Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons ce matin le projet de loi autorisant l'approbation de deux accords portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire, conclus avec le Qatar d'une part, et la Chine d'autre part.
Le dispositif français de reconnaissance et d'échange des permis de conduire repose actuellement, pour l'essentiel, sur de simples arrangements administratifs, voire sur le seul principe de réciprocité - c'est-à-dire sans que les modalités ne soient formalisées par écrit. Cette pratique concerne aujourd'hui 113 États ou territoires n'appartenant pas à l'Espace économique européen.
En novembre 2016, le Conseil d'État a relevé l'insuffisance juridique des pratiques réciproques et des arrangements administratifs existants. Sur la base de cette décision, le gouvernement a engagé une révision de notre dispositif d'échange de permis de conduire afin de conclure des accords intergouvernementaux en bonne et due forme, et ce uniquement avec des États satisfaisant à des critères de sécurité routière, de formation, de sécurisation des titres et de conditions de délivrance des permis de conduire comparables à ceux de la France. À ce jour, nous n'avons conclu qu'un seul accord bilatéral dans ce domaine, en 1964, avec la principauté de Monaco.
L'objectif est donc de consolider juridiquement le dispositif, mais également de renforcer la sécurité routière sur notre territoire. La priorité est donnée aux États intéressant la France au regard, notamment, des difficultés rencontrées par nos ressortissants sur place ; c'est le cas du Qatar et de la Chine. Ce projet de loi va directement bénéficier à quelque 4 700 Français établis au Qatar, et à plus de 15 000 Français établis en Chine, en facilitant leur mobilité.
L'entrée en vigueur de ces accords va mettre fin aux conditions asymétriques de reconnaissance des permis de conduire entre nos trois pays. En effet, en France, tous les permis de conduire étrangers sont reconnus durant une période d'un an à compter de l'établissement sur notre territoire de la résidence normale de leurs titulaires, sous réserve qu'ils soient accompagnés d'un permis de conduire international ou d'une traduction en français.
En revanche, au Qatar, le permis français seul permet la conduite durant 7 jours à compter de l'entrée sur le territoire. Pour conduire à l'issue de ce délai, et dans la limite de 6 mois, les usagers doivent solliciter la délivrance d'un permis temporaire auprès des autorités locales, sur présentation notamment du permis français et d'un permis de conduire international.
Lors de ma visite au Qatar en février dernier, initiée par la conseillère consulaire Rosiane Houngbo Monteverde, notre consul général Jean-Jacques Maizaud m'a demandé de faire de l'entrée en vigueur de cet accord mon action prioritaire pour ce pays ; c'est dire l'importance du sujet pour nos compatriotes vivant au Qatar.
En Chine, la situation est beaucoup plus contraignante puisque ni le permis français, ni le permis international ne sont reconnus ; il est donc nécessaire d'obtenir un permis de conduire chinois pour conduire dans le pays. Un permis de conduire temporaire peut néanmoins être délivré pour une durée de 3 mois à compter de l'entrée sur le territoire chinois, sur présentation d'un permis français et de sa traduction. Des pratiques de réciprocité existent pourtant entre la France et Macao, Hong Kong ainsi que Taïwan, qui permettent à nos ressortissants d'échanger leur permis sur place. Je veux saluer ici l'action opiniâtre de nos services diplomatiques qui ont oeuvré à ce résultat, après une dizaine d'années de négociations.
Les deux accords soumis à notre approbation mettront fin aux pratiques disparates entre nos pays et permettront d'étendre la durée de reconnaissance des permis français dans ces deux États.
En outre, comme je l'indiquais précédemment, ces nouveaux accords sécuriseront juridiquement le dispositif français et amélioreront la sécurité routière et la lutte contre la fraude documentaire. En effet, le ministère de l'intérieur procède à évaluation qualitative sur la base d'un dossier technique constitué par notre représentation sur place ; seuls les États ayant des critères comparables à ceux de la France pourront conclure un accord bilatéral.
Dans le cadre de l'examen de ce projet de loi, j'ai souhaité rencontrer les ambassadeurs du Qatar et de Chine pour m'assurer qu'aucun frein - notamment administratif - n'empêchera la bonne exécution de ces accords. J'ai reçu cette assurance de Son Excellence Sheikh Ali bin Jassim Al-Thani, ambassadeur du Qatar en France, lors d'une entrevue au Sénat. En revanche, l'ambassadeur de Chine en France, M. Lu Shaye, n'a pas daigné répondre favorablement à mes demandes répétées d'audition. J'aurais pourtant souhaité m'entretenir avec lui sur les difficultés de mobilité rencontrées par nos compatriotes établis en Chine, l'interroger sur les différences de pratiques entre nos deux pays, et surtout, l'alerter sur la nécessité de suivre la bonne exécution des dispositions de l'accord.
La Chine subordonne d'ailleurs l'échange de permis de conduire français à la détention d'un permis au nouveau format. Nos postes diplomatiques sur place, ainsi que les services du ministère de l'intérieur en France, devront impérativement veiller à ce que le changement de permis de conduire soit possible depuis l'étranger, dans des délais raisonnables.
Pour conclure, ces nouveaux accords répondent aux intérêts de nos compatriotes installés dans des pays qui, aujourd'hui, ne reconnaissent pas le permis de conduire français. Voilà un parfait exemple du rôle que peut jouer le Sénat dans l'amélioration de leurs conditions de vie hors de nos frontières.
En dépit des interrogations qui demeurent s'agissant de l'accord franco-chinois, je préconise l'adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier. Les parties qatarienne et chinoise ont déjà notifié l'achèvement de leurs procédures nationales nécessaires à l'entrée en vigueur des accords, qui bénéficieront également à leurs ressortissants établis sur notre sol.
Certains d'entre vous pourraient s'interroger, à raison, quant à l'opportunité de conclure un accord avec la Chine, dirigée par le parti communiste chinois, dont certains agissements heurtent les démocrates. Mais vous aurez aussi compris que je suis animé par la seule défense des intérêts des Français établis en Chine.
L'examen en séance publique est prévu le mercredi 4 novembre prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, ont souscrit.
Nous ne pouvons que nous réjouir de ces accords. Nos compatriotes établis au Qatar et en Chine sont actifs et ont besoin de se déplacer facilement dans ces pays.
Avez-vous une réelle inquiétude quant à la mise en oeuvre des dispositions de l'accord franco-chinois ? Le cas échéant, et compte tenu du principe de réciprocité, les Chinois vivant sur notre territoire seraient eux aussi victimes de sa non-application.
Comme je l'indiquais, la situation actuelle est asymétrique et bien plus défavorable aux Français. J'aurais souhaité poser la question à l'ambassadeur de Chine et avoir des garanties. Je pense néanmoins que les Français vivant en Chine nous alerteront en cas de difficulté.
Hong Kong n'est pas concerné par l'accord, non plus que Macao et Taïwan. Des pratiques de réciprocité existent actuellement avec ces territoires.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera en faveur de l'adoption de ce projet de loi. Je salue la constance d'Olivier Cadic qui parvient à critiquer la Chine même lorsque nous discutons d'échange de permis de conduire !
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.
Mon général, nous sommes très heureux de vous accueillir pour cette nouvelle audition budgétaire, après avoir entendu votre Vision stratégique en juillet. Vous y annonciez le retour à des conflits « de haute intensité », prophétie que ne fait pas mentir l'actualité. Ils nécessitent une armée de terre durcie, apte à relever les défis du futur.
Le projet de budget vous en donne-t-il les moyens ? Le recrutement a-t-il été affecté par le Covid ? Qu'en est-il de la formation ? Vous réfléchissez à la mise en place d'une école technique pour les sous-officiers. Des projets similaires concernant les militaires du rang vous animent-ils ? L'entraînement des militaires est-il suffisant dans la perspective de combats plus intenses ? Au plan capacitaire, le Griffon, véhicule blindé multirôle, a commencé à être livré en juillet 2019. Tient-il ses promesses ? La crise sanitaire a occasionné des retards. Bien que la DGA nous ait affirmé qu'il serait rattrapé au premier semestre 2021, entraîne-t-il des conséquences opérationnelles ? Enfin, où en est le projet franco-allemand de système de combat terrestre du futur, le MGCS ?
Cette audition n'est pas captée. Vous pouvez ainsi vous exprimer avec toute la liberté nécessaire à ce genre d'exposé.
Général Thierry Burkhard, chef d'état-major de l'armée de terre - Mesdames et Messieurs les Sénateurs, c'est toujours un honneur et un plaisir d'être invité par votre commission. Je note l'élection de nouveaux membres, que je salue.
Dans ce propos liminaire, je vous propose de vous exposer une idée assez simple, qui répondra à une partie de vos interrogations. Il n'y a pas d'armée qui tienne son rang, en particulier en opération, sans entraînement de haut niveau. Nous devons y consacrer des ressources.
L'armée de terre se porte bien. Elle gère la période Covid sans difficulté majeure pour l'instant. Nous n'observons pas de rupture dans les activités opérationnelles. Un niveau d'entraînement satisfaisant a pu être maintenu, bien qu'il n'ait pas été aussi élevé qu'il aurait pu l'être sans cette période exceptionnelle. Les facteurs de contamination ont pu être maîtrisés en interne, mais aussi vis-à-vis de l'extérieur. Je l'explique par une chaîne de commandement efficace, et une bonne compréhension par tous de ce qu'impose la singularité militaire, socle sur lequel nous devons nous articuler.
La situation actuelle exige bien évidemment de redoubler de vigilance, ce que nous faisons en nous adaptant aux évolutions et à l'intensité de la crise. Nous sommes également dans une forte dynamique de réparation et de modernisation. Celle-ci n'est possible que grâce à la loi de programmation militaire que vous avez votée. Je vous en remercie. Nos régiments en voient les résultats et les effets chaque jour, et ceci de manière très concrète. Cet effort doit se poursuivre.
Si nous observons de nombreux signaux positifs, nous devons absolument éviter de tomber dans le piège de l'autosatisfaction. Lors de ma dernière audition, je vous présentais ma Vision stratégique de l'armée de terre. J'y dressais le constat d'un monde dans lequel les rapports de force deviennent le mode de règlement des différends entre États. Nous sortons peu à peu d'un cycle de guerres limitées, dites asymétriques, pour entrer dans un monde qui pourrait assister au retour d'affrontements plus durs entre puissances. Après la période d'opérations de maintien de la paix en ex-Yougoslavie, nous avons brutalement et douloureusement redécouvert la guerre asymétrique en Afghanistan et au Mali.
Aujourd'hui, l'organisation de l'armée de terre est essentiellement pensée pour employer ses unités dans des missions très variées, avec un niveau d'engagement maîtrisé. Voici quelques images vidéo pour l'illustrer. Ici, vous voyez un engagement au Mali. Là, l'évacuation d'un blessé par des moyens aériens, ce que nous pouvons assurer sans difficulté majeure. Enfin, vous voyez ici des personnes capturées et qui vont être interrogées. L'action cinétique (létale) s'accompagne d'actions civiles et militaires, de contacts avec la population, en appui des actions de développement scolaire ou de santé. S'y ajoute la montée en puissance de nos partenaires. Nous essayons de les entraîner avec les moyens dont ils pourraient disposer, comme c'est ici le cas à Gao. Une bonne opération doit être lancée rapidement, mais doit également pouvoir s'arrêter rapidement C'est ce que nous avons fait au Liban où les moyens ont été désengagés début septembre. Voyez ici l'opération de réassurance Lynx dans le cadre de l'OTAN, au profit des pays baltes. Nous pouvons y conduire, alternativement avec les Allemands et les Britanniques, un entraînement en vue d'une opération de haute intensité. Je citerai également l'opération Sentinelle. La sécurité des Français doit être assurée là où ils sont menacés, y compris sur le territoire national. L'opération Résilience illustre quant à elle la capacité d'adaptation des soldats et unités de l'armée de terre dans un domaine où nous ne les attendions pas. Nos soldats se sont engagés dans une mission pour laquelle ils n'étaient pas vraiment préparés. Ils l'ont pourtant fait avec beaucoup de coeur et une grande capacité d'adaptation. J'évoquerais enfin l'opération d'aide à la population dans les départements du Gard et des Alpes-Maritimes, où il était essentiel de réagir très rapidement, mais en bonne coordination avec les unités de sécurité civile.
Ce rythme opérationnel est très exigeant. Il apporte une expérience indéniable, véritable force pour l'armée de terre. Aucun de nos équivalents européens n'est engagé à ce niveau. Soyons toutefois lucides. Nous agissons sur un segment réduit de la conflictualité. Ces opérations n'en sont pas moins compliquées. Elles nécessitent un vrai savoir-faire de la part de nos soldats, qui obtiennent d'excellents résultats.
