Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 16 novembre 2020 à 16h00
Loi de finances rectificative pour 2020 — Discussion générale

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis d’un quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 ; nous espérons qu’il sera le dernier.

Celui-ci est habituel, puisque, à chaque fin d’exercice, un projet de loi de finances rectificative doit tirer les conséquences de l’année écoulée et proposer un schéma de fin de gestion. Ce texte devait donc initialement se limiter à des ajustements budgétaires d’ampleur modeste, même si la fin de gestion se trouve pour le moins perturbée par les événements de l’année.

En réalité, il est fortement bouleversé du fait du rebond de l’épidémie et de la décision, annoncée le 28 octobre dernier, d’un reconfinement national.

Ainsi, le Gouvernement a dû revoir à la baisse sa prévision de croissance pour 2020, qui me paraît prudente. Alors que le PLF 2021 tablait sur une chute du PIB de 10 % à l’issue de l’exercice 2020, celle-ci atteindrait finalement 11 %. Ce scénario se fonde sur l’hypothèse d’une perte d’activité de 20 % en novembre par rapport au niveau d’avant la crise, contre 30 % en avril, lors du premier confinement.

En réalité, cette hypothèse est sans doute un peu pessimiste. Les premières analyses des instituts de conjoncture tablaient plutôt sur une perte d’activité de 15 % ; la première estimation réalisée par la Banque de France sur une étude conduite auprès des chefs d’entreprise après le confinement confirme ce constat : la Banque de France estime que la perte d’activité serait en novembre de 12 %, soit près de trois fois inférieure à celle qui avait été enregistrée en avril, lors du premier confinement.

Comme il était attendu, la perte serait très concentrée sur les services marchands, tandis que l’agriculture, l’industrie et la construction seraient relativement préservées. De fait, ces secteurs parviennent à poursuivre leur activité du fait à la fois des modalités plus souples du nouveau confinement, de l’expérience acquise par les entreprises et de la disponibilité des matériels de protection.

En tout état de cause, la prévision de croissance gouvernementale est très prudente, tout en incluant déjà une prolongation du reconfinement en décembre. Sur la base de l’hypothèse de la Banque de France d’une perte d’activité de 12 %, un reconfinement de deux mois se traduit par une chute du PIB de 9, 6 % seulement – si j’ose dire.

Cela n’a toutefois pas beaucoup d’importance pour le projet de loi de finances rectificative de fin d’année, dont les prévisions de recettes sont fondées avant tout sur les remontées comptables, et non sur un cadrage macroéconomique. D’ailleurs, la révision à la baisse de l’hypothèse de croissance n’a pas conduit le Gouvernement à diminuer sa prévision de recettes, laquelle est même, comme le ministre l’a souligné, très légèrement réévaluée par rapport au projet de loi de finances pour 2021, à hauteur de 700 millions d’euros supplémentaires.

Ainsi, c’est uniquement la hausse des dépenses liées aux mesures de soutien qui explique la dégradation de la trajectoire budgétaire.

Comme vous le savez, ce renforcement porte prioritairement sur les mesures permettant de compenser directement les pertes des entreprises. C’est le cas du fonds de solidarité, dont les crédits augmentent de 10, 9 milliards d’euros, des nouvelles exonérations de cotisations sociales, pour 3 milliards d’euros supplémentaires, et de l’enveloppe complémentaire de 3, 2 milliards d’euros pour le financement de l’activité partielle.

Au total, le déficit public atteindrait 11, 3 % du PIB et l’endettement, 119, 8 % du PIB. Inévitablement, la prévision de déficit pour l’État plonge également, pour atteindre 222, 9 milliards d’euros, soit quasiment le niveau prévu l’été dernier.

Les recettes fiscales ne sont pas en cause pour expliquer ce résultat. Au contraire, après des encaissements plus élevés que prévu au cours de l’été, les estimations de recettes fiscales nettes sont encore réévaluées par rapport à septembre dernier.

C’est donc, là encore, du côté des dépenses que se trouve l’explication du déficit. En effet, compte tenu de la seconde vague de l’épidémie et du reconfinement, une augmentation de 27 milliards d’euros du niveau des dépenses prévisionnelles de la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire » est prévue dans ce projet de loi de finances rectificative.

Alors que la prévision de déficit de septembre se fondait sur une hypothèse de sous-consommation de 10 milliards d’euros environ des crédits du plan d’urgence, désormais le Gouvernement non seulement table sur l’utilisation des crédits restant disponibles, mais nous propose même d’ouvrir des crédits supplémentaires, à hauteur de 17, 3 milliards d’euros.

Si ces crédits étaient vraiment consommés jusqu’à la fin de l’année, cela nous conduirait à dépenser beaucoup plus pendant les derniers mois de l’année que pendant le premier confinement. Ainsi, le fonds de solidarité disposera de plus de 13 milliards d’euros pour les trois derniers mois de 2020, soit le double des crédits consommés jusqu’à présent.

Vous faites donc le choix de la prudence, monsieur le ministre. Votre budget rectificatif repose sur des hypothèses extrêmement conservatoires ; le déficit prévu ne devrait pas être réellement atteint. Des crédits budgétaires pourront probablement être reportés sur 2021 – nous en reparlerons dans les prochains jours. D’ailleurs, nous savons déjà que la moitié de l’enveloppe de 20 milliards d’euros prévue au titre du renforcement exceptionnel des participations financières de l’État sera reportée sur 2021.

