De nombreuses questions ayant trait à « La Perle », je vais traiter ce sujet en premier lieu. Cette dernière a pris feu lors d'une opération de maintenance alors qu'elle était entre les mains de l'industriel, sans marin à son bord. L'expertise a montré que la coque avait subi des dommages qui n'étaient pas réparables sur la partie avant. Un sous-marin étant constitué de tronçons soudés entre eux, Naval Group a proposé de changer uniquement la partie avant en récupérant celle du « Saphir », un sous-marin de la même classe ayant récemment été retiré du service actif. Après trois mois d'études réalisées par l'industriel et l'Etat, la réparation de « La Perle » est apparue envisageable.
Lors d'une réunion présidée par la ministre des Armées, trois options ont été étudiées : réparer La « Perle », prolonger chacun des quatre sous-marins restants, ou réaliser un entretien majeur du sous-marin « Emeraude ». Dans la décision de la ministre, le besoin opérationnel a été parfaitement pris en compte afin de maintenir cinq SNA en ligne, tout au long de la décennie, nombre minimal nécessaire pour tenir le contrat opérationnel tant qu'il n'y a pas d'entretien majeur à conduire. Ce contrat permet d'assurer un soutien permanent à la force océanique stratégique en Atlantique, d'être en permanence en mesure de répondre aux sollicitations en Méditerranée et d'employer un sous-marin pour d'autres opérations. La seule solution qui permettait d'assurer cette posture, sans baisser la garde, était la réparation de la « Perle ».
Le risque que fait porter cette opération sur le programme « Barracuda » est d'ordre calendaire. L'industriel nous garantit sa capacité à réaliser la soudure entre la partie avant du « Saphir » et l'arrière de « La Perle », avant que le « Duguay-Trouin » qui est actuellement en phase de construction, n'ait besoin du dispositif de mise à l'eau de Cherbourg à l'été 2021. La « Perle » sera convoyée vers Cherbourg normalement en décembre et l'industriel disposera alors de six mois pour assurer cette soudure. Le deuxième enjeu calendaire se posera au retour de la coque à Toulon pour la fin des travaux de réparation. Ces derniers devant se faire dans un bassin dont la refonte est prévue dans le cadre de la rénovation des infrastructures nucléaires de Toulon.
En termes de coûts, l'industriel était assuré à hauteur de 50 millions d'euros. La facture pour l'Etat s'élève à 60 millions d'euros et inclut la réparation de la « Perle » et la prolongation du « Rubis ». Rapporté au budget global de la Défense, ce coût ne représente donc pas un choc financier majeur.
J'aborderai à présent la question des ruptures temporaires de capacités (RTC). Si les budgets et l'ambition sont bien présents, les RTC sont malheureusement encore devant nous. Le temps de la marine est un temps long comme je l'ai indiqué dans mon propos liminaire. Il faut environ dix ans pour réaliser un programme. Compte tenu des choix qui ont été faits entre 2012 et 2015, la décennie 2020-2030 devrait donc être difficile pour la marine, en particulier pour l'outre-mer, qui devra se contenter d'un seul patrouilleur en Polynésie comme en Nouvelle-Calédonie jusqu'en 2025. La ministre a donc lancé la réalisation du programme des patrouilleurs d'outre-mer pour assurer le remplacement des bâtiments vieillissants. Six patrouilleurs seront livrés entre 2022 et 2025. Ces bateaux répondront bien aux besoins et nous permettront d'être davantage présents dans nos vastes ZEE outre-mer.
La deuxième RTC majeure concerne les patrouilleurs océaniques, en métropole, qui durera toute la décennie 2020-2029. Le coût de construction de ce programme qui doit assurer le remplacement de nos valeureux avisos conçus à la fin des années 60 n'est pas encore déterminé. Il est prévu 10 unités livrées à partir de 2025, à raison de deux unités par an.
La RTC des pétroliers ravitailleurs a débuté dès 2015 et se poursuivra jusqu'en 2029. Nous disposerons alors de quatre nouveaux bâtiments ravitailleurs des forces livrés en 2022, 2025, 2027 et 2029. Un beau programme mené en coopération avec les Italiens.
Une autre RTC sur l'avion de surveillance maritime interviendra entre 2025 et 2029, comblée par la mise en service progressive des Falcon 2000 du programme Albatros.. Des RTC sont également subies sur les hélicoptères de la Marine. Le report lors de LPM précédentes du programme d`hélicoptères de nouvelle génération aujourd'hui baptisé Hélicoptère Interarmées Léger (HIL), a contraint la marine à combler cette RTC par des locations. Nous disposerons ainsi de 12 Dauphins N3 d'occasion et 4 H160 dans les prochaines années. Les premiers Dauphins N3 sont en cours de livraison et les H160 arriveront début 2022 pour assurer les missions de sauvegarde et de protection des approches maritimes.