Nous entrons probablement dans un nouveau cycle. Nous voyons se développer de nouveaux conflits, avec des menaces de plus en plus fortes, dans tous les milieux : menace aérienne, de tirs d'artillerie, brouillage, cyberattaques ou guerre informationnelle de grande ampleur. Aujourd'hui, je ne me demande jamais si je pourrais évacuer un blessé par le ciel. La supériorité nous y est acquise. La météo peut éventuellement contraindre nos opérations, mais aucun ennemi ne peut m'empêcher d'utiliser la troisième dimension. Nous pouvons également communiquer sans crainte d'être écoutés ou brouillés. Nous jouons sur la stabilité des PC pour conduire les opérations. Face à des compétiteurs plus puissants, nous devons nous préparer à l'inconfort opérationnel. Nous devons réapprendre à déployer des dispositifs terrestres plus conséquents avec des ressources humaines et matérielles plus importantes que ce que nous connaissons actuellement. Ce constat est partagé. Le risque est identifié. C'est d'ailleurs la mission qu'a confiée l'exécutif aux armées, avec le Livre blanc de 2013 et la Revue stratégique de 2017. Je la décline au travers de la Vision stratégique diffusée en mai dernier.
Pour faire face à l'augmentation du niveau de menace que nous observons, nous devons disposer d'une armée de terre permettant à la France d'imposer sa volonté. Pour ce faire, nous devons être le plus dissuasif possible. À ce titre, nous devons d'abord poursuivre notre modernisation en profondeur, tant dans notre capacité que dans notre doctrine, pour surclasser nos adversaires. Nous devons ensuite changer d'échelle dans le volume et le niveau des unités que nous engageons, ainsi que dans les menaces à prendre en compte et dans l'entraînement que nous devons conduire. Ce changement d'échelle mobilisera mes efforts dans les mois et années à venir.
Une armée de terre dissuasive est avant tout une armée de terre moderne et bien équipée. Dans le cadre du programme Scorpion, 92 véhicules Griffon ont été livrés en 2019. 128 livraisons sont prévues en 2020 et 119 en 2021, pour une cible finale s'élevant à 1 872 Griffon en 2033. La modernisation est lancée, mais ne fait que commencer. À ce jour, quatre régiments ont réceptionné une vingtaine de véhicules chacun. Ils s'approprient techniquement et tactiquement ce moyen. A terme, un régiment Griffon sera armé de quatre compagnies de combat, chacune disposant de vingt véhicules. Nous en avions reçu 143 au 30 septembre. La DGA, Nexter, Thales et Arquus font leur maximum pour assurer que la cible sera atteinte. Tout retard se paie en capacité opérationnelle pour l'armée de terre. L'objectif de projection d'un GTIA Scorpion sur un théâtre en opération n'est pas remis en cause. Comprenez bien qu'après avoir projeté une unité, il faut être capable de la relever et donc de s'inscrire dans la durée. Je dois y être très vigilant. Mais Scorpion repose avant tout sur l'infovalorisation à partir du logiciel SICS. Le poste radio Contact permettra ainsi d'augmenter considérablement les échanges de données et de fluidifier les combats.
Toutefois, la modernisation ne se limite donc pas uniquement aux gros objets et aux grands programmes. La performance et la protection du soldat dépendent de ses équipements. Les livraisons de gilets pare-balles se poursuivront en 2021. Ils sont attribués individuellement, c'est-à-dire que chaque soldat l'ajuste à sa taille, l'équipe à sa guise et s'entraîne tous les jours avec, ce qui n'était pas le cas avant où les gilets étaient perçus uniquement pour partir en opération. S'y ajoutent par exemple les livraisons de jumelles de vision nocturne O-NYX, donnant un avantage très net pour conduire des opérations dans les conditions de nuit les plus défavorables. Le segment drone poursuit lui aussi sa montée en puissance. Une trentaine de Systèmes de mini drones (SMDR) devrait être livrée en 2021. Ce système remplacera le DRAC, qui ne peut plus fonctionner sur le terrain. Nous passerons ainsi d'une portée de 10 à 30 kilomètres et d'une autonomie d'une heure à deux heures trente.
La modernisation est également liée à notre capacité à faire de la prospective. Nous ne devons pas prendre de retard dans la mise en place de robots et de systèmes automatisés. J'ai demandé la constitution d'une entité ayant pour mission de réfléchir, d'observer, de définir, d'expérimenter et ensuite de développer leur emploi dans les unités de l'armée de terre.
Abordons à présent l'entraînement. Il faut consacrer beaucoup de temps à l'acquisition et à la maîtrise des savoir-faire de son métier. L'entraînement répété inlassablement permet d'exécuter de manière réflexe les gestes permettant de remplir une mission, mais aussi de rester en vie, sous le feu de l'ennemi, ou lorsque le soldat souffre du froid ou de la fatigue. Cet entraînement permet à nos hommes d'avoir confiance en eux, en leurs capacités, en leurs pairs, en leurs chefs et en leurs subordonnés. C'est également une question de qualité au travers du réalisme de nos mises en situation. Un équilibre entre simulation et terrain est indispensable. La rusticité ne s'apprend en effet que dans les conditions réelles.
La quantité et la qualité de l'entraînement demandent des ressources. Pour la première fois pour l'armée de terre, la LPM a chiffré un volume et des normes d'entraînement.
Cet entraînement permet de passer de l'individuel au collectif, qui commence au niveau du groupe de combat et se termine au niveau de la division. Travailler avec des unités de pays différents nécessite également de beaucoup s'entraîner. Les différentes fonctions opérationnelles doivent être combinées ensemble, aux plus bas échelons. Et le vainqueur sera celui qui manoeuvrera ses fonctions opérationnelles plus vite et mieux que l'adversaire. Si l'armée de terre doit changer d'échelle en étant capable de déployer plus de forces pour être plus dissuasive, elle doit s'entraîner différemment et davantage.
Nous avons deux objectifs à atteindre : les exercices de grande ampleur doivent permettre de disposer d'unités entraînées, capables de s'engager face à un ennemi qui menacerait nos intérêts, et quel que soit le niveau du rapport de force qu'il choisirait. Ils doivent aussi nous permettre d'afficher une posture à même de dissuader nos compétiteurs avant qu'ils ne deviennent nos ennemis dans un conflit. Cette nouvelle dimension doit être prise en compte. L'effet dissuasif doit d'ailleurs être démultiplié par une communication stratégique efficace. Plus nous dissuaderons et plus nous réduirons le risque d'engagements armés.
Vous l'avez compris, changer l'échelle de nos entraînements est le défi posé aujourd'hui à l'armée de terre. C'est l'objectif qu'a fixé la LPM, et qui est décliné dans la Vision stratégique.
Les conditions nécessaires pour réussir notre changement d'échelle dans l'entraînement sont les suivantes :
- recruter, former, équiper, entraîner et fidéliser des jeunes Français prêts à s'engager pour leur pays, c'est-à-dire prêts à être engagés en opération. Sans soldats, nous ne livrerons pas bataille. Je salue d'ailleurs chaque jour cette jeunesse française, consciente de son devoir et de ses responsabilités et qui choisit de nous rejoindre ;
- disposer de munitions de gros calibre et de nouvelle génération, dont nous manquons encore pour conduire un entraînement de haute intensité ;
- disposer d'infrastructures de préparation opérationnelle adaptées et performantes en modernisant nos camps nationaux, en particulier pour mieux prendre en compte la menace cyber. Cette modernisation est en cours avec le déploiement du système de simulation Cerbère ;
- garantir du potentiel d'entraînement à nos engins. Il est impossible de s'entraîner au bon niveau si les matériels majeurs ne sont pas opérationnels, c'est-à-dire disponibles et avec suffisamment de potentiel. C'est le rôle du maintien en condition opérationnelle (MCO), préalable à l'entraînement. Ensuite, la trajectoire croissante des ressources de l'armée de terre en LPM avait notamment pour objectif de rehausser le niveau de préparation opérationnelle. C'est pour cette raison que des normes ont été fixées, prévoyant par exemple que les équipages Leclerc réalisent au minimum 115 heures d'entraînement sur leurs chars en fin de LPM. Ce niveau n'est pas encore atteint. Entre 55 et 60 % des normes sont à ce jour atteintes, pour un objectif de 93 % à horizon 2025. Pour 2021, il ne sera pas possible de dépasser en métropole un seuil de 140 heures dans le domaine de l'aéromobilité.
Dans le cadre de l'actualisation, mon effort principal sera tourné vers la modernisation de nos capacités et la progression de nos entraînements, sans déséquilibre.
Je citerais pour conclure la loi de programmation militaire : « L'atteinte d'un modèle d'armée à la hauteur de nos ambitions et soutenable dans la durée est un enjeu majeur de la loi de programmation militaire qui repose sur la consolidation de l'activité (et donc de l'entraînement), gage d'efficacité de nos forces en opération. » Il n'y a pas d'armée qui tienne son rang en opération sans un entraînement de haut niveau.
Vous l'avez compris, j'ai pour responsabilité d'utiliser au mieux les moyens qui me sont donnés pour que l'armée de terre soit capable de remplir les missions que le CEMA lui fixe. Notre capacité à faire face aux menaces actuelles et futures doit être à la hauteur des investissements financiers consentis par les Français.
Laissez-moi vous féliciter pour la très belle démonstration des capacités de l'armée de terre à Satory le 8 octobre dernier.
Le programme Scorpion prévoit la rénovation de 200 chars Leclerc, dont l'âge moyen s'élève aujourd'hui à 17 ans. Ils devront tenir jusque l'entrée en service du programme franco-allemand MGCS à l'horizon 2035, voire un peu plus tard. Aurons-nous les moyens de rénover les turbomachines et viseurs qui deviennent obsolètes ? Atteindrons-nous la cible des 125 Leclerc rénovés en 2025 ? Les crédits programmés semblent largement insuffisants. Avez-vous une idée des montants supplémentaires nécessaires pour ce MCO ?
Vous avez été rassurant concernant les munitions. Disposons-nous toutefois de stocks suffisants ? En cas de crise géopolitique majeure, sommes-nous certains de pouvoir nous approvisionner en toutes circonstances, alors que nous n'avons plus de filière de production française ?
Enfin, les programmes de drones de l'armée de terre rencontrent des difficultés. Un Patroller s'est écrasé fin 2019 lors d'un vol de réception industriel. Quelles sont les conséquences de cet accident sur le déroulement du programme ? Le programme de mini-drones de reconnaissance connaît lui aussi des retards. Trois systèmes ont été livrés cette année à l'armée de terre. Quand seront-ils déployables en opération ? L'industriel pourra-t-il tenir ses engagements de livraison ?
Pouvez-vous apporter des précisions sur les munitions de nouvelle génération ? Cette LPM est à hauteur d'hommes et de femmes, et met l'accent sur le quotidien des soldats. Nous avons l'impression que les gros projets et équipements sont prioritaires et que les petites dépenses d'équipements, pourtant essentiels au quotidien de nos forces, sont parfois la variable d'ajustement. Vous rappeliez les livraisons de treillis, gilets pare-balles et jumelles de vision nocturne. Les Échos ont d'ailleurs publié ce matin un article inquiétant, le Groupe Thousand Oaks ayant déclaré avoir reçu un accord de principe pour acquérir le leader français de l'optronique, pour un prix de 425 millions d'euros, soit 15 % inférieur à ce qui était prévu au départ. Cette réduction aurait été accordée par le vendeur en raison des conditions imposées par les pouvoirs publics tricolores. Nous ne pouvons que regretter qu'il passe sous pavillon américain. Je rejoins donc la question de Monsieur Perrin, sur l'éventualité de fabriquer des munitions en France. Nous devrions plutôt questionner le DGA sur ce sujet. Aujourd'hui, avez-vous une volonté d'accélération de l'acquisition de ces petits équipements, qui sont pour beaucoup fabriqués par des PME ? Ce serait également l'occasion de soutenir ces acteurs touchés de plein fouet par la crise économique.
Ensuite, le système d'information de combat scorpion (SICS), au coeur du programme Scorpion, ne semble pas totalement mature si l'on en croit les informations publiées récemment. L'industriel rencontrerait des difficultés. En attendant, les Griffon livrés fonctionnent sur un système conçu dans les années 1990. Quelles sont les conséquences de ce retard ? Pouvez-vous nous communiquer quelques précisions sur ce sujet ?
De nombreux équipements sont prévus au titre de la LPM, dans le cadre du programme Scorpion. Il s'agit majoritairement des Griffon et Jaguar. Dans le même temps, nous avons le sentiment que la préparation opérationnelle passe au second plan. La norme OTAN représente à la fois une référence en termes de savoir-faire pour vos personnels, pour les engagements auxquels vous devrez faire face, mais également une exigence pour l'intégration de nos forces dans les actions de coalition. Ce standard sera-t-il atteint en 2021, ou devrons-nous attendre 2022 ou 2023 ?
Ensuite, le dispositif Sentinelle mobilisait plus de 10 000 hommes lors de sa mise en oeuvre. Il a été largement rénové en fonction de la situation et de la menace sur notre territoire. Il permet désormais à la fois de déployer des forces sur le territoire, mais également de disposer de personnels en alerte, mobilisables entre 12 et 72 heures. D'autres évolutions sont-elles prévues ?
Étant rapporteure de la mission 178, je souhaite connaître votre diagnostic sur la disponibilité technico-opérationnelle des équipements de l'armée de terre. Le niveau d'usure et de disponibilité des matériels est alarmant. La disponibilité des hélicoptères de manoeuvre n'est que de 57 % du contrat opérationnel. Celle des véhicules de l'avant blindés n'est que de 71 %, et celle de chars légers AMX -10 de 70 %. Quelles mesures permettront de résoudre cette situation en 2021 ? Comment passerons-nous de 15 à 40 % des activités industrielles de maintenance réalisées par les industriels d'ici 2025 ? Quelle sera la proportion déjà atteinte en 2021 ? Quels sont les moyens mis aux services de toutes ces transformations ? Qui les pilote ?