Toujours est-il que, au total, les ouvertures de crédits au fil des quatre lois de finances rectificatives de 2020 sont dix fois plus élevées que les années précédentes. C’est colossal, mais nécessaire. C’est pour cela que nous vous avons suivis, en responsabilité, lors de l’examen des trois précédents projets de loi de finances rectificative.

Outre les nouvelles enveloppes ouvertes au titre des mesures relevant de la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire », que je viens d’évoquer, les principales ouvertures et annulations de crédits des autres missions du budget de l’État sont souvent, elles aussi, en lien avec la crise : c’est, par exemple, le cas de l’ouverture de crédits pour l’aide exceptionnelle de solidarité – un milliard d’euros – ou du financement de la prime à l’embauche des jeunes de moins de 26 ans – un milliard d’euros en autorisations d’engagement.

Les annulations de crédits sont mineures par rapport aux ouvertures mais d’un montant plus élevé que les années normales, la crise ayant assurément différé la réalisation de projets d’investissement, dans des proportions toutefois difficiles à établir.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la commission des finances ne voit pas davantage de raisons de s’opposer à ce projet de loi de finances rectificative qu’aux trois premiers, sous réserve de quelques ajustements dont je ne dirai que deux mots car nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen des amendements.

Les mesures de soutien sont présentes et elles sont bien dotées. Le Gouvernement reste très prudent : il garde indéniablement des marges de manœuvre pour affronter les prochaines semaines. Si la situation peut l’expliquer, nous veillerons à en contrôler l’usage.

Nous avons toutefois quelques points de vigilance, monsieur le ministre.

Le premier est le fonds de solidarité.

Nous regrettons que sa lisibilité initiale ait fait place à une très grande complexité. Par ailleurs, nous avons été saisis des cas concrets d’un certain nombre de commerçants, de travailleurs indépendants et d’entrepreneurs qui ne sont pas soutenus ou insuffisamment. Ils subissent, par exemple, une baisse de chiffre d’affaires importante sans pouvoir bénéficier de l’aide maximale de 10 000 euros, parce qu’ils ne font pas l’objet d’une mesure de fermeture administrative ou qu’ils ne relèvent pas des secteurs que vous avez identifiés comme particulièrement affectés.

Nous en sommes arrivés à la conclusion selon laquelle il convient de prévoir, au-delà de l’aide de 1 500 euros, un renforcement du fonds de solidarité afin de tenir compte des charges fixes de ces structures.

Soutenir ces entrepreneurs qui souffrent, c’est assurer une relance plus rapide et efficace demain. Nous devons aider davantage les travailleurs indépendants, qui, ayant investi pour respecter les mesures de protection et de prévention préconisées, ne peuvent donc voir leur activité prendre fin dans ces conditions.

Le deuxième point de vigilance est la compensation des pertes de recettes des autorités organisatrices de la mobilité (AOM). Ce sujet, très technique, inclut la question cruciale de l’avenir de nos transports publics.

Parmi les comptes spéciaux, deux nouveaux programmes d’avances remboursables sont créés afin de soutenir Île-de-France Mobilités, à hauteur de 1, 2 milliard d’euros et les AOM hors Île-de-France, à hauteur de 750 millions d’euros.

La commission des finances a adopté un amendement visant à encadrer les conditions de remboursement de ces avances remboursables en instaurant des garde-fous, en particulier, en inscrivant dans la loi une clause de retour à meilleure fortune, qui assure que les AOM n’auront à les rembourser qu’à partir du moment où elles auront retrouvé un équilibre financier.

Sur l’initiative du Sénat, une telle clause avait déjà été adoptée dans le PLFR 3 pour les avances remboursables au titre des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) consenties aux départements.

Nous proposons également, à l’article 1er, un amendement tendant à corriger le dispositif de compensation à Action Logement. En effet, nous souhaitons éviter que l’État récupère les 50 millions d’euros prévus pour ce dispositif s’ils ne sont pas effectivement versés ; le cas échéant, cette somme doit, à notre avis, demeurer au bénéfice du régime de la sécurité sociale.

Enfin, lors de l’examen du présent PLFR, l’Assemblée nationale a inséré un article additionnel qui prévoit la réintroduction du mécanisme du droit à l’image collective applicable aux sportifs professionnels tel qu’il existait avant 2010.

La commission des finances vous propose de supprimer cet article additionnel. Sur le fond, il y aurait beaucoup à dire sur ce dispositif et les difficultés auxquelles il vise à remédier, mais, quoi qu’il en soit, ce n’est pas un sujet de PLFR de fin de gestion et cela n’a pas non plus de lien avec les mesures d’urgence que porte le présent texte.

En revanche, nous sommes pleinement conscients des difficultés que rencontre le milieu sportif dans le contexte actuel. C’est pourquoi la commission des finances vous proposera un amendement tendant à revenir sur l’annulation des crédits mis en réserve.

Avec ce texte, aujourd’hui, nous traitons la fin de gestion pour l’année 2020 et les mesures d’urgence indispensables pour soutenir notre économie et nos concitoyens.

Dans quelques jours, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouverons pour aborder l’examen du projet de loi de finances pour 2021. Nous aurons alors l’occasion de débattre longuement des grandes orientations fiscales et budgétaires que nous souhaitons pour cette nouvelle année, dans un contexte si particulier.

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