Nous accueillons Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement, bras armé de la politique française en matière d'aide au développement.
Monsieur le Directeur, le budget 2021 est marqué par une nouvelle hausse des crédits d'aide publique au développement. Cette mission progresse de 20 % à périmètre constant. L'objectif des 0,55 % du Revenu National Brut en 2022 semble pour l'instant tenu, avec un taux de 0,56 % du RNB en 2020. L'APD représente ainsi 50 % du budget du Quai d'Orsay hors personnel : il s'agit d'une somme tout-à-fait considérable.
L'AFD voit ses moyens renforcés grâce principalement à l'augmentation de ses moyens en fonds propres, dons et crédits pour les ONG. Notre commission porte une attention toute particulière à cette politique comme en attestent les différentes orientations et les priorités que nous avons rappelées à plusieurs reprises. Parmi elles, la lutte contre la pauvreté occupe une place importante : nous avons à coeur d'apporter, autant que faire se peut, davantage de stabilité à un certain nombre de pays auxquels l'actualité et l'Histoire nous relient. Que l'on songe un instant aux situations au Sahel et au Mali pour comprendre qu'il y a un lien entre développement et stabilité politique. Nous sommes bien évidemment favorables à ces augmentations mais il s'agit d'une politique qu'il est difficile d'évaluer. Cette dimension interpelle le Parlement qui a notamment pour mission de contrôler la bonne utilisation de l'argent public. Monsieur le Directeur, quel regard portez-vous sur les crédits prévus par le PLF : correspondent-ils aux missions qui vous sont confiées, en particulier à la nécessité d'accroître votre action en matière de santé et d'éducation pour les pays les plus pauvres ?
L'Afrique est la priorité géographique de la France. Jean-Yves Le Drian a annoncé en avril que la France accorderait 1,8 milliard d'euro pour soutenir la lutte contre le COVID-19. Toutefois, un certain nombre d'ONG ont regretté que cette aide prenne la forme de prêts. En effet, nombre de pays africains sont très endettés et risquent de ne pas être en mesure de rembourser. Où en est la mise en oeuvre de ces prêts ? Quels ont été les critères retenus dans leur attribution? Comment prenez-vous en compte ce risque excessif pour certains pays ? Le moratoire d'un an sur la dette décidé au printemps est-il suffisant ? Les pays vont-ils réellement pouvoir faire face à leur obligation de remboursement dès l'année prochaine ?
Monsieur le directeur, pourriez-vous, du point de vue de l'AFD, faire un point sur la situation au Mali ? L'AFD a-t-elle pu poursuivre ses opérations depuis que la junte militaire a pris le pouvoir ? Qu'en est-il des autres partenaires techniques et financiers ?
Par ailleurs, où en est-on de la coopération entre Expertise France et l'AFD au moment où leur fusion entre dans les faits ? Vous avez évoqué de nouvelles offres communes et des synergies entre les deux entités : comment avez-vous pu déployer ces offres communes ? Quels pays et quelles opérations ? Nous cherchons à travers cette question à prendre la mesure de cette intégration et du rôle qu'Expertise France peut mener à vos côtés.
À la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour des Comptes a établi des recommandations pour renforcer le pilotage de l'AFD, pilotage que la Cour a jugé insuffisant. Qu'a changé ce rapport dans le fonctionnement de l'Agence ?
Enfin, j'ai une question subsidiaire concernant un projet assez pharaonique de siège social de l'AFD dans le 12ème arrondissement de Paris, avec des innovations technologiques, qui doit porter le nom de votre ouvrage : Réconciliations. Ce projet est-il réellement de mise dans ces temps de rigueur budgétaire ?
Je vais introduire mon propos par une courte présentation de l'Agence française de développement et de ses résultats. Créée par Charles de Gaulle en 1941, l'Agence française de développement est la plus ancienne agence de développement du monde : en 2021, nous fêterons ses 80 ans. Avec Expertise France, l'Agence est aujourd'hui l'entité grâce à laquelle le gouvernement français a accumulé une expertise unique du Sud et de nos outremers. La maison AFD a atteint une taille critique en 2021, confortée par les moyens que vous avez votés l'an dernier, dans la loi de finances.
En 2019, nous avons atteint le seuil de 14 milliards d'euros pour plus de 1 000 projets. Aujourd'hui, l'Agence est présente dans plus de 115 pays. La moitié de son activité est en Afrique et en outre-mer. En outre, l'AFD concentre ses ressources budgétaires dans les pays les plus pauvres ainsi que dans les secteurs qui ne peuvent pas se financer par des prêts. À rebours, elle fait son bilan dans des pays plus riches et dans des secteurs qui se situent davantage dans des logiques d'investissement que dans des logiques de solidarité et de lutte contre la pauvreté.