Quelles sont les conséquences de la Covid-19 sur le plan opérationnel, mais également dans le cadre des recrutements de l'armée de terre ?
De plus, vous avez évoqué les structures modulaires balistiques. Sont-elles bien produites en France ? Pourraient-elles encore provenir de mon département, qui produisait auparavant des gilets pare-balles ? C'est un impact extrêmement important pour nos régions.
Mon général, je vous remercie de votre présentation très encourageante et dynamique. Nous sommes engagés dans l'opération Barkhane depuis plusieurs années. La perspective n'est pas à un désengagement rapide. Malheureusement, il me semble que le processus de formation et de développement des armées des pays concernés, tels que le Mali, le Niger, le Tchad, est très lent. Nous les imaginons mal se substituer à l'armée française. Ma vision peut sembler pessimiste, mais je connais ces pays. La corruption y est généralisée. Les équipements et l'argent que nous leur donnons n'arrivent jamais sur le terrain. Quel est votre jugement sur le développement de ces armées nationales africaines ? Pensez-vous que notre engagement va perdurer longtemps ?
Il faut mettre cette question en regard avec les informations récentes qui viennent d'être publiées, sur lesquelles interviennent des discussions entre la junte militaire et des groupements djihadistes. J'ai rencontré hier Soumaïla Cissé, chef de l'opposition, ayant été pris en otage six mois. Il reste un certain nombre de doutes sur la conduite des opérations, ce qui remettrait en question la présence de nos 5 100 soldats. Nous acceptons que la réconciliation nationale intervienne au Mali, mais refusons qu'elle ait lieu sur le compte de nos hommes prenant chaque jour un risque important pour notre sécurité.
Général, étant sénatrice du Gard, je tenais à remercier l'ensemble de vos hommes pour l'aide efficace apportée lors du récent épisode cévenol.
La première vague de la crise sanitaire a mis en lumière notre grande fragilité d'approvisionnement en matériel de santé, que nous ne produisons plus ni en France, ni en Europe en raison des coûts de production trop importants. Notre dépendance vis-à-vis de pays comme la Chine a ainsi été mise en évidence. Qu'en est-il dans le domaine militaire ? Vous avez récemment évoqué le sujet de l'approvisionnement en munitions. Quelles sont nos fragilités ? Comment y remédier ? Disposons-nous de stocks suffisants pour faire face à d'éventuelles pénuries ou blocages de nos voies d'approvisionnement ?
Mon général, vous devez être un chef d'état-major heureux, mais aussi modeste et atypique. Heureux, par rapport à la présentation que vous nous avez dressée. Modeste, car vous avez très peu insisté sur le fait que nous sommes les seuls à maîtriser de manière globale la troisième dimension, et je fais ici référence à la onzième brigade parachutiste. Vous avez parlé de la notion d'entraînement. Pour maintenir ces savoir-faire, il faut pouvoir s'entraîner, et donc sauter. J'interrogeais récemment le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace concernant les éléments de capacité pour participer à ces efforts d'entraînement. En tant qu'utilisateur, comment le ressentez-vous ? Cela vous paraît-il suffisant pour maintenir cette capacité d'entrée en théâtre assez exceptionnelle ? De la même manière, des savoir-faire tels que le largage en haute altitude, que nous sommes peu dans le monde à savoir maîtriser, méritent également un entraînement et un maintien des capacités. Pouvez-vous m'en dire davantage ? Combien de sauts devraient à votre sens être effectués chaque année par les parachutistes pour être dans une situation optimale ?
Je précise que l'article des Échos comporte beaucoup d'erreurs et d'invraisemblances. Il existe une solution française, qui sera peut-être enfin étudiée sérieusement. Nous devons prendre de tels articles avec beaucoup de pincettes. Nicolas Dufourcq, de la BPI, ne fait pas la politique des États-Unis.
Je m'associe aux différents remerciements pour votre action. Je souhaite évoquer cette guerre « low-cost » et ses effets pour nos équipements. Nous voyons aujourd'hui des jumelles de vision nocturne O-nyx en vente sur Amazon pour 155 euros. Ces équipements peuvent vraisemblablement être utilisés par les personnes auxquelles nous faisons face. De plus, pensez-vous que nous disposons aujourd'hui d'un système qui nous permettrait de mettre en échec les drones kamikazes actuellement utilisés au-dessus du Haut Karabakh ?
Enfin, quand pensez-vous que le système Cerbère sera opérationnel ?
L'une des priorités affichées par le ministère des armées porte sur le soutien des soldats et de leurs familles. L'effort budgétaire prévu à cet effet dans la LPM représentait 0,5 milliard d'euros entre 2018 et 2025. Le projet de loi de finances est conforme à cette trajectoire. Pouvez-vous décliner les mesures prévues ? Si l'aide à la reconversion apparaît en effet prioritaire pour accompagner les militaires, quelles mesures concrètes seront adoptées par le ministère pour soutenir les familles l'an prochain ?
J'avais commis un rapport sur la garde nationale il y a quelques années, au nom de la commission et avec Jean-Marie Bockel. Pouvez-vous nous donner un éclairage sur le poids des réservistes au sein de l'armée de terre ? Nous avions prévu à l'époque un accroissement du système de recrutement des réservistes, adossé bien sûr à nos armées, toutes disciplines confondues.
J'évoquerai dans un premier temps le sujet du Leclerc, pièce maîtresse de notre segment de décision. Les premiers chars Leclerc ont été livrés à l'armée de terre en 1993 et devraient être remplacés à compter de 2035-2040 avec le MGCS. Le sujet de la rénovation du Leclerc est donc totalement intégré et financé dans le programme Scorpion. En effet, les nouveaux engins, qu'il s'agisse des Griffon ou des Jaguar, seront les premiers à être équipés du poste radio Contact ce qui leur permettra d'intégrer pleinement la bulle d'infovalorisation. Cet impératif d'intégration avec Contact est également un des objectifs de la rénovation Leclerc.
Mais au-delà de l'intégration du char Leclerc dans la bulle Scorpion, nous devons aujourd'hui prendre en compte les conséquences de décisions prises dans le passé. Les choix qui se sont imposés à cette époque ont été pris compte tenu de la situation technique constatée sur le parc Leclerc et surtout compte tenu du contexte financier. Ces décisions passées risquent aujourd'hui de nous coûter assez cher, à hauteur de quelques centaines de millions d'euros. En effet, à titre d'exemple, il a été estimé il y a une dizaine d'années que le stock de turbomachines disponibles nous permettrait de tenir jusqu'en 2040. Malheureusement, avec une durée de vie qui s'est révélée bien inférieure à nos prévisions, cette obsolescence lourde que l'on pensait maîtriser doit aujourd'hui être traitée. Bien évidemment, nous ne pouvons imaginer un trou capacitaire d'une vingtaine d'années. Dans des cas comme celui-ci, nous devons trouver des solutions, ce qui passe forcément par des dépenses supplémentaires.
La conduite des programmes doit donc être réfléchie dans ce sens, en prenant en compte la durée de vie d'un équipement qui équivaut à une quarantaine d'années. Plusieurs choix s'offrent à nous comme proposer d'emblée une rénovation à mi-vie. Nous devons maintenant obtenir les financements pour traiter les obsolescences du Leclerc.
Concernant les munitions, sachez que les stocks pour les opérations relèvent de la responsabilité de l'état-major des armées, et qu'ils sont pris en compte. Dans tous les cas, la question des stocks est un sujet important. Comme tous les pays, la France a rencontré des difficultés d'approvisionnement en matériels sanitaires durant la crise COVID. Seule la loi de l'offre et de la demande nous a véritablement gênés. Cela n'a pas duré très longtemps. Soyons certains que si nous venions un jour à rencontrer des difficultés en raison d'un stock de munitions insuffisant, nos compétiteurs qui pourraient devenir nos ennemis feraient tout pour que nous ne puissions pas nous réapprovisionner. Le terme de « stock » est aujourd'hui presque un gros mot. Cela représente des munitions immobilisées et de l'argent hypothéqué en amont. C'est toutefois une forme d'assurance. Dans mon métier, je dois essayer d'anticiper les risques et les menaces pour éviter d'être surpris. J'estime donc que nous devons approfondir la question des stocks de munitions, mais également celle des pièces de rechange.
Considérer que toute la production doit être française constituerait peut-être la solution idéale. Est-ce que cela correspond au fonctionnement actuel du monde et des systèmes économiques, ou à notre vision d'une défense collective ? Je pense que nous devons trouver un équilibre entre l'achat de munitions en Extrême ou Moyen-Orient, et celui de munitions en Europe. Ce problème doit être bien étudié et notamment avec nos alliés.
Le segment drone est effectivement une capacité importante. Nous devons veiller à ne pas prendre de retard. Le Patroller succède au SDTI. Un crash s'est produit alors qu'il était testé par l'industriel, avant qu'il ne soit livré à l'armée de terre en décembre 2019. Une commission d'enquête doit rendre ses résultats début 2021. Le retard sur le Patroller a deux conséquences. Le SDTI n'étant plus dans la période où nous pouvons l'utiliser de manière sécurisée, il ne vole plus. Nous assistons donc à une rupture capacitaire. S'y ajoute un réel problème de gestion des hommes et des femmes servant ce système d'armes. Ils aiment leur métier et ont besoin d'être maintenus en qualification. Un vrai dialogue a toutefois été établi avec l'industriel pour mettre en place des moyens de simulation permettant de ne pas trop perdre la main. Toutefois, cela ne remplacera jamais le véritable matériel. À mes yeux, il est capital que nous disposions au plus vite d'un Patroller, mais celui-ci doit impérativement être sûr. Je refuse que les soldats travaillent sur un système qui ne soit pas fiable. Ne nous précipitons donc pas sans prendre en compte l'ensemble de ces paramètres.
Le SMDR, le système de mini-drones de reconnaissance, accuse également du retard, que nous sommes en train de combler. Les trois premiers ont été mis en place pour évaluation à la Section technique de l'armée de Terre, la STAT. Nous travaillons actuellement sur leur mise en oeuvre opérationnelle, avant de les projeter l'année prochaine sur un théâtre d'opération.
Madame la sénatrice, vous avez évoqué les munitions de nouvelle génération. Elles sont généralement onéreuses, nous sommes limités dans leur utilisation. Nous devons développer la simulation qui permet de répéter les séquences de tir et donc de s'accoutumer. Une gestion raisonnable est également essentielle. Les munitions peuvent être tirées plus facilement lorsqu'elles approchent de leur date de péremption. Une bonne gestion des stocks permet une utilisation à l'entraînement avant qu'elles ne soient démantelées ou qu'elles ne soient hors d'usage.
Les petits équipements sont capitaux dans l'armée de terre. Ils contribuent directement à l'efficacité du soldat engagé en opération. Ils ne doivent pas être considérés comme une variable d'ajustement. Ces programmes ont certes une moindre visibilité, mais leur impact est très fort. Un effort important a donc été réalisé pour accélérer le plan d'équipement. Prenons le gilet pare-balle : le fait que chacun dispose du sien en permanence ou que les soldats ne le perçoivent que pour partir en mission fait une grande différence. Lorsqu'un nouvel équipement est disponible, tous les soldats aimeraient en disposer dès le premier jour. C'est normal. Ils n'ont pas le recul des plus anciens qui ont vu la silhouette et l'équipement du soldat français évoluer fortement ces quinze dernières années. Tout l'équipement dont dispose ou disposera, à terme, un soldat lui permet aujourd'hui de remplir sa mission dans d'excellentes conditions. Vous n'empêcherez pas un soldat de préférer une paire de lunettes balistiques à une autre. Ils aiment acheter leur propre matériel, c'est humain. Cela ne signifie pas que celle qui est distribuée n'est pas de bonne qualité.
Le marché de fusils tireurs d'élite SCAR a été notifié fin 2019. Il sera normalement distribué fin 2020 ou en début d'année prochaine. Il en va de même pour le Glock, nouveau pistolet automatique.
Vous évoquiez le SICS. Un article paru à ce sujet présentait de nombreuses erreurs et imprécisions. Il est nécessaire de différencier SICS - le logiciel - de Contact, le poste radio. Aujourd'hui, le logiciel est déployé mais il travaille avec le poste PR4G, qui date des années 1990. Le poste Contact sera plus performant que celui-ci et mieux adapté à SICS. Aujourd'hui, nous pouvons transmettre des données ou de la phonie, mais pas simultanément, ou en tout cas pas dans toutes les conditions. Nous avons dû faire un choix. Nous aurions pu attendre et ne livrer les Griffon qu'une fois complets, avec tout leur environnement. Nous avons décidé de livrer les véhicules au plus tôt, permettant aux soldats d'appréhender une bonne partie du combat infovalorisé. L'article est inutilement alarmiste et singulièrement inexact.
Je voulais simplement savoir si le retard pris par l'industriel posait problème.
