage était nécessaire, et il doit désormais être confirmé par une loi de programmation qui devra redéfinir l'architecture du pilotage de la politique de développement. Annoncé à plusieurs reprises, le projet de loi devrait être examiné par le Parlement d'ici quelques semaines - mais nous le qualifions, dans le rapport, d'Arlésienne...
Il nous reviendra de définir les dispositions législatives permettant d'encadrer de façon efficace le fonctionnement de cette politique publique, qui constitue un instrument incontournable de l'action extérieure de l'État et du rayonnement de la France. L'examen de ce projet de loi nous permettra également de nous interroger sur les priorités géographiques de notre aide publique au développement.
En effet, force est de constater qu'il existe un réel déséquilibre entre les dix-neuf pays désignés comme prioritaires par la France, dont dix-huit sont situés sur le continent africain - le dix-neuvième étant Haïti - et les principaux bénéficiaires de notre aide publique au développement. L'une des raisons de cette anomalie réside en partie dans l'appétence de la France pour les prêts, au détriment des dons, l'encourageant à investir dans des pays à revenus intermédiaires, qui pourront rembourser.
Plus généralement, ce constat nous conduit à nous interroger sur la stratégie mise en oeuvre à l'égard des très grands émergents, pour lesquels l'aide publique internationale n'apparaît plus comme une nécessité - comme la Turquie, ou la Chine. Il faut reconnaître que les critères de l'OCDE nous amènent à qualifier d'aide publique au développement des financements qui relèvent davantage de partenariats économiques... En tout état de cause, les interventions dans ces pays doivent s'inscrire en parfaite adéquation avec les priorités diplomatiques de la France, au risque de nuire à la cohérence de celle-ci.
La crise sanitaire a justifié le redéploiement de crédits, tant au niveau bilatéral, avec l'initiative « Santé en commun », qu'au niveau multilatéral, avec l'initiative de suspension du service de la dette. Face à l'urgence, l'accent a été mis sur les enjeux de santé en 2020, mais la crise n'a pas remis en cause les priorités de long terme de l'aide publique au développement, telles que le soutien au climat, à l'éducation, à la lutte contre les fragilités et les vulnérabilités de certains pays. Si la préservation d'un budget ambitieux pour l'aide publique au développement peut être saluée, la dégradation des finances publiques renforce néanmoins nos exigences en matière de transparence et d'évaluation de l'efficacité de cette politique publique. Ainsi, des dispositions permettant une évaluation indépendante devraient figurer dans le projet de loi à venir.