La relation entre l'État et l'AFD est fixée par des textes, notamment un contrat d'objectifs et de moyens. Ce contrat fixe des indicateurs ; il va d'ailleurs falloir le renouveler, après avis de votre commission, et dans la foulée de la loi de finances. Les priorités énoncées lors du dernier contrat d'objectif et de moyens sont aujourd'hui respectées : priorité africaine, priorité climat (nous avons dépassé les objectifs de la France fixés lors de la COP21), égalité homme-femme, Sahel...
La gouvernance de l'AFD offre à l'État un mode de contrôle précis. Chaque mois se tient à l'AFD un Conseil d'Administration auquel siègent huit Parlementaires. Tous les projets de l'AFD sont validés par cette instance et ses comités après deux avis : un premier, au moment de l'identification et un autre, au moment de l'approbation délivrée par nos chefs de postes diplomatiques. L'accroissement des moyens en subvention nous a permis d'entrer plus précisément dans une programmation de chacun des pays, en lien avec le MEAE. L'année 2019 est d'ailleurs la plus active sur ce point.
Nous progressons sur les questions d'évaluation. J'avais pris des engagements devant vous : nous avons mis en ligne tout notre stock d'évaluation, nous organisons des débats très réguliers et nous souhaitons associer des parlementaires aussi bien au moment de l'établissement de la méthodologie des évaluations, qu'au moment des évaluations elles-mêmes.
Nous faisons les rapports de fin de projets nous-mêmes, mais les évaluations sont toujours externes.
En ce qui concerne 2020, en raison de la crise sanitaire, la rentrée de l'Agence a été perturbée. Nous avons opté dans un premier temps pour le télétravail. Désormais, nous optons pour un mode hybride, mi-présentiel, mi télétravail, mais ce n'est pas simple : au sein de l'Agence, nous enregistrons, comme les autres entreprises, des cas de COVID.
Malgré tout, nous pensons faire une bonne année : nous pensons finir 2020 à 12 milliards ou 13 milliards d'euros d'engagements. Pour rappel, l'an dernier, nous avons atteint 14 milliards d'euros. La baisse de 1 milliard à 2 milliards s'explique d'abord par la difficulté à effectuer des missions sur le terrain. Je précise que, contrairement à nos concurrents, nous avons maintenu tous nos personnels expatriés présents dans les pays. À la difficulté de se rendre sur le terrain, s'ajoute dans un second temps l'augmentation des risques tels que les risques souverains, les dettes des États ou les dettes des entreprises. Les mécanismes de contrôle des risques, pilotés par la Direction Générale du Trésor, nous conduisent parfois à renoncer à certains engagements. Nous en profitons alors pour insister davantage sur les signatures de conventions et surtout sur les décaissements. Grâce à cela, je pense que nous terminerons avec 20 % en plus sur les signatures et sur les décaissements.
Pour l'année 2020, la réponse que nous avons construite pour faire face à la crise s'articule autour de trois temps. D'abord, le programme Santé en commun, qui se monte à 1,15 milliards d'euros. Nous avons déjà décaissé 600 millions pour apporter des liquidités aux pays qui en avaient urgemment besoin. Le programme prévoit 150 millions de dons et 1 milliard de prêt. Nous avons mobilisé tout l'écosystème français de santé mondiale avec des organismes tels que l'Institut Pasteur pour mener à bien ce projet.
Le deuxième temps de la réponse à la crise, nous sommes en train de le construire avec votre soutien : c'est le vote dans le PLFR3 d'une garantie pour l'AFD de 160 millions d'euros, ce qui nous permettra de renforcer notre appui aux PME africaines, qui, si elles font le succès de l'Afrique depuis trente ans, apparaissent aujourd'hui en grand danger d'insolvabilité. Il nous faut sauver nos clients. Nous allons donc nous servir des moyens que vous nous avez donnés pour aller chercher d'autres partenaires internationaux afin de bâtir une coalition de PME africaines. Nous en avons déjà convaincu huit pour un montant total, (nous allons l'annoncer dans les semaines à venir) de 2,5 milliards d'euros et j'espère que nous irons plus loin pour attirer l'attention sur cette problématique très particulière. Nous allons notamment nous servir des 160 millions d'euros pour venir en aide à nos compatriotes qui possèdent des entreprises en Afrique et qui n'ont pas accès aux dispositifs nationaux de Bpifrance. L'objectif sera de répondre à d'éventuels problèmes de trésoreries, en proposant des facilités ou en leur permettant d'avoir, dans le plus grand nombre de pays, un guichet, une banque qui pourra traiter leur demande avec des garanties facilitant le déblocage de ces financements.