Il n'y a pas de retard concernant Contact. SICS est en cours de développement. Je démens toute instabilité structurelle de ce logiciel. Son fonctionnement sur le poste PR4G permet aux régiments de s'approprier l'outil techniquement et tactiquement, ce qui rendra possible la projection d'un GTIA en 2021 sur un théâtre d'opérations.
M. le sénateur, vous évoquiez la montée en puissance des armées africaines. Elle montre que l'entraînement ne se fait pas en une semaine. Les normes que nous nous appliquons et le temps que nous y consacrons sont indispensables.
Nos normes d'entraînement OTAN sont indispensables. Elles constituent trop souvent une variable d'ajustement. Le risque consisterait à me focaliser uniquement sur la modernisation des équipements, sans me préoccuper en parallèle d'élever notre niveau d'entraînement. Je dois absolument conserver une cohérence. En matière de modernisation, nous fixons une cible. L'entraînement est en revanche constitutif de nombreux éléments. Je dois faire en sorte que nos soldats soient recrutés et disponibles. C'est mon combat. Je dois être rigoureux et intransigeant quant à la nécessité de disposer des ressources financières pour conduire l'entraînement, montants ridicules au regard de ceux des grands programmes. Nous devons consacrer les moyens nécessaires à la conduite de cet entraînement.
Vous l'avez souligné, l'opération Sentinelle a bien évolué. Elle mobilisait 10 000 hommes au départ. Ses modes d'action ont changé. Les volumes se sont adaptés. Nous devons rester vigilants à la bonne adéquation entre le niveau de menace et les moyens qui sont déployés.
Mme Gréaume, vous mentionniez la détérioration de la disponibilité technique opérationnelle (DTO). La disponibilité des véhicules de l'avant blindés s'élève à 71 %, ce qui est en réalité plutôt correct. D'autres chiffres m'inquiètent davantage. Le MCO représente l'un des éléments constitutifs de l'entraînement. Il doit être soutenable dans la durée, en livrant des matériels au juste besoin technologique. Lors de l'achat de matériels, il est indispensable de mettre en place un système de maintien en condition opérationnelle soutenable, en coordination étroite entre la DGA, l'industriel et l'armée de terre. Certains matériels sont aujourd'hui difficilement soutenables en l'état. Nous devons travailler sur le sujet.
M. Guerriau, en termes de déplacements sur le territoire national, le Covid a entraîné de fortes conséquences liées à des réactions de crainte parmi la population et certains élus. Pour éviter toute prise de risques, certaines unités n'ont pas pu s'entraîner dans les camps initialement prévus. Pour autant, les opérations se sont poursuivies avec des soldats préparés. Nous avons adapté la formation et l'entraînement, en limitant les déplacements. Nous avons veillé à réaliser, en les adaptant, certains grands exercices très structurants comme celui consacré aux jeunes lieutenants arrivés en régiment cet été. Pour nos jeunes officiers, il était en effet primordial de maintenir certains entraînements avec des troupes de manoeuvres. Jusqu'à présent, nous avons plutôt bien géré la situation. Nos unités intègrent le virus comme une contrainte opérationnelle et s'y adaptent.
Les centres d'information et de recrutement ont dû être fermés, ce qui n'a pas impacté le recrutement des officiers et sous-officiers. Le recrutement des militaires du rang a été plus compliqué. Il représente normalement environ 12 000 hommes par an, soit 1 000 par mois. Le système de formation est dimensionné dans ce sens. Un déficit durant deux mois ne peut donc pas être simplement compensé par une augmentation massive les mois suivants. Les recruteurs se sont néanmoins lourdement investis. J'estime que nous pourrions terminer l'année avec un déficit d'environ 300 hommes. Les deux assemblées ont d'ailleurs pris des mesures fortes pour prolonger la durée en service ou permettre à des sous-officiers ou militaires du rang de se réengager pour compenser cette carence, ce dont je les remercie.
Concernant les gilets pare-balles, le fournisseur est la société norvégienne NFM, qui fabrique essentiellement en Pologne mais sous-traite une partie de sa production à des entreprises françaises. Je ne sais pas si une partie d'entre eux est encore produite dans votre département. Sachez que l'armée de terre passe des contrats avec de nombreuses PME qui pourraient être éligibles au plan de relance sur l'ensemble du territoire national. Nous continuons de proposer des options et d'explorer ces pistes.
M. Yung, j'ai partiellement répondu à votre question. Les armées africaines, à qui je tire mon chapeau, combattent dans des conditions très dures et subissent des pertes importantes. Nous consacrons directement des efforts importants, sur zone ou avec nos processus de partenariats militaires opérationnels afin de les appuyer depuis le Sénégal ou le Gabon. Elles se battent plutôt bien et courageusement. Nous ne leur demandons pas l'impossible, mais c'est très compliqué.
Mme Lopez, j'ai répondu à votre question.
M. Folliot, je ne vous dirais pas que le niveau d'entraînement dans le domaine des opérations aéroportées est suffisant, vous connaissez bien la situation. Aujourd'hui, le nombre de sauts est insuffisant. Nous ne sommes toutefois pas encore dans la zone rouge. Lorsque nous détenons une expertise, une sorte d'inertie nous permet de maintenir la capacité. Cette situation ne peut néanmoins pas durer trop longtemps. Aujourd'hui, nous payons le trou que nous n'avons pas réussi à combler entre la fin du C160 Transall et l'arrivée de l'A400M pour remplir ces missions. La capacité à entraîner nos troupes aéroportées est insuffisante. Nous devons impérativement inverser cette tendance. Je m'interroge donc sur les nombreuses difficultés rencontrées pour trouver une solution à prix compétitif. Par exemple, nous n'arrivons toujours pas à passer un contrat pour disposer d'un avion permettant de faire sauter nos parachutistes. Ce sujet ne concerne pas que l'armée de terre mais illustre la raison pour laquelle j'estime que notre système est devenu aujourd'hui trop compliqué. J'ai tout de même bon espoir que nous arriverons à débloquer cette situation.
Un nombre de sauts doit être atteint, mais il ne permet pas tout. Nous pouvons parfaitement faire sauter les parachutistes six ou sept fois par an. Si ces sauts sont tous réalisés de jour, non équipés, sur une zone de saut reconnue et sans procédures imprévues, ces entraînements ne permettront pas d'acquérir l'expertise et la maîtrise nécessaires.
Concernant le domaine SOTGH, le saut à ouverture à très grande hauteur, un système de contractualisation est déjà en place. Les volumes sont moins importants. Je suis donc moins inquiet dans ce domaine.
M. le sénateur Cadic, je suis sûr qu'il n'y a pas d'O-NYX en vente sur Amazon. On trouve en effet des intensificateurs de lumière sur le marché. Ils ne permettent toutefois pas de combattre quel que soit le niveau de nuit. Il s'agit de jumelles de vision nocturne permettant de voir grâce à l'éclairage public d'une ville voisine. Pour autant, vous avez raison : nous assistons à une dissémination de ce type de matériel, réduisant tout de même notre supériorité technologique.
Soyons conscients de la vitesse d'évolution dans le domaine des drones. Il ne faut jamais chercher une solution permettant de répondre à tout. Nous devons en revanche rester agiles et compétents et bien observer ce qu'il se passe.
M. le sénateur Saury, vous évoquiez le plan famille sur la reconversion. Il est très important et bien pris en compte. Là aussi, il ne peut répondre à toutes les situations. Pour autant, ce sujet constituait déjà une grande préoccupation des armées. La pression impulsée par la ministre des Armées dans ce domaine a permis de faire avancer de nombreux sujets, en particulier dans le domaine de la reconversion. Depuis l'année dernière, les conjoints et conjointes de militaires peuvent être raccrochés au dispositif de reconversion de Défense Mobilité. Il n'est toutefois pas possible d'inventer des emplois. Les départements et territoires que vous représentez doivent pouvoir proposer des places aux conjoints de militaires, en acceptant le fait que ces derniers seront peut-être mutés deux ou trois ans plus tard.
Enfin, Mme la sénatrice Jourda, nous avions fixé une cible de réservistes opérationnels de 24 000 hommes. Nous l'avons atteinte en fin d'année dernière. Jusqu'à présent, nous gérions la réserve de manière quantitative. Nous devons désormais le faire de façon qualitative. Nos réservistes sont une ressource précieuse. Comme nos militaires d'active, nous devons veiller à les fidéliser. Le projet numéro 2 de la Vision stratégique les concerne. Il comporte deux volets : le fonctionnement de la réserve tel qu'il est aujourd'hui et qui doit être simplifié, et l'apport de la réserve dans le cadre des nouveaux engagements auxquels doit se préparer l'armée de terre. Devons-nous continuer à l'employer comme nous le faisons aujourd'hui ? Doit-elle être davantage impliquée et passer de la sécurisation à la protection du territoire national ? Devons-nous considérer que des réservistes peuvent être engagés dans des opérations de haute intensité ? Vous comprenez bien que cette dernière solution nécessiterait d'autres moyens. C'est pour cette raison que j'ai demandé une étude. J'intégrerai probablement ce projet dans les travaux de la prochaine LPM, en fonction des réponses aux études que j'obtiendrai.
Merci mon général. Ces explications nous permettent de porter une meilleure appréciation sur les documents budgétaires qui nous sont apportés. Nous suivrons bien évidemment tout au long de l'année 2021 les efforts que nous soutenons. Que cette rencontre me permette d'assurer nos forces armées terrestres du soutien actif de cette commission. Nous souhaitions leur en porter témoignage le 26 novembre en allant visiter nos troupes de montagne à Valloire. Cela me semble compromis dans le contexte qui se prépare.
Amiral, soyez le bienvenu. Nous sommes heureux de vous recevoir pour la première fois, depuis votre prise de fonction en septembre.
La marine, comme l'ensemble de nos forces armées, est confrontée à un environnement de plus en plus tendu : d'une part, la menace asymétrique persiste ; d'autre part, le risque de confrontation entre puissances dans le milieu maritime est réel. La marine doit, par conséquent, se préparer à l'hypothèse d'un retour du combat naval traditionnel.
Dans l'immédiat, pour reprendre des éléments d'actualité, les tensions avec la Turquie en Méditerranée orientale nous préoccupent tout particulièrement. Peuvent-elles conduire à un conflit ouvert ? Quelle est votre analyse de la situation en Méditerranée ?
Dans ce contexte, la marine reste confrontée à des enjeux majeurs de recrutement et de fidélisation. L'épidémie de Covid impose des contraintes supplémentaires à une gestion des ressources humaines déjà sous forte tension.
Les défis sont également capacitaires. Au cours des derniers mois, la mise à l'arrêt provisoire du porte-avions Charles-de-Gaulle et l'incendie du SNA La Perle ont montré les limites de formats de flotte très resserrés. Nous veillerons à ce que la modernisation de nos équipements se poursuive, dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM).
La ministre a récemment annoncé que « La Perle » serait réparée.
Le SNA Suffren doit entrer en service l'an prochain. Il vient de lancer avec succès le missile de croisière naval (MDCN), nous offrant ainsi un outil supplémentaire dans l'éventail des réponses possibles aux crises.
Enfin, un média a rapporté que le Président de la République aurait fait le choix de la propulsion nucléaire pour le porte-avions de nouvelle génération. Cette décision sera-t-elle bientôt officielle ? Des clarifications sont nécessaires pour avancer plus vite sur ce projet moteur pour la base industrielle et technologique de défense (BITD), frappée de plein fouet par la crise.
Alors que le salon Euronaval, uniquement digital cette année, vient de s'achever, nous demeurons attentifs à la préservation d'un tissu industriel qui est au coeur de notre autonomie stratégique et des préoccupations du Sénat, représentant des territoires. L'enjeu est de pouvoir préserver nos entreprises, qu'elles soient importantes, petites ou moyennes, ainsi que notre autonomie stratégique.
Merci Monsieur le Président. C'est un honneur de venir m'exprimer devant vous pour la première fois. Je me réjouis de vous parler de la marine. Je vais me présenter succinctement pour ceux qui ne me connaissent pas.
J'ai 53 ans et je suis entré dans la marine en 1987. Ma première partie de carrière est celle d'un pilote de chasse sur porte-avions. J'ai embarqué sur le « Clemenceau », le « Foch » et le « Charles-de-Gaulle ». A ce titre, j'ai participé à l'ensemble des opérations de ces porte-avions dans les années 1990, principalement en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, en Afghanistan puis à celles dans le Golfe en tant que chef des opérations. J'ai ensuite servi à l'état-major des armées, d'une part dans la conduite des programmes « Rafale » et « hélicoptères » et d'autre part en tant que chef des opérations en Afrique où j'ai notamment pris la tête de la cellule de crise de l'opération Serval en 2013. J'ai commandé deux fois à la mer : le « Surcouf », lorsqu'il a conduit la mission de libération des otages du Ponant et le « Charles-de-Gaulle » à l'occasion de sa première participation à l'opération Chammal, après l'attentat de Charlie Hebdo. Enfin, j'ai occupé le poste de chef du cabinet militaire de la ministre des armées Madame Florence Parly au cours des deux dernières années.
Je souhaite tout d'abord rendre hommage à mes deux prédécesseurs, l'amiral Rogel et l'amiral Prazuck. Ils ont permis à la marine de rester complète et cohérente malgré de fortes réductions de format, préjudiciables pour une armée technique dont les métiers sont complexes, la formation demande du temps et les matériels exigent un entretien particulier.
La marine française n'a pas perdu son âme et a su préserver deux fondamentaux essentiels : sa dissuasion nucléaire et son groupe aéronaval. Elle a su rester une armée de combat et développer des savoir-faire de pointe, particulièrement en lutte sous la mer, dans les forces spéciales et la guerre des mines. Je vais vous commenter ce court film qui présente une synthèse des activités et des opérations majeures conduites par la marine depuis la dernière audition budgétaire.
La première opération que vous voyez, peu connue, a été réalisée par l'Astrolabe, un navire affrété conjointement par les TAAF et l'institut Paul-Emile Victor et mis en oeuvre par la marine. Chaque année, il réalise des rotations logistiques au profit des bases Dumont d'Urville et Concordia.
Ensuite, une mission Grand Nord menée par la frégate « Bretagne », accompagnée d'un Atlantique 2 et d'un NH90 dans l'objectif d'accroître l'interopérabilité avec les marines nordiques et d'y mener des missions opérationnelles de lutte sous la mer.
Je vous présente aussi une mission dans le Golfe d'Oman conduite par la frégate légère furtive « Courbet » du 7 novembre 2019 au 12 mars 2020, au cours de laquelle elle a eu l'opportunité de réaliser une importante saisie de drogue : huit tonnes de cannabis. Cette zone reste très active en matière de trafics.
En Méditerranée orientale, le groupe aéronaval (GAN) a été déployé du 21 janvier au 12 avril 2020, permettant de réaliser 1 500 sorties aériennes, notamment au profit de l'opération Chammal, puis un transit en Méditerranée et des opérations en Atlantique. Ce déploiement a permis une forte coopération avec les marines des États-Unis, des Pays-Bas, de l'Allemagne, de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce.
La mission Agénor a été initiée le 1er février 2020 afin de surveiller la situation dans le Golfe arabo-persique, de façon indépendante. Cette mission est un succès. Elle compte déjà 300 jours de mer, marqués par la participation des Pays-Bas et du Danemark qui en assume actuellement le commandement. Sa prolongation sera débattue en début d'année prochaine.
Durant la crise du Covid en France, l'opération Résilience a notamment permis le désengorgement de l'hôpital d'Ajaccio grâce au PHA « Tonnerre ». Le « Dixmude » a participé à une mission de logistique aux Antilles. Enfin, le « Mistral » a assuré des rotations entre La Réunion et Mayotte afin d'acheminer 1 200 tonnes de matériel médical.
En Méditerranée, la frégate Jean-Bart a pris part à la mission Irini du 3 au 27 mai, sur fond de trafic d'armes lié au conflit libyen.
Un des principaux sujets capacitaires cette année, ce sont les essais à la mer du «Suffren », dont la première tôle avait été découpée en 2007. Sa première plongée a eu lieu le 5 juin 2020, au terme d'une campagne d'essais qui a mis en lumière une nouvelle capacité majeure pour nos armées: le MDCN (Missile De Croisière Naval). D'autres essais sont à venir, concernant les capacités de largage de forces spéciales en immersion. Toujours dans le cadre de l'accueil de ce nouveau sous-marin, les infrastructures à Toulon ont été modifiées et testées à l'occasion d'un premier entretien de sous-marin de classe « Rubis ». Cette nouvelle installation satisfait à tous les standards post-Fukushima d'installations nucléaires, à savoir la résistance aux séismes et aux vagues submersives, la sûreté électrique et la protection défense.
L'opération Sea Guardian en Méditerranée a été lancée en 2016 par l'OTAN. La France y a participé dernièrement et la Frégate « Courbet » a intercepté le cargo « Cirkin » dans les conditions de tension en mer que vous savez.
Sur le plan des capacités nouvelles, l'Atlantique 2 est rénové au standard 6 et a réalisé avec succès un tir de missile Exocet. La marine disposera à terme de 18 appareils rénovés dont le dernier sera livré en 2024. Cette rénovation permettra notamment de lutter plus efficacement contre les tentatives de pénétration de sous-marins étrangers dans nos approches maritimes.
Le 12 juin, nous avons réalisé et réussi le tir d'acceptation du missile M51 par le « Téméraire ». Toute la phase de préparation du tir, que soit avec des industriels comme ArianeGroup ou la Direction générale de l'armement (DGA) a d'ailleurs été réalisée en pleine crise sanitaire.
A la suite de l'explosion dans le port de Beyrouth le 4 août, le PHA « Tonnerre » a appareillé avec un très faible préavis et est arrivé le 14 août dans la capitale libanaise. Il a fourni aux autorités libanaises un appui logistique extrêmement important en vue de sécuriser les fonds du port et restaurer le réseau de communication, permettant ainsi de reprendre un fonctionnement plus rapide du port de Beyrouth qui assure notamment les approvisionnements alimentaires du Liban.
En Guyane, le PAG « La Confiance » a conduit du 31 août au 11 septembre une importante mission de police des pêches dans un contexte de tensions élevées avec les pêcheurs illicites.
Enfin, d'un point de vue environnemental, le colmatage des fissures de coque du pétrolier Tanio, qui avait coulé le 7 mars 1980 au large du Finistère, a été assuré par la marine grâce à son expertise dans la mise en oeuvre d'un drone sous-marin.
Ce bref tour d'horizon des récentes activités et opérations de la Marine illustre la présence de celle-ci sur l'ensemble de la planète dans un spectre d'actions particulièrement vaste allant de la dissuasion à l'action de l'État en mer. Actuellement, 2 575 marins sont en mer, 25 bâtiments de surface naviguent et 25 avions ou hélicoptères sont en situation d'alerte opérationnelle ou déployés. Une marine de combat est un organisme vivant qui s'entretient en permanence. Les armes nouvelles engendrent des défenses nouvelles. Ce mouvement est perpétuel et s'inscrit dans le temps long. Pour la marine, le temps capacitaire est deux à trois fois supérieur au temps politique : quinze années sont nécessaires à la construction d'un « Barracuda », soit trois quinquennats. Je vais donc évoquer, d'une part, l'espace de manoeuvre de la marine et, d'autre part, ses évolutions qui nous obligent.
La mer est un espace économique qui suscite les convoitises. Elle subit le changement climatique et détient un rôle de premier plan dans le nouveau cycle géopolitique que nous traversons, alors qu'elle n'était plus considérée par certains que comme une zone de transit pour le commerce mondial lors de la pause stratégique post-Guerre froide. La mer constitue aussi une réserve de ressources naturelles, aussi bien halieutiques qu'énergétiques, pour laquelle la compétition s'accroit. La rivalité pour l'exploitation du gaz en Méditerranée ou la présence de flottilles de pêches autour de nos zones économiques illustrent cette compétition.
La multiplication des usages et la territorialisation créent des conflits entre les usagers, à l'instar des tensions entre pêcheurs et des promoteurs de parc éolien au large de nos côtes. La mer reste un lieu de trafics, notamment de drogues, d'armes et d'êtres humains. Les traversées de migrants sont nombreuses, particulièrement en Méditerranée, à Mayotte, en mer du Nord. En mer, on est peut être aussi victime de piraterie et de brigandage, comme on l'observe régulièrement dans le Golfe de Guinée.
La montée des eaux due au changement climatique entraînera dans dix ans la disparition de certaines îles du Pacifique et le remodelage de plusieurs côtes, susceptibles de provoquer des déplacements importants de populations. L'ouverture du passage du Nord-Est dans le Grand Nord pourrait réduire d'un quart le temps de trajet entre la Chine et Rotterdam et susciter ainsi des convoitises qui affecteront l'environnement arctique. Le réchauffement provoque également des phénomènes météorologiques extrêmes qui se sont manifestés dans le Var récemment ou aux Antilles lors du passage de l'ouragan Irma en 2017. Je souligne, à cette occasion, la qualité des précieux rapports de votre commission pour illustrer ces bouleversements maritimes.
Le retour de l'usage stratégique de la mer constitue, en revanche, un changement radical. Il marque la face visible du nouveau cycle géopolitique actuel. La mer est redevenue une zone de friction, de démonstration de puissance, souvent désinhibée. Demain, elle pourrait être une zone d'affrontements. Le rapport récent des sénateurs Cigolotti et Roger sur le porte-avions de nouvelle génération l'explique très bien. Nos adversaires ne s'interrogent pas, eux, sur l'utilité de la dissuasion ou du porte-avions. La Chine admettra cette année au service actif son deuxième porte-avions et devrait annoncer sous peu le lancement du troisième.
Comment se manifeste ce tournant stratégique ? La Chine est à l'origine du grand virage après avoir considéré pendant quatre siècles que le commerce et l'ouverture sur le monde représentaient un danger. En 2015, le Livre blanc pour la défense de la Chine annonce le grand retour du maritime. Ce dernier est d'abord économique au moyen des routes de la soie qui vont jusqu'en Europe, leurs points d'atterrissage étant au Pirée en Grèce ou à Venise en Italie. Le grand retour est aussi militaire, la Chine s'armant en mer à cadence de combat. Tous les quatre ans, la Chine met à l'eau l'équivalent de la marine française. Elle possède une dissuasion océanique et développe une version « navalisée » de son chasseur de nouvelle génération ainsi que des armes dans l'ensemble des secteurs du combat naval.
Quant à la Russie, elle opère également un grand retour avec une nouvelle génération de sous-marins nucléaires d'attaque très performants, le développement du missile hypersonique Zirkon et la diffusion des missiles de croisière de la famille Kalibr. Elle procède à des démonstrations de force très régulières, notamment en Méditerranée orientale et à des investissements lourds sur la base militaire de Tartous en Syrie et dans des bases arctiques à partir desquelles des navires russes peuvent se déployer.
Plus proche de nous, la marine turque compte douze sous-marins diesel de construction allemande de très bon niveau, discrets, dont le rayon d'action est relativement faible mais suffisant pour protéger efficacement les intérêts turcs dans la région. C'est aussi une marine de surface efficace, avec une trentaine de bâtiments dont douze frégates de premier rang - le format de la France est de quinze frégates - et une trentaine de patrouilleurs lance-missiles.
Les États-Unis ne sont pas en reste avec l'ambition de disposer de 500plateformes en 2040.
Pourquoi remilitariser la mer ? Cette dernière semble reprendre son rôle de démultiplicateur de puissance, d'où l'importance de la notion de cycle géopolitique. La mer permet d'être au contact et de faire pression partout dans le monde en l'absence de frontières physiques. Rencontrer un sous-marin d'un de nos compétiteurs au large de Brest s'est déjà produit et se reproduira. La mer est un espace difficile à maîtriser qui donne l'avantage à l'offensive, aux perturbateurs, à l'image de la guerre sous-marine à outrance en 1917 et en 1942. Elle représente un espace commun où les règles sont faciles à contourner et à remplacer par la loi du plus fort.
Pour la marine française, ces évolutions changent la donne avec la multiplication des zones d'engagement par rapport aux prévisions du Livre blanc de 2012. Nous devons aujourd'hui être à la fois en Atlantique, en Méditerranée orientale, dans le Golfe arabo-persique, dans l'océan Indien et en Asie, loin des deux théâtres pour lesquels était prévu le format de quinze frégates.
Ces évolutions changent également la donne du point de vue du niveau des compétiteurs qui viennent nous défier, par le nombre et/ou la technologie. Aujourd'hui, des marines moyennes disposent de systèmes d'armes modernes.
L'enjeu pour la marine française est de continuer à être crédible sur l'ensemble du spectre de ses opérations dans un contexte où le rendement diplomatique baisse et la pression sécuritaire augmente. Le prix du ticket d'entrée dans le club des nations militairement crédibles en mer est en forte augmentation.
Pour finir, je dirai que dispose de deux cordes à mon arc : la loi de programmation militaire (LPM) qui est l'outil central du renouvellement des capacités de la marine et le plan Mercator qui est le fruit des travaux de mon prédécesseur. Je veux accélérer et densifier ce plan pertinent reposant sur trois volets : une marine de pointe (1) tirant profit de l'innovation, notamment numérique, une marine de combat (2) qui doit s'entraîner, et enfin une marine de talents (3) disposant de marins prêts professionnellement, physiquement et moralement à opérer dans un contexte difficile.
L'horizon de la marine est de retrouver de l'épaisseur, de la robustesse et de la résilience. Le projet de loi de finances pour 2021, dans la continuité de la LPM, nous permet de nous préparer à ces défis. Nous mesurons l'effort budgétaire accompli depuis trois ans, un effort sans précédent depuis vingt ans. Ne nous arrêtons surtout pas au milieu du gué.
Merci, amiral. Je laisse la parole à nos rapporteurs, et d'abord à Cédric Perrin au titre du programme 146 « Équipement des forces ».
Comme annoncé par la ministre des Armées, le SNA « La Perle » sera transféré à Cherbourg pour être réparé dans le cadre d'un chantier qui mobilisera plus de 300 personnes sur six mois. Comment éviter que ce chantier considérable ne retarde le programme « Barracuda » ? Que pouvez-vous nous dire sur les décisions prises de rénover ce sous-marin alors que plusieurs hypothèses étaient en concurrence ? Quels sont les risques encourus par ces décisions ? « La Perle » ne devrait revenir en service qu'en 2023 au lieu de 2021. Or la situation est tendue, le « Rubis » a déjà été prolongé et les SNA actuels sont vieillissants. Comment compenser ce retard de deux ans ?
