Intervention de Georges Patient

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 12 novembre 2020 à 14h05
Projet de loi de finances 2021 — Examen du rapport sur la mission « outre-mer »

Photo de Georges PatientGeorges Patient, rapporteur spécial :

Je voudrais tout d'abord rappeler la vocation particulière de la mission « Outre-mer » : favoriser le rattrapage par les territoires ultramarins de leurs retards économique et social sur l'hexagone. Cet objectif se manifeste notamment par le fait que plus de 90 % des crédits demandés pour 2021 sont des dépenses d'intervention.

Le rattrapage de cet écart persistant constitue le défi majeur de la mission « Outre-mer ». La situation économique des outre-mer apparaît en effet bien plus défavorable qu'en métropole : le PIB par habitant est près d'une fois et demie supérieur dans l'hexagone qu'en Guyane, et près de trois fois plus élevé qu'à Mayotte.

Les territoires d'outre-mer ont été fortement touchés par la covid-19, et ses effets sur les économies de ces territoires sont palpables. Ainsi, l'effet de la pandémie sur le PIB pendant le confinement s'élève à plus de 25 % à La Réunion et en Guyane. La comparaison avec les données de la France entière montre une meilleure résistance des économies ultramarines, principalement due au poids plus important, dans ces territoires, du secteur non marchand. La crise économique constitue toutefois un facteur supplémentaire de ralentissement de la convergence des économies ultramarines avec celle de l'Hexagone.

Dans ce contexte, l'augmentation des crédits de la mission « Outre-mer », de 6,39 % en autorisations d'engagement (AE) et 2,64 % en crédits de paiement (CP) par rapport à 2020, constitue indéniablement une bonne nouvelle pour ces territoires.

Le principal point de vigilance sur lequel je souhaite attirer votre attention est la sous-exécution importante dont cette mission fait l'objet. C'est d'ailleurs la difficulté à consommer les AE ces dernières années qui explique la baisse de 5 % des CP prévus sur le programme 123. Cette sous-consommation concerne notamment les dépenses en faveur du logement, la contractualisation, ou les mesures d'accompagnement des territoires. Elle est d'autant plus préoccupante qu'en 2019, le gouvernement avait demandé la suppression de 170 millions d'euros de dépenses fiscales en outre-mer (suppression de la TVA non perçue récupérable et recentrage de la réduction de l'impôt sur le revenu (IR) dans les territoires d'outre-mer). Il s'était toutefois engagé à utiliser les gains budgétaires dégagés pour l'abondement supplémentaire du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) et des dépenses visant à favoriser le développement économique des territoires. J'avais, à l'époque, appelé l'attention du Sénat sur le fait que les dépenses budgétaires, contrairement aux dépenses fiscales, n'offrent aucune garantie dans la durée, et peuvent faire l'objet de sous-consommation.

Je constate aujourd'hui que ces promesses sont tenues en apparence : par exemple, le FEI a vu ses crédits largement augmenter. Il fait toutefois l'objet d'une forte sous-consommation (près de 30 % en 2019), qui constitue une perte nette pour les territoires ultramarins.

Le programme 138 « Emploi outre-mer » rassemble les crédits visant à rembourser les organismes de sécurité sociale des exonérations spécifiques de cotisations patronales.

En 2019, le dispositif d'allègements et d'exonérations de charges patronales de sécurité sociale spécifiques aux outre-mer a été modifié afin de répondre entièrement aux dispositions de l'article 86 de la loi de finances pour 2018, qui a acté la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) au 1er janvier 2019.

Cette réforme avait entraîné, en 2019, une augmentation de plus de 42 % des crédits affectés à la compensation de ces exonérations de charges. Ces derniers connaissent, en 2021, une hausse 6,4 % par rapport à ceux prévus en 2020.

Nous tenons à rester vigilants quant à la fiabilité de ces prévisions. En effet, la baisse de l'activité résultant de l'épidémie ainsi que le recours important au chômage partiel sont susceptibles d'entraîner une sous-exécution importante. Dans un pareil cas, il nous paraît important que les crédits restants soient affectés à d'autres dépenses de la mission.

Sur le fond, je tiens à dire que les nouveaux paramètres du régime issu de la LFSS pour 2019 n'ont pas pleinement compensé les effets de la suppression du CICE à 9 %. Au total, la perte nette pour les territoires ultramarins pourrait être de l'ordre de 60 à 100 millions d'euros pour l'année 2019. Il a ainsi entraîné une augmentation du coût du travail en Guyane, alors même que ce territoire subit une forte concurrence extérieure et reste particulièrement vulnérable à l'économie informelle.

Les conséquences économiques de l'épidémie devraient être de nature à entraîner une réflexion sur un éventuel élargissement du barème de compétitivité renforcée à de nouveaux secteurs, afin d'apporter un soutien suffisant aux territoires ultramarins.

De même, le projet de loi de finances pour 2021 ne comprend aucune évolution en matière fiscale concernant les outre-mer, alors que ce levier aurait été pertinent pour mobiliser l'épargne face à la crise.

S'agissant de l'accompagnement des collectivités territoriales, je tiens à relever l'adoption par l'Assemblée nationale d'un amendement augmentant les crédits de la mission de 30 millions d'euros en AE et de 10 millions d'euros en CP, afin de financer l'expérimentation d'un contrat d'accompagnement pour les communes des départements et régions d'outre-mer en difficulté, qui manifestent des efforts de redressement. Ce type de contrat, que j'avais proposé dans un rapport remis au Gouvernement avec Jean-René Cazeneuve, est susceptible de fournir un accompagnement financier de l'État aux collectivités rencontrant le plus de difficultés, dans une logique de coresponsabilité, et son expérimentation me semble particulièrement bienvenue.

Comme chaque année, je rappelle que la mission ne concerne qu'une faible part de l'effort de l'État en faveur des outre-mer. Ceci est particulièrement vrai aujourd'hui, puisque les territoires ultramarins devraient bénéficier d'au moins 1,5 milliard d'euros dans le cadre du plan de relance national. Une vigilance particulière s'imposera néanmoins quant à sa déclinaison territoriale, ainsi qu'à la bonne exécution des crédits. En outre, une partie importante des dépenses dépendant d'appel à projets, aucune garantie ne peut être apportée à ce stade quant au montant total dont les outre-mer bénéficieront réellement. Nous interrogerons monsieur le ministre en séance publique, afin d'avoir une meilleure vision du montant effectivement mis au service de chaque territoire.

Malgré ces réserves et avec une prudence toujours de mise, je vous inviterai à adopter les crédits de la mission « Outre-mer ».

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