A propos de la stratégie Indopacifique, le Président de la République s'est longuement exprimé à ce sujet. Celle-ci est illustrée de manière visible par des partenariats stratégiques, d'une part avec l'Inde, notamment dans le domaine du renseignement et via le contrat « Rafale » et d'autre part, avec l'Australie à qui Naval Group livrera douze sous-marins qui seront peu ou prou des « Barracuda » mais sans la propulsion nucléaire. L'Australie est très demandeuse de la présence française, autant en matière de savoir-faire que pour des raisons politiques, afin de disposer d'un allié de poids face à la pression chinoise au nord de l'Australie. Comme je l'avais souligné, le format de la Marine tel que planifié dans la LPM ne prévoyait pas, initialement, cette stratégie indopacifique et nous impose un dosage assez fin entre les missions que nous assurons en Atlantique Nord, dans le golfe de Guinée, en Méditerranée et dans le détroit d'Ormuz et celles que nous devons conduire dans le cadre de nos partenariats stratégiques avec l'Inde et l'Australie.
En Méditerranée orientale, la marine turque dispose de douze sous-marins assez performants, mais qui ne sont pas conçus pour la guerre océanique. Dans le contexte politique actuel de la Turquie, nous pouvons légitimement nous interroger sur l'impact d'une augmentation d'un tiers de sa force sous-marine. Cette question mérite à mon sens d'être portée au niveau politique, le comportement actuel de la Turquie faisant peser des doutes sur sa volonté de coopérer avec l'Europe, notamment au sein de l'OTAN.
Concernant notre coopération avec la marine britannique, la question d'une coordination dans le Pacifique ne se pose pas cette année, car nos périodes de déploiement ne coïncident pas. La question sur l'interopérabilité de nos deux groupes aéronavals mérite d'être soulevée, les Britanniques ayant opté pour le F-35 B. Cette question de l'interopérabilité représente aussi un véritable enjeu pour l'OTAN.
Dans le cadre du programme de lutte antimines (SLAM-F), la coopération technique fonctionne bien avec les Britanniques et ne devrait pas être mise à mal par le Brexit. En revanche, la question de la coopération dans le domaine des missiles devra être prochainement envisagée. S'il est acquis que les Britanniques moderniseront leurs frégates, nous espérons poursuivre avec eux le développement de missiles, notamment un missile antinavires supersonique conçu par MBDA, ainsi qu'un futur missile de croisière aéroporté susceptible de remplacer le SCALP.
Au sujet de la torpille F21 du programme « Artémis » qui sera l'armement principal de nos sous-marins, son développement dans le contexte général d'accroissement des performances des sous-marins est important. La discrétion acoustique de la torpille devient en effet un véritable avantage comparatif. Nous suivons donc ce programme avec une grande attention.
Le MCO aéronautique reste une préoccupation majeure de la Marine, surtout pour ses hélicoptères. En cause, l'étalement du programme NH90 qui a conduit à livrer ces hélicoptères sous différents standards occasionnant des délais de mise à hauteur prévus qui ne peuvent être tenus par l'industriel. En outre, des programmes d'entretien trop denses nous imposent d'immobiliser en permanence six hélicoptères. Nous déplorons enfin des fragilités sur la chaîne logistique.
En ce qui concerne le MCO naval, les chiffres sont satisfaisants compte tenu du nombre de jours accomplis en mer. Nous déplorons relativement peu d'indisponibilité ou d'avaries fortes et durables de nos bateaux, la seule catégorie de navires nous inquiétant étant celle des patrouilleurs de haute mer en raison de leur âge canonique.
Quant au MCO des « Barracuda », il s'appuie sur un contrat pluriannuel. La phase clé pour le programme « Barracuda » aura lieu lors de la première période d'indisponibilité pour entretien du « SUFFREN », de janvier à mars à Toulon, qui permettra de mettre à l'épreuve ce nouveau contrat de MCO.
A propos des équipages, l'amiral Prazuck avait obtenu de la ministre la mise en place de l'expérimentation des bâtiments à double équipage. La contrainte d'activité particulièrement élevée à la mer peut provoquer sur certains bateaux un problème d'attractivité. Sur des frégates à équipage réduit, il est ainsi apparu nécessaire d'opter pour un double équipage. C'est aujourd'hui un succès, caractérisé par une forte augmentation du taux d'attractivité des frégates multimissions (FREMM).