Pouvez-vous faire un point sur les ruptures temporaires de capacité (RTC) de la marine ? Quel est selon vous l'impact capacitaire sur la marine de la stratégie indopacifique du Président de la République ?
Enfin, les SNA de classe « Suffren » devant être équipés de la nouvelle torpille F21 dans le cadre du programme Artémis, pouvez-vous nous faire un point sur ce programme et sur son calendrier ?
Alors que les tensions sont assez vives entre la France et la Turquie et que les États-Unis ont suspendu la livraison des F-35 à cette dernière, sans compter l'embargo du Canada sur les armes, devrions-nous nous inquiéter de la vente prévue de six sous-marins allemands à la Turquie ?
La marine britannique venant de mettre en place son groupe aéronaval autour du porte-avions « Queen Elizabeth » et au moyen notamment d'un destroyer américain, d'une frégate néerlandaise, d'un groupe aérien binational anglo-américain, une coopération des GAN français et britannique est-elle envisagée dans un contexte post-Brexit ? Comme le rappelle régulièrement le président Cambon, préserver la forte coopération franco-britannique est essentiel. La prochaine mission du Charles-de-Gaulle, qui pourrait aller jusqu'en Australie, me paraît être une occasion symbolique de renforcer cette coopération.
D'un point de vue technique, ne risquons-nous pas d'être dépassés par la menace hypersonique ? La Russie développe notamment plusieurs missiles de ce type. La Chine construit en outre de nouveaux porte-avions et cherche à mettre en oeuvre un programme de missiles tueurs de porte-avions, le DF-21D. Où en sommes-nous dans l'évolution des capacités de défense de notre flotte ?
Amiral, nous savons que vous souffrez du maintien en condition opérationnelle (MCO) : nous connaissons les performances assez moyennes concernant le parc d'hélicoptères « Caiman », la vétusté des « Alouettes » ou les difficultés pour le soutien industriel du « Panthère ». La mise en oeuvre de la direction de la maintenance aéronautique vous permet-elle de faire entendre vos besoins pour améliorer la disponibilité de ces matériels ?
Concernant le MCO naval, la remise en service du SNA « La Perle » devrait s'élever à 120 millions d'euros, dont potentiellement 50 millions à la charge de Naval Group et le reste à la charge du ministère des Armées. Pouvez-vous nous confirmer cette possibilité de financement ? Celle-ci est difficile à comprendre pour la commission dans la mesure où le bâtiment était placé durant l'incident sous l'entière responsabilité de l'industriel, aucun marin de l'équipage ne se trouvait par ailleurs à son bord.
Toujours sur le MCO naval, vous avez évoqué la mise à l'eau du « Suffren ». Le MCO naval va connaître une certaine révolution avec ce bâtiment, dont nous saluons la réussite récente de l'essai de son tir de missile de croisière. Le MCO afférant au système « Barracuda » est-il en place et totalement « verticalisé » ?
Je souhaite vous interroger sur les bâtiments à double équipage. La montée en puissance de ce dispositif en 2021 vous satisfait-elle ? Si cette réforme améliore la prévisibilité des programmes d'activité des marins et permet d'augmenter le nombre de jours en mer de ces bateaux, qui semble avoir atteint des sommets en 2020, est-ce suffisant pour remonter aux standards d'entraînement internationaux ?
Cependant, le faible stock de munitions complexes n'empêche-t-il pas nos marins d'avoir une préparation opérationnelle complète ? Selon la LPM, les programmes destinés à renouveler les capacités existantes dans le domaine des missiles de croisière et des missiles antinavires seront lancés en 2024. Une accélération est-elle envisagée dans ce domaine ?
Enfin, l'augmentation des besoins de matériel de maintien en condition opérationnelle ainsi que le besoin de munitions sont-ils financés totalement dans le projet de loi de finances de 2021 et au long de la LPM ?
Comme vous l'avez exposé, le besoin de recrutement d'officiers mariniers et de militaires du rang est important compte tenu de l'activité croissante de la marine, où les difficultés d'attractivité sont structurelles, notamment en raison de l'isolement des proches. La crise sanitaire actuelle ne va-t-elle pas compliquer l'équation en matière de recrutement dans la marine ?
Le futur programme de lutte antimines (SLAMF) est ambitieux et novateur en raison de l'utilisation de drones sous-marins et de surface. Pouvez-vous nous confirmer le maintien de ce programme, essentiel à la sécurité du commerce maritime et qui illustre l'importance de la coopération franco-britannique, en cas de « No deal » ou « hard Brexit » ? Où en sommes-nous dans l'application des accords de Lancaster House ? Au vu du contexte économique actuel et des enjeux stratégiques, qu'en est-il des engagements industriels pour nos industries françaises ? Quels sont les espoirs qu'elles peuvent avoir d'être au premier rang de ces évolutions techniques ?
Nous disposons du deuxième domaine maritime au monde. Il est entendu que c'est un atout, mais ce domaine nécessite une présence permanente, non seulement auprès de nos départements et collectivités d'outre-mer, mais aussi auprès de nos territoires, à savoir les terres antarctiques et australes françaises. Il paraît difficile d'affirmer qu'on puisse assurer la souveraineté sur ces terres et leur domaine maritime en s'y rendant une fois tous les trois ans. Allez-vous y venir plus régulièrement et répondre aux problématiques de droits de pêche qui sont à l'oeuvre autour de ces territoires ?
Je souhaiterais insister quelque peu sur la question de notre collègue, M. Cigolotti, concernant le SNA « Perle » et la charge financière qui va incomber au ministère des Armées, environ 70 millions d'euros. Pensez-vous que ce lourd investissement est de nature à mettre d'autres projets en attente ?
La volonté de votre prédécesseur était de disposer de 15 nouvelles frégates de premier rang d'ici 2030, mais il serait pour ce faire indispensable de recruter des marins. Or ce métier souffre d'un manque patent d'attractivité. Que faut-il faire selon vous pour remédier à ce manque d'attractivité ?
Ma question rejoint celle de Philippe Folliot. Outre les sous-marins et les porte-avions, nos patrouilleurs sont indispensables à la défense de nos territoires. Pouvez-vous nous faire un point sur l'état d'avancement du programme budgétaire de nos patrouilleurs ?
Suite aux précédents problèmes, le système de rémunération comptable de nos marins est-il opérant ?
La prévision du niveau de réalisation des contrats de la marine serait inférieure en 2021 par rapport à 2020, ce que nous pouvons comprendre. En revanche, la cible quant au niveau de réalisation des contrats en 2023 concernant l'armée de Terre et l'armée de l'Air est de 100 % contre 80 % pour la marine. Pourriez-vous nous expliquer ces décalages et leurs conséquences budgétaires ?
Une accélération du programme des frégates de défense et d'intervention (FDI) est-elle prévue ? Disposez-vous d'informations sur l'appel d'offres à candidatures datant du 20 mai en vue du remplacement des « Abeilles » Flandre, Languedoc, Toulon et Boulogne ?
Merci. Amiral, vous avez la parole pour répondre à l'ensemble des questions posées.
De nombreuses questions ayant trait à « La Perle », je vais traiter ce sujet en premier lieu. Cette dernière a pris feu lors d'une opération de maintenance alors qu'elle était entre les mains de l'industriel, sans marin à son bord. L'expertise a montré que la coque avait subi des dommages qui n'étaient pas réparables sur la partie avant. Un sous-marin étant constitué de tronçons soudés entre eux, Naval Group a proposé de changer uniquement la partie avant en récupérant celle du « Saphir », un sous-marin de la même classe ayant récemment été retiré du service actif. Après trois mois d'études réalisées par l'industriel et l'Etat, la réparation de « La Perle » est apparue envisageable.
Lors d'une réunion présidée par la ministre des Armées, trois options ont été étudiées : réparer La « Perle », prolonger chacun des quatre sous-marins restants, ou réaliser un entretien majeur du sous-marin « Emeraude ». Dans la décision de la ministre, le besoin opérationnel a été parfaitement pris en compte afin de maintenir cinq SNA en ligne, tout au long de la décennie, nombre minimal nécessaire pour tenir le contrat opérationnel tant qu'il n'y a pas d'entretien majeur à conduire. Ce contrat permet d'assurer un soutien permanent à la force océanique stratégique en Atlantique, d'être en permanence en mesure de répondre aux sollicitations en Méditerranée et d'employer un sous-marin pour d'autres opérations. La seule solution qui permettait d'assurer cette posture, sans baisser la garde, était la réparation de la « Perle ».
Le risque que fait porter cette opération sur le programme « Barracuda » est d'ordre calendaire. L'industriel nous garantit sa capacité à réaliser la soudure entre la partie avant du « Saphir » et l'arrière de « La Perle », avant que le « Duguay-Trouin » qui est actuellement en phase de construction, n'ait besoin du dispositif de mise à l'eau de Cherbourg à l'été 2021. La « Perle » sera convoyée vers Cherbourg normalement en décembre et l'industriel disposera alors de six mois pour assurer cette soudure. Le deuxième enjeu calendaire se posera au retour de la coque à Toulon pour la fin des travaux de réparation. Ces derniers devant se faire dans un bassin dont la refonte est prévue dans le cadre de la rénovation des infrastructures nucléaires de Toulon.
En termes de coûts, l'industriel était assuré à hauteur de 50 millions d'euros. La facture pour l'Etat s'élève à 60 millions d'euros et inclut la réparation de la « Perle » et la prolongation du « Rubis ». Rapporté au budget global de la Défense, ce coût ne représente donc pas un choc financier majeur.
J'aborderai à présent la question des ruptures temporaires de capacités (RTC). Si les budgets et l'ambition sont bien présents, les RTC sont malheureusement encore devant nous. Le temps de la marine est un temps long comme je l'ai indiqué dans mon propos liminaire. Il faut environ dix ans pour réaliser un programme. Compte tenu des choix qui ont été faits entre 2012 et 2015, la décennie 2020-2030 devrait donc être difficile pour la marine, en particulier pour l'outre-mer, qui devra se contenter d'un seul patrouilleur en Polynésie comme en Nouvelle-Calédonie jusqu'en 2025. La ministre a donc lancé la réalisation du programme des patrouilleurs d'outre-mer pour assurer le remplacement des bâtiments vieillissants. Six patrouilleurs seront livrés entre 2022 et 2025. Ces bateaux répondront bien aux besoins et nous permettront d'être davantage présents dans nos vastes ZEE outre-mer.
La deuxième RTC majeure concerne les patrouilleurs océaniques, en métropole, qui durera toute la décennie 2020-2029. Le coût de construction de ce programme qui doit assurer le remplacement de nos valeureux avisos conçus à la fin des années 60 n'est pas encore déterminé. Il est prévu 10 unités livrées à partir de 2025, à raison de deux unités par an.
La RTC des pétroliers ravitailleurs a débuté dès 2015 et se poursuivra jusqu'en 2029. Nous disposerons alors de quatre nouveaux bâtiments ravitailleurs des forces livrés en 2022, 2025, 2027 et 2029. Un beau programme mené en coopération avec les Italiens.
Une autre RTC sur l'avion de surveillance maritime interviendra entre 2025 et 2029, comblée par la mise en service progressive des Falcon 2000 du programme Albatros.. Des RTC sont également subies sur les hélicoptères de la Marine. Le report lors de LPM précédentes du programme d`hélicoptères de nouvelle génération aujourd'hui baptisé Hélicoptère Interarmées Léger (HIL), a contraint la marine à combler cette RTC par des locations. Nous disposerons ainsi de 12 Dauphins N3 d'occasion et 4 H160 dans les prochaines années. Les premiers Dauphins N3 sont en cours de livraison et les H160 arriveront début 2022 pour assurer les missions de sauvegarde et de protection des approches maritimes.
A propos de la stratégie Indopacifique, le Président de la République s'est longuement exprimé à ce sujet. Celle-ci est illustrée de manière visible par des partenariats stratégiques, d'une part avec l'Inde, notamment dans le domaine du renseignement et via le contrat « Rafale » et d'autre part, avec l'Australie à qui Naval Group livrera douze sous-marins qui seront peu ou prou des « Barracuda » mais sans la propulsion nucléaire. L'Australie est très demandeuse de la présence française, autant en matière de savoir-faire que pour des raisons politiques, afin de disposer d'un allié de poids face à la pression chinoise au nord de l'Australie. Comme je l'avais souligné, le format de la Marine tel que planifié dans la LPM ne prévoyait pas, initialement, cette stratégie indopacifique et nous impose un dosage assez fin entre les missions que nous assurons en Atlantique Nord, dans le golfe de Guinée, en Méditerranée et dans le détroit d'Ormuz et celles que nous devons conduire dans le cadre de nos partenariats stratégiques avec l'Inde et l'Australie.
En Méditerranée orientale, la marine turque dispose de douze sous-marins assez performants, mais qui ne sont pas conçus pour la guerre océanique. Dans le contexte politique actuel de la Turquie, nous pouvons légitimement nous interroger sur l'impact d'une augmentation d'un tiers de sa force sous-marine. Cette question mérite à mon sens d'être portée au niveau politique, le comportement actuel de la Turquie faisant peser des doutes sur sa volonté de coopérer avec l'Europe, notamment au sein de l'OTAN.
