Nous examinons ce matin quatre avis sur des missions du projet de loi de finances pour 2021. Nous commençons avec la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». Je salue aussi les commissaires qui assistent à cette réunion à distance.
Je prends cette année la suite de notre ancien collègue Bruno Gilles afin de vous présenter les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». Ces crédits s'élèveraient à plus de 2 milliards d'euros en 2021, soit une baisse d'un peu plus de 3 % par rapport à 2020.
La mission comprend trois programmes, dont l'importance en termes de volume budgétaire est très disparate.
Je commencerai par le programme 169, dédié au financement des pensions militaires d'invalidité et des droits connexes, de la retraite du combattant ainsi que des dispositifs en faveur des rapatriés d'Algérie et des descendants de harkis. Ces dispositifs de reconnaissance et de réparation représentent une dépense de près de 2 milliards d'euros, soit près de 95 % des crédits de la mission.
Il s'agit essentiellement de dépenses de guichet, qui évoluent donc avec le nombre de bénéficiaires de ces dispositifs. Or, le nombre d'anciens combattants connaît une baisse tendancielle à mesure que s'éteignent les générations qui ont connu la Seconde Guerre mondiale, la guerre d'Indochine et les conflits d'Afrique du Nord. En effet, 75 % des bénéficiaires de la retraite du combattant ont aujourd'hui plus de 75 ans et 83 % sont des anciens de la guerre d'Algérie ou des opérations d'Afrique du Nord.
Bien entendu, l'engagement de soldats français sur des théâtres d'opérations à travers le monde, qui est de plus en plus fréquent depuis la guerre du Golfe, crée une nouvelle génération d'anciens combattants. Les ordres de grandeur ne sont cependant pas les mêmes. En effet, pour 120 000 bénéficiaires de la carte du combattant qui décèdent chaque année, 12 000 soldats se voient accorder la carte du combattant au titre des opérations extérieures (OPEX).
En conséquence, les crédits du programme baisseraient de près de 80 millions d'euros. Cette programmation tient compte de l'assouplissement, prévu à l'article 54 du projet de loi, des conditions de majoration de la pension de réversion versée aux conjoints survivants d'un invalide de guerre. Cette mesure, que je soutiens, représente néanmoins un coût marginal puisqu'il s'élèverait à 1 million d'euros pour moins de 200 bénéficiaires.
La baisse des crédits dédiés à la reconnaissance et à la réparation est essentiellement liée à des facteurs démographiques, et en cela elle n'appelle pas d'observation spécifique de ma part. Toutefois, cette évolution pourrait permettre de répondre de manière favorable à certaines des demandes, parfois anciennes, du monde combattant.
Notamment, l'évolution du point d'indice des pensions militaires d'invalidité, qui conditionne le montant de nombreux dispositifs, a été inférieure à celle de l'inflation, du fait de son indexation sur le traitement des fonctionnaires. La ministre déléguée chargée des anciens combattants a annoncé la mise en place prochaine d'un groupe de travail afin de se pencher sur cette question.
Il me semble que la situation des conjoints survivants d'anciens combattants, qui sont souvent des femmes ayant peu travaillé, mérite une attention particulière. Par ailleurs, nous nous trouvons au début d'une transformation de la population des anciens combattants qui va s'accélérer au cours des années à venir. La plupart sont aujourd'hui des hommes âgés, qui ont servi en Algérie parfois contre leur gré et dans le cadre d'un service militaire dont la durée a pu atteindre 30 mois.
Ce qu'on appelle la quatrième génération du feu correspond à celle des opérations extérieures, les OPEX, dans lesquelles la France a engagé ses armées, essentiellement depuis le début des années 1990 et surtout depuis le début du XXIe siècle en Afghanistan et en Afrique. Il s'agit donc de soldats de métier, de moins en moins rarement des femmes, qui ont fait une carrière plus ou moins longue dans l'armée.
Leurs attentes ne sont pas les mêmes et l'action sociale en leur faveur consiste bien souvent davantage à accompagner leur reconversion dans le civil qu'à compléter une faible retraite ou à prendre en charge des blessures de guerre. L'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre, l'ONACVG, a d'ailleurs engagé une évolution de ses actions pour tenir compte de l'évolution de ses ressortissants. Je note à ce sujet avec satisfaction que le budget de cet office est conforté en 2021 et que le maillage territorial permis par son réseau départemental n'est pas remis en cause.
Le programme 155 correspond aux crédits dédiés aux dispositifs de réparation en faveur des orphelins de la déportation et des victimes de spoliations et d'actes de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale. Les personnes remplissant les conditions peuvent choisir entre une rente et le versement d'un capital. Là encore, le nombre de bénéficiaires continuera de baisser en 2021 pour une dépense d'environ 90 millions d'euros. Plusieurs nouvelles demandes continuent d'être adressées à la commission compétente chaque année.
Enfin, le programme 167 correspond aux crédits dédiés aux liens entre la Nation et son armée, et à la politique de mémoire.
Les crédits dédiés à la journée « Défense et citoyenneté » (JDC) progresseraient du fait de l'évolution du nombre de jeunes qui seront appelés en 2021, mais également pour permettre l'organisation des JDC qui n'ont pas pu être organisées cette année du fait de la crise sanitaire.
Il me semble que ce dispositif, tout comme les actions menées au sein des établissements scolaires ou encore le service militaire volontaire, sont sans doute plus que jamais nécessaires, compte tenu de la crise de la citoyenneté que nous connaissons et qui touche en premier lieu la jeunesse. Il me semble aussi que la JDC peut être l'occasion de déceler un certain nombre de situations de fragilité chez les jeunes. Je pense notamment, et cela me tient à coeur, aux jeunes aidants, qui passent parfois sous les radars de nos dispositifs sociaux.
L'an dernier, le budget dédié à la politique de mémoire avait été nettement réduit car une partie des actions avaient été financées par un prélèvement sur la trésorerie de l'ONACVG, dont l'excédent était particulièrement élevé pour un opérateur public. Le Gouvernement s'était engagé à rétablir les crédits correspondants dès l'exercice 2021. Il nous faut constater avec satisfaction qu'il a tenu parole. Les crédits dédiés à l'entretien des sépultures de guerre et des hauts lieux de la mémoire nationale progresseraient même de 3,5 millions d'euros.
En écho à ce que je disais tout à l'heure sur la quatrième génération du feu, il convient de noter que, parmi les célébrations mémorielles prévues en 2021 figurent l'anniversaire de l'inhumation du soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe et celui du serment de Koufra, mais également les 30 ans de la guerre du Golfe et les 20 ans de l'engagement des forces françaises en Afghanistan.
Au bénéfice de ces considérations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ainsi que de l'article 54 du PLF pour 2021.
Les crédits de la mission baissent, mais cela n'est pas surprenant en raison de la baisse du nombre d'anciens combattants. On aurait toutefois pu saisir l'occasion pour engager certaines réformes, comme la revalorisation du point d'indice des pensions des anciens combattants. L'an dernier, déjà, le Gouvernement avait annoncé la création d'un groupe de travail... Je ne suis donc guère rassuré par les annonces de notre rapporteure. Ne pourrions-nous pas, à l'occasion de ce budget, transférer des crédits pour répondre à cette demande forte du monde combattant ? Une hausse de 2 points de l'indice coûterait 16 millions d'euros.
Le budget de l'ONACVG augmente, mais il avait baissé fortement l'an passé et nous avions exprimé notre inquiétude, notamment s'agissant des postes au sein des offices départementaux.
Nous sommes très favorables aux JDC. Mais faut-il s'attendre à une généralisation de ces journées à distance, qui coûtent moins cher, en raison de la crise sanitaire ? Quelle est l'articulation, enfin, entre les JDC et le service militaire volontaire (SMV) ?
La baisse des crédits peut se comprendre avec la baisse du nombre de bénéficiaires. Il aurait pourtant été pertinent de renforcer les actions en faveur du monde combattant, très frappé par la crise. Les anciens combattants sont souvent, en effet, des personnes âgées. À cause de l'épidémie, beaucoup ne peuvent plus participer aux commémorations. L'abaissement du seuil d'invalidité nécessaire à l'obtention de la majoration de la pension de réversion du conjoint survivant d'un invalide de guerre est une avancée ; elle concernera 197 bénéficiaires. Il faut aussi souligner la hausse des crédits consacrés à la mémoire pour financer l'aménagement ou la rénovation des sépultures de guerre et des hauts lieux de la mémoire nationale, comme le camp de concentration du Struthof en Alsace, ou au Maroc ou en Algérie.
Je regrette l'absence de revalorisation de la retraite du combattant, la dernière revalorisation remonte à 2017. L'extension de la demi-part fiscale aux veuves d'anciens combattants dont le défunt conjoint est décédé avant l'âge de 74 ans, entrera en vigueur le 1er janvier 2021. Toutefois, les veuves dont le mari est décédé avant 65 ans, donc avant d'avoir fait valoir son droit à la retraite du combattant, n'en bénéficieront pas. C'est pourquoi nous voterons contre les crédits de la mission.
Le budget de cette mission baisse chaque année. Il est pourtant important de le préserver, car il permet de contribuer à entretenir la mémoire, notamment auprès de la jeunesse. Si l'on parvient à faire vivre le souvenir lorsque les enfants sont à l'école et sont emmenés aux cérémonies de commémoration, ce lien s'estompe avec le temps lorsqu'ils grandissent. Nous devons donc veiller à défendre la mémoire.
Il est important de soutenir l'ONACVG, qui aide les anciens combattants. Les soldats engagés dans des OPEX sont jeunes, ont une famille que nous devons aider lorsqu'ils partent.
Nous devons être très attentifs au devoir de mémoire et à l'entretien des monuments aux morts ou des sépultures. La réserve parlementaire nous permettait d'aider les communes. Malheureusement, ce n'est plus possible. Des moyens sont-ils prévus pour cela ?
Je voudrais insister sur l'accompagnement psychologique des anciens combattants et la prise en charge des psycho-traumatismes, parfois lourds de conséquences. Si les soldats sont pris en charge par une cellule de décompression à leur retour de mission, ils ne sont pas suivis dans la durée. Les blessés de guerre ne sont pas assez accompagnés non plus. La cellule d'aide aux blessés de l'armée de terre manque de personnel, comme l'Institution nationale des Invalides. Il y a donc un vrai travail à faire pour aider ces personnes qui ont été blessées, qui sont parfois tétraplégiques ou invalides, qui n'ont pas toujours de famille.
Un mot aussi sur les pensions. Beaucoup d'ultramarins ont bravé les flots pour venir défendre la France. Mais leur situation n'est pas assez prise en compte. Je pourrais citer le cas d'un vétéran de 102 ans qui est resté longtemps isolé.
Rapporteur pour avis des crédits du compte d'affectation spéciale « Pensions », je confirme que M. Mouiller a raison : la revalorisation de deux points de l'indice des pensions militaires coûterait 16 millions d'euros. Reste à savoir si l'on doit déposer un amendement sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » ou sur le CAS « Pensions » qui dispose de réserves.
Certes le nombre d'anciens combattants diminue, mais la mission devrait aussi prendre en compte la problématique de l'illectronisme et de la formation au numérique. Ensuite, la question du fonds de prévoyance a été posée lors de nos auditions : que prévoit le texte à cet égard ?
Comme tous les ans, je veux attirer l'attention sur la situation des supplétifs civils de droit commun durant la guerre d'Algérie. Ils ne sont plus que 25, mais leur statut n'est toujours pas réglé. Un geste symbolique à leur égard nous honorerait !
Beaucoup des questions que vous avez posées reviennent chaque année. Monsieur Mouiller, la revalorisation du point d'indice aurait dû intervenir l'an dernier, mais la covid est apparue depuis. J'espère qu'il y aura des avancées cette année.
L'an dernier, les crédits destinés à la politique de mémoire avaient baissé, s'établissant à 11 millions d'euros. Cette année, ils s'élèvent à nouveau à 18,5 millions.
Si les journées « Défense et citoyenneté » ont été organisées à distance en raison du confinement, j'espère que la situation sanitaire s'améliorera rapidement pour permettre leur accomplissement en présentiel en 2021. À la différence des JDC qui sont obligatoires, le service militaire volontaire est facultatif : 1 000 jeunes sont concernés et l'objectif est de passer à 1 200, ce qui a évidemment un coût.
Madame Apourceau-Poly, les crédits de la mission baissent de 3 %, mais le nombre d'anciens combattants baisse, lui, d'environ 5 ou 6 %. La stabilité prévaut, même si, effectivement, je comprends la tentation de réutiliser les économies réalisées au profit du monde combattant.
La demi-part fiscale a pour objet d'aider les anciens combattants, même si ce bénéfice est maintenu à leur veuve. Les crédits figurent d'ailleurs dans la première partie du projet de loi de finances, et non dans la mission. Lorsqu'une OPEX a lieu, les hommes partent en mission et laissent leurs femmes seules en France. Celles-ci, souvent, ne travaillent pas et n'auront donc qu'une petite retraite. Il est donc important de maintenir ce dispositif, même si l'aide fiscale ne bénéficie qu'à ceux qui paient des impôts.
Madame Gruny, les crédits destinés à la mémoire et aux liens avec la Nation progresseront de 32 %. L'ONACVG participe activement, au même titre que d'autres associations comme le Souvenir Français, à l'entretien des monuments aux morts et des sépultures. La subvention versée par l'État à ce titre augmenterait de 3,5 millions d'euros en 2021.
Il appartient au ministère des Armées d'accompagner les soldats de retour d'OPEX, même si je note que l'ONACVG joue un rôle croissant en la matière. Mais quelqu'un qui revient d'OPEX se sent toujours combattant, et non ancien combattant. Il faudrait sans doute revoir certaines formulations pour employer plutôt le terme de « combattant », de façon à viser explicitement tout le monde. Les associations y sont d'ailleurs favorables. On peut ainsi avoir la carte de combattant à 20 ans, mais peu le savent !
Qui s'occupe des anciens combattants victimes de traumatismes psychologiques ? Les anciens combattants font l'objet d'un accompagnement psychologique immédiatement après leur retour, mais ils ne sont plus accompagnés au-delà, alors que les séquelles psychologiques peuvent demeurer. On manque de personnels pour les aider.
Un suivi psychologique était assuré pour les militaires. Nous réinterrogerons le Gouvernement sur ce point. Si les séquelles sont lourdes, avec une invalidité par exemple, c'est la sécurité sociale qui prend le relais.
La hausse du point d'indice PMI coûterait probablement plus que 16 millions d'euros, car plusieurs prestations sont indexées dessus. Il me semble difficile de prélever cette somme sur les crédits de la politique de la mémoire qui est dotée de 38 millions d'euros.
C'est pourquoi je propose d'amender le CAS « Pensions ». Il y a des marges.
Pourquoi pas, mais je rappelle que nous ne pouvons pas transférer des crédits d'une mission à une autre. Attention à ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul, en tout cas. Enfin, le fonds de prévoyance ne figure pas dans le budget de l'État. Je ne suis pas certaine que la difficulté soulevée lors de nos auditions est si importante que cela.
Faut-il avoir la nationalité française pour bénéficier de la carte de combattant ? Je pense en particulier aux légionnaires, très sollicités lors des OPEX.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » ainsi qu'à celle de l'article 54 qui lui est rattaché.
La Mildeca, dont il me revient de vous présenter les crédits, est chargée d'assurer auprès du Premier ministre la coordination des politiques publiques en matière de lutte contre les addictions, avec ou sans substances. L'examen de ce budget est l'occasion, pour notre commission, de faire un point sur la question des addictions dans notre pays. La crise sanitaire est source de stress intense et de mal-être pour l'ensemble de la population. Les enquêtes montrent néanmoins des impacts différenciés sur les consommations de produits addictifs.
La crise n'a pas fondamentalement bouleversé les habitudes de consommation de drogues des Français, mais des points d'attention sont à relever. Une part non négligeable de la population a augmenté son niveau de consommation durant le confinement du printemps : ces hausses concernent un quart des fumeurs de tabac et de cannabis et un dixième des consommateurs d'alcool, l'absence de cadre de travail ayant conduit à des usages plus nombreux et plus précoces dans la journée. Certains usagers de cannabis ont pris conscience de leur dépendance à l'occasion de ce confinement strict, faute de pouvoir s'approvisionner aussi aisément qu'à leur habitude. Le temps passé devant les écrans augmente quant à lui significativement en période de confinement.
Notons aussi que ce premier confinement a fragilisé les usagers les plus précaires. Les centres de soins ou de prise en charge des addictions ont maintenu tant bien que mal leur activité ; ils se sont saisis de l'outil de la téléconsultation, mais ont également continué à assurer une présence, notamment pour délivrer du matériel de réduction des risques et des dommages ainsi que des traitements de substitutions aux opiacés. Déplorons que ces structures n'aient pas été immédiatement identifiées comme prioritaires pour la délivrance de matériel de protection (masque, gel, etc). Les modalités du confinement actuel permettent aux personnes dépendantes prises en charge dans ces structures de bénéficier de rendez-vous en présentiel, ce qui est évidemment plus favorable.
Avec la crise sanitaire et économique à laquelle est confronté notre pays, les pouvoirs publics doivent être vigilants face au risque accru d'addiction, caractérisée, rappelons-le, par une perte de contrôle.
J'en viens maintenant à un tableau plus large des addictions en France.
Les addictions à très forte prévalence, c'est-à-dire celles qui concernent les usages de tabac et d'alcool, ont depuis plusieurs décennies tendance à diminuer. Rappelons ainsi qu'un Français consommait en moyenne 26 litres d'alcool pur annuellement au début des années 1960, un chiffre qui a été divisé par deux au début des années 2000 et qui continue à diminuer depuis. Pourtant, l'action des pouvoirs publics pour endiguer les consommations d'alcool semble en deçà des enjeux que représente encore ce fléau, responsable de plus de 40 000 morts par an en France. On estime que 30 à 40 % des crimes et délits sont commis sous l'influence de l'alcool, qui favorise les violences intrafamiliales. L'alcool est en outre la substance psychoactive la plus précocement et fréquemment utilisée chez les 18-24 ans. Les repères de consommation à moindre risque demeurent malheureusement profondément méconnus de nos concitoyens.
La structure de la consommation d'alcool est en pleine mutation, avec le passage de la consommation de vin à chaque repas, lié à une forte propension à « tenir l'alcool « et au rejet de l'ivresse, à une consommation à l'anglo-saxonne, avec des alcoolisations ponctuelles importantes dans la jeune génération. La phase aiguë d'alcoolisation nécessite une prise en charge somatique spécifique assurée aux urgences relevant parfois de soins intensifs en réanimation lorsqu'il s'agit de comas éthyliques. L'écart de consommation entre garçons et filles tend par ailleurs à décroître.
Si les résultats sont encourageants s'agissant de la guerre contre le tabac, la vigilance reste de mise : 75 000 décès sont encore attribuables au tabac chaque année et environ un tiers des Français continuent à fumer, dont 25 quotidiennement. Enfin, malgré six années de baisses consécutives de la consommation de tabac, la trajectoire de 2019 s'avère un peu moins bonne que celle de 2018.