La troisième réponse apportée par l'AFD, c'est le financement de l'Afrique. Le Président de la République a annoncé la tenue d'un sommet au mois de mai prochain, qui permettra de faire un bilan de la situation de la dette et des mesures à prendre. Ce sommet sera l'occasion de rappeler qu'une économie ne se résume pas à un gouvernement. Les banques publiques de développement sont souvent oubliées dans l'équation. Ceci nous a conduits à inviter au Forum de Paris sur la paix, du 9 au 12 novembre prochain, toutes les caisses de dépôt du monde, c'est-à-dire l'ensemble des banques qui financent la transformation et le développement dans leurs propres pays. Au total, ces 450 banques représentent 10 % des investissements. Il y en a 95 en Afrique ; nous avons des choses à échanger au vu de l'histoire financière de notre propre pays. Enfin nous continuons à agir dans les zones en crise, au Mali, au Liban et sur les pourtours de la crise syrienne notamment.
La loi de finance 2021 est excellente : elle est conforme aux axes qui avaient été annoncés et va nous permettre d'atteindre nos objectifs. La France tient les engagements que le Président de la République, le Premier Ministre et le gouvernement avaient annoncés. L'AFD voit ses moyens accrus en 2021. La crise nous a obligés à demander un renforcement de nos fonds propres : les sommes que nous mettions en réserve chaque année pour renforcer les fonds propres de l'AFD ne sont plus là.
Nous irons plus loin sur les sujets de développement durable. D'abord, nous devons espérer que dans les mois à venir, l'action multilatérale reparte dans le bon sens. Ensuite, le sommet des banques que nous allons organiser permettra d'aller plus loin. Nous souhaitons être offensifs sur ce point.
L'AFD s'est lancée dans un véritable projet d'entreprise : nous avons achevé la phase de forte croissance et nous entrons dorénavant dans une phase de consolidation et de maîtrise de nos charges. Cela se concrétise notamment par un arrêt de nos recrutements. Nous avons commencé à réformer nos mobilités internationales. Le bâtiment que nous allons acheter est un très bon investissement financier compte-tenu du marché. Il nous permettra de regrouper les différentes entités de l'Agence tout en réduisant ses charges d'exploitations.
Vous l'avez évoqué, nous nous devons de soutenir nos compatriotes qui ont une PME à l'étranger car ils contribuent au développement de notre commerce extérieur. Mais pour cela, ils doivent avoir accès au crédit en bénéficiant si possible d'une garantie octroyée par l'AFD. C'est ce que permet le fonds ARIZ. La semaine dernière, à l'Assemblée des Français de l'étranger, Grégory Clémente, le Directeur Général de Proparco, a souligné que depuis que son agence était en charge du fonds, les investissements aux Français de l'étranger se montaient à 200 millions par an, contre 100 millions autrefois.
Toutefois, force est de constater que 90 % des fonds sont alloués à l'Afrique alors même que le fonds est prévu pour tous les continents et que ces autres continents en ont besoin. En faisant valoir les attentes des PME présentes sur ces autres continents, vous nous avez dit qu'il fallait que le Parlement augmente le budget en 2021 en définissant des pays-objectifs supplémentaires. Les pays hors Afrique sont-ils d'ores et déjà prévus dans ce budget ?
Par ailleurs, je souhaitais vous interroger sur le programme Choose Africa. Où en est la rédaction de la convention de garantie entre l'État et le groupe AFD pour ces 160 millions d'euros dont vous nous avez parlés ? Il avait été question d'une signature de cet accord courant octobre : est-ce déjà fait ? Par ailleurs, à partir de ce cadre qui constitue une garantie forte, il appartient à Proparco de proposer une garantie à 80 % des prêts octroyés par ses partenaires à des PME, notamment celles détenues par des compatriotes basés en Afrique. Quand poserez-vous des critères d'éligibilité pour ces PME ? Quand pourront-elles effectivement emprunter ? De même, quand sera diffusée la liste des pays africains qui bénéficieront du programme Choose Africa ?
Jean-Pierre Thébault, ambassadeur en Australie, appelle à une réorientation des aides vers le Pacifique. Seriez-vous prêt à réorienter les moyens que l'AFD met à la disposition de la Chine au profit du verdissement de la région pacifique ?
