Intervention de Gilles de Kerchove

Commission des affaires européennes — Réunion du 12 novembre 2020 à 8h30
Justice et affaires intérieures — Audition de M. Gilles de Kerchove coordinateur de l'union européenne pour la lutte contre le terrorisme

Gilles de Kerchove, coordinateur de l'Union Européenne pour la lutte contre le terrorisme :

Je pense que le règlement sur le retrait des contenus en ligne devrait être adopté d'ici la fin de l'année. Comme je l'ai déjà indiqué, les derniers débats portent sur l'exécution immédiate de l'ordre de retrait par les plateformes, souvent basées en Irlande, sur une vérification de cet ordre par le ministère compétent à Dublin qui s'assurera que le retrait n'est pas politique et est bien lié au terrorisme, ou sur la mise en place d'un délai de 24 heures pour permettre à l'autorité qui recevra la demande de retrait de s'y opposer. Le projet de règlement comporte aussi des obligations de mise à disposition par les plateformes de ressources en personnel, en intelligence artificielle, pour éviter que plus de 90 % des contenus n'apparaissent terroristes.

Je me rends régulièrement dans les États membres pour écouter leurs besoins. Je travaille avec toutes les communautés, le renseignement, la police, les magistrats, les diplomates, les ministères des finances et les sociétés privées. Je relaie les besoins à Bruxelles et j'explique les politiques européennes. En France, j'ai eu ces derniers jours des contacts avec Laurent Nuñez, le coordinateur du renseignement à l'Élysée, et avec le patron de la DGSI. Je vois également la patronne de Tracfin, le Quai d'Orsay, et j'étais très proche de l'ancien procureur de Paris. Il y a une grande fluidité dans les échanges et une confiance mutuelle. J'exerce principalement une magistrature d'influence. Je dispose de peu de personnel et je n'ai pas de reconnaissance juridique dans les traités. Mon poste a été créé par les chefs d'État et de gouvernement après les attentats de Madrid en 2004. Sans autorité hiérarchique ni moyens financiers, seule une magistrature d'influence est possible.

Je n'ai pas été associé au pacte migratoire. En effet, à Bruxelles, le monde de l'immigration et de l'asile ne côtoie pas le monde de la sécurité. Les questions d'asile, de migration et de visa sont des compétences communautaires depuis le traité d'Amsterdam, alors que les questions de sécurité demeurent sous la responsabilité des États. Je reconnais manquer de temps pour m'investir sur les migrations. En revanche, je suis très souvent en contact avec le directeur exécutif de Frontex sur le contrôle aux frontières, pour transformer l'approche de l'agence sur la sécurité et favoriser sa coopération avec Europol.

Je pense que M. Breton et Mme Vestager sont très ambitieux sur le DSA dont le projet sera déposé début décembre. Je ne sais pas si nous irons jusqu'à l'engagement de la responsabilité des plateformes. Nous devrions imposer une obligation de moyens « duty of care » avec un système ressemblant à la compliance mise en place par les banques. Une autorité vérifierait si les plateformes ont pris toutes les mesures pour réduire l'impact négatif des publications, avec des sanctions en cas de manquements. La Commission va intervenir sur deux fronts, le DSA et un autre instrument législatif sous l'angle de la concurrence. Ce dernier permettra de limiter l'impact négatif de ces sociétés systémiques qui étouffent la concurrence. J'ajoute que j'encourage le développement de technologies européennes pour tout ce qui concerne la sécurité. La Commission est très soucieuse de l'autonomie stratégique. Grâce aux moyens mobilisés dans le cadre de la crise sanitaire, nous sommes en train de rattraper notre retard.

Je vais publier une note sur la liberté d'expression face aux algorithmes d'amplification. J'estime que la liberté d'expression n'existe pas sur Internet quand ces algorithmes amplifient certaines voix. Quand Donald Trump twitte, il écrase tous les autres tweets parce que 80 millions de personnes le suivent. Je m'interroge sur les moyens de diminuer l'amplification, donc la viralité d'un message.

Sur Cambridge Analytica, je ne sais pas pourquoi l'Europe a été faible. En revanche, je pense qu'elle a réagi en mettant en place une unité pour répondre à la désinformation. La Commission a également développé des capacités de contre-discours, même si des efforts restent à faire. Je reste préoccupé par l'utilisation d'Internet par des puissances étrangères qui mènent des campagnes de désinformation non seulement pour déstabiliser la démocratie mais pour encourager des violences. Par exemple, si des acteurs désinforment la société française sur le degré d'islamophobie en France, les relations entre les communautés peuvent se tendre et dégénérer en violence.

Depuis un an, nous n'avons plus de relations avec la Russie en matière de terrorisme. Pourtant, des échanges seraient utiles.

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