Nous examinons la mission « Outre-mer » et l'article 55 sexies rattaché à la mission.
Je voudrais tout d'abord rappeler la vocation particulière de la mission « Outre-mer » : favoriser le rattrapage par les territoires ultramarins de leurs retards économique et social sur l'hexagone. Cet objectif se manifeste notamment par le fait que plus de 90 % des crédits demandés pour 2021 sont des dépenses d'intervention.
Le rattrapage de cet écart persistant constitue le défi majeur de la mission « Outre-mer ». La situation économique des outre-mer apparaît en effet bien plus défavorable qu'en métropole : le PIB par habitant est près d'une fois et demie supérieur dans l'hexagone qu'en Guyane, et près de trois fois plus élevé qu'à Mayotte.
Les territoires d'outre-mer ont été fortement touchés par la covid-19, et ses effets sur les économies de ces territoires sont palpables. Ainsi, l'effet de la pandémie sur le PIB pendant le confinement s'élève à plus de 25 % à La Réunion et en Guyane. La comparaison avec les données de la France entière montre une meilleure résistance des économies ultramarines, principalement due au poids plus important, dans ces territoires, du secteur non marchand. La crise économique constitue toutefois un facteur supplémentaire de ralentissement de la convergence des économies ultramarines avec celle de l'Hexagone.
Dans ce contexte, l'augmentation des crédits de la mission « Outre-mer », de 6,39 % en autorisations d'engagement (AE) et 2,64 % en crédits de paiement (CP) par rapport à 2020, constitue indéniablement une bonne nouvelle pour ces territoires.
Le principal point de vigilance sur lequel je souhaite attirer votre attention est la sous-exécution importante dont cette mission fait l'objet. C'est d'ailleurs la difficulté à consommer les AE ces dernières années qui explique la baisse de 5 % des CP prévus sur le programme 123. Cette sous-consommation concerne notamment les dépenses en faveur du logement, la contractualisation, ou les mesures d'accompagnement des territoires. Elle est d'autant plus préoccupante qu'en 2019, le gouvernement avait demandé la suppression de 170 millions d'euros de dépenses fiscales en outre-mer (suppression de la TVA non perçue récupérable et recentrage de la réduction de l'impôt sur le revenu (IR) dans les territoires d'outre-mer). Il s'était toutefois engagé à utiliser les gains budgétaires dégagés pour l'abondement supplémentaire du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) et des dépenses visant à favoriser le développement économique des territoires. J'avais, à l'époque, appelé l'attention du Sénat sur le fait que les dépenses budgétaires, contrairement aux dépenses fiscales, n'offrent aucune garantie dans la durée, et peuvent faire l'objet de sous-consommation.
Je constate aujourd'hui que ces promesses sont tenues en apparence : par exemple, le FEI a vu ses crédits largement augmenter. Il fait toutefois l'objet d'une forte sous-consommation (près de 30 % en 2019), qui constitue une perte nette pour les territoires ultramarins.
Le programme 138 « Emploi outre-mer » rassemble les crédits visant à rembourser les organismes de sécurité sociale des exonérations spécifiques de cotisations patronales.
En 2019, le dispositif d'allègements et d'exonérations de charges patronales de sécurité sociale spécifiques aux outre-mer a été modifié afin de répondre entièrement aux dispositions de l'article 86 de la loi de finances pour 2018, qui a acté la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) au 1er janvier 2019.
Cette réforme avait entraîné, en 2019, une augmentation de plus de 42 % des crédits affectés à la compensation de ces exonérations de charges. Ces derniers connaissent, en 2021, une hausse 6,4 % par rapport à ceux prévus en 2020.
Nous tenons à rester vigilants quant à la fiabilité de ces prévisions. En effet, la baisse de l'activité résultant de l'épidémie ainsi que le recours important au chômage partiel sont susceptibles d'entraîner une sous-exécution importante. Dans un pareil cas, il nous paraît important que les crédits restants soient affectés à d'autres dépenses de la mission.