En septembre, le prix Nobel de la paix a été décerné au Programme alimentaire mondial des Nations unies, ce qui atteste de l'importance prise par les actions de lutte contre la faim en Afrique subsaharienne. Comment la France intervient-elle dans la région ? La pandémie retarde-t-elle les missions de l'AFD sur le terrain ? Sur le plan mondial, dans la perspective d'une crise économique généralisée, quelles sont vos inquiétudes sur l'objectif Faim Zéro d'ici fin 2030 si les flux de l'aide au développement venaient à se tarir ?
Quelle est, enfin, votre vision des défis à relever concernant les institutions financières ? Les 450 établissements dont vous avez fait mention poursuivent-ils tous les mêmes objectifs ? Si oui, comment s'en assurer ?
Je vous avais interrogé en mai sur la nature du soutien que fournit l'Agence aux tout petits entrepreneurs ainsi que sur la possibilité d'étendre ce soutien à de petits entrepreneurs hors d'Afrique. Vous aviez répondu que vous réfléchiriez au lancement d'un processus. Ce processus s'élèverait à 160 millions d'euros, dont une partie pourrait aller à nos petits entrepreneurs français. Toutefois, je suis inquiète car à l'instant, en faisant référence à un telle offre, vous nous avez dit on va « proposer » une offre. Mais alors : qu'avez-vous fait depuis mai ? Quelles sont les prochaines étapes ? Il est important de s'ouvrir à d'autres pays, hors Afrique. Les tout petits entrepreneurs sont plus qu'importants : il en va de notre rayonnement extérieur.
J'ai, pour ma part, deux questions d'ordre budgétaire à formuler, plus une autre. D'abord, étant donné que l'AFD est financée par la taxe de solidarité sur le transport aérien, qu'en est-il maintenant que le secteur s'est effondré ? Quelles conséquences a, sur l'AFD, une telle perte de recettes ?
Deuxièmement, vous êtes le gestionnaire du programme Alliance Sahel défini à Pau et avoisinant les 4 ou 5 milliards d'euros.
Comment se structurent l'exécution et la mise en oeuvre de ce programme ? Nous savons qu'il s'agit d'une garantie d'État et qu'il incombe aux banques locales d'accorder les crédits. Mais les réseaux bancaires en Afrique sont-ils suffisamment musclés pour mener ces actions à hauteur de 160 millions d'euros ?
Mon dernier point concerne le pilotage. Vous avez parlé de votre Conseil d'Administration où sont représentés les grands Ministères. Face à une telle instance, on se demande pourquoi il y a tant de débats sur la gouvernance de l'AFD. Pour faire cesser ces débats, qu'entrevoyez-vous hormis de recréer un Ministère de la Coopération ?
L'AFD est un outil utile à la fois pour l'aide et pour l'influence française dans le monde. Ma première question porte sur la loi de programmation, qui doit fournir les objectifs politiques. En avez-vous des nouvelles ? Si oui, sous quelles échéances? On devrait commencer par là. Ma deuxième question est d'ordre financier : la question des taxes sur les billets d'avions rapportera très peu en 2020 et 2021. Y-a-t-il par ailleurs un impact du plan de relance européen sur l'AFD ? En troisième lieu, qu'en est-il de l'autorité politique qui porte ces questions d'aide publique au développement ? C'est aujourd'hui un peu un impensé ou un angle mort. Enfin, pouvez-vous revenir dans le détail sur les objectifs concrets du futur sommet des banques de développement ?
La question de la maîtrise de la démographie est rarement posée en matière de développement. Toutefois, qui dit augmentation de la population, dit augmentation de la production, ce à quoi il faut ajouter des problématiques telles que l'énergie à trouver. Ne faudrait-il pas que nos aides bénéficient d'un accompagnement à la maîtrise de la démographie ? À terme, il existe un réel danger en termes de développement durable. Avez-vous des missions qui vont dans ce sens actuellement ?
Vous avez évoqué la place que vous faites à l'égalité femme-homme dans la part des crédits que vous accordez. En consultant votre rapport, je constate que 48,5 % de crédits sont attribués avec un tel objectif ; je vous encourage à continuer dans ce sens. La rencontre de nombreuses femmes africaines est édifiante : c'est en grande partie à travers elles que passe le développement de la démocratie et de l'économie.
