Les crédits de paiement de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » s'élèvent à 26,1 milliards d'euros pour 2021, en légère baisse de 0,5 % par rapport aux crédits initialement ouverts pour 2020. Cette baisse intervient après de fortes hausses, de 21,6 % entre 2018 et 2019, et de 10 % entre 2019 et 2020.
En tenant compte de l'ouverture de crédits supplémentaires par les trois lois de finances rectificatives et par le quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020, le total des crédits ouverts pour cette année a cependant été porté de 26,3 à 29 milliards d'euros.
Environ 80 % des crédits de la mission servent à financer deux prestations sociales : l'allocation aux adultes handicapés (AAH), portée par le programme « Handicap et dépendance » à hauteur de 11,1 milliards d'euros, et la prime d'activité, dont les crédits s'élèvent à 9,7 milliards d'euros au sein du programme « Inclusion sociale et protection des personnes ».
Après des revalorisations exceptionnelles de ces deux prestations en 2018 et 2019, entraînant notamment une forte croissance des dépenses au titre de la prime d'activité, leur montée en charge a été ralentie en 2020 par des sous-revalorisations, et semble s'interrompre en 2021.
En particulier, la crise économique et sociale consécutive à la crise sanitaire devrait avoir un impact négatif sur la prime d'activité, d'où la baisse de 1,7 % des crédits demandés à ce titre. Il s'agirait du premier reflux des dépenses au titre de cette prestation depuis sa mise en place en 2016.
Ce reflux intervient, paradoxalement, à l'heure où la situation du pays semble appeler un effort soutenu en matière de cohésion sociale et de lutte contre les inégalités.
Cette situation n'est pas entièrement imputable à la crise que nous traversons actuellement. Selon les données définitives de l'Insee, les inégalités de niveau de vie ont nettement augmenté en 2018 : l'indice de Gini est passé de 0,289 en 2017 à 0,298 en 2018. Le taux de pauvreté, qui s'établit à 14,8 % en 2018, s'est accru de 0,7 point sur un an.
Or, la crise sanitaire et ses conséquences économiques soulèvent des enjeux majeurs en termes d'inégalités sociales, ainsi que me l'a parfaitement exposé la déléguée interministérielle à la lutte contre la pauvreté, Marine Jeantet.
Premièrement, on peut constater que l'exposition au risque de contamination ainsi que le risque de développer des formes graves de la covid-19 sont inégalement répartis dans la population.
Deuxièmement, le confinement de la population a rendu plus criantes certaines inégalités existantes : l'inégalité des conditions de logement, les inégalités de genre, la fragilité des personnes isolées - à plus forte raison des personnes âgées ou handicapées -, les disparités entre milieu rural et milieu urbain, les inégalités scolaires, ou encore la fracture numérique.
Troisièmement, la crise économique et sociale qui résulte de cette crise sanitaire impacte davantage les personnes les plus précaires et elle risque de précipiter de nouvelles catégories de population dans la pauvreté.
Si la revalorisation de 90 euros du bonus de la prime d'activité au niveau du SMIC, décidée en décembre 2018 à la suite de la crise des gilets jaunes, a fait baisser de 0,5 point le taux de pauvreté monétaire en 2019, et même de 0,9 point pour les familles monoparentales, les effets positifs de la prime en matière de lutte contre la pauvreté seront altérés par la montée du chômage. Cette prestation présente en effet un caractère procyclique qui ne lui permet pas de jouer un rôle d'amortisseur en temps de crise.
Quant à l'AAH, après avoir été portée au 1er novembre 2019 à un niveau inédit depuis trente ans par rapport au seuil de pauvreté, elle sera indexée en 2021 sur un taux d'inflation faible. Il conviendra de veiller à ce que de prochaines mesures d'économies n'amorcent pas un nouveau décrochage pour le pouvoir d'achat des allocataires après cette année neutre. À cet égard, j'ai noté avec satisfaction que l'AAH ne serait pas intégrée dans le futur revenu universel d'activité (RUA) - si tant est que celui-ci voie le jour.
En 2020, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » a permis de financer des dispositifs exceptionnels visant à pallier les conséquences sociales des décisions prises pour faire face à l'épidémie de covid-19.
Une aide exceptionnelle de solidarité (AES) a ainsi été versée par les caisses d'allocations familiales (CAF) le 15 mai, d'une part, aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et d'autres minima sociaux, d'un montant de 150 euros complétés de 100 euros par enfant à charge, et, d'autre part, aux foyers bénéficiaires d'une aide personnalisée au logement (APL), pour un montant de 100 euros par enfant à charge. Les CAF ont également versé, fin juin, une aide exceptionnelle de 200 euros aux jeunes de moins de 25 ans percevant les APL, à l'exclusion des étudiants. Le Premier ministre a annoncé en octobre qu'une nouvelle AES serait versée le 27 novembre à l'ensemble des publics visés par les aides du printemps. Ces mesures représentent au total un coût de 2 milliards d'euros.
Par ailleurs, le Gouvernement a pris par ordonnance des mesures visant à sécuriser les droits des bénéficiaires de l'AAH pendant l'état d'urgence sanitaire, notamment en prolongeant automatiquement les décisions d'attribution de l'AAH arrivées à échéance pendant cette période. Compte tenu des conditions sociales du confinement, puis du déconfinement, le Gouvernement a également été amené à déclencher deux plans d'urgence en matière d'aide alimentaire d'un montant total de 94 millions d'euros.