Les tendances baissières des consommations d'alcool et de tabac engendrent un phénomène pernicieux que nous a exposé, lors d'une audition, le Pr Jean-Michel Delile, psychiatre et addictologue. Au fur et à mesure de la diminution de la consommation en population générale, les usages résiduels deviennent le fait de populations à risques. Ainsi, la chute du nombre de fumeurs de tabac a été socialement très marquée. Les traditionnelles campagnes d'informations destinées au grand public perdent donc de leur efficacité. Notre système de soins devra s'y adapter, notamment en améliorant le repérage précoce des usagers.
Du côté des drogues illicites, depuis le 1er septembre, l'usage de stupéfiants est puni d'une amende forfaitaire délictuelle de 200 euros. Cette mesure répressive, qui vise les consommateurs de cannabis, ne s'accompagne malheureusement pas des mesures d'information et de prévention indispensables pour faire prendre conscience des dangers de la consommation de cannabis avant l'âge de 20 ans. Les troubles de la mémoire, les maladies psychiques, les chutes du quotient intellectuel repérés chez les jeunes consommateurs de cannabis tranchent avec l'image positive, voire naturelle ou thérapeutique, du produit. En outre, cette mesure visera en premier lieu les publics les plus précaires, contraints de consommer dans l'espace public.
Autre motif d'inquiétude, la prévalence de l'usage de cocaïne ne cesse de s'accroître sous toutes ses voies d'administration. L'extension du crack, médiatisé depuis quelques années seulement, s'est en réalité déroulée à bas bruit depuis une quinzaine d'années et touche de plus en plus de personnes socialement insérées.
Les surdoses mortelles demeurent toutefois principalement liées à la consommation d'héroïne dont les usages restent globalement stables. Des projets de salles de consommation à moindre risque sont en cours d'élaboration à Marseille, Lyon et Bordeaux et j'espère qu'ils aboutiront d'ici octobre 2021, date limite pour ouvrir une nouvelle structure dans le cadre de l'expérimentation actuelle. Rappelons que seules deux salles de consommation à moindre risque existent en France, l'une à Paris et l'autre à Strasbourg, ce qui paraît notoirement insuffisant eu égard aux besoins recensés. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) remettra en 2021 son évaluation de l'expérimentation et il nous faudra, en tant que législateur, pérenniser l'ouverture de ces salles, indispensables à la réduction des risques et des dommages.
Si on relève une augmentation du nombre d'hospitalisations liées à des intoxications, les conditions restreintes de prescriptions et la moindre puissance de l'industrie pharmaceutiques nous protègent d'une crise des opioïdes telle qu'a pu la connaître le continent nord-américain. La vigilance reste de mise, et l'Observatoire français des médicaments antalgiques assure une veille indispensable.
Les acteurs de terrain nous alertent enfin sur la vive augmentation du nombre de personnes s'adonnant à des jeux d'argent en ligne. Les paris sportifs ou le poker en ligne cumulent deux critères particulièrement addictifs : d'une part les écrans et d'autre part les paris d'argents.
Le budget de la Mildeca, de 16,7 millions d'euros, diminue pour la treizième année consécutive, pour atteindre seulement la moitié de ce qu'il était en 2009. La nouvelle baisse annuelle de 2,4 % peut néanmoins être partiellement justifiée par la dissolution du Centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad) en février 2020. Située à Fort-de-France, cette structure assurait la coopération relative à la lutte contre le trafic de drogues dans les Antilles, la Guyane et la Caraïbe ; sa mission a été transférée au nouvel Office anti-stupéfiant (Ofast), rattaché au ministère de l'intérieur. Le président de la Mildeca était en total accord avec cette réforme, le Cifad rencontrant d'importantes difficultés organisationnelles. Plus de la moitié des crédits, soit 8,6 millions d'euros, sont destinés à son dispositif territorial, 2,6 millions sont alloués à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), 2,1 millions à sa masse salariale, le reste du budget étant réparti à parts égales entre la mise en oeuvre du plan 2018-2022, la recherche et l'action internationale.
Second opérateur de la Mildeca, l'OFDT voit sa subvention pour charges de service public stagner à hauteur de 2,6 millions d'euros. En application de la loi Pacte et de l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard, les missions de l'Observatoire des jeux ont été transférées à l'OFDT le 1er juillet dernier. Celui-ci rencontre des difficultés pour réaliser les enquêtes en cours et celles prévues l'année prochaine du fait de la crise sanitaire.
Pour 2021, la Mildeca bénéficie en outre d'un dixième du montant du fonds de concours « drogues », soit environ 2 millions d'euros.
Le budget très restreint de la Mildeca est heureusement couplé aux 115 millions du fonds de lutte contre les addictions de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). La Mildeca est représentée au sein du comité restreint de ce fonds, qui prépare les décisions ministérielles, mais aussi au sein du comité d'orientation stratégique, chargé de proposer chaque année les priorités de financement et de suivre l'exécution du fonds.
Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2021.
Je remercie Brigitte Micouleau pour son rapport. J'ai assisté à un certain nombre d'auditions qui étaient extrêmement intéressantes. Les addictions sont multiples, et elles nécessitent des politiques de prévention, d'accompagnement et éventuellement de sanction.
Depuis treize ans, les crédits de la Mildeca sont en baisse continue, et les projets mis en chantier sont à l'image de ces moyens. Même couplé au fonds de l'assurance maladie, le budget est minime, ce que je regrette. Parallèlement, on connaît l'état de la psychiatrie en France : il est difficile d'assurer le suivi psychologique et psychiatrique des patients souffrant d'addictions.
La pandémie a entraîné une coupure du lien social, notamment en raison du télétravail. Les personnes prises dans un tourbillon d'addictions devaient faire bonne figure devant leurs collègues ; le télétravail supprime cette obligation, ce qui peut les pousser plus avant encore vers leurs pratiques addictives. Ce phénomène a été aggravé par l'augmentation du nombre de déprimes et de dépressions constatées durant ce deuxième confinement. Quid du suivi de ces personnes ? Je n'ai pas l'impression que la crise ait été prise en considération.
Notre groupe ne sera donc pas favorable à l'adoption des crédits de la Mildeca.
À mon tour de remercier la rapporteure qui a travaillé dans des conditions délicates. Elle a su trouver des éléments positifs dans cette mission dans laquelle on ne parle que de stagnation et de baisses des crédits...
Le spécialiste des addictions dans le milieu professionnel GAE Conseil a montré, sur la base d'un sondage mené en avril 2020, que les pratiques addictives liées à la consommation de médicaments et de psychotropes avaient augmenté durant le premier confinement en raison de l'anxiété et du stress.
Il est paradoxal de baisser les crédits alors que nous connaissons une crise sanitaire. La Mildeca ne va-t-elle pas connaître le même sort que la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ? Chantal Deseyne, notre précédente rapporteure pour avis, dénonçait déjà l'année dernière une dispersion et une dilution des crédits.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne votera pas cette baisse des crédits de la Mildeca.
Je remercie Brigitte Micouleau pour son rapport.
Quel est le lien entre la lutte contre les conduites addictives et le rôle des maires et des relais communaux ? La Mildeca et l'Association des maires de France ont rédigé un guide qui tend à faire du maire un acteur majeur dans la lutte contre la prévention des pratiques addictives. Néanmoins, j'ai été maire pendant 20 ans et je n'ai jamais sollicité la Mildeca. Il est peut-être temps de réinventer la gouvernance, car la meilleure manière de préserver une institution est de la rendre pertinente aux yeux des élus, afin que ceux-ci en prennent la défense.
La mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, dont le rapporteur était notre ancien collègue Antoine Karam, a récemment rendu son rapport.
Les Antilles et la Guyane sont des plaques tournantes de la drogue, en raison de leur proximité avec l'Amérique du sud. Il faut mettre davantage l'accent sur la prévention car de nombreux jeunes en Guyane deviennent des « mules », le transport de drogue étant une activité fort lucrative.
Nous sommes ici un certain nombre à penser que le tabac à chauffer peut permettre d'éviter les effets cancérigènes du tabac. Les 75 000 morts sont la conséquence de l'excès de substances cancérigènes, et non de l'accoutumance. Or le fait de chauffer à 250 degrés, et non de brûler, le tabac réduit de 90 % - c'est largement prouvé - les substances cancérigènes. Quelle est la position de la Mildeca sur ce sujet ? Je prépare un amendement au projet de loi de finances pour modifier la fiscalité du tabac à chauffer.
Je m'interroge sur l'usage récréatif du protoxyde d'azote chez les jeunes, qui semble être en recrudescence en ces temps de crise sanitaire, sociale et économique, avec, à la clé, des séquelles neurologiques et cardiaques. En décembre 2019, le Sénat avait voté à l'unanimité une proposition de loi tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d'azote. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Dans les outre-mer, 45 % des jeunes sont sans emploi, ce qui les conduit à se tourner vers l'alcool et les substances addictives. Il est pour eux plus facile de trouver de la drogue que de l'emploi.
Le budget de la Mildeca diminue depuis treize ans, et on semble accepter les 45 000 morts de l'alcool et les 75 000 morts du tabac par an. Je suis interpellée par la différence entre les crédits de cette mission et ceux affectés à la lutte contre le covid, qui a fait 40 000 morts, même si je sais que l'alcool et le tabac permettent de faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État.
Les vétérinaires doivent mettre sous clé un médicament analgésique nommé Imalgene, qui est de la kétamine, une substance utilisée par les jeunes pour se droguer. Auriez-vous des chiffres sur l'usage de cette drogue chez les jeunes ?
Je remercie Brigitte Micouleau. Bien que ce soit le mois sans tabac, nous n'avons aucune visibilité sur les actions qui sont menées, en raison du covid.
Je suis intervenue dans une maternité auprès de jeunes femmes enceintes qui fument du cannabis. Comment articuler les actions de la Mildeca et celles de la PMI ? Des actions sont menées en direction des professionnels de santé, mais pas du grand public.
Je remercie la rapporteure de son excellent travail. Nous sommes tous d'accord pour constater le manque de moyens de la psychiatrie aujourd'hui, notamment pour lutter contre les addictions. Les addictions aux jeux et aux écrans sont très peu prises en compte alors même qu'elles provoquent des drames familiaux, des suicides et une marginalisation par rapport aux réalités de la vie.
Madame Cohen, le budget très limité de la Mildeca sert à expérimenter des dispositifs ensuite généralisés à l'ensemble du territoire grâce au fonds de la CNAM.
Pour l'instant, le confinement n'a pas fait augmenter de manière significative la consommation de drogues, mais la solitude et l'absence de vie sociale liées au télétravail et au confinement sont un motif de vigilance. Pour le cannabis, par exemple, on constate que la consommation des usagers quotidiens a augmenté, mais que celle des usagers hebdomadaires ou mensuels a baissé.
Madame Meunier, face au stress et à l'angoisse liés à la crise sanitaire, il faut distinguer l'augmentation des usages de substances addictives - tabac, alcool, cannabis - des traitements médicamenteux prescrits par le médecin. Les consultations chez les psychologues ont été maintenues lors de ce deuxième confinement.
Madame Puissat, les relais locaux de la Mildeca sont les directeurs de cabinet des préfets, qui ont malheureusement de nombreuses missions à mener et sont diversement impliqués dans la lutte contre les addictions. En Haute-Garonne, une association a déposé un dossier auprès du directeur de cabinet du préfet le 6 mars dernier ; pour l'instant, elle n'a obtenu aucune réponse !
Monsieur Savary, je ne connais pas la position de la Mildeca sur le tabac chauffé. Je vous propose d'envoyer votre amendement à son président.
Monsieur Sol, la proposition de loi sur le protoxyde d'azote n'a pas été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, ce qui est regrettable. Gérald Darmanin a récemment fait part de sa volonté d'interdire la vente de ces cartouches, mais il existe des difficultés juridiques. Les jeunes pris en flagrant délit doivent payer des amendes forfaitaires.
Madame Annick Jacquemet, la consommation de kétamine est en augmentation en France. Cette substance est consommée dans des soirées privées, et non plus seulement dans les espaces dédiés à la fête.
Monsieur Henno, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne reconnaît que les addictions aux jeux vidéo. Des semaines sans écran sont organisées au sein des écoles. L'addiction aux jeux - je pense notamment au poker en ligne - et aux écrans pose de graves problèmes dans les familles.
Madame Lassarade, il n'y a pas de lien direct entre la Mildeca et les PMI. Le mois sans tabac est organisé selon des modalités compatibles avec le nouveau confinement auquel nous sommes confrontés, donc forcément un peu dégradées. Les traitements de substitution nicotiniques ont connu une forte augmentation durant la première partie de l'année 2020.
S'agissant de la consommation de psychotropes en France, pourquoi avons-nous dans notre pays une réponse aussi « médicamenteuse » au moindre mal-être ? Ce sujet ne tourne pas qu'autour de la prévention ; il faut aussi s'interroger sur la formation médicale. Certains professionnels se tournent plutôt vers les thérapies comportementales.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2021.
Au regard d'une progression annoncée de ses crédits supérieure à 17 % pour 2021, nous étions en droit d'espérer sinon une renaissance, du moins un renouveau stratégique de la mission « Santé ». D'autant que la crise sanitaire a mis en lumière le caractère pleinement régalien des politiques de sécurité sanitaire : une réaffirmation des moyens budgétaires de l'État dans ce domaine aurait ainsi eu du sens. Mais ne nous leurrons pas, les augmentations de crédits affichées sont loin d'être à la hauteur des espoirs que nous aurions pu nourrir.
Le programme 204 affiche la progression la plus significative, de 29 % pour 2021. Cette augmentation des moyens du programme est néanmoins essentiellement imputable à la majoration de la dotation de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna et au financement d'un plan d'investissement en sa faveur d'un montant de 45 millions d'euros. L'État ne fait en réalité là qu'assumer enfin ses responsabilités à l'égard de l'agence de santé de ce territoire ultramarin dont les moyens étaient chroniquement sous-budgétisés.
Un peu moins de 4 millions d'euros supplémentaires sont également consacrés aux actions juridiques et contentieuses, pour un montant total supérieur à 57 millions d'euros qui comprend notamment la dotation versée par l'État à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam).
À cet égard, un désaccord persiste entre l'État et le laboratoire Sanofi sur leurs responsabilités respectives à l'égard des victimes de la Dépakine®. Sanofi maintient qu'il a porté à la connaissance des autorités sanitaires dès le début des années 1980 les informations nécessaires sur les risques de malformations associés à la Dépakine® et continue donc de contester systématiquement devant la justice les notifications créances que lui adresse l'État.
L'éparpillement des crédits de sécurité sanitaire et de prévention inscrits sur le programme 204 et l'attrition de la part du financement des agences sanitaires privent ce programme de toute cohérence stratégique et continuent de poser la question de son maintien.
La commission s'était opposée l'an dernier au transfert intégral du financement de Santé publique France vers l'assurance maladie, alors que l'agence exerce, pour le compte de l'État, des missions d'importance vitale pour la nation en matière de sécurité sanitaire. Nous l'avons bien vu avec la question des masques au début de la crise liée à la covid-19. Alors qu'il captait près de 48 % des crédits du programme 204 en 2014, le financement des opérateurs sanitaires en représente désormais moins du quart. Le programme ne contribue désormais plus qu'au financement de deux agences sanitaires : l'institut national du cancer (INCa) et l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES).
Le financement par l'assurance maladie autorise, par ailleurs, le Gouvernement à fixer le montant des dotations des opérateurs sanitaires par arrêté, sans possibilité pour le législateur d'en prendre connaissance lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
La veille et la sécurité sanitaires constituant des missions régaliennes, je plaide pour le « rapatriement » sur le budget de l'État des crédits non seulement de Santé publique France, mais également de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui exerce des missions de police sanitaire au nom de l'État, et de l'école des hautes études en santé publique (EHESP).
Ma dernière observation sur le programme 204 concerne les moyens des comités de protection de personnes (CPP), qui n'augmenteront pas en 2021 alors même qu'ils ont été soumis à une charge de travail intense pour accompagner l'effort de recherche clinique déployé pendant la crise sanitaire. En dépit des promesses du ministère fin 2018, 34 CPP sur 39 fonctionnent toujours avec seulement un équivalent temps plein (ETP), ce qui continue de poser des problèmes pour l'instruction des projets de recherche pendant la période estivale.
J'en viens au programme 183 qui porte les crédits de l'aide médicale de l'État (AME). Alors qu'on nous promettait une maîtrise de la dépense pour 2019, le nombre de bénéficiaires a connu un rebond de 5 % à la fin de l'année dernière. Le confinement et la déprogrammation des soins non urgents devraient mécaniquement conduire à une moindre dépense d'AME en 2020, mais celle-ci rebondira logiquement en 2021. Le Gouvernement prévoit ainsi une augmentation du coût total de l'AME, intégrant l'AME de droit commun et l'AME de soins urgents, supérieure à 15 % pour s'établir en 2021 à plus de 1 milliard d'euros, un niveau qu'elle n'avait encore jamais franchi.
Les fondamentaux de la dépense d'AME restent préoccupants. L'AME de droit commun continue de couvrir majoritairement des prestations hospitalières à hauteur de 66 % en 2019, contre seulement 34 % pour les soins de ville. Le recours des bénéficiaires aux soins de prévention demeure donc limité.
En outre, la dette de l'État à l'égard de l'assurance maladie au titre de l'AME de droit commun s'établit, en 2019, à 15 millions d'euros. S'ajoute à cela une dépense d'AME de soins urgents de 66 millions d'euros en 2019, qui reste de 26 millions d'euros supérieure à la contribution forfaitaire consentie par l'État, conduisant l'assurance maladie à prendre en charge le différentiel pour les hôpitaux.
Dans ces conditions, je plaide pour que l'intégralité de la dépense d'AME de soins urgents soit compensée par l'État dès lors qu'elle correspond à la prise en charge de frais de santé de personnes qui ne relèvent pas du régime général de la sécurité sociale.
L'an dernier, un rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales sur la gestion de l'AME faisait état de détournements du dispositif et de la permanence de risques de fraudes et d'abus. Elle évoquait ainsi des cas caractérisés de tourisme médical et constatait une prévalence des naissances dans le cadre du dispositif des soins urgents et vitaux en 2018 suggérant une venue sur le territoire pour une prise en charge obstétricale.
À ces détournements s'ajoutent des fraudes et abus que les contrôles exercés par les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), certes renforcés, peinent encore à endiguer : je pense, par exemple, aux fraudes à l'AME pour l'acquisition de produits psychotropes ou stupéfiants, ou à la problématique des multi-hébergeurs.
Face à ce constat préoccupant, les mesures introduites par le Gouvernement fin 2019 pour prévenir les risques de détournement du dispositif seront à mon sens insuffisantes. Elles comprennent le renforcement de la condition de résidence en situation irrégulière, le conditionnement de la prise en charge de certaines prestations programmées et non urgentes à un délai d'ancienneté dans le dispositif et l'obligation de comparution physique en CPAM pour le dépôt du dossier de demande d'AME pour les primo-bénéficiaires. Ces conditions ont dû néanmoins être aménagées ou suspendues pendant la crise sanitaire.
Afin de réunir les conditions d'une maîtrise durable de la dépense d'AME, je vous proposerai en conséquence d'adopter un amendement visant à recentrer le panier de soins de l'AME sur les soins urgents, d'une part, et sur les soins de prévention, d'autre part. Les soins pris en charge par cette nouvelle aide médicale dite de « santé publique » incluraient ainsi : la prophylaxie et le traitement des maladies graves et les soins urgents, alignant de ce fait le périmètre des soins pris en charge sur ceux couverts par le dispositif équivalent en Allemagne et dans de nombreux autres pays européens ; les soins liés à la grossesse et à ses suites ; un ensemble de soins de prévention comprenant les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive.
Je suis, en outre, opposée à la réintroduction d'un droit de timbre pour l'accès à l'AME, qui pénaliserait l'accès aux soins de personnes dont la situation financière reste précaire. En contrepartie du recentrage du panier de soins de l'AME, je souhaite en effet lever les obstacles au recours aux soins, notamment de prévention.
Dans un souci de maximisation de l'accès des personnes en situation irrégulière aux soins et à la prévention, je vous propose ainsi de créer, au sein de la mission « Santé », un nouveau programme dédié au financement d'actions conduites par l'État, l'assurance maladie et les associations, notamment dans le cadre de maraudes, d'équipes mobiles de prévention ou encore de barnums de dépistage, destinés à aller à la rencontre des personnes en situation irrégulière, afin de leur proposer des examens et de les sensibiliser sur la nécessité de solliciter le dispositif de l'aide médicale de santé publique pour bénéficier d'examens complémentaires de prévention. Ce nouveau programme serait financé à hauteur de 10 millions d'euros, issus d'une partie des économies susceptibles de découler de la redéfinition du panier de soins de la nouvelle aide médicale de santé publique.
propositions entendent répondre à une réalité que j'ai moi-même pu mesurer sur le terrain, en tant que médecin : le dispositif de l'AME tend à être dénaturé par la persistance de comportements frauduleux, au détriment de personnes qui n'ont pas accès aux soins faute de connaître leurs droits ou par crainte de se faire connaître de l'administration. Cette situation qui nous invite au pragmatisme : combattre la fraude de façon déterminée tout en maximisant l'accès aux soins des plus vulnérables.
Telles sont mes observations sur la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2021. Sous réserve de l'adoption des amendements que je vous soumets, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission.
Je félicite la rapporteure pour son rapport. Sur la question de l'AME, elle a su, grâce à son expérience de médecin et sa connaissance du territoire de la Seine-Saint-Denis, trouver un équilibre. L'AME est un sujet difficile : ses crédits augmentent, car le nombre de personnes éligibles s'accroît, mais il faut rappeler que ce dispositif est transitoire. Soit les personnes sont accueillies sur notre territoire et basculent dans un régime de droit commun, soit elles doivent être reconduites à la frontière.
Je remercie Annie Delmont-Koropoulis pour son rapport. La pandémie n'a eu qu'une faible incidence sur les crédits alloués à la mission, ce que je déplore. Le rapport évoque le transfert de Santé publique France à l'assurance maladie : il aurait fallu mobiliser les crédits de l'État.
Les crédits ne sont pas au rendez-vous. L'Oniam ne bénéficie pas de crédits supplémentaires, alors qu'il joue un rôle très important. Il en va de même par l'INCa. Le confinement a pourtant entraîné des retards de traitement en oncologie, avec des reports de chirurgies et de chimiothérapies.
S'agissant de l'AME, la rapporteure a trouvé une solution que nous n'approuvons pas. L'an dernier, nous nous étions opposés au durcissement des conditions d'accès à cette aide. Nous avions dénoncé une réforme contreproductive, injuste et inefficace. J'ai noté l'importance du volet prévention, mais nous ne sommes pas d'accord avec la notion de panier de soins, qui est une fausse bonne idée.
Nous voterons donc contre les crédits de la mission « Santé ».
Comme médecin libéral, le panier de soins ne me convient pas. Lorsqu'un bénéficiaire de l'AME prend rendez-vous, nous ne connaissons pas la nature du problème médical qui justifie sa demande de consultation.
Je remercie la rapporteure pour son exposé. Le périmètre de la mission est limité puisque l'essentiel des mesures relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les propositions sur l'AME sont pragmatiques et équilibrées. Quant aux crédits du programme 204, ils sont en augmentation de 29 % en 2021.
Je voudrais attirer l'attention sur deux sujets : les ruptures de stocks des vaccins antigrippaux nous rappellent l'urgence du renforcement de nos politiques de prévention ; un retard de diagnostic de cancers a été observé pendant le premier confinement.
Mon groupe votera les crédits de la mission.
Je m'associe aux félicitations adressées à la rapporteure pour la qualité de son rapport. Je souscris à sa proposition sur l'AME.
Je suis consterné par la stagnation des moyens des CPP, alors même que ceux-ci ont été soumis à une intense charge de travail pour accompagner l'effort de recherche clinique déployé pendant la crise. Mme Buzyn s'était fortement engagée sur cette question, et il est regrettable que ses promesses n'aient pas été tenues : 34 CPP sur 39 ne fonctionnent qu'avec un ETP, ce qui va être un handicap pour poursuivre le travail engagé, notamment par le Sénat.
Madame Cohen, en ce qui concerne le programme 204, on peut se féliciter que le Sénat ait introduit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 le principe d'une compensation à l'euro près par l'État du transfert de Santé publique France à l'assurance maladie.
Nous regrettons que les crédits de l'INCa diminuent très légèrement. Nous pourrons entendre les représentants de l'INCa afin de savoir si les moyens sont réunis pour une future stratégie décennale de lutte contre le cancer.
Le recentrage du panier de soins s'articule autour de trois volets de prise en charge.
Le premier couvre toutes les situations susceptibles de mettre en jeu le pronostic vital du patient ou de dégrader durablement son état de santé : ce sont les « maladies graves et les soins urgents ». Cela suppose de prendre en charge les affections aiguës, comme une appendicite, des fractures, des blessures graves. Seront également pris en charge la prévention et le traitement de pathologies graves : maladies infectieuses graves, maladies chroniques comme les cancers, l'insuffisance rénale et le diabète. Le deuxième concerne les soins liés à la grossesse et à la maternité.
Le troisième couvre les soins de prévention en garantissant l'accès aux vaccinations réglementaires et aux examens de prévention. Le dispositif des examens de prévention en santé mis en oeuvre par les 85 centres d'examen de santé pourrait être mobilisé pour permettre l'accès des bénéficiaires à l'aide médicale de santé publique, afin de bénéficier de consultations et d'examens adaptés à l'âge et aux facteurs de risque. Les examens de prévention en santé permettent de bénéficier de consultations en lien avec les problèmes d'addiction, de santé sexuelle, de troubles cardiovasculaires, de dépistage du cancer et de troubles psychologiques.
Madame Lassarade, la consultation facturée par un médecin sera payée par l'assurance maladie si le patient a une carte d'AME. Le médecin n'est pas le flic de service ! Nous avons, vous et moi, régulièrement fait des consultations gratuites. Si l'on a réduit le panier de soins, c'est pour limiter les fraudes des réseaux mafieux, qui utilisent les cartes d'AME de personnes qu'ils ont fait venir sur le sol français pour obtenir, via des consultations médicales, des ordonnances de médicaments onéreux, de psychotropes, de Subutex®, d'hormones de croissance, d'insuline, etc. Cette fraude se chiffre en dizaines de millions d'euros. Cette mesure fait partie des « fermetures de robinet » indispensables pour que nous puissions aider plutôt ceux qui ne vont pas vers le soin alors même qu'ils en ont besoin.
Madame Mélot, le confinement a donné lieu à des chutes dramatiques des vaccinations réglementaires. Il faut être vigilant sur l'hésitation vaccinale. L'adhésion de la population aux vaccins contre le covid-19 est un véritable enjeu. Il faut que le Gouvernement rassure les Français, et soit transparent sur les effets secondaires et les risques.
Monsieur Sol, un article additionnel a été intégré dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 pour créer une contribution additionnelle sur le chiffre d'affaires des industries pharmaceutiques afin de dégager des moyens supplémentaires pour les CPP. Le montant devrait être de 3 millions d'euros.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 33
ÉTAT B
Dans un souci de maximisation de l'accès aux soins et à la prévention des bénéficiaires de l'aide médicale de santé publique, je vous propose un amendement qui crée, au sein de la mission « Santé », un programme dédié au financement d'actions conduites par l'État, l'assurance maladie et les associations, notamment dans le cadre de démarches d' « aller vers », telles que des maraudes, des bus de prévention ou encore des barnums de dépistage, pour aller à la rencontre des personnes en situation irrégulière, leur proposer des examens et les sensibiliser à la nécessité de solliciter le dispositif de l'aide médicale de santé publique pour bénéficier d'examens complémentaires de prévention. Le montant alloué à ce programme est de 10 millions d'euros.
Cet amendement est adopté.
Article additionnel après l'article 65
Mon amendement prévoit de remplacer l'AME de droit commun par une aide médicale dite de « santé publique » recentrée.
La prise en charge comprendrait : le traitement des maladies graves et les soins urgents, couvrant l'ensemble des situations susceptibles de mettre en jeu le pronostic vital de la personne ou d'affecter durablement son état de santé ; les soins liés à la grossesse et ses suites ; un ensemble de soins de prévention comprenant les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive.
Cet amendement maintient enfin les apports de la réforme introduite par le Gouvernement en loi de finances pour 2020 : clarification de la condition de résidence, obligation de comparution physique et, pour les soins non vitaux, délai d'ancienneté dans le dispositif et accord préalable de l'équipe de soins.