Concernant notre coopération avec la marine britannique, la question d'une coordination dans le Pacifique ne se pose pas cette année, car nos périodes de déploiement ne coïncident pas. La question sur l'interopérabilité de nos deux groupes aéronavals mérite d'être soulevée, les Britanniques ayant opté pour le F-35 B. Cette question de l'interopérabilité représente aussi un véritable enjeu pour l'OTAN.
Dans le cadre du programme de lutte antimines (SLAM-F), la coopération technique fonctionne bien avec les Britanniques et ne devrait pas être mise à mal par le Brexit. En revanche, la question de la coopération dans le domaine des missiles devra être prochainement envisagée. S'il est acquis que les Britanniques moderniseront leurs frégates, nous espérons poursuivre avec eux le développement de missiles, notamment un missile antinavires supersonique conçu par MBDA, ainsi qu'un futur missile de croisière aéroporté susceptible de remplacer le SCALP.
Au sujet de la torpille F21 du programme « Artémis » qui sera l'armement principal de nos sous-marins, son développement dans le contexte général d'accroissement des performances des sous-marins est important. La discrétion acoustique de la torpille devient en effet un véritable avantage comparatif. Nous suivons donc ce programme avec une grande attention.
Le MCO aéronautique reste une préoccupation majeure de la Marine, surtout pour ses hélicoptères. En cause, l'étalement du programme NH90 qui a conduit à livrer ces hélicoptères sous différents standards occasionnant des délais de mise à hauteur prévus qui ne peuvent être tenus par l'industriel. En outre, des programmes d'entretien trop denses nous imposent d'immobiliser en permanence six hélicoptères. Nous déplorons enfin des fragilités sur la chaîne logistique.
En ce qui concerne le MCO naval, les chiffres sont satisfaisants compte tenu du nombre de jours accomplis en mer. Nous déplorons relativement peu d'indisponibilité ou d'avaries fortes et durables de nos bateaux, la seule catégorie de navires nous inquiétant étant celle des patrouilleurs de haute mer en raison de leur âge canonique.
Quant au MCO des « Barracuda », il s'appuie sur un contrat pluriannuel. La phase clé pour le programme « Barracuda » aura lieu lors de la première période d'indisponibilité pour entretien du « SUFFREN », de janvier à mars à Toulon, qui permettra de mettre à l'épreuve ce nouveau contrat de MCO.
A propos des équipages, l'amiral Prazuck avait obtenu de la ministre la mise en place de l'expérimentation des bâtiments à double équipage. La contrainte d'activité particulièrement élevée à la mer peut provoquer sur certains bateaux un problème d'attractivité. Sur des frégates à équipage réduit, il est ainsi apparu nécessaire d'opter pour un double équipage. C'est aujourd'hui un succès, caractérisé par une forte augmentation du taux d'attractivité des frégates multimissions (FREMM).
La question de la poursuite de cette expérimentation ne se pose pas immédiatement, même si les FREMM seront employées avec des taux d'activité très importants en Atlantique et en Méditerranée. Avec l'arrivée des Frégates de Défense et d'Intervention se posera à nouveau la question de de l'extension de cette expérimentation. Le taux d'emploi des conjoints des officiers mariniers dépassant aujourd'hui les 80 %, la marine doit s'adapter à cette nouvelle génération de marins qui souhaitent de la visibilité, de la prévisibilité dans leurs déploiements de longue durée pour mieux concilier leurs vies privée et professionnelle.
En matière de recrutement, la crise du Covid n'a, contre toute attente, que peu affecté nos besoins en la matière pour l'année 2020. L'usage de plus en plus important d'outils digitaux dans ce domaine y a sans doute contribué. Pour la fidélisation, parmi les différents dispositifs mis en place, on peut citer, par exemple, la Prime de Lien au Service (PLS). Cette prime a été attribuée à 3695 marins en 2020 contre 2 700 en 2019. Nous prévoyons d'attribuer un peu plus de 3000 PLS en 2021. En outre, le logiciel de paiement de la solde utilisé dans la marine donne aujourd'hui pleinement satisfaction. La mise en oeuvre de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) dans le cadre de la LPM nous permettra par ailleurs de renforcer la politique RH en matière de fidélisation et de maintien des compétences. Le chantier indemnitaire de la NPRM est dans ce domaine un attendu fort des marins.
S'agissant des munitions complexes, je ne peux que me réjouir de l'effort fourni dans la LPM actuelle pour commencer à combler le déficit. Les contraintes financières imposées par la LPM précédente nous obligeaient à des choix cornéliens entre le renouvellement des stocks de munitions ou la construction de nouvelles plateformes. Cette année, nous recevrons les premières torpilles F21 du programme Artémis, des missiles de croisière navale, et des Aster 30. Par ailleurs, 45 kits missiles Mer-Mer 40 block3 seront commandés dans le cadre du PLF 2021. Est également à noter une commande conséquente de missiles MICA NG pour le Rafale, commun avec l'armée de l'air et de l'espace. Sans munition, pas d'entraînement digne de ce nom et sans entraînement digne de ce nom, comment garantir au chef des armées que ses ordres seront in fine exécutés de manière nominale ? J'ajouterai que, compte tenu des délais de fabrication de ces munitions, cet effort doit être durable. Il devra être poursuivi dans les PLF suivants.
Au sujet des FDI, nous attendons ces nouvelles frégates avec impatience. Nous cherchons néanmoins à les équiper de lanceurs MDCN afin de leur procurer des capacités équivalentes à celles des FREMM en matière d'action vers la terre. La première livraison est attendue en 2024.
L'appel d'offres pour le remplacement de deux remorqueurs d'intervention, d'assistance et de sauvetage (RIAS) est en cours. Il devrait se traduire par une notification d'un contrat d'affrètement au premier trimestre 2021.
Pour rester dans le capacitaire, la menace hypersonique est un sujet de réflexion majeur pour nous. Disposer de missiles de ce type est essentiel dans le combat naval d'aujourd'hui et de demain. Les Chinois, et dans une moindre mesure les Russes, ont développé un certain nombre d'armes hypersoniques. La Chine tente de montrer que ce type d'armes pourrait être efficace contre les porte-avions, mais, malgré d'importants efforts en matière de communication stratégique de leur part, il n'y a pour le moment aucune démonstration probante. Le ciblage d'un bâtiment se déplaçant en permanence à haute vitesse est un défi particulièrement complexe à résoudre. Les Chinois continuent d'ailleurs, en parallèle, d'investir dans la conception de nouveaux porte-avions ! Nous travaillons également nationalement sur le sujet des missiles hyper-véloces, la DGA ayant programmé un tir d'essai hypersonique. Du point de vue de la défense anti missiles, nous privilégions l'axe de la modernisation des frégates de défense aérienne qui sera effective en 2027 et 2028.
Pour conclure, nous assistons à une accélération particulièrement forte de la pression militaire en mer. Dans le cadre de la LPM, tout l'enjeu est de conserver le rythme fixé de renouvellement des capacités, de tirer parti de l'innovation et de disposer de marins aptes à se battre. Cela nous demandera de la créativité, de la pugnacité et de la résilience.
Merci, amiral. Vous pourrez compter sur le Sénat pour l'actualisation en 2021 de la LPM, en espérant que les engagements pris par le Président de la République soient maintenus dans le contexte budgétaire actuel.
Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale le 2 juin dernier et autorisant l'approbation de l'accord entre la France et l'Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction de trafic illicite de stupéfiants; de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes.
La négociation de cet accord fait suite à une demande de l'Inde exprimée, en février 2013, dans le cadre du groupe de travail franco-indien sur le contre-terrorisme. Le Gouvernement indien établit un lien entre la lutte contre les stupéfiants et la lutte contre le financement du terrorisme international, notamment le financement des groupes terroristes présents en zone Afghano-Pakistanaise. Ce protocole n'a été signé que cinq ans plus tard, en 2018. Les représentants du quai d'Orsay, de la chancellerie et du ministère de l'Intérieur, que j'ai auditionné, m'ont confirmé que sa ratification était attendue.
Cet accord s'inscrit dans une relation bilatérale avec l'Inde ancienne, basée sur la confiance et le partage de valeurs communes, relation enrichie ces dernières années par la multiplication des rencontres de haut niveau. Le Président de la République a effectué une visite d'Etat en Inde en mars 2018 et le Premier ministre Narendra Modi a participé aux travaux du G7 à Biarritz en août 2019.
L'Inde, plus grande démocratie du monde peuplée d'1,35 milliard d'habitants et cinquième puissance économique mondiale en 2018, est un partenaire stratégique majeur de la France. Le partenariat stratégique conclu en 1998 a mis en place une coopération étroite dans les secteurs de la diplomatie - la France soutient notamment la candidature de l'Inde au Conseil de sécurité de l'ONU depuis 2005 -, et de la défense, avec notamment la conclusion en 2016 d'un contrat d'acquisition de 36 Rafales dont le premier a été livré en octobre 2019. Notre partenariat couvre les enjeux de sécurité, du nucléaire civil et de l'énergie. Un dialogue stratégique réunit également les deux parties deux fois par an. L'Inde occupe aussi une place importante dans la stratégie de défense française en indopacifique comme l'a souligné le rapport d'information de notre commission L'Inde, un partenaire stratégique, adopté le 1er juillet dernier, auquel je vous renvoie.
L'Inde prend une part active dans la lutte internationale contre les drogues en participant notamment aux travaux de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, ainsi qu'à l'Initiative du Pacte de Paris créée en 2003 pour lutter contre le trafic d'opiacés en provenance d'Afghanistan. Toutefois, compte tenu de son poids démographique et de son positionnement géographique, l'Inde se présente comme un acteur régional majeur de la lutte contre les flux illicites de produits stupéfiants. Comme en France, on y observe une augmentation de la consommation de drogues. En 2017, 2,1 % de la population indienne, soit 23 millions de personnes, avaient consommé des opiacés : de l'héroïne et des opioïdes détournés de leur usage médical tandis que 0,75 % de la population française avait consommé de l'héroïne. À cette date, la consommation de cannabis concernait 3 % de la population indienne contre une estimation de 7,5 % de la population française. De par sa situation à proximité du triangle d'or (Laos, Birmanie, Thaïlande) et surtout du croissant d'or (Iran, Afghanistan, Pakistan), zone de production d'opium la plus importante au monde, l'Inde est l'une des principales routes pour le trafic international d'héroïne à destination de la Chine et de l'Asie du Sud-Est mais aussi de l'Australie et de l'Amérique du Nord. L'Inde se situe aussi sur la route « Sud » par laquelle transiteraient environ 10 % des opiacés à destination de l'Europe et de la France.
Les flux illicites de produits stupéfiants produits en Inde vers la France consistent essentiellement en drogues de synthèse : des volumes allant jusqu'à plusieurs centaines de comprimés de méthamphétamine envoyés en fret express aérien, en lien avec la diaspora indienne, sont régulièrement interceptés à l'aéroport de Roissy-CDG. La France apparaît aussi comme un pays de transit pour la kétamine, autre drogue de synthèse, et le khat. Enfin, l'Inde, deuxième leader mondial des médicaments génériques derrière la Chine avec 20 milliards de dollars d'exportation annuelle en 2020, connaît de nombreux détournements de médicaments par des organisations criminelles - c'est le cas de l'éphédrine et de certains antalgiques comme le Tramadol qui sont consommés comme drogues -, sans parler des médicaments contrefaits par des entreprises installées sur le territoire indien.
La France et l'Inde sont liés par de nombreux accords en vigueur, dont, notamment, une convention d'extradition de 2003. Cet accord ne porte que sur la coopération policière en matière de la lutte contre la consommation et le trafic illicites de stupéfiants et les précurseurs chimiques. Le ministère de l'intérieur nous a expliqué qu'il visait avant tout à développer des actions de prévention, de soins, d'accompagnement et de réduction des risques auprès des usagers.
Les articles 3, 4 et 5 traitent de la coopération technique et opérationnelle. La coopération technique pourra notamment prendre la forme de diffusion d'informations et de bonnes pratiques, d'échange de documentation, d'organisation de réunions et de formations. La coopération technique s'est fortement développée ces dernières années pour atteindre depuis trois ans une trentaine d'actions par an. Elle s'articule principalement autour de la lutte contre le terrorisme et son financement mais s'étend également à d'autres thématiques comme la lutte contre la fraude médicamenteuse. S'agissant de la coopération opérationnelle, l'accord contribuera à fluidifier la coopération bilatérale qui existe déjà au travers des canaux institutionnels de coopération policière comme Interpol et le service de sécurité intérieure (SSI) de l'ambassade de France à New Delhi qui a traité, en 2019, 300 demandes opérationnelles pour la zone Inde, Népal, Sri Lanka, les Maldives et le Bangladesh. Il va sans dire que tout ceci est ralenti par la crise sanitaire liée à la covid-19. Les stipulations relatives à la protection des données personnelles de l'article 7 apportent un haut niveau de garantie : les transferts se font dans le strict respect de chaque législation nationale. Une meilleure protection est attendue côté indien avec l'examen - toujours en cours - par le Parlement d'un projet de loi de protection des données personnelles inspiré du règlement général européen de 2016 sur la protection des données personnelles (RGPD). Afin d'assurer le contrôle, le suivi et l'évaluation des activités réalisées dans le cadre du présent accord, un groupe de travail de haut niveau sera créé aux termes de l'article 9. Il se réunira en tant que de besoin.
Il y a un point sur lequel je me suis penché avec beaucoup d'attention, c'est celui de l'éventualité de l'application de la peine de mort, qui est toujours en vigueur en Inde.
Naturellement la France est abolitionniste et donc c'est un sujet sur lequel je me suis longuement arrêté, avec les experts du quai d'Orsay, de l'intérieur et de la justice qui ont négocié la convention.
En effet l'Inde est traditionnellement sur une ligne répressive pour les stupéfiants. L'article 31A de la loi indienne relative aux stupéfiants et aux psychotropes de 1985 prévoit la peine de mort en cas de récidive pour des faits graves en relation avec des drogues dures. Plus précisément, lorsqu'une personne ayant préalablement été condamnée pour avoir commis, tenté de commettre ou encouragé un détournement d'opium, un acte de trafic international de stupéfiants, ou le financement d'un trafic illicite, se retrouve coupable de la commission, de la tentative ou de complicité s'agissant d'une infraction relative à la production, fabrication, possession, transport, importation, exportation de drogues dites dures listées par la loi ou de financer ces activités, cette dernière est passible de la peine de mort par pendaison.
J'ai pris connaissance avec beaucoup d'attention d'un courrier de la Ligue des droits de l'Homme mettant en cause la constitutionnalité de ce projet de loi, sur le fondement de l'article 66 1 de la Constitution : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort. ».
Il est exact que cet accord ne contient pas d'engagement exprès de la part de l'Inde de ne pas appliquer la peine de mort dans l'hypothèse où des informations données par la France aboutiraient à la condamnation à mort d'un ressortissant français pour une infraction à la loi indienne sur les stupéfiants.
Pour y voir plus clair, j'ai interrogé les représentants du ministère des affaires étrangères, du ministère de la justice et du ministère de l'intérieur en audition. Voici ce qu'il en ressort.
Tout d'abord, s'il est vrai qu'il n'y a pas de clause expresse garantissant la non-exécution d'une peine de mort prononcée par des tribunaux indiens dans cet accord, il faut savoir que ce type de clause est traditionnellement réservée exclusivement aux accords d'extradition et figure parfois également dans les accords d'entraide judiciaire en matière pénale. D'ailleurs, c'est bien le cas dans l'accord d'extradition (article 8 Peine capitale) qui nous lie avec l'Inde, le Conseil d'Etat y a veillé. L'application de la peine de mort est donc déjà exclue par ces autres accords internationaux, déjà ratifiés et en vigueur.
Ensuite, les informations transmises sur la base du présent accord ne sont pas, par nature, liées à une enquête spécifique en cours ou à un dossier relatif à une personne en particulier. S'il s'agit d'une personne ou d'un fait caractérisé, on sera dans le régime de l'entraide judiciaire en matière pénale. L'accord d'entraide judiciaire permettrait alors de refuser une demande indienne si un risque de condamnation à la peine capitale existait. D'après les renseignements communiqués par le gouvernement, la coopération policière opérationnelle prévue par le présent accord est d'une autre nature, avec des échanges d'informations portant par exemple sur la structure d'une organisation criminelle, son mode opératoire, les techniques de blanchiment d'argent etc... mais ne viseraient pas une personne identifiée.
Enfin et surtout, les diplomates et fonctionnaires du ministère de l'intérieur et de la justice qui ont négocié la convention m'ont assuré que la France pourrait refuser de transmettre des informations dans le cadre de la coopération opérationnelle sur le fondement de deux stipulations de cet accord, qui sont des garde-fous :
- l'article 2 paragraphe 3 « Le présent accord n'affecte pas les droits et les obligations des Parties découlant d'autres accords internationaux ou bilatéraux relatifs à l'entraide judiciaire en matière pénale et à l'extradition »
- et l'article 5 paragraphe 3 dernier alinéa « L'autorité compétente peut refuser d'accéder totalement ou partiellement à la demande si elle considère que cette demande peut porter préjudice à la souveraineté ou à la sécurité de l'Etat ou à l'un de ses autres intérêts fondamentaux, aux règles d'organisation et de fonctionnement des autorités judiciaires de l'Etat, ou qu'elle peut se révéler contraire aux engagements internationaux de l'Etat ou, en ce qui concerne la Partie française, au droit de l'Union européenne ». Or la France est notamment liée par la Convention européenne des droits de l'Homme dont l'article 2 protège le droit à la vie de toute personne ainsi que par son protocole additionnel n°13 qui prévoit l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances.
Répondre favorablement à une demande d'information des autorités indiennes qui serait susceptible de conduire, même indirectement, à la peine de mort, serait donc contraire aux engagements internationaux de la France.
Il faut ajouter que, dans l'arrêt « Bachan Singh contre Etat du Pendjab » de 1980, la Cour suprême de l'Inde a estimé que la peine capitale ne saurait plus être prononcée qu'à titre exceptionnel. Depuis 1991, 26 exécutions ont toutefois eu lieu en Inde, avec un moratoire entre 2015 et jusqu'en 2020 (où elles ont repris pour des affaires de viol collectifs, qui avaient suscité une grande émotion).
En conclusion, après un examen très attentif des garde fous qui permettent d'assurer la non applicabilité de la peine de mort, je recommande l'adoption de cet accord qui vise à lutter contre la criminalité organisée. Les autorités indiennes ont notifié l'achèvement de leurs procédures internes en mai 2018.
L'examen en séance publique est prévu le mercredi 4 novembre 2020, selon la procédure simplifiée, sauf si un groupe politique demande avant le 2 novembre le retour à la procédure normale.
Avant de choisir le sens de mon vote, je souhaiterais faire un lien avec ce qui a été dit par le chef d'état-major de la marine tout à l'heure. Les bateaux français en mer peuvent être amenés à arrêter des trafiquants de drogue : que se passe-t-il s'il s'agit d'un bateau qui vient de l'Inde ? Aujourd'hui, quand la marine française arrête un bâtiment en provenance d'un pays qui pratique la peine de mort, les marchandises sont confisquées mais les personnes arrêtées relâchées. Dans le cas qui nous concerne aujourd'hui, existe-t-il une possibilité pour que ces trafiquants soient renvoyés vers l'Inde sans qu'ils risquent la peine de mort ?
Le rapporteur va répondre mais l'accord ne traite pas d'arraisonnement par des navires français.
Nous nous accordons tous pour dire qu'il y a un problème concernant le trafic de stupéfiants et le financement du terrorisme. L'accord examiné pose cependant plusieurs questions. La première et non des moindres, c'est celle de la peine de mort. Le rapporteur a fait valoir que d'autres traités bilatéraux avec l'Inde apportaient des garde-fous. Même s'il existe effectivement d'autres traités, nous aurions aimé que la volonté de la France concernant la non-exécution de la peine de mort soit mentionnée de manière claire et précise alors qu'aucune clause de cet accord n'en fait mention.
Je m'interroge sur la possibilité pour l'autorité indienne d'avoir accès pendant dix ans au fichier des consommateurs de drogue en France, ce qui pose problème selon nous.
Je me pose des questions également sur les termes de « Justice en Inde » et notamment, sur la présomption d'innocence. En Inde, il y a un renversement de la preuve qui contrevient, selon nous, aux principes du droit français puisqu'il y a plutôt une présomption de culpabilité : c'est au suspect de prouver sa non-culpabilité. À cela s'ajoute enfin, la problématique de la peine de mort. Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires ne peut pas voter le texte en l'état.
Enfin, je m'interroge sur l'opportunité d'un examen en procédure simplifiée du projet de loi autorisant l'approbation de cet accord. Ce projet de loi nécessiterait un débat en présence du ministre. Ne vaudrait-il pas mieux privilégier une procédure normale ?
Le groupe CRCE votera contre cette convention pour deux raisons. En premier lieu, les tensions religieuses en Inde ont pris une nouvelle tournure depuis l'arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014. Il a mis en oeuvre une politique qui est basée, selon nous, sur la répression. Outre les violences à New Dehli en février dernier, le régime politique et judiciaire a instauré un régime qui nous semble inégalitaire et discriminant.
En second lieu, contrairement à la France qui applique pour certaines infractions, une amende forfaitaire, le régime judiciaire indien applique la peine de mort en cas de possession, de consommation ou de trafic de drogue. Compte tenu de la faiblesse des garde-fous instaurés par les textes, il nous paraît évident que les relations bilatérales seront délicates, voire difficiles et peut-être même impossibles sur certains points.
Nous pouvons tous nous réjouir qu'un partenariat ait lieu entre nos deux pays pour lutter contre le trafic de drogue qui fait des ravages, notamment auprès des jeunes. Je voudrais remercier notre rapporteur pour l'attention qu'il a mise à s'assurer qu'il y ait, sur ce sujet très délicat, suffisamment de garde-fous. D'après ce que nous avons entendu, des réserves s'expriment au sein du groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain. Elles concernant notamment l'utilisation du conditionnel. Je sais bien qu'il s'agit d'un langage diplomatique, mais cela pose un problème d'interprétation. Vous dites : « La France pourrait refuser les transferts de données », au conditionnel. Est-ce que la France refusera ? L'emploi du futur nous fournirait une garantie que le conditionnel ne nous donne pas.
Par ailleurs, nous pouvons évidemment nous féliciter de la protection des données personnelles et de toutes les garanties que vous nous avez apportées sur ce point. Mais cet accord nous pose problème et c'est pourquoi plusieurs membres du groupe, Socialiste, Écologiste et Républicain souhaiteront s'abstenir, non pas sur le fond, que nous approuvons, mais en raison de garanties insuffisantes.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera en faveur de de l'adoption de cet accord car tout ce qui contribue à lutter contre le trafic de drogue est une bonne chose.
Je veux simplement rappeler que l'Inde est le premier producteur mondial de faux médicaments. L'Inde inonde le tiers-monde, l'Afrique, l'Amérique du Sud, de ses faux médicaments. Elle refuse d'enregistrer des brevets ; elle en copie. Peut-être cet accord permettra-t-il d'ouvrir la voie à des négociations dans le domaine de la lutte contre les contrefaçons ?
Cet accord est délicat et peut poser un certain nombre de questions. Je comprends celle sur l'absence de clause explicite qui permettrait d'exclure la peine de mort ; mais en même temps on parle ici de combattre de véritables fléaux : trafic de drogue et toutes les conséquences que l'on en connaît : terrorisme, problèmes de santé publique, violence, délinquance sur notre territoire.
L'Inde est le principal producteur de faux médicaments et génériques. Un tel phénomène se traduit en centaines de milliers de morts chaque année, particulièrement en Afrique. Si de tels phénomènes sont toujours difficiles à quantifier, les derniers chiffres parlent de près de 800 000 morts victimes de médicaments contrefaits, notamment des enfants et presque toujours des Africains car les médicaments dont il est question sont souvent des antipaludéens ou des antituberculeux.
Bien sûr, nous pouvons regretter que l'accord ne soit pas parfait. S'il l'avait été, probablement n'aurait-il pas été signé. Pour ma part, je préfère voir son aspect positif qui est la lutte contre le trafic de drogue et contre la contrefaçon de médicament. Sur ce type de sujet, il me semble essentiel de continuer à avoir une relation bilatérale, comme le disait le Président en début de séance, si on ne parlait qu'avec des gens qui sont complètement vertueux comme nous considérons qu'ils doivent l'être, on ne parlerait pas à grand monde. Le meilleur moyen de lutter contre ces trafics, c'est de continuer à avoir ces relations, de continuer à avancer par le biais des traités et d'accords. Je vous remercie de votre attention.
Je remercie le rapporteur pour la qualité de son travail. Je voudrais simplement dire un mot sur les initiatives qui sont celles de la France ou des opérateurs français en matière de lutte contre les faux médicaments. La fondation Pierre Fabre mène un travail tout à fait remarquable dans ce cadre-là, en Afrique, en Asie mais aussi en Inde si je me souviens bien. C'est important que des acteurs privés, français, contribuent à cette lutte et que ceci puisse être mis en avant. Ça mérite d'être dit et d'être souligné.
Les informations susceptibles d'être échangées sur le fondement de cet accord, au-delà des coopérations purement techniques et des échanges de bonnes pratiques et d'expertise qui sont essentiellement de nature stratégique, pourront notamment concerner les organisations criminelles, des modes opératoires, des techniques de blanchiment. Je pense que les échanges ne porteront pas sur des enquêtes en cours qui relèvent en principe de la convention bilatérale d'entraide judiciaire en matière pénale.
La communication de données à caractère personnel ne sera susceptible d'intervenir que dans des situations très ponctuelles, par exemple dans le cadre d'une demande pré-judiciaire en cas d'analyse de l'environnement d'une personne. Donc je pense que les garde-fous ont été posés et nous en avons eu l'assurance lors de l'audition menée ces jours-ci. Je pense que les garde-fous nous garantissent bien contre ce fléau qu'est la drogue.