Intervention de Sophie Taillé-Polian

Réunion du 16 novembre 2020 à 16h00
Loi de finances rectificative pour 2020 — Discussion générale

Photo de Sophie Taillé-PolianSophie Taillé-Polian :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, force est de constater que, face à cette crise, ce quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 n’est malheureusement pas à la hauteur.

Pourtant, au premier abord, ce budget rectificatif semble bien se tenir en termes de montants déployés, que ce soit pour le fonds de solidarité, les prêts garantis, les exonérations de cotisations ou le chômage partiel. Au total, ce projet de loi apporte 20 milliards d’euros supplémentaires – de l’argent « magique », diront certains – pour soutenir l’économie.

Les mesures qui sont financées sont des mesures utiles et nécessaires pour atténuer la violence du choc économique que nous subissons. Cependant, cela est insuffisant et, dans plusieurs domaines, les manques sont criants.

Ce PLFR n’est pas à la hauteur pour la culture ni pour les petits commerces. Alors que les géants de la distribution, les hypermarchés et la vente en ligne sont les grands gagnants de la crise, vous ne leur demandez rien.

Ce projet de loi de finances rectificative n’est pas à la hauteur pour les quartiers populaires. Ce week-end, cent dix maires des villes de banlieue vous le disaient : « En dépit des alertes, les villes et quartiers populaires restent un angle mort du plan de relance : aucune mesure ambitieuse n’a été prise pour répondre à la détresse sociale et économique qui frappe nos communes. » Pourtant, les « premiers de corvée », ceux qui sont en première ligne dans cette crise et qui sont aussi les plus touchés par cette maladie, vivent, pour un grand nombre d’entre eux, dans ces villes et quartiers populaires.

Ce projet de loi de finances rectificative n’est pas à la hauteur non plus en matière de logement d’urgence ni de logement social. Il n’est pas à la hauteur pour aider les plus précaires et les publics vulnérables, qui basculent trop nombreux dans la pauvreté.

Sur les 20 milliards d’euros d’aides prévus, seul 1 milliard d’euros l’est pour les plus pauvres, soit 5 % des mesures d’urgence, presque rien pour les associations qui les accompagnent et pas assez pour les collectivités qui essaient de faire face mais qui sont dépassées. Selon les derniers chiffres du Secours catholique, 10 millions de personnes sont en passe de basculer dans la pauvreté.

Au-delà de ces manques, je perçois des arrière-pensées, que je qualifierais d’assez sombres et que je ne vois nulle part démenties. Pendant cette crise, vous organisez le transfert de la dette publique vers les comptes sociaux. Pourquoi l’assurance chômage finance-t-elle un tiers de la dépense exceptionnelle du chômage partiel, pourtant décidé par l’État ? Quelle réforme de l’assurance chômage devons-nous craindre ?

Par ailleurs, en quoi la réforme des retraites devrait-elle participer à payer la dette covid ? Vous nous promettiez qu’avec réforme cette personne n’y perdrait ; or M. Le Maire nous indique que c’est grâce à elle que nous allons réaliser des économies. Cela mérite explication.

Ce que nous craignons, c’est la politique des caisses vides. On connaît l’histoire : réduire massivement les impôts des riches et des entreprises – vous l’avez fait, et vous continuez –, avant de revenir un peu plus tard vers les Français pour dénoncer les déficits avec une fausse candeur et en profiter pour baisser les dépenses publiques, qui ont pourtant un rôle d’amortisseur social.

Enfin, vous n’êtes pas à la hauteur de la crise climatique ni de la soif de justice sociale, pourtant tellement forte dans notre pays. Les milliards que vous déversez ne sont soumis à aucune condition, ni sociale ni environnementale. Ils ne sont ciblés ni vers les énergies renouvelables, ni vers les infrastructures de transport, ni vers la réduction des gaz à effet de serre, ni vers le respect du droit du travail et de l’égalité femmes-hommes.

Il est certes essentiel de soutenir les entreprises, notamment les plus petites. Mais prenons l’exemple de l’entreprise Carrefour : elle a reçu 755 millions d’euros d’argent public grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), son chiffre d’affaires a progressé pendant la crise sur le dos des petits commerces et elle s’apprête à demander que l’État indemnise 78 000 de ses salariés au titre du chômage partiel, alors qu’elle a versé 183 millions d’euros de dividendes cette année.

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