Cet amendement est adopté.
Pour le premier amendement, il est prévu de transférer 10 millions d'euros du programme 183 vers ce nouveau programme.
La commission émet un avis favorable à l'adoption de la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2020, sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Les crédits de paiement de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » s'élèvent à 26,1 milliards d'euros pour 2021, en légère baisse de 0,5 % par rapport aux crédits initialement ouverts pour 2020. Cette baisse intervient après de fortes hausses, de 21,6 % entre 2018 et 2019, et de 10 % entre 2019 et 2020.
En tenant compte de l'ouverture de crédits supplémentaires par les trois lois de finances rectificatives et par le quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020, le total des crédits ouverts pour cette année a cependant été porté de 26,3 à 29 milliards d'euros.
Environ 80 % des crédits de la mission servent à financer deux prestations sociales : l'allocation aux adultes handicapés (AAH), portée par le programme « Handicap et dépendance » à hauteur de 11,1 milliards d'euros, et la prime d'activité, dont les crédits s'élèvent à 9,7 milliards d'euros au sein du programme « Inclusion sociale et protection des personnes ».
Après des revalorisations exceptionnelles de ces deux prestations en 2018 et 2019, entraînant notamment une forte croissance des dépenses au titre de la prime d'activité, leur montée en charge a été ralentie en 2020 par des sous-revalorisations, et semble s'interrompre en 2021.
En particulier, la crise économique et sociale consécutive à la crise sanitaire devrait avoir un impact négatif sur la prime d'activité, d'où la baisse de 1,7 % des crédits demandés à ce titre. Il s'agirait du premier reflux des dépenses au titre de cette prestation depuis sa mise en place en 2016.
Ce reflux intervient, paradoxalement, à l'heure où la situation du pays semble appeler un effort soutenu en matière de cohésion sociale et de lutte contre les inégalités.
Cette situation n'est pas entièrement imputable à la crise que nous traversons actuellement. Selon les données définitives de l'Insee, les inégalités de niveau de vie ont nettement augmenté en 2018 : l'indice de Gini est passé de 0,289 en 2017 à 0,298 en 2018. Le taux de pauvreté, qui s'établit à 14,8 % en 2018, s'est accru de 0,7 point sur un an.
Or, la crise sanitaire et ses conséquences économiques soulèvent des enjeux majeurs en termes d'inégalités sociales, ainsi que me l'a parfaitement exposé la déléguée interministérielle à la lutte contre la pauvreté, Marine Jeantet.
Premièrement, on peut constater que l'exposition au risque de contamination ainsi que le risque de développer des formes graves de la covid-19 sont inégalement répartis dans la population.
Deuxièmement, le confinement de la population a rendu plus criantes certaines inégalités existantes : l'inégalité des conditions de logement, les inégalités de genre, la fragilité des personnes isolées - à plus forte raison des personnes âgées ou handicapées -, les disparités entre milieu rural et milieu urbain, les inégalités scolaires, ou encore la fracture numérique.
Troisièmement, la crise économique et sociale qui résulte de cette crise sanitaire impacte davantage les personnes les plus précaires et elle risque de précipiter de nouvelles catégories de population dans la pauvreté.
Si la revalorisation de 90 euros du bonus de la prime d'activité au niveau du SMIC, décidée en décembre 2018 à la suite de la crise des gilets jaunes, a fait baisser de 0,5 point le taux de pauvreté monétaire en 2019, et même de 0,9 point pour les familles monoparentales, les effets positifs de la prime en matière de lutte contre la pauvreté seront altérés par la montée du chômage. Cette prestation présente en effet un caractère procyclique qui ne lui permet pas de jouer un rôle d'amortisseur en temps de crise.
Quant à l'AAH, après avoir été portée au 1er novembre 2019 à un niveau inédit depuis trente ans par rapport au seuil de pauvreté, elle sera indexée en 2021 sur un taux d'inflation faible. Il conviendra de veiller à ce que de prochaines mesures d'économies n'amorcent pas un nouveau décrochage pour le pouvoir d'achat des allocataires après cette année neutre. À cet égard, j'ai noté avec satisfaction que l'AAH ne serait pas intégrée dans le futur revenu universel d'activité (RUA) - si tant est que celui-ci voie le jour.
En 2020, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » a permis de financer des dispositifs exceptionnels visant à pallier les conséquences sociales des décisions prises pour faire face à l'épidémie de covid-19.
Une aide exceptionnelle de solidarité (AES) a ainsi été versée par les caisses d'allocations familiales (CAF) le 15 mai, d'une part, aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et d'autres minima sociaux, d'un montant de 150 euros complétés de 100 euros par enfant à charge, et, d'autre part, aux foyers bénéficiaires d'une aide personnalisée au logement (APL), pour un montant de 100 euros par enfant à charge. Les CAF ont également versé, fin juin, une aide exceptionnelle de 200 euros aux jeunes de moins de 25 ans percevant les APL, à l'exclusion des étudiants. Le Premier ministre a annoncé en octobre qu'une nouvelle AES serait versée le 27 novembre à l'ensemble des publics visés par les aides du printemps. Ces mesures représentent au total un coût de 2 milliards d'euros.
Par ailleurs, le Gouvernement a pris par ordonnance des mesures visant à sécuriser les droits des bénéficiaires de l'AAH pendant l'état d'urgence sanitaire, notamment en prolongeant automatiquement les décisions d'attribution de l'AAH arrivées à échéance pendant cette période. Compte tenu des conditions sociales du confinement, puis du déconfinement, le Gouvernement a également été amené à déclencher deux plans d'urgence en matière d'aide alimentaire d'un montant total de 94 millions d'euros.
Alors qu'une nouvelle période de confinement a débuté le 30 octobre, le relatif retour à la normale envisagé par les crédits de la mission pour 2021 apparaît en décalage avec la période exceptionnelle que traverse le pays sur le plan social. Sans doute faut-il s'attendre à ce que le Gouvernement reconduise en 2021 la méthode consistant à réviser plusieurs fois le budget en cours d'année pour répondre aux situations d'urgence.
De même, le plan de relance n'intervient dans le périmètre de la mission qu'à hauteur de 57,5 millions d'euros pour 2021, consacrés notamment à un soutien exceptionnel en faveur des associations de lutte contre la précarité ; celles-ci recevront au total 100 millions d'euros sur deux ans.
Le Premier ministre a cependant annoncé, le 24 octobre, une série de mesures visant à prévenir « la bascule dans la pauvreté » des personnes les plus précaires et présentées comme un « acte II » de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Parmi ces mesures, plus ou moins nouvelles, qui sont au croisement de plusieurs missions budgétaires et s'échelonnent entre 2020 et 2022, figure le lancement en janvier 2021 du service public de l'insertion, désormais dénommé « service public de l'insertion et de l'emploi » (SPIE), dans trente départements.
Par ailleurs, nous devrions suivre avec attention le projet d'expérimentation d'une recentralisation du RSA dans certains départements, notamment la Seine-Saint-Denis, après les recentralisations déjà réalisées dans trois collectivités d'outre-mer - la Guyane, La Réunion et Mayotte. Bien que les départements ne soient pas unanimes sur cette question, cette mesure permettrait aux départements les plus affectés par la situation sociale de bénéficier, sur la base du volontariat, d'un soulagement financier qui leur redonnerait des marges pour agir.
En revanche, malgré le ralentissement des entrées de mineurs non accompagnés (MNA) sur le territoire, un engagement plus fort de l'État reste attendu par les départements. Bien que la contribution exceptionnelle aux dépenses d'aide sociale à l'enfance (ASE) soit une nouvelle fois reconduite, son mode de calcul conduit à la contraction d'année en année de son montant. De plus, un arrêté du 23 octobre 2020 conditionne désormais la majeure partie de la participation forfaitaire de l'État aux frais liés à l'évaluation de la majorité et à la mise à l'abri des jeunes à la signature par le président du conseil départemental d'une convention avec le préfet. Je vous proposerai donc un amendement visant à rétablir à son niveau de 2020 la participation de l'État à la prise en charge des MNA, qui baisse de 42 millions d'euros dans le présent PLF.
Certaines actions connaissent toutefois une progression qu'il faut saluer, même si leur poids budgétaire est modeste en valeur absolue.
En 2021, l'enveloppe inscrite au titre du dispositif d'emploi accompagné s'élève à 15 millions d'euros, contre 10 millions d'euros en loi de finances pour 2020. Avec les 15 millions d'euros prévus dans le cadre du plan de relance, qui seront versés aux agences régionales de santé (ARS) sur deux ans, les crédits demandés pour 2021 au titre de l'emploi accompagné s'élèvent à 22,5 millions d'euros. L'assouplissement prévu par la troisième loi de finances rectificative pour 2020, qui a ouvert au service public de l'emploi la possibilité de prescrire un dispositif d'emploi accompagné, va également dans le bon sens et devrait permettre d'augmenter le taux d'emploi du public visé. Il en va de même de l'expérimentation actuelle d'un rapprochement de Pôle emploi et des Cap emploi.
Cet effort inédit en faveur de ce dispositif d'emploi accompagné, qui s'adresse aux travailleurs handicapés ayant besoin d'un accompagnement médico-social pour s'insérer durablement sur le marché du travail, doit être salué. Néanmoins, je m'interroge sur l'inscription dans la mission « Plan de relance » de crédits qui, compte tenu des caractéristiques du public concerné et de la nature des contrats conclus dans ce cadre, auront probablement vocation à être pérennisés.
Au titre du programme « Égalité entre les femmes et les hommes », la prise de conscience de l'ampleur des violences conjugales pendant la période de confinement a créé un choc favorable à une hausse substantielle des crédits consacrés à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, concrétisant ainsi certains des engagements du Grenelle contre les violences conjugales. Au total, les crédits de paiement du programme progressent ainsi de 37,5 % pour atteindre 41,5 millions d'euros.
Quant au parcours de sortie de la prostitution, il semble commencer à trouver sa place, avec des crédits maintenus à leur niveau de 2020 et un nombre de bénéficiaires en augmentation progressive, même si cela reste, du point de vue de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), « un tout petit sujet ».
Enfin, l'exercice 2021 devrait voir le début de la mise en oeuvre, à travers un processus de contractualisation entre l'État et les départements, de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance 2020-2022. Il convient de souligner que des crédits nouveaux, à hauteur de 115 millions d'euros, sont inscrits dans le projet de loi de finances à cette fin.
Les deux articles rattachés à la mission, insérés par l'Assemblée nationale, n'appellent pas de commentaire particulier. L'article 68 aligne les conditions d'attribution de l'AAH à Mayotte avec les règles en vigueur dans l'hexagone. L'article 69 formule une demande de rapport concernant les MNA.
À l'issue de cet examen, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission ainsi qu'aux articles rattachés.
Je donne d'abord la parole à Philippe Mouiller, qui était notre précédent rapporteur pour avis sur cette mission.
Merci pour cette intervention très claire et très précise, notamment sur l'évolution de cette mission. La crise sanitaire aura des incidences sur les revenus, et donc sur la prime d'activité. L'AAH est liée aux revenus de l'ensemble de la famille. Quel sera l'impact de la diminution potentielle des revenus sur l'évolution de l'AAH ? Le Gouvernement a fait machine arrière dans son projet d'intégrer l'AAH dans le RUA : je m'en réjouis comme vous. Quel sera le devenir de l'AAH au sein de la mission ? Ne sera-t-elle pas transférée prochainement à la branche autonomie de la Sécurité sociale ? Il est bien difficile d'en donner une définition, puisqu'on hésite entre un minimum social et la compensation du handicap - mais il y a aussi une prestation de compensation du handicap. De la définition retenue dépend la décision d'intégrer, ou non, les revenus du conjoint dans le calcul de l'AAH. Les minima sociaux, par définition, prennent en compte l'ensemble des revenus de la famille. Mais s'il s'agit d'une compensation du handicap, l'individualisation de l'allocation s'impose. Avez-vous senti vos interlocuteurs motivés sur le transfert de l'AAH à la branche autonomie ?
Je salue le niveau des crédits affectés à l'emploi accompagné, qui est une dimension essentielle de la politique de l'emploi des travailleurs handicapés. Encore faudra-t-il suivre l'évolution de ces crédits dans la durée.
Considérez-vous les montants consacrés à l'aide alimentaire comme suffisants, au regard de la crise sanitaire que nous vivons ?
On ne peut qu'être critique sur les crédits alloués aux mineurs isolés, en décalage complet avec la réalité que nous vivons dans tous les départements. Cela nous renvoie au débat, plus général, de la compensation du reste à charge pour les départements.
J'ai le sentiment, en vous écoutant, que la stratégie du Gouvernement pour lutter contre la pauvreté est toujours axée sur les mêmes orientations, les mêmes lignes, avec les mêmes projets. Ne pensez-vous pas que la situation que nous vivons, dont l'impact social risque d'être fort en 2021, nécessiterait une évolution, voire une remise à plat, du plan pauvreté, qui date d'une période qui était beaucoup plus propice à la prise en charge des situations difficiles ?
Comme tous les rapports qui nous ont été présentés ce matin, celui-ci est d'une grande qualité. Pour autant, je ne partage pas ses conclusions, même si je trouve pertinentes plusieurs des critiques qu'il formule.
Ce budget ne semble pas être réellement impacté par la crise que nous vivons. Il n'est absolument pas à la hauteur ! Pourtant, la situation est particulièrement préoccupante. Les banques alimentaires font état d'une hausse de 20 à 25 % de la demande. Selon le Secours populaire, 1,3 million de personnes supplémentaires sollicitent ses aides alimentaires. Et l'Unédic prévoit 900 000 chômeurs de plus en 2020. Or, l'action consacrée à l'aide alimentaire perd, à elle seule, 8 millions d'euros. Au moment où la faim s'étend comme rarement dans le pays, où l'on observe des files d'attente de plus en plus importantes, c'est incompréhensible.
La direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) estime que 963 000 jeunes de 16 à 25 ans ne sont ni en emploi ni en études. Or, depuis janvier 2019 et la suppression de l'aide à la recherche emploi, il n'existe plus aucune aide pour les jeunes qui entrent sur le marché du travail. Que pensez-vous d'un RSA qui pourrait être étendu aux jeunes de 18 à 25 ans dans cette situation ? Sur l'AAH, je partage les interrogations de M. Mouiller.
En tous cas, les crédits de cette mission ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux. Cette mission prévoit, je crois, le recrutement de 500 agents supplémentaires dans les agences régionales de santé (ARS) pour le suivi des contaminations au covid-19. Je ne suis pas persuadée que ces emplois supplémentaires doivent être consacrés aux ARS... Mon groupe votera contre ces crédits, qui sont insuffisants.
Vu le contexte, effectivement, ce budget peut difficilement être considéré comme à la hauteur des besoins : un million de pauvres supplémentaires sont annoncés pour la fin 2020, qui viennent s'ajouter à plus de 9 millions de personnes qui vivent déjà sous le seuil de pauvreté, sans parler de la situation des jeunes...
Les crédits du programme 304 diminuent, ce qui n'est pas approprié dans ce contexte. Certes, des modifications font qu'on ne peut les comparer directement à ceux de 2020. Pour autant, la baisse globale que l'on constate ne permettra pas de faire face à l'immense demande des associations caritatives, des communes et des centres communaux d'action sociale, qui nous alertent et sont submergés de demandes d'accompagnement, qu'il s'agisse d'aide alimentaire ou d'accompagnement psychologique et social. Et les choses ne vont pas s'arranger en 2021, avec de nombreuses suppressions d'emplois attendues, des faillites d'entreprises, d'artisans, de commerçants, sans parler des travailleurs indépendants, qui vont se retrouver sans revenus, ou des jeunes, sur lesquels je reviendrai.
La prime d'activité représente la plus grande partie du financement de cette mission. Elle est en baisse. Il faut rapidement travailler sur les difficultés dans lesquelles vont se retrouver nos jeunes, notamment : les petits boulots ne sont plus possibles ! Ce budget ne prévoit pas de financement pour un revenu de base, un minimum jeunesse que nous proposerons, pour permettre à nos jeunes de poursuivre sereinement leurs études, mais aussi de se préparer à l'emploi dans de bonnes conditions.
Concernant l'aide alimentaire, la situation qui nous attend en 2021 et le creusement des inégalités ne feront qu'accroître le nombre de personnes aux portes de nos associations. Il n'est pas certain que les crédits prévus permettent de faire face à cette augmentation sans précédent de la pauvreté dans notre pays.
L'action 19 est consacrée à la prévention de, et à la lutte contre, la pauvreté des enfants et des jeunes. Le Premier ministre avait annoncé, et devait amorcer, une nouvelle étape de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. On ne voit rien de concret dans ce budget. Pourtant, 54 % des étudiants auraient des problèmes pour payer leur loyer, 53 % n'ont pas une alimentation saine et équilibrée, 40 % ont subi une perte de leur revenu et, pour les jeunes femmes, 32 % avouent avoir des difficultés à acheter des protections hygiéniques. Ces problèmes financiers plongent notre jeunesse dans une détresse psychologique, qui impose de prévoir un accompagnement psychologique, dont les coûts de prise en charge sont inéluctables.
Sur l'action 17, relative à la protection et à l'accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables, on peut dire que les préconisations qui ont été faites sur les mille premiers jours ne débouchent pas sur des actions précises. Avez-vous des informations sur la création d'une application mobile des mille jours et d'une plateforme numérique correspondante ?
Sur le handicap et la dépendance, nous sommes très favorables à une déconjugalisation du versement de l'AAH, qui est liée à l'état de la personne et non pas à la situation familiale. Je pense particulièrement aux conséquences sur les femmes victimes de violences, qui hésitent à quitter le domicile lorsqu'elles sont dépendantes de la situation du foyer.
Sur l'égalité femmes-hommes, les crédits sont en très nette augmentation. Les besoins sont énormes, et les périodes de confinement aboutissent à de très fortes sollicitations de nos forces de l'ordre, mais également de nos associations, et créent un besoin, là aussi, d'accompagnement psychologique, qui ne semble pas prévu.
Sur les ARS, je rejoins la remarque de Mme Cohen. Je ne suis pas convaincue que ces moyens supplémentaires attribués aux ARS, pour la gestion du covid, aient leur place dans ce budget. Quid de l'accompagnement, notamment dans le secteur médico-social ?
Mon groupe votera donc contre cette proposition.
Il faut souligner et saluer les efforts qui ont été faits dans beaucoup de domaines, même s'il reste encore beaucoup à faire. Concernant la prise en charge du handicap, la question posée par Philippe Mouiller est primordiale, et nous espérons avoir une réponse rapidement. Les mesures prises sont tout de même importantes, puisque le montant de l'AAH s'élève désormais à 900 euros par mois, même s'il faut encore encadrer le dispositif, et que l'accompagnement des travailleurs handicapés se développe dans les établissements et services d'aide par le travail, avec la mise en place d'un dispositif de soutien afin de garantir la rémunération de 120 000 employés, en progression de 5 millions d'euros, complété par 15 autres millions d'euros issus du plan de relance. L'objectif est de redescendre sous le palier des 500 000 chômeurs handicapés. En ce qui concerne le handicap, s'il y a beaucoup à faire, il y a donc une prise de conscience, qui permettra d'avancer.