Sur le fond, je tiens à dire que les nouveaux paramètres du régime issu de la LFSS pour 2019 n'ont pas pleinement compensé les effets de la suppression du CICE à 9 %. Au total, la perte nette pour les territoires ultramarins pourrait être de l'ordre de 60 à 100 millions d'euros pour l'année 2019. Il a ainsi entraîné une augmentation du coût du travail en Guyane, alors même que ce territoire subit une forte concurrence extérieure et reste particulièrement vulnérable à l'économie informelle.
Les conséquences économiques de l'épidémie devraient être de nature à entraîner une réflexion sur un éventuel élargissement du barème de compétitivité renforcée à de nouveaux secteurs, afin d'apporter un soutien suffisant aux territoires ultramarins.
De même, le projet de loi de finances pour 2021 ne comprend aucune évolution en matière fiscale concernant les outre-mer, alors que ce levier aurait été pertinent pour mobiliser l'épargne face à la crise.
S'agissant de l'accompagnement des collectivités territoriales, je tiens à relever l'adoption par l'Assemblée nationale d'un amendement augmentant les crédits de la mission de 30 millions d'euros en AE et de 10 millions d'euros en CP, afin de financer l'expérimentation d'un contrat d'accompagnement pour les communes des départements et régions d'outre-mer en difficulté, qui manifestent des efforts de redressement. Ce type de contrat, que j'avais proposé dans un rapport remis au Gouvernement avec Jean-René Cazeneuve, est susceptible de fournir un accompagnement financier de l'État aux collectivités rencontrant le plus de difficultés, dans une logique de coresponsabilité, et son expérimentation me semble particulièrement bienvenue.
Comme chaque année, je rappelle que la mission ne concerne qu'une faible part de l'effort de l'État en faveur des outre-mer. Ceci est particulièrement vrai aujourd'hui, puisque les territoires ultramarins devraient bénéficier d'au moins 1,5 milliard d'euros dans le cadre du plan de relance national. Une vigilance particulière s'imposera néanmoins quant à sa déclinaison territoriale, ainsi qu'à la bonne exécution des crédits. En outre, une partie importante des dépenses dépendant d'appel à projets, aucune garantie ne peut être apportée à ce stade quant au montant total dont les outre-mer bénéficieront réellement. Nous interrogerons monsieur le ministre en séance publique, afin d'avoir une meilleure vision du montant effectivement mis au service de chaque territoire.
Malgré ces réserves et avec une prudence toujours de mise, je vous inviterai à adopter les crédits de la mission « Outre-mer ».
Je me joins aux remarques de Georges Patient sur l'évolution des crédits de la mission « Outre-mer », qui connaissent une hausse particulièrement bienvenue au regard du contexte actuel. Cette évolution s'inscrit dans l'effort total de l'État en faveur des outre-mer, puisque la mission regroupe moins de 12 % des crédits de l'État en faveur des outre-mer.
Le programme 138 « Emploi outre-mer » rassemble, en plus des crédits destinés au remboursement aux organismes de sécurité sociale des exonérations de charges sociales, les crédits du service militaire adapté (SMA). Ces crédits sont en augmentation de 4 % en AE, car le SMA fait l'objet d'un ambitieux plan dit « SMA 2025 », qui vise notamment à augmenter les taux d'encadrement, et à améliorer les formations en entamant par exemple le virage vers le numérique à travers plusieurs expérimentations, et la création dans chaque entité d'une filière de développeur web.
L'année 2020 a été marquée par la création d'une nouvelle compagnie du régiment du SMA de Nouvelle-Calédonie à Bourail.
La crise sanitaire a entraîné une baisse de 9 points du taux d'encadrement du service militaire adapté (SMA) en 2020 et un arrêt provisoire des formations, sans remettre en cause ces ambitions.