Vos rapports ne font pas apparaître les aides aux Parlements. Or c'est important pour nous d'asseoir la démocratie dans ces pays. Quelquefois, les Parlements des pays que nous aidons travaillent dans des conditions catastrophiques : les aider à avoir de quoi travailler et s'exprimer est primordial car cela nous offre un regard sur la manière dont la démocratie s'assoit dans ces pays. Deuxièmement, comment coordonnez-vous vos actions et nos crédits avec ceux de l'Union européenne ? Il y a des moyens financiers, peut-être en baisse, notamment dans le cadre des accords de Cotonou, et sur les lignes budgétaires de la commission européenne. Coordonner nos actions, c'est aussi coordonner nos moyens financiers et nos crédits, tout en gardant la visibilité de la France sur le terrain. Il serait intéressant de voir comment il nous serait possible d'aller dans ce sens. Peut-être le faites-vous déjà ? Si oui, comment ?
Vous avez rappelé l'action de l'AFD sur des thématiques telles que la préservation de la biodiversité ou la lutte contre le réchauffement climatique. On connaît l'importance des réserves naturelles nationales en Afrique et le travail fait par les différents pays pour conserver leurs corridors biologiques. Nous savons que la mise en place de ces corridors biologiques est fortement liée au tourisme. Je voudrais savoir si, à la suite de la crise du COVID-19 et la chute du tourisme, vous aviez obtenu des retours sur la situation ? Nous avons beaucoup de parcs naturels et de projets en grande difficulté. Cela a un impact sur les populations locales puisqu'elles sont les principales concernées en la matière, par exemple, de financement de la lutte contre le braconnage. Avez-vous réfléchi à des mesures transitoires pour passer cette période ?
Monsieur le directeur général, je souhaite vous interroger sur les reports de paiement et les intérêts de la dette dans les pays africains. Dans le cadre du G20, la mise en place d'un moratoire sur la dette pour 28 pays, dont 20 en Afrique subsaharienne, a été actée. Le total des échéances différées pour 2020 atteint la somme de 1,8 milliard de dollars. Ajouté aux arriérés, cela fait 2 milliards de dollars. Comment s'articule ce moratoire avec les projets de développement et les objectifs résultant des derniers comités interministériels définissant cette région comme prioritaire pour l'aide publique au développement française ? Comment évaluez-vous l'impact positif de ce report ? En novembre, Paris accueillera le forum pour la paix, premier sommet mondial des banques de développement. Ne serait-ce pas le signe d'une extrême financiarisation de l'aide publique au développement au détriment des politiques d'aides directes ? Cette modification de la nature de l'aide publique au développement n'aboutirait-elle pas à une augmentation seulement « faciale » du pourcentage de RNB dédié à l'aide publique au développement, qui pourrait ainsi plus facilement atteindre les 0,7 % ?
Monsieur le directeur, vous êtes un haut fonctionnaire à la tête d'un des plus importants budgets de l'administration française, en route peut-être vers 18 milliards d'euros, ce qui est une bonne chose et que nous soutenons. Vous êtes placé sous l'autorité du ministre des affaires étrangères. Comment faites-vous pour qu'à chaque renouvellement ministériel, il n'y ait pas de ministre délégué à la coopération ou de Secrétaire d'État à la coopération, qui pourrait porter devant le Parlement ou d'autres institutions le message que vous défendez avec talent ?
Pour répondre à plusieurs d'entre vous, notamment M. Cadic et Mme Garriaud-Maylam, je veux vous dire toute l'attention que nous portons aux entreprises françaises. Je n'oppose pas commerce extérieur et investissement français comme on a pu avoir tendance à le faire par le passé. Nos investisseurs et nos entreprises contribuent au développement des pays. C'est cela dont nous parlons avec nos compatriotes installés en Afrique et ailleurs. La caractéristique de notre pays, ce sont des relations durables, des relations d'investissement, qui permettent de créer des emplois, bien plus que le seul commerce. Quand vous rencontrez un chef d'État africain, il vous demande des investissements français dans son pays et la présence d'entreprises françaises. Il demande des créations d'emploi. J'en viens à ce dispositif que nous allons mettre en place. Il serait délicat de mettre en place au Sénégal un dispositif de prêts qui ne serait accessible qu'aux Français ; il faut un dispositif qui permette de satisfaire les demandes d'entrepreneurs sénégalais. Cela passera bien par des établissements financiers locaux. Il se trouve que Proparco connaît bien l'Afrique. C'est pour cela que nous passons par l'Afrique en priorité : c'est là que nous connaissons bien le terrain. Nous allons essayer de chercher, pays par pays, au moins un guichet bancaire vers lequel nous allons orienter nos compatriotes et d'autres clients de Proparco.
L'étape essentielle est la signature de la convention avec le ministère des Finances, le Trésor et le Budget. Selon qu'on mobilise plus ou moins la garantie, la taille et le risque des entreprises que l'on va chercher est plus ou moins grand. À titre personnel, je suis pour prendre du risque, mais nous avons cette discussion que je comprends et que je respecte. Je vais vous tenir informés, j'en parlerai à Grégory Clémente à l'issue de cette audition. Ce qu'on espère, c'est de réussir à développer cette aide avant fin octobre pour commencer à la déployer dans un certain nombre de pays déjà identifiés à travers des partenaires bancaires, qui peuvent être des banques française), ayant une implantation dans le pays. Ce ne sera pas identique au système de Bpifrance en métropole, je le dis tout de suite.
Se pose ensuite la question des autres régions du monde. C'est légitime de votre part de poser la question. Nous avons parfois moins de relations avec les réseaux bancaires qui sont plus éloignés de nous. Dans ce pays-là, la communauté française est probablement moins présente. On pense bien sûr au Pacifique, qui est une zone importante pour l'influence française, la biodiversité ou encore le climat. On a des points très forts sur la Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, qu'on appuie beaucoup dans cette crise. On a même cassé notre organisation historique État étranger - outre-mer pour mettre les ultramarins dans la même direction que les pays voisins et pousser aussi fort que possible. Dans le Pacifique, on est allé chercher les Australiens, les Canadiens, la Commission européenne, j'en oublie peut-être, pour faire un fonds, Kiwa, qui sert à financer les programmes de biodiversité chez nous et là-bas. Nous restons à votre disposition pour vous le présenter.
Pour répondre à M. Guérini : effectivement, c'est une très belle reconnaissance pour le Programme alimentaire mondial que de recevoir le prix Nobel de la Paix. Vous savez qu'en France, l'acteur qui intervient sur les crédits d'urgence, y compris l'aide humanitaire, c'est le MEAE, avec la DGM et surtout le centre de crise, qui a la capacité de porter secours le plus vite possible. Nous, nous sommes l'Aide au développement : nous nous intéressons davantage au moyen et long termes. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas nous intéresser au court terme : le développement d'un pays bouge dans une crise de court terme. Il nous faut donc nécessairement nous intéresser à l'urgence et au court terme mais notre intérêt reste de renforcer le partenaire et de l'amener sur des dynamiques de long terme.
Parmi les acteurs de l'urgence et du court terme, vous avez cité le PAM, mais on pourrait également citer le Haut-Commissariat aux réfugiés, le CICR et la Croix Rouge. Vous connaissez le CICR, son Histoire et sa propension à se rapprocher un peu trop des États. Mais parce que nous ne sommes pas l'État justement, le CICR s'est rapproché de nous pour explorer ce passage de l'humanitaire au développement. Un camp de réfugiés, par exemple, devient rapidement une ville. Ses habitants ont alors besoin d'acteurs du développement pour les accompagner. On en a eu une bonne illustration à Beyrouth, où nous avons, avec le Président de la République, visité l'hôpital Rafic Hariri, un hôpital de référence. C'est le CICR qui nous a amené ce projet : c'est eux qui ont fait les premiers face à l'explosion du 4 août et qui sont le référent en matière de COVID-19.
Plusieurs questions sur le projet Finance en commun. Il ne faut pas voir dans cette initiative une remise en cause de l'Aide publique au développement. Ce sont deux choses qui s'imbriquent mais qui ne se confondent pas. Il s'agit pour nous de mobiliser plus fortement, d'amener vers des sujets plus difficiles, d'améliorer la qualité des flux d'investissement qui passent par l'aide publique au développement, notamment ceux des banques publiques de développement du Sud. L'aide publique au développement, c'est 150 milliards de dollars chaque année. Ceux que nous allons inviter investissent 2 000 milliards de dollars. La question est : qu'est-ce qu'on fait de l'aide publique au développement pour mobiliser ces gens-là et les amener vers les pays et les sujets qui sont des priorités politiques pour la France ? Je vous enverrai tout ça pour que vous compreniez l'ampleur et l'intérêt de cette initiative.
Pour répondre à Richard Yung, concernant la taxe sur les billets d'avion : ce que vous verrez dans le budget de cette année, c'est que l'on est concerné à deux titres. Dans le passé, nous émargions à une partie de cette ressource. Vous verrez dans la loi finances de cette année que tout a été débudgétisé s'agissant des crédits de l'aide bilatérale. Nous, AFD, sommes donc préservés de ce risque. Par ailleurs, nous sommes concernés parce que gestionnaire du FSD.
Plusieurs questions m'ont été posées sur l'Alliance Sahel. On vous diffusera un point précis d'actualité. Nous sommes très attentifs, nous et les autres partenaires de l'Alliance Sahel, à la dégradation politique en cours, notamment au Burkina et au Mali. Beaucoup de bailleurs ont suspendu leurs fonds : la Banque mondiale, l'Union européenne et ses États membres notamment. Nous-mêmes, nous avons suspendu l'octroi de quatre projets en subvention qui étaient prêts à passer devant le Conseil d'administration. Aucune relation à ce stade avec les nouvelles autorités n'est en cours au Mali mais les équipes sont quand même là, sur le terrain. Depuis que la CEDEAO a levé les sanctions, le ministre y est allé et nous avons repris les soutiens dans ce pays où l'on était en forte augmentation puisqu'en 2019, nous y avons engagé 200 millions d'euros contre 80 l'an passé. On réinvestit auprès de nos collègues maliens.
Il faut par ailleurs, relativiser notre aide au développement au Mali. On engage 200 millions, on décaisse 60 millions d'euros. C'est pour ça qu'on a bâti cette Alliance Sahel : pour avoir du renfort et agir plus fortement. Autre chose : je vous renvoie à l'atlas qu'on a publié au mois d'août. En effet, c'est sur le long terme qu'il faut analyser le sujet malien et son évolution. Dans les années 2000, jusqu'en 2012, le Mali était plutôt un exemple de développement : l'indice de développement humain du Mali a doublé entre 1990 et 2017. Puis, la situation s'est dégradée. Le lien entre le développement et le politique est toujours profond. Depuis 2012, ça semblait repartir et on entre de nouveau dans une période d'incertitude. Ce qu'il faut, c'est une estimation de long terme, qui compile les regards du diplomate, du militaire et du développement pour vraiment juger de l'état de la région.
En ce qui concerne les questions démographiques, M. Cazabonne et Mme Carlotti se sont répondu l'un après l'autre. Il faut traiter des problèmes de démographie à l'échelle du continent et dans ce que l'Afrique compte de diversité. L'Afrique du nord et l'Afrique australe ont achevé leur transition démographique. C'est en Afrique de l'est et au Sahel qu'il y a des dynamiques démographiques extrêmement puissantes, ce à quoi il faut ajouter les mouvements migratoires qui en découlent et qui sont inévitables. Ils restent, pour l'essentiel, intra-africains, plutôt vers le sud qu'en traversant le grand désert.
Une grande partie de la réponse a trait au renforcement de la place des femmes dans toutes ces sociétés. 40 % de nos projets devaient avoir un impact sur l'égalité femme-homme ; on a fait presque 50 % l'an dernier. Le Forum génération égalité, en 2021, nous donnera l'occasion d'expliquer ce qui se passe et d'informer les ONG féministes. On a une distinction entre l'Afrique du nord où la place des femmes est extrêmement faible et l'Afrique subsaharienne où les femmes tiennent le pouvoir économique.
Mme Carlotti, vous avez parlé de gouvernance. Elle n'a été confiée à l'Agence qu'en 2016. Vous, parlementaires, êtes les experts dans ce domaine : il serait intéressant d'avoir un échange pour savoir si nous allons dans la bonne direction, de savoir si tout cela est bien articulé. Je suis étonné de ne pas avoir été interrogé sur l'audiovisuel. C'est peut-être une marque que nous progressons dans ce domaine. Marie-Christine Saragosse vous l'a peut-être expliqué: nous avons maintenant une cinquantaine de millions d'euros de projets entre l'AFD et France média monde. Nous avons besoin de ces compétences, nous avons besoin de faire des projets de développement ensemble. On fait beaucoup de choses aussi avec la délégation aux fonctionnaires internationaux (DFI) pour la capacité technique, le renforcement de capacités, la formation des journalistes, particulièrement en Afrique. On a fait des choses avec le CESE et ses homologues en Côte d'Ivoire ou dans d'autres pays, qui peuvent avoir un rôle important dans des situations de fortes tensions politique.