Le programme 137 concerne l'égalité femmes-hommes et affiche des crédits en augmentation, historique, de 40 % par rapport à 2020. Il est vrai qu'on partait de niveaux très bas. Ce programme s'attache notamment à développer les lieux d'écoute et d'orientation des femmes victimes de violences conjugales sur l'ensemble du territoire. Cela se matérialisera en 2021 par le déploiement d'une plateforme d'écoute 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Nous saluons la hausse des crédits et l'engagement du Gouvernement dans ce programme, qui permet de concrétiser et de prolonger les mesures issues du Grenelle contre les violences conjugales.
Enfin, pour ce qui concerne la lutte contre la pauvreté, le Président de la République avait annoncé une stratégie nationale, dont on voit les frémissements, notamment pour prévenir les sorties sèches de l'aide sociale à l'enfance et favoriser l'insertion professionnelle des bénéficiaires du RSA. La commission s'est beaucoup investie sur la question de l'insertion, notamment par la voix de Frédérique Puissat et par la proposition de loi relative à l'insertion par l'activité économique. Il faut multiplier les efforts pour favoriser le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA, en nous appuyant notamment sur les départements, comme nous le savons tous : certains sont d'ores et déjà volontaires pour expérimenter un nouveau dispositif d'incitation au retour à l'emploi autorisant de façon temporaire le cumul du RSA avec une activité à temps partiel. La proposition de loi déposée par Claude Malhuret pourrait bénéficier à de nombreux départements. J'espère qu'elle pourra être examinée dans les mois qui viennent.
Dans l'ensemble, notre groupe se prononcera favorablement sur les crédits de cette mission. L'amendement sur les MNA aborde un problème réel, auquel il faut proposer des solutions.
Je suis plus qu'effarée de voir qu'il n'y a quasiment rien, et même rien du tout, dans cette mission, sur la situation et l'emploi des jeunes.
Je pense à l'aspect social et à la mise en place d'un dispositif de type RSA. Y a-t-il quelque chose dans ce projet de loi de finances pour aider au moins de manière temporaire, pendant la durée de cette crise, des jeunes de moins de 25 ans qui n'ont pas d'emploi à s'alimenter et subvenir à leurs besoins primaires ? Non. Pourtant, une grande pauvreté est en train de s'installer chez un certain nombre de jeunes de moins de 25 ans, soit qu'ils soient étudiants, soit qu'ils ne soient pas soutenus par leur famille. J'avais cru comprendre, toutefois, que de nouveaux dispositifs allaient être confiés aux missions locales. Cela me semble très important, car il s'agit d'un outil très reconnu. Un gros effort est fait en faveur de l'emploi accompagné pour les personnes handicapées. De quel type d'emplois s'agit-il ? Qu'appelle-t-on emploi accompagné ?
Je suis moi aussi très étonnée, pour ne pas dire plus, du total décalage que je constate, comme le rapporteur. Je parlerais même d'amnésie ! Il aurait été intéressant pour le Gouvernement d'établir ses projets de budget en fonction de la crise sanitaire que nous traversons. Là, on a vraiment le sentiment d'être hors-sol. Il est vrai que le Gouvernement avait anticipé, à travers le plan de lutte contre la pauvreté et la stratégie de protection de l'enfance. Mais c'était compter sans cette crise, qui nous offre sans doute l'opportunité de doubler ces budgets, au minimum ! On voit bien dans les départements qu'il s'agit de deux sujets majeurs, et que les dépenses ont augmenté pendant la crise.
Pour les MNA, par exemple, pendant le confinement et le déconfinement, nos dépenses ont augmenté, parce qu'il a fallu faire plus de lien entre ces jeunes, et davantage les accompagner pour l'alimentation, le logement et même les tests. Dans la Mayenne, les crédits que nous n'avons pas dépensés pour les assistants familiaux, parce qu'ils ont fait moins de déplacements pendant le confinement, nous les avons tous reportés sur la mission « Mineurs non accompagnés ». Toutes nos dépenses explosent en ce moment, d'ailleurs. La Seine-Saint-Denis est en cessation de paiement, et ce n'est que le début. Les digues ont sauté, et il faudrait absolument que le Gouvernement propose des politiques qui soient vraiment pensées en fonction de la crise que nous traversons.
La baisse du total des crédits, pour moi, n'est pas acceptable. Cela ne prend pas en considération les dépenses importantes des collectivités et des associations, dont les moyens s'amenuisent. Le Gouvernement aurait intérêt à écouter ce qui se passe sur le terrain et à adapter ses propositions de crédits sur des sujets aussi importants : la pauvreté ne va pas diminuer dans notre pays...
Le budget consacré par l'État aux MNA diminuerait de 42 millions d'euros, si j'ai bien compris. Une telle décision n'a pu être proposée que par des personnes qui sont hors-sol par rapport à la réalité dans nos départements ! Je voterai avec plaisir l'amendement du rapporteur.
La suppression de la prise en compte des revenus du conjoint pour l'attribution de l'AAH est demandée depuis plusieurs années par les associations de personnes handicapées, qui considèrent, sans doute à juste titre, que la dépendance financière vis-à-vis du conjoint ne devrait pas s'ajouter à la dépendance due au handicap. Cependant, cette mesure doit être envisagée avec précaution, d'abord en raison de son coût budgétaire : elle représenterait une dépense supplémentaire de 560 millions d'euros par an. Puis, elle ne ferait pas que des gagnants, puisque, selon la DREES, 44 000 ménages seraient perdants et 21 % d'entre eux perdraient le bénéfice de l'AAH. Cela pose enfin une question d'équité, notamment vis-à-vis de nombreuses personnes en situation de handicap qui ne perçoivent pas l'AAH mais un autre minimum social. Une proposition de loi allant dans ce sens a été adoptée en février dernier à l'Assemblée nationale, mais n'a pas encore été examinée au Sénat.
Le montant de l'AAH est désormais de 902,70 euros. Les crédits de l'AAH sont sans doute assez mal calibrés pour 2021. Il n'y a pas de raison pour qu'ils diminuent. Le transfert de l'AAH à la branche autonomie est envisagé, dans le rapport Vachey, pour 2022. Pour l'instant, nous n'avons pas eu de confirmation sur ce point.
L'acte II annoncé ne modifie pas les grandes lignes de la stratégie initiale de lutte contre la pauvreté. Il est peut-être temps, en effet, de la remettre à plat. L'action consacrée à l'aide alimentaire ne diminue que facialement, madame Cohen. La baisse résulte de moindres remboursements au Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD), du fait d'une meilleure gestion. Sur le terrain, les dépenses d'aide alimentaire vont augmenter.
La question de l'extension du RSA aux jeunes est un enjeu important de la réforme du RUA. Le versement d'une aide exceptionnelle aux jeunes précaires cette année a montré que cela n'était pas impossible.
La baisse du programme 304 résulte du reflux de la prime d'activité, en lien avec la hausse du chômage. Il est vrai qu'un soutien exceptionnel serait attendu pour une année qui s'annonce compliquée, notamment sur le plan social. Sur l'aide alimentaire, il est probable que la situation appellera à d'autres ouvertures de crédits exceptionnels, mais les montants augmentent.
La question des jeunes est délicate. Il est vrai que les étudiants sont exclus de la prime exceptionnelle versée cette année. Quant au plan des « mille jours », la mission prévoit la création d'une application numérique, pour un coût de 2,5 millions d'euros.
Sur l'égalité hommes-femmes, le budget prévoit aussi la création d'un centre de suivi et de prise en charge des auteurs de violences conjugales, ce qui est une nouveauté prévue par le Grenelle des violences conjugales. Sur l'accompagnement des bénéficiaires du RSA, les départements risquent d'être confrontés à la hausse des demandes, qui sont déjà en augmentation de plus de 9 % en 2020.
Madame Lubin, il existe un RSA jeune actif financé par la mission « Solidarité », qui est trop restrictif et en quasi-extinction. Pour 2020, la mission a financé des aides exceptionnelles aux jeunes, versées en juin et en novembre. On ignore à ce stade si elles seront reconduites en 2021.
L'emploi accompagné peut concerner tout type d'emploi ou de contrat. Il consiste en un accompagnement médico-social, combiné à l'accompagnement dans l'emploi de personnes en situation de handicap. Il faudra veiller, en 2021, à la bonne consommation des crédits.
Sur les MNA, les flux semblent avoir diminué légèrement en 2019, et plus franchement en 2020, du fait du confinement. Mais il s'agit de dépenses durables, que les aides d'État sont bien loin de compenser. Il est regrettable que l'État profite de la mise en place de l'outil d'aide à l'évaluation de la majorité pour diminuer sa participation. Nous resterons vigilants.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Mon amendement augmente de 42 millions d'euros les crédits du programme 304, « Inclusion sociale et protection des personnes », afin de maintenir à leur niveau de 2020 les crédits consacrés à la participation de l'État à la prise en charge des MNA. La nécessaire responsabilité de l'État dans la prise en charge d'un phénomène migratoire dont l'incidence sera durable sur la protection de l'enfance justifie d'accroître le montant de sa participation. Or, les crédits demandés dans le projet de loi de finances passent de 162 millions à 120 millions d'euros entre 2020 et 2021. Cette augmentation de crédits de l'action 17, « Protection et accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables », du programme 304 est gagée sur une diminution des crédits de l'action 17 au sein du programme 124.
L'amendement est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », ainsi qu'aux articles rattachés, sous réserve de l'adoption de son amendement.
La réunion est close à 12 h 45.