Ces évolutions me paraissent très positives, puisque le SMA a fait preuve de son utilité, comme l'a d'ailleurs montré la commission des finances du Sénat en 2019. La consolidation du dispositif apparaît d'autant plus nécessaire que le contexte économique qui découlera de la crise sanitaire justifie l'existence de structures d'insertion des jeunes particulièrement efficaces.
Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » rassemble les crédits des politiques publiques en faveur de l'amélioration des conditions de vie dans les outre-mer et s'élève à 829 millions d'euros en AE et à 593 millions d'euros en CP en 2021. Par rapport à 2020, il connaît donc une hausse de 7 % en AE et une baisse de 5 % en CP.
Pour expliquer la baisse en CP du programme, le gouvernement invoque des raisons « techniques », cette diminution visant selon lui « non pas à la réduction des moyens, mais à un ajustement du niveau des CP, en fonction des dépenses prévues sur l'année concernée, comme pour toutes les lignes s'exécutant de manière pluriannuelle ». Je tiens à rappeler, comme Georges Patient, que cette difficulté à exécuter certaines dépenses est largement due au manque d'appui aux collectivités territoriales, notamment en matière d'ingénierie de projets.
Ainsi, de manière plus spécifique, la politique contractuelle de l'État en outre-mer, dont les crédits sont supportés par l'action 2 « Aménagement du territoire », connaît une augmentation de 3 % en AE, mais une baisse de 10 % en CP.
En 2021, l'effort sera donc maintenu en AE pour les contrats de convergence et de transformation, le contrat de projet Polynésie et le contrat de développement de la Nouvelle-Calédonie. Ces contrats font l'objet d'un problème récurrent d'impayés. Nous relevons néanmoins que le montant cumulé des charges à payer relatives à ces contrats s'élevait, en fin de gestion 2019, à 3,6 millions d'euros, ce qui constitue un plus bas historique et traduit la capacité de l'État à honorer ses engagements.
Si cette évolution est positive, je tiens toutefois à attirer l'attention du Gouvernement sur le retard d'exécution persistant du contrat de projet 2015-2020 de la Polynésie française. Au titre de ce dernier, la participation de l'État s'élève à 135 millions d'euros sur une durée de 6 ans, ce qui implique la mise en place d'une enveloppe moyenne de 22,5 millions d'euros en AE par an. À fin 2020, le contrat de projet cumule 27,5 millions d'euros de retard en AE, soit l'équivalent de plus d'une année d'exécution nominale du contrat. Ce retard compromet notamment l'engagement d'un projet de construction de logements sociaux, dont les marchés sont d'ores et déjà notifiés et dont les travaux ont déjà commencé. Le contrat de projet arrivant à échéance au 31 décembre 2020, date à laquelle il doit être remplacé par un nouveau contrat de développement et de transformation, il est impératif que ces 27,5 millions d'euros soient débloqués avant la fin de l'année.
Les crédits de la ligne budgétaire unique (LBU), qui financent le logement outre-mer, s'élèvent à 224,6 millions d'euros en AE et 176,9 millions d'euros en CP, soit une hausse de 8,7 % en CP et une baisse de 2,7 % en AE. Ces crédits, qui s'élèvent à un niveau très inférieur à celui constaté jusqu'en 2017, font également l'objet d'une sous-exécution chronique. Le taux d'exécution s'est ainsi élevé à 90 % en AE et 78 % en CP, avec des situations contrastées en fonction des territoires, comme à La Réunion (75 % en CP) ou encore à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Les crédits prévus et dépensés en 2021 devraient donc être largement inférieurs aux besoins, alors que le nombre de demandeurs de logements sociaux en outre-mer (hors Mayotte) s'élève à 69 432, et que les besoins en logements sociaux sont évalués à plus de 10 000 par an.
Cette baisse des crédits est d'autant plus préoccupante que la suppression de la réduction d'impôt sur le revenu à raison des investissements dans le logement locatif social dans les départements d'outre-mer, à compter de 2019, entraîne également une baisse de la construction de logements sociaux. Nous serons donc particulièrement vigilants quant à l'exécution de la LBU.
