Intervention de Éric Dupond-Moretti

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 17 novembre 2020 à 17h45
Projet de loi de finances pour 2021 — Audition de M. éric duPond-moretti garde des sceaux ministre de la justice

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je suis très heureux de vous présenter ce budget. Je salue la qualité des échanges qui ont eu lieu en commission des finances le 4 novembre dernier, laquelle a proposé d'adopter ce budget sans modification.

Ce projet de budget progresse de 8 %, soit 607 millions d'euros supplémentaires, c'est deux fois l'augmentation de l'an passé et cela en fait un budget historique pour la justice, à 8,2 milliards d'euros. Ces moyens inégalés depuis vingt-cinq ans vont permettre le rattrapage défini par la loi de programmation pour la justice et le financement de mes priorités, au premier chef la justice de proximité.

Il s'agit d'abord d'un rattrapage en moyens humains : il y aura 1 500 recrutements nets en 2021, soit 240 de plus que prévu en loi de programmation, qui s'ajouteront aux quelque 950 emplois supplémentaires décidés l'an passé et qui sont en cours de recrutement pour renforcer les tribunaux, les établissements pénitentiaires et les équipes de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Au total, il y aura 2 450 recrutements supplémentaires, dont 1 100 nets pour les tribunaux, avec 50 magistrats, 130 directeurs de greffe, 596 greffiers et renforts de greffe - sachant qu'il y a 700 vacances de postes dans les greffes ; il y aura 1 200 renforts pour l'administration pénitentiaire, avec 719 créations de postes de surveillants, 335 conseillers pénitentiaires et 126 personnels pour la PJJ, dont 107 éducateurs. Ces crédits sont particulièrement bienvenus dans le contexte actuel, ce sont des moyens en plus, également, pour le renseignement pénitentiaire, pour la réalisation de places dédiées aux détenus radicalisés, pour le recrutement et la formation d'agents spécialisés.

Au-delà, nous devons améliorer le fonctionnement de notre justice en général. C'est pourquoi tous les maillons de la chaîne judiciaire vont être renforcés, pour mieux accueillir, juger plus vite et mieux faire exécuter les peines : c'est ce que les Français attendent de leur justice et c'est le sens de la justice de proximité.

Ce budget nous donne des moyens inédits : 200 millions d'euros et le fléchage de 1 100 emplois nouveaux sur les 2 450 postes que je vous ai annoncés. Ces recrutements viendront soutenir les juridictions, avec un total de 914 juristes assistants et des renforts pour les greffes ; 764 postes sont déjà en cours de recrutement sur contrats de projet. Nous n'avons pas une préférence pour le contrat par rapport au statut, mais nous devons y recourir pour recruter rapidement, compte tenu de l'urgence pour le service public de la justice : ces contrats sont plus souples et plus rapides à mettre en place, nous n'avons pas à attendre les dix-huit mois que requiert la formation pour les emplois statutaires. Les emplois contractuels permettront aux magistrats et aux greffiers de se concentrer sur le jugement, donc de réduire les délais de jugement - on estime que la présence d'un juriste assistant va jusqu'à doubler le nombre de jugements rendus par magistrat. Les services judiciaires vont être renforcés par un recours accru aux magistrats à titre temporaire, aux magistrats honoraires et aux délégués du procureur ; aujourd'hui, les services bénéficient de l'appui de 484 magistrats temporaires, 455 magistrats honoraires et 919 délégués du procureur, soit quelque 2 000 personnes en tout - je veux porter ce nombre à 3 000 et nous fléchons 28 millions d'euros pour renforcer les vacations.

L'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse bénéficient également des moyens nouveaux de la justice de proximité : nous venons de recruter 100 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) supplémentaires, qui viennent compléter par anticipation les 1 092 créations nettes prévues pour l'administration pénitentiaire, ainsi que 86 éducateurs de la PJJ, qui complètent eux aussi les 40 créations nettes proposées pour 2021.

Les moyens alloués à la justice de proximité portent également sur les dépenses de fonctionnement, d'investissement et d'intervention : nous envisageons d'augmenter de 127 millions d'euros les crédits en matière de frais de justice, soit une progression de 26 %. Cet effort considérable permettra d'agir concrètement en renforçant les moyens pour les frais d'expertise des enquêtes sociales rapides ou encore le renforcement du maillage territorial des unités médico-judiciaires : je souhaite ainsi dédier 20 millions d'euros supplémentaires à l'accueil des victimes au sein des unités médico-judiciaires.

La justice de proximité passe aussi par l'accélération et la diversification de la réponse pénale, avec 5 millions d'euros pour le déploiement des bracelets électroniques et des bracelets anti-rapprochement (BAR), ainsi que 2 millions d'euros pour le développement des travaux d'intérêt général (TIG) et du travail non rémunéré.

Mais la justice de proximité, c'est aussi l'amélioration de l'accompagnement des mineurs délinquants. Nous allons ainsi consacrer 20 millions d'euros au soutien du milieu associatif habilité qui intervient au bénéfice des mineurs pris en charge par la PJJ.