La question de la poursuite de cette expérimentation ne se pose pas immédiatement, même si les FREMM seront employées avec des taux d'activité très importants en Atlantique et en Méditerranée. Avec l'arrivée des Frégates de Défense et d'Intervention se posera à nouveau la question de de l'extension de cette expérimentation. Le taux d'emploi des conjoints des officiers mariniers dépassant aujourd'hui les 80 %, la marine doit s'adapter à cette nouvelle génération de marins qui souhaitent de la visibilité, de la prévisibilité dans leurs déploiements de longue durée pour mieux concilier leurs vies privée et professionnelle.
En matière de recrutement, la crise du Covid n'a, contre toute attente, que peu affecté nos besoins en la matière pour l'année 2020. L'usage de plus en plus important d'outils digitaux dans ce domaine y a sans doute contribué. Pour la fidélisation, parmi les différents dispositifs mis en place, on peut citer, par exemple, la Prime de Lien au Service (PLS). Cette prime a été attribuée à 3695 marins en 2020 contre 2 700 en 2019. Nous prévoyons d'attribuer un peu plus de 3000 PLS en 2021. En outre, le logiciel de paiement de la solde utilisé dans la marine donne aujourd'hui pleinement satisfaction. La mise en oeuvre de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) dans le cadre de la LPM nous permettra par ailleurs de renforcer la politique RH en matière de fidélisation et de maintien des compétences. Le chantier indemnitaire de la NPRM est dans ce domaine un attendu fort des marins.
S'agissant des munitions complexes, je ne peux que me réjouir de l'effort fourni dans la LPM actuelle pour commencer à combler le déficit. Les contraintes financières imposées par la LPM précédente nous obligeaient à des choix cornéliens entre le renouvellement des stocks de munitions ou la construction de nouvelles plateformes. Cette année, nous recevrons les premières torpilles F21 du programme Artémis, des missiles de croisière navale, et des Aster 30. Par ailleurs, 45 kits missiles Mer-Mer 40 block3 seront commandés dans le cadre du PLF 2021. Est également à noter une commande conséquente de missiles MICA NG pour le Rafale, commun avec l'armée de l'air et de l'espace. Sans munition, pas d'entraînement digne de ce nom et sans entraînement digne de ce nom, comment garantir au chef des armées que ses ordres seront in fine exécutés de manière nominale ? J'ajouterai que, compte tenu des délais de fabrication de ces munitions, cet effort doit être durable. Il devra être poursuivi dans les PLF suivants.
Au sujet des FDI, nous attendons ces nouvelles frégates avec impatience. Nous cherchons néanmoins à les équiper de lanceurs MDCN afin de leur procurer des capacités équivalentes à celles des FREMM en matière d'action vers la terre. La première livraison est attendue en 2024.
L'appel d'offres pour le remplacement de deux remorqueurs d'intervention, d'assistance et de sauvetage (RIAS) est en cours. Il devrait se traduire par une notification d'un contrat d'affrètement au premier trimestre 2021.
Pour rester dans le capacitaire, la menace hypersonique est un sujet de réflexion majeur pour nous. Disposer de missiles de ce type est essentiel dans le combat naval d'aujourd'hui et de demain. Les Chinois, et dans une moindre mesure les Russes, ont développé un certain nombre d'armes hypersoniques. La Chine tente de montrer que ce type d'armes pourrait être efficace contre les porte-avions, mais, malgré d'importants efforts en matière de communication stratégique de leur part, il n'y a pour le moment aucune démonstration probante. Le ciblage d'un bâtiment se déplaçant en permanence à haute vitesse est un défi particulièrement complexe à résoudre. Les Chinois continuent d'ailleurs, en parallèle, d'investir dans la conception de nouveaux porte-avions ! Nous travaillons également nationalement sur le sujet des missiles hyper-véloces, la DGA ayant programmé un tir d'essai hypersonique. Du point de vue de la défense anti missiles, nous privilégions l'axe de la modernisation des frégates de défense aérienne qui sera effective en 2027 et 2028.
Pour conclure, nous assistons à une accélération particulièrement forte de la pression militaire en mer. Dans le cadre de la LPM, tout l'enjeu est de conserver le rythme fixé de renouvellement des capacités, de tirer parti de l'innovation et de disposer de marins aptes à se battre. Cela nous demandera de la créativité, de la pugnacité et de la résilience.