Malgré ces réserves, je constate que ce budget est en augmentation, et que les outre-mer bénéficieront du plan de relance, même si nous tenons à obtenir des précisions sur sa territorialisation. Je me joins donc à l'avis de mon collègue Georges Patient et invite la commission des finances à adopter ces crédits.
Je suis du même avis que mes collègues sur la vigilance nécessaire, notamment sur les effets de la crise sanitaire dans les outre-mer.
Je remercie mes collègues rapporteurs spéciaux pour la clarté de leur rapport. Comme eux, je pense que nous devons nous féliciter de l'augmentation globale des crédits, mais rester vigilants devant la sous-exécution, notamment dans le cas du programme 123. Ce programme est très attendu dans nos territoires, surtout en ces temps de crise. Il nous faut trouver des solutions à la sous-exécution. L'insuffisance de l'ingénierie en est la cause principale. Le Gouvernement, comme il s'y était engagé, devra aider nos territoires à pallier cette carence, qui ne doit pas être une fatalité.
La compensation aux organismes de sécurité sociale des exonérations de charges patronales dont bénéficient les départements et régions d'outre-mer constitue le principal poste de dépenses de la mission « Outre-mer ». Je constate que celui-ci devrait connaître une augmentation en 2021, ce qui me semble surprenant : la crise économique et l'augmentation du chômage partiel ne devraient-elles pas entraîner une baisse mécanique du recours aux exonérations de charges sociales ?
Le logement outre-mer échappe à la mission « Cohésion des territoires » avec la fameuse ligne budgétaire unique (LBU). Les besoins en outre-mer sont considérables. Les problèmes constants de sous-exécution et d'ingénierie m'étonnent depuis longtemps. L'année dernière, les AE avaient fortement baissé et cette année, ce sont les CP qui baissent, l'État faisant le constat d'un manque de projets par rapport aux crédits qui pourraient être affectés.
Sur la question des difficultés rencontrées pour la construction des logements, s'agit-il seulement d'un problème d'ingénierie ? J'ai du mal à imaginer que cela soit la seule explication. Je reconnais qu'il est difficile de construire partout, mais lorsque l'on a des crédits, une collectivité locale engagée et des entreprises pour construire, comment expliquer de si grandes difficultés ?
Comment se fait-il qu'on ne puisse pas régler cette question d'ingénierie ? En métropole, c'est au niveau régional ou départemental que se mettent en place des agences permettant de fournir de l'ingénierie dans les communes les plus petites et faire ainsi avancer les projets. A-t-on considéré cette perspective ? L'État ne pourrait-il pas vous aider à mettre cela en place ? Quelles solutions envisagez-vous à cette question récurrente chaque année ?
Je reconnais que les crédits de la mission ont augmenté, mais ils sont insuffisants depuis de longues années. Pour le logement, par exemple, en 2014, les crédits étaient de 273 millions d'euros en AE, alors qu'ils seront de 224 millions d'euros en 2021. Par ailleurs, il y a un reste à payer d'1,7 milliard d'euros, ce qui me semble incompréhensible.
On évoque des problèmes d'ingénierie et l'absence de compétences techniques pour justifier la sous-consommation, et on a donc distrait 7 millions d'euros de la LBU pour aider les collectivités, les bailleurs et autres investisseurs à monter leurs dossiers. C'est incompréhensible. J'aimerais d'ailleurs que cette affaire donne lieu à une évaluation. Nous avons utilisé la LBU alors que nous aurions pu avoir recours, par exemple, aux crédits européens pour l'assistance technique, dont les régions peuvent disposer.
Le plan logement outre-mer (PLOM), qui prévoyait la construction de 150 000 logements sur les onze territoires habités d'outre-mer, soit 10 000 logements par an, est loin d'atteindre ses objectifs : on en fait à peine 5 000 - 5 600 exactement, selon les derniers chiffres de la Cour des comptes. Les questions d'ingénierie ne peuvent pas tout expliquer ; il y a manifestement un blocage. Après avoir ferraillé pendant des années sur ces dossiers, j'ai une proposition à faire : cette politique centralisée du logement ne fonctionnant pas, il faut soit décentraliser, soit remettre le sujet dans la mission « Cohésion des territoires ». En tout cas, il faut territorialiser.