Ce budget permet d'aller au-delà d'un simple rattrapage de la loi de programmation et de réforme pour la justice, puisqu'il dépasse de près de 200 millions ce qui était inscrit en loi de programmation pour 2021.

Avec 607 millions d'euros supplémentaires, nous allons pouvoir poursuivre les politiques mises en oeuvre depuis le début du quinquennat. Nous allons investir davantage dans les programmes immobiliers des services judiciaires. Fin septembre, j'étais avec le Premier ministre au tribunal de Bobigny, où nous avons constaté que, littéralement, le tribunal prenait l'eau. Nous avons annoncé la construction d'un nouveau palais de justice pour 2025, avec l'engagement de 120 millions d'euros dès 2021 en crédits de paiement (CP). Les crédits dédiés à l'investissement immobilier progressent de 6 %, soit 227 millions d'euros : nous allons pouvoir faire des travaux au tribunal judiciaire (TJ) d'Aix-en-Provence, au palais de justice de Bastia ou encore construire de nouveaux palais de justice à Lille, à Mont-de-Marsan, à Perpignan, et bien sûr restructurer le palais de justice de l'île de la Cité à Paris.

Au total, les services judiciaires bénéficieront de 3 milliards d'euros, en hausse de 7 %, soit 203 millions d'euros de plus en un an.

Les crédits de l'administration pénitentiaire s'établissent à 3,3 milliards d'euros, en hausse de 9 %. Le plan de construction des 15 000 places de prison reçoit 556 millions d'euros en CP, en hausse de 42 %, avec l'objectif de programmer la deuxième phase des 8 000 places d'ici à la fin du quinquennat. Ces crédits permettront la livraison dès l'an prochain du centre pénitentiaire de Lutterbach, mais aussi d'ouvrir les places prévues des structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) : quelque 2 000 places en SAS seront ouvertes d'ici à 2022, comme prévu par la loi de programmation. Pour ce programme, j'ai besoin du soutien de tous les élus, en particulier des sénateurs, pour convaincre les maires qui sont parfois réticents à voir construire des établissements pénitentiaires sur leur territoire. La sécurité pénitentiaire bénéficiera de 63 millions d'euros, en hausse de 10 %, pour mieux lutter contre les drones malveillants ou encore poursuivre le déploiement des systèmes de brouillage des communications.

La PJJ n'est pas oubliée, avec 50 millions d'euros supplémentaires, soit 7 % de plus que l'an passé. C'est particulièrement utile pour préparer l'entrée en vigueur, au 31 mars prochain, du nouveau code de la justice pénale des mineurs. Nous allons développer les alternatives aux poursuites dans le secteur associatif habilité et apporter une réponse plus rapide et plus efficace aux actes de délinquance les moins graves.

Nous renforçons notre soutien aux structures qui prennent en charge les mineurs les plus difficiles, parce qu'ils présentent des troubles du comportement qui compromettent leur séjour dans les structures classiques. À titre d'exemple, 2,4 millions d'euros seront consacrés à la création de trois internats socio-éducatifs médicalisés pour adolescents. Nous poursuivons également notre politique de construction de 20 centres éducatifs fermés (CEF).

Ce budget permettra également d'améliorer l'accès de tous à la justice. Nous ajoutons ainsi 50 millions d'euros à l'aide juridictionnelle, soit 10 % d'augmentation ; nous allons mettre en oeuvre sans attendre la réforme et la revalorisation de l'aide juridictionnelle. Votre commission des finances, le 4 novembre, nous a reproché d'être passés par un amendement pour réformer l'aide juridictionnelle, plutôt que par le texte initial ; mais si nous l'avons fait, c'était pour laisser le temps à la concertation dans le cadre du Conseil national de l'aide juridique, qui s'est réuni en un temps record à plusieurs reprises en septembre.

Cette réforme de l'aide juridictionnelle vise à augmenter la rémunération des avocats : dès le 1er janvier, l'unité de valeur s'établira à 12 euros et nous révisons le barème pour mieux rémunérer les médiations. Il faut pouvoir utiliser cet effort budgétaire également pour développer les modes alternatifs de règlement des différends.

Pour les personnels du ministère, j'ai décidé de mettre en oeuvre une politique de ressources humaines visant à reconnaître d'abord le professionnalisme et les compétences des agents. Nous allons ainsi augmenter les primes des éducateurs de la PJJ qui accompagnent les mineurs la nuit et le week-end, ces primes n'ayant pas été revalorisées depuis parfois vingt ans. Pour accroître leur attractivité, nous allons revaloriser l'indemnité pour charge pénitentiaire des surveillants, avec une priorité aux jeunes professionnels qui bénéficieront d'une augmentation de 300 euros de leur rémunération. Nous allons aussi revaloriser le régime indemnitaire des greffiers et des directeurs de greffe, qui a décroché par rapport à des corps équivalents, alors qu'ils sont un rouage essentiel dans le fonctionnement de notre justice.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion