Pour répondre à plusieurs d'entre vous, notamment M. Cadic et Mme Garriaud-Maylam, je veux vous dire toute l'attention que nous portons aux entreprises françaises. Je n'oppose pas commerce extérieur et investissement français comme on a pu avoir tendance à le faire par le passé. Nos investisseurs et nos entreprises contribuent au développement des pays. C'est cela dont nous parlons avec nos compatriotes installés en Afrique et ailleurs. La caractéristique de notre pays, ce sont des relations durables, des relations d'investissement, qui permettent de créer des emplois, bien plus que le seul commerce. Quand vous rencontrez un chef d'État africain, il vous demande des investissements français dans son pays et la présence d'entreprises françaises. Il demande des créations d'emploi. J'en viens à ce dispositif que nous allons mettre en place. Il serait délicat de mettre en place au Sénégal un dispositif de prêts qui ne serait accessible qu'aux Français ; il faut un dispositif qui permette de satisfaire les demandes d'entrepreneurs sénégalais. Cela passera bien par des établissements financiers locaux. Il se trouve que Proparco connaît bien l'Afrique. C'est pour cela que nous passons par l'Afrique en priorité : c'est là que nous connaissons bien le terrain. Nous allons essayer de chercher, pays par pays, au moins un guichet bancaire vers lequel nous allons orienter nos compatriotes et d'autres clients de Proparco.
L'étape essentielle est la signature de la convention avec le ministère des Finances, le Trésor et le Budget. Selon qu'on mobilise plus ou moins la garantie, la taille et le risque des entreprises que l'on va chercher est plus ou moins grand. À titre personnel, je suis pour prendre du risque, mais nous avons cette discussion que je comprends et que je respecte. Je vais vous tenir informés, j'en parlerai à Grégory Clémente à l'issue de cette audition. Ce qu'on espère, c'est de réussir à développer cette aide avant fin octobre pour commencer à la déployer dans un certain nombre de pays déjà identifiés à travers des partenaires bancaires, qui peuvent être des banques française), ayant une implantation dans le pays. Ce ne sera pas identique au système de Bpifrance en métropole, je le dis tout de suite.
Se pose ensuite la question des autres régions du monde. C'est légitime de votre part de poser la question. Nous avons parfois moins de relations avec les réseaux bancaires qui sont plus éloignés de nous. Dans ce pays-là, la communauté française est probablement moins présente. On pense bien sûr au Pacifique, qui est une zone importante pour l'influence française, la biodiversité ou encore le climat. On a des points très forts sur la Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, qu'on appuie beaucoup dans cette crise. On a même cassé notre organisation historique État étranger - outre-mer pour mettre les ultramarins dans la même direction que les pays voisins et pousser aussi fort que possible. Dans le Pacifique, on est allé chercher les Australiens, les Canadiens, la Commission européenne, j'en oublie peut-être, pour faire un fonds, Kiwa, qui sert à financer les programmes de biodiversité chez nous et là-bas. Nous restons à votre disposition pour vous le présenter.
Pour répondre à M. Guérini : effectivement, c'est une très belle reconnaissance pour le Programme alimentaire mondial que de recevoir le prix Nobel de la Paix. Vous savez qu'en France, l'acteur qui intervient sur les crédits d'urgence, y compris l'aide humanitaire, c'est le MEAE, avec la DGM et surtout le centre de crise, qui a la capacité de porter secours le plus vite possible. Nous, nous sommes l'Aide au développement : nous nous intéressons davantage au moyen et long termes. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas nous intéresser au court terme : le développement d'un pays bouge dans une crise de court terme. Il nous faut donc nécessairement nous intéresser à l'urgence et au court terme mais notre intérêt reste de renforcer le partenaire et de l'amener sur des dynamiques de long terme.
Parmi les acteurs de l'urgence et du court terme, vous avez cité le PAM, mais on pourrait également citer le Haut-Commissariat aux réfugiés, le CICR et la Croix Rouge. Vous connaissez le CICR, son Histoire et sa propension à se rapprocher un peu trop des États. Mais parce que nous ne sommes pas l'État justement, le CICR s'est rapproché de nous pour explorer ce passage de l'humanitaire au développement. Un camp de réfugiés, par exemple, devient rapidement une ville. Ses habitants ont alors besoin d'acteurs du développement pour les accompagner. On en a eu une bonne illustration à Beyrouth, où nous avons, avec le Président de la République, visité l'hôpital Rafic Hariri, un hôpital de référence. C'est le CICR qui nous a amené ce projet : c'est eux qui ont fait les premiers face à l'explosion du 4 août et qui sont le référent en matière de COVID-19.
Plusieurs questions sur le projet Finance en commun. Il ne faut pas voir dans cette initiative une remise en cause de l'Aide publique au développement. Ce sont deux choses qui s'imbriquent mais qui ne se confondent pas. Il s'agit pour nous de mobiliser plus fortement, d'amener vers des sujets plus difficiles, d'améliorer la qualité des flux d'investissement qui passent par l'aide publique au développement, notamment ceux des banques publiques de développement du Sud. L'aide publique au développement, c'est 150 milliards de dollars chaque année. Ceux que nous allons inviter investissent 2 000 milliards de dollars. La question est : qu'est-ce qu'on fait de l'aide publique au développement pour mobiliser ces gens-là et les amener vers les pays et les sujets qui sont des priorités politiques pour la France ? Je vous enverrai tout ça pour que vous compreniez l'ampleur et l'intérêt de cette initiative.
Pour répondre à Richard Yung, concernant la taxe sur les billets d'avion : ce que vous verrez dans le budget de cette année, c'est que l'on est concerné à deux titres. Dans le passé, nous émargions à une partie de cette ressource. Vous verrez dans la loi finances de cette année que tout a été débudgétisé s'agissant des crédits de l'aide bilatérale. Nous, AFD, sommes donc préservés de ce risque. Par ailleurs, nous sommes concernés parce que gestionnaire du FSD.
Plusieurs questions m'ont été posées sur l'Alliance Sahel. On vous diffusera un point précis d'actualité. Nous sommes très attentifs, nous et les autres partenaires de l'Alliance Sahel, à la dégradation politique en cours, notamment au Burkina et au Mali. Beaucoup de bailleurs ont suspendu leurs fonds : la Banque mondiale, l'Union européenne et ses États membres notamment. Nous-mêmes, nous avons suspendu l'octroi de quatre projets en subvention qui étaient prêts à passer devant le Conseil d'administration. Aucune relation à ce stade avec les nouvelles autorités n'est en cours au Mali mais les équipes sont quand même là, sur le terrain. Depuis que la CEDEAO a levé les sanctions, le ministre y est allé et nous avons repris les soutiens dans ce pays où l'on était en forte augmentation puisqu'en 2019, nous y avons engagé 200 millions d'euros contre 80 l'an passé. On réinvestit auprès de nos collègues maliens.
Il faut par ailleurs, relativiser notre aide au développement au Mali. On engage 200 millions, on décaisse 60 millions d'euros. C'est pour ça qu'on a bâti cette Alliance Sahel : pour avoir du renfort et agir plus fortement. Autre chose : je vous renvoie à l'atlas qu'on a publié au mois d'août. En effet, c'est sur le long terme qu'il faut analyser le sujet malien et son évolution. Dans les années 2000, jusqu'en 2012, le Mali était plutôt un exemple de développement : l'indice de développement humain du Mali a doublé entre 1990 et 2017. Puis, la situation s'est dégradée. Le lien entre le développement et le politique est toujours profond. Depuis 2012, ça semblait repartir et on entre de nouveau dans une période d'incertitude. Ce qu'il faut, c'est une estimation de long terme, qui compile les regards du diplomate, du militaire et du développement pour vraiment juger de l'état de la région.
En ce qui concerne les questions démographiques, M. Cazabonne et Mme Carlotti se sont répondu l'un après l'autre. Il faut traiter des problèmes de démographie à l'échelle du continent et dans ce que l'Afrique compte de diversité. L'Afrique du nord et l'Afrique australe ont achevé leur transition démographique. C'est en Afrique de l'est et au Sahel qu'il y a des dynamiques démographiques extrêmement puissantes, ce à quoi il faut ajouter les mouvements migratoires qui en découlent et qui sont inévitables. Ils restent, pour l'essentiel, intra-africains, plutôt vers le sud qu'en traversant le grand désert.
Une grande partie de la réponse a trait au renforcement de la place des femmes dans toutes ces sociétés. 40 % de nos projets devaient avoir un impact sur l'égalité femme-homme ; on a fait presque 50 % l'an dernier. Le Forum génération égalité, en 2021, nous donnera l'occasion d'expliquer ce qui se passe et d'informer les ONG féministes. On a une distinction entre l'Afrique du nord où la place des femmes est extrêmement faible et l'Afrique subsaharienne où les femmes tiennent le pouvoir économique.
Mme Carlotti, vous avez parlé de gouvernance. Elle n'a été confiée à l'Agence qu'en 2016. Vous, parlementaires, êtes les experts dans ce domaine : il serait intéressant d'avoir un échange pour savoir si nous allons dans la bonne direction, de savoir si tout cela est bien articulé. Je suis étonné de ne pas avoir été interrogé sur l'audiovisuel. C'est peut-être une marque que nous progressons dans ce domaine. Marie-Christine Saragosse vous l'a peut-être expliqué: nous avons maintenant une cinquantaine de millions d'euros de projets entre l'AFD et France média monde. Nous avons besoin de ces compétences, nous avons besoin de faire des projets de développement ensemble. On fait beaucoup de choses aussi avec la délégation aux fonctionnaires internationaux (DFI) pour la capacité technique, le renforcement de capacités, la formation des journalistes, particulièrement en Afrique. On a fait des choses avec le CESE et ses homologues en Côte d'Ivoire ou dans d'autres pays, qui peuvent avoir un rôle important dans des situations de fortes tensions politique.
Nous pourrions avoir un long débat sur l'UE. L'AFD est l'Agence qui mobilise le plus de crédits européens parmi les État membres. Pour nous, c'est quelque chose d'important : nous avons 3 milliards d'euros à peu près de ressource budgétaire pour faire chaque année les 12 milliards, 13 milliards, 14 milliards d'engagements. Deux milliards qui viennent de la France et un milliard vient de l'Union européenne. Je veille avec beaucoup d'attention à ce que la ressource nationale qui augmente ne vienne pas se substituer à de la ressource européenne. Parce que vous nous confiez plus d'argent national, il faut qu'on aille chercher plus d'argent à Bruxelles. J'ai même dit à mes équipes qu'à horizon de deux ou trois ans, je voulais qu'on soit à parité : qu'on aille doubler à Bruxelles l'argent que vous nous confiez pour travailler dans les pays les plus difficiles. Vous savez combien la Commission européenne est engagée sur ces sujets, notamment sur son partenariat avec l'Afrique. Mais il y aura une limite politique : d'où l'idée de structurer le réseau des agences des banques publiques de développement européennes. On travaille très bien avec les Allemands, les Espagnols, les Italiens... Il faut qu'on nous incite à travailler ensemble. Vous avez peut-être vu le hashtag #TeamEurope qui apporte une signature européenne quand il y a de l'argent européen en jeu.
Lors du conseil de juillet, toute la partie internationale du plan de relance européen, notamment les garanties pour appuyer le secteur privé, a disparu dans la négociation. En revanche, les engagements préalables à la crise en matière d'augmentation de l'aide publique au développement sont maintenus. C'est le cas en France, c'est le cas aussi avec le budget pluriannuel de l'Union européenne. La baisse faciale de celui-ci est due au retrait britannique. Le débat va maintenant avoir lieu au Parlement européen.
Je reste à votre disposition sur les sujets de biodiversité. Le président Kenyatta était là il y a deux semaines, il a expliqué l'impact de l'arrêt du tourisme sur la biodiversité. Il a même invité les gens à venir visiter ces parcs en profitant du fait qu'ils soient vides. Il est un peu tôt pour savoir à quel point le marché est impacté. Il est difficile à ce stade de savoir s'il s'agit d'une année blanche (les économies africaines sont assez résilientes) et s'il y aura moins de touristes dans les parcs kenyans à l'avenir.
Toutefois, la COP 15 en Chine en 2021 le montrera, les questions de biodiversité vont bien au-delà des enjeux de conservation. En fait, la question s'est déplacée d'une question de conservation vers une question d'intégration dans les chaînes de valeur. C'est nous qui déforestons l'Amazonie : il nous faut trouver comment intégrer dans l'investissement, via les banques d'investissement, une logique de filière à l'échelle globale. Il faut parvenir à lier finance et climat, finance et biodiversité.
J'en viens maintenant à la dette. Ce dont parle le G20, aujourd'hui-même, c'est bien d'un moratoire et d'un prolongement du moratoire pour 6 mois, je crois. Certains demandent même une extension jusqu'à fin 2021 mais un délai de 6 mois est intéressant car il nous amènerait au mois de mai 2021. À cette date, le Président de la République souhaite, avec d'autres chefs d'État, inviter tous les financeurs de l'Afrique au niveau politique le plus élevé pour réfléchir à comment financer le développement de l'Afrique. Au point où nous sommes, la réponse : « nous ne pouvons plus vous financer » serait intenable. Certains États vont passer la crise en gardant une capacité à s'endetter quand d'autres devront restructurer leur dette. La France a un rôle important à jouer : elle assure le secrétariat du Club de Paris ; parce que nous sommes prêteurs, il nous faut être exemplaire tout en trouvant des moyens de financer, sans passer par des gouvernements, l'économie africaine. Nous avons également l'expérience des contrats de désendettement-développement, qui est une manière de désendetter, tout en réorientant les sommes annulées vers des projets souhaités par notre pays.
J'en viens enfin à la question du Président, qui ne s'adresse finalement pas vraiment à moi. La loi de programmation est attendue, y compris par le directeur général de l'AFD, puisqu'il y a cette disposition sur l'intégration d'Expertise France qui y figure. Elle est importante pour nous et nous souhaitons la voir voter le plus tôt possible car elle inclut un volet d'incitation à aller plus loin dans le rapprochement et la construction du groupe. La loi contient également des dispositions importantes sur l'attractivité. Mais finalement, il s'agit d'une loi de programmation alors qu'il ne reste plus qu'une loi de finances. Je ne souffre pas personnellement d'un manque de portage politique de ce que nous faisons. Le Président de la République en parle beaucoup dans ses déplacements. Il aura l'occasion d'en parler en 2021, notamment lors du One Planet Summit ou lors du Forum Génération Égalité. Il est essentiel d'expliquer que ce que nous faisons est dans l'intérêt de nos compatriotes : pas seulement de le leur dire mais également de les en convaincre. Le Ministre des Affaires Étrangères parle aussi de ces sujets. On a mis en place un comité de pilotage, début novembre, pour que je lui rende des comptes et que je lui explique les priorités. Elles seront suivies et vérifiées dans une relation d'une grande sincérité avec les postes en administration centrale.