Cette mission évoque 350 millions d'euros au titre du plan de relance. Et le ministre précise, dans une belle phrase : « premier arrivé, premier servi ». Il est question d'appels à projets, mais on ignore comment la répartition va se faire et comment on pourra consommer ces crédits sans ingénierie.
On prévoit 50 millions d'euros pour tous les Outre-mer au titre de l'aménagement. Mais, pour la seule Guadeloupe, il faudrait au minimum 800 millions d'euros, selon diverses évaluations, pour réparer les réseaux d'eau et assurer la distribution ! En pleine crise de la covid, toute une partie du territoire n'a pas accès à l'eau. L'État affirme qu'il s'agit de la compétence des collectivités, mais il est tout de même coresponsable. Il a été en charge pendant soixante-dix ans avant la décentralisation ! Et il ne s'est pas occupé des réseaux. Même en ces temps d'épidémie, l'État refuse d'accorder des subventions. Les crédits de la mission augmentent, mais cela ne répond pas aux préoccupations quotidiennes des habitants d'outre-mer. La loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer n'a pas été respectée. J'ai mentionné le problème de l'eau, il y a aussi celui du traitement des déchets, des transports, etc. Au bas mot, il faudrait dix ans pour régler les questions d'aménagement. Nous demandons 200 millions d'euros sur 5 ans - 40 millions chaque année -, et 400 ou 500 millions d'euros en prêt garanti sur trente ans. Mais l'État ne veut rien entendre. Que fait-on avec 10 millions d'euros pour 3 millions d'habitants outre-mer ? Ce budget augmente, mais reste à la main du Gouvernement. Je ne sais pas si l'accord pour la Guyane est satisfait. Plus que jamais, il faut parler de libertés locales.
On s'épuise à demander des petites choses par-ci par-là, en matière de défiscalisation ou de crédit d'impôt. Ça ne marchera pas. Il faut un big bang, un changement de logiciel ! La proposition de loi organique pour le plein exercice des libertés locales votée au Sénat va dans ce sens. Il faut peut-être des zones franches comme dans les Caraïbes, il faut plus de libertés locales pour que les gens se prennent davantage en charge. En aucun cas je ne pourrai voter ces crédits et, à titre personnel, je m'abstiendrai.
Les territoires d'outre-mer sont sujets à des contraintes géographiques et à des aléas climatiques importants. Avez-vous une idée du budget alloué par l'État concernant la lutte contre ces aléas ?
Je voudrais revenir à la question du manque d'ingénierie et de la baisse des CP. Depuis le 1er janvier de cette année, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est opérationnelle ; elle a justement vocation à se décentraliser dans les préfectures pour faire l'état des lieux et permettre de développer des politiques nécessaires sur le terrain. Pourriez-vous nous dire quelles sont les avancées de l'ANCT dans les outre-mer ?
Si nous avons beaucoup insisté sur la sous-consommation des crédits, c'est parce qu'il s'agit d'une question centrale et récurrente, souvent mise en avant par les gouvernements successifs pour expliquer la situation des outre-mer : ces derniers seraient presque responsables de leur situation parce que les crédits existent, mais ne seraient pas consommés faute d'ingénierie locale ; même la Cour des comptes reprend cette analyse dans ses études.
En Guyane, depuis plusieurs années, l'État et les collectivités territoriales s'efforcent de mettre en place une grande structure d'ingénierie : sa nécessité est pourtant reconnue, mais elle n'a toujours pas été installée.
Lors de la rédaction de notre rapport sur les finances locales outre-mer, nous avons pu constater avec Jean-René Cazeneuve, contrairement d'ailleurs à ce qu'il pensait au départ, qu'il existe des cadres de très bon niveau outre-mer. Le problème est donc à chercher ailleurs. Il faut rechercher les véritables raisons, comme le formalisme des procédures. L'État n'a souvent pas, au niveau déconcentré, les ressources suffisantes pour instruire ou accélérer les dossiers. Il faut aussi évoquer la structure financière des collectivités locales. Elles n'ont souvent pas les moyens de participer aux plans de financement pour la mise en place de ces équipements locaux. Beaucoup de collectivités locales sont dans une situation financière déséquilibrée, n'ont pas l'épargne nécessaire et sont déficitaires en fonctionnement.
C'est donc tout le système financier des collectivités territoriales qu'il faudrait revoir. Il est crucial de les remettre à flot financièrement afin qu'elles puissent s'inscrire dans le plan de relance. L'enveloppe de 30 millions pour l'accompagnement des collectivités ne semble pas suffisante, vu l'ampleur des déficits des villes-capitales d'outre-mer : Pointe-à-Pitre a ainsi, par exemple, un déficit de 70 millions d'euros pour 15 000 habitants ; Mamoudzou ou Cayenne sont dans la même situation. Cette remise à niveau est un préalable à l'utilisation des crédits qui ont été annoncés, sinon ceux-ci ne seront pas consommés.
Concernant le logement, la question du manque d'ingénierie ne devrait pas se poser, dans la mesure où les opérateurs immobiliers ont de très bons services en la matière. Les entreprises évoquent l'existence d'impayés nombreux de la part de l'État ; la LBU ne serait pas, non plus, facilement mobilisable. Avant de prévoir des crédits destinés à la construction, il conviendrait donc de prévoir des crédits en matière d'aménagement du foncier. Dans certains territoires, en effet, le foncier est rare et cher. En Guyane, le foncier existe, mais il doit être aménagé et il serait judicieux d'avoir des crédits pour cela, à l'image du Fonds régional d'aménagement foncier et urbain. Action Logement m'a aussi fait part d'une sous-consommation des crédits, pourtant disponibles. C'est pourquoi nous insistons sur cette question de la sous-exécution et nous aimerions que la commission des finances se saisisse de ce sujet pour comprendre pourquoi les crédits ne sont pas consommés comme ils devraient l'être.
La question de l'ingénierie territoriale est fondamentale, même si elle ne suffit pas à tout expliquer. Il ne s'agit pas seulement d'une question de décentralisation, mais aussi de déconcentration, car il faut doter les préfectures ou les hauts-commissariats de la République des équipes techniques capables d'accompagner les collectivités territoriales.
Un autre enjeu est la question de l'accès au foncier. En Polynésie, c'est un vrai défi : nos îles n'ont que peu de plaines et le coût d'aménagement du foncier excède les ratios en vigueur pour le logement social, ce qui est source de blocages et fait que certaines opérations ne sont pas éligibles, alors que les besoins sont réels.
En ce qui concerne la lutte contre les aléas climatiques, une dotation de dix millions d'euros est prévue, mais elle alimente un fonds de secours qui vise à financer les interventions et les indemnisations à la suite d'un événement : on peut regretter l'absence dans la mission « Outre-mer » d'un dispositif préventif. Cela sera sans doute l'un des enjeux du pan de relance, dont l'un des objectifs est d'accroître la résilience, y compris en matière de prévention des risques climatiques.
Enfin, pour Charles Guené, la démarche des nouveaux conseils aux territoires n'a pas été étendue outre-mer ; ce sont les préfectures qui restent compétentes.
La territorialisation du plan de relance constituera un enjeu fondamental. Victorin Lurel a évoqué les appels à projets. Il ne faudrait pas, en effet, que nous soyons victimes de notre carence en matière d'ingénierie territoriale. Nous devons aussi, avant cela, avoir une bonne visibilité sur les crédits effectivement réservés à l'outre-mer et sur les appels à projets réservés à l'outre-mer. Cela n'est pas encore le cas. Nous serons vigilants à cet égard.