Alors qu'une nouvelle période de confinement a débuté le 30 octobre, le relatif retour à la normale envisagé par les crédits de la mission pour 2021 apparaît en décalage avec la période exceptionnelle que traverse le pays sur le plan social. Sans doute faut-il s'attendre à ce que le Gouvernement reconduise en 2021 la méthode consistant à réviser plusieurs fois le budget en cours d'année pour répondre aux situations d'urgence.
De même, le plan de relance n'intervient dans le périmètre de la mission qu'à hauteur de 57,5 millions d'euros pour 2021, consacrés notamment à un soutien exceptionnel en faveur des associations de lutte contre la précarité ; celles-ci recevront au total 100 millions d'euros sur deux ans.
Le Premier ministre a cependant annoncé, le 24 octobre, une série de mesures visant à prévenir « la bascule dans la pauvreté » des personnes les plus précaires et présentées comme un « acte II » de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Parmi ces mesures, plus ou moins nouvelles, qui sont au croisement de plusieurs missions budgétaires et s'échelonnent entre 2020 et 2022, figure le lancement en janvier 2021 du service public de l'insertion, désormais dénommé « service public de l'insertion et de l'emploi » (SPIE), dans trente départements.
Par ailleurs, nous devrions suivre avec attention le projet d'expérimentation d'une recentralisation du RSA dans certains départements, notamment la Seine-Saint-Denis, après les recentralisations déjà réalisées dans trois collectivités d'outre-mer - la Guyane, La Réunion et Mayotte. Bien que les départements ne soient pas unanimes sur cette question, cette mesure permettrait aux départements les plus affectés par la situation sociale de bénéficier, sur la base du volontariat, d'un soulagement financier qui leur redonnerait des marges pour agir.
En revanche, malgré le ralentissement des entrées de mineurs non accompagnés (MNA) sur le territoire, un engagement plus fort de l'État reste attendu par les départements. Bien que la contribution exceptionnelle aux dépenses d'aide sociale à l'enfance (ASE) soit une nouvelle fois reconduite, son mode de calcul conduit à la contraction d'année en année de son montant. De plus, un arrêté du 23 octobre 2020 conditionne désormais la majeure partie de la participation forfaitaire de l'État aux frais liés à l'évaluation de la majorité et à la mise à l'abri des jeunes à la signature par le président du conseil départemental d'une convention avec le préfet. Je vous proposerai donc un amendement visant à rétablir à son niveau de 2020 la participation de l'État à la prise en charge des MNA, qui baisse de 42 millions d'euros dans le présent PLF.
Certaines actions connaissent toutefois une progression qu'il faut saluer, même si leur poids budgétaire est modeste en valeur absolue.
En 2021, l'enveloppe inscrite au titre du dispositif d'emploi accompagné s'élève à 15 millions d'euros, contre 10 millions d'euros en loi de finances pour 2020. Avec les 15 millions d'euros prévus dans le cadre du plan de relance, qui seront versés aux agences régionales de santé (ARS) sur deux ans, les crédits demandés pour 2021 au titre de l'emploi accompagné s'élèvent à 22,5 millions d'euros. L'assouplissement prévu par la troisième loi de finances rectificative pour 2020, qui a ouvert au service public de l'emploi la possibilité de prescrire un dispositif d'emploi accompagné, va également dans le bon sens et devrait permettre d'augmenter le taux d'emploi du public visé. Il en va de même de l'expérimentation actuelle d'un rapprochement de Pôle emploi et des Cap emploi.
Cet effort inédit en faveur de ce dispositif d'emploi accompagné, qui s'adresse aux travailleurs handicapés ayant besoin d'un accompagnement médico-social pour s'insérer durablement sur le marché du travail, doit être salué. Néanmoins, je m'interroge sur l'inscription dans la mission « Plan de relance » de crédits qui, compte tenu des caractéristiques du public concerné et de la nature des contrats conclus dans ce cadre, auront probablement vocation à être pérennisés.
Au titre du programme « Égalité entre les femmes et les hommes », la prise de conscience de l'ampleur des violences conjugales pendant la période de confinement a créé un choc favorable à une hausse substantielle des crédits consacrés à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, concrétisant ainsi certains des engagements du Grenelle contre les violences conjugales. Au total, les crédits de paiement du programme progressent ainsi de 37,5 % pour atteindre 41,5 millions d'euros.
Quant au parcours de sortie de la prostitution, il semble commencer à trouver sa place, avec des crédits maintenus à leur niveau de 2020 et un nombre de bénéficiaires en augmentation progressive, même si cela reste, du point de vue de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), « un tout petit sujet ».
Enfin, l'exercice 2021 devrait voir le début de la mise en oeuvre, à travers un processus de contractualisation entre l'État et les départements, de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance 2020-2022. Il convient de souligner que des crédits nouveaux, à hauteur de 115 millions d'euros, sont inscrits dans le projet de loi de finances à cette fin.
Les deux articles rattachés à la mission, insérés par l'Assemblée nationale, n'appellent pas de commentaire particulier. L'article 68 aligne les conditions d'attribution de l'AAH à Mayotte avec les règles en vigueur dans l'hexagone. L'article 69 formule une demande de rapport concernant les MNA.
À l'issue de cet examen, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission ainsi qu'aux articles rattachés.