Les villes-capitales ne sont pas les seules à avoir des problèmes. Pointe-à-Pitre et Fort-de-France ont surconstruit. Point-à-Pitre possède plus de 2 000 logements en propriété propre. Par idéologie, certes respectable, ils n'ont pas voulu vendre et aujourd'hui la ville a le déficit que l'on connaît. Mais la situation financière de la plupart des collectivités d'outre-mer est catastrophique et le Gouvernement n'en n'a pas pris conscience, au prétexte de l'autonomie. À ce rythme, il faudra pourtant quinze, voire vingt ans, pour rétablir le réseau d'eau en Guadeloupe si l'État n'apporte pas son aide. Il en va de même pour le logement.
Outre le manque d'ingénierie, il faut aussi noter que l'obtention de l'agrément de Bercy pour les dispositifs de défiscalisation relève d'un parcours du combattant ! Plusieurs services, qui ne s'entendent pas, doivent intervenir. Lorsque j'étais président du conseil régional de Guadeloupe, nous avons ainsi mis en place une unité d'ingénierie pour aider les communes à monter leurs dossiers.
Quelle a été l'utilisation des sept millions d'euros destinés à l'ingénierie ? Comment se répartit, par actions, l'annulation des 75 millions de crédits de paiement sur le programme 123 dans le quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2020 ? Enfin, dispose-t-on de précisions sur les 200 millions d'euros de garantie de recettes fiscales pour les collectivités d'outre-mer dans le troisième projet de loi de finances rectificative ?
Je n'ai pas de précisions, pour le moment, sur les 7 millions d'euros destinés à l'ingénierie, mais le ministère travaille sur ce sujet avec l'Agence française de développement (AFD). Les collectivités sont incitées à se tourner vers cette agence pour ce qui concerne l'ingénierie locale.
Ensuite, je ne sais pas si la somme de 200 millions d'euros de garanties de recettes fiscales est inscrite de façon définitive dans le PLFR 3, mais les mécanismes de compensation y figurent : en métropole, la moyenne des trois dernières années fiscales 2017, 2018 et 2019 a été prise en considération ; outre-mer, n'ont été retenus que l'octroi de mer et la taxe sur les carburants. Nous avions souhaité que la taxe sur les tabacs soit aussi prise en compte, mais cela n'a pas été le cas.
Certains considèrent que l'enveloppe est insuffisante, mais il est aussi question de la compensation des pertes fiscales dans le plan de relance. Peut-être des amendements seront-ils aussi déposés sur le projet de loi de finances...
L'annulation de crédits au sein du programme 123 dans le PLFR 4 porterait surtout, dans l'état des informations dont nous disposons, sur le logement, en raison de la sous-consommation constatée.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Outre-mer ».
L'article 55 sexies a été introduit à la demande du Gouvernement à l'Assemblée nationale. Celui-ci étend le volet « obsèques » de l'aide à la continuité territoriale de deux manières : à la « dernière visite » à un parent lorsque le décès intervient avant le trajet retour du bénéficiaire ; aux cas dans lesquels la dernière visite ou les obsèques concernent un frère ou une soeur, son conjoint ou la personne avec laquelle elle est liée par un PACS. Cette extension apparait bienvenue, alors que le coût actuel de l'aide à la continuité territoriale accordée pour se rendre à des obsèques est une part marginale de l'ensemble de la consommation du dispositif (0,1 % des aides en 2019).
Nous restons toutefois vigilants quant à l'effectivité de l'aide destinée à la « dernière visite », qui ne fait l'objet d'aucun encadrement particulier, alors qu'elle repose sur le décès du parent avant le retour du bénéficiaire. À titre de comparaison, l'aide à la prise d'un congé de solidarité familiale est conditionnée à la production d'un certificat médical établi par le médecin traitant de la personne attestant qu'elle souffre d'une pathologie mettant en jeu son pronostic vital, ce qui n'impose pas que la personne décède effectivement.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 55 sexies.
La réunion est close à 14 h 50.