Nous pourrions avoir un long débat sur l'UE. L'AFD est l'Agence qui mobilise le plus de crédits européens parmi les État membres. Pour nous, c'est quelque chose d'important : nous avons 3 milliards d'euros à peu près de ressource budgétaire pour faire chaque année les 12 milliards, 13 milliards, 14 milliards d'engagements. Deux milliards qui viennent de la France et un milliard vient de l'Union européenne. Je veille avec beaucoup d'attention à ce que la ressource nationale qui augmente ne vienne pas se substituer à de la ressource européenne. Parce que vous nous confiez plus d'argent national, il faut qu'on aille chercher plus d'argent à Bruxelles. J'ai même dit à mes équipes qu'à horizon de deux ou trois ans, je voulais qu'on soit à parité : qu'on aille doubler à Bruxelles l'argent que vous nous confiez pour travailler dans les pays les plus difficiles. Vous savez combien la Commission européenne est engagée sur ces sujets, notamment sur son partenariat avec l'Afrique. Mais il y aura une limite politique : d'où l'idée de structurer le réseau des agences des banques publiques de développement européennes. On travaille très bien avec les Allemands, les Espagnols, les Italiens... Il faut qu'on nous incite à travailler ensemble. Vous avez peut-être vu le hashtag #TeamEurope qui apporte une signature européenne quand il y a de l'argent européen en jeu.
Lors du conseil de juillet, toute la partie internationale du plan de relance européen, notamment les garanties pour appuyer le secteur privé, a disparu dans la négociation. En revanche, les engagements préalables à la crise en matière d'augmentation de l'aide publique au développement sont maintenus. C'est le cas en France, c'est le cas aussi avec le budget pluriannuel de l'Union européenne. La baisse faciale de celui-ci est due au retrait britannique. Le débat va maintenant avoir lieu au Parlement européen.
Je reste à votre disposition sur les sujets de biodiversité. Le président Kenyatta était là il y a deux semaines, il a expliqué l'impact de l'arrêt du tourisme sur la biodiversité. Il a même invité les gens à venir visiter ces parcs en profitant du fait qu'ils soient vides. Il est un peu tôt pour savoir à quel point le marché est impacté. Il est difficile à ce stade de savoir s'il s'agit d'une année blanche (les économies africaines sont assez résilientes) et s'il y aura moins de touristes dans les parcs kenyans à l'avenir.
Toutefois, la COP 15 en Chine en 2021 le montrera, les questions de biodiversité vont bien au-delà des enjeux de conservation. En fait, la question s'est déplacée d'une question de conservation vers une question d'intégration dans les chaînes de valeur. C'est nous qui déforestons l'Amazonie : il nous faut trouver comment intégrer dans l'investissement, via les banques d'investissement, une logique de filière à l'échelle globale. Il faut parvenir à lier finance et climat, finance et biodiversité.
J'en viens maintenant à la dette. Ce dont parle le G20, aujourd'hui-même, c'est bien d'un moratoire et d'un prolongement du moratoire pour 6 mois, je crois. Certains demandent même une extension jusqu'à fin 2021 mais un délai de 6 mois est intéressant car il nous amènerait au mois de mai 2021. À cette date, le Président de la République souhaite, avec d'autres chefs d'État, inviter tous les financeurs de l'Afrique au niveau politique le plus élevé pour réfléchir à comment financer le développement de l'Afrique. Au point où nous sommes, la réponse : « nous ne pouvons plus vous financer » serait intenable. Certains États vont passer la crise en gardant une capacité à s'endetter quand d'autres devront restructurer leur dette. La France a un rôle important à jouer : elle assure le secrétariat du Club de Paris ; parce que nous sommes prêteurs, il nous faut être exemplaire tout en trouvant des moyens de financer, sans passer par des gouvernements, l'économie africaine. Nous avons également l'expérience des contrats de désendettement-développement, qui est une manière de désendetter, tout en réorientant les sommes annulées vers des projets souhaités par notre pays.
J'en viens enfin à la question du Président, qui ne s'adresse finalement pas vraiment à moi. La loi de programmation est attendue, y compris par le directeur général de l'AFD, puisqu'il y a cette disposition sur l'intégration d'Expertise France qui y figure. Elle est importante pour nous et nous souhaitons la voir voter le plus tôt possible car elle inclut un volet d'incitation à aller plus loin dans le rapprochement et la construction du groupe. La loi contient également des dispositions importantes sur l'attractivité. Mais finalement, il s'agit d'une loi de programmation alors qu'il ne reste plus qu'une loi de finances. Je ne souffre pas personnellement d'un manque de portage politique de ce que nous faisons. Le Président de la République en parle beaucoup dans ses déplacements. Il aura l'occasion d'en parler en 2021, notamment lors du One Planet Summit ou lors du Forum Génération Égalité. Il est essentiel d'expliquer que ce que nous faisons est dans l'intérêt de nos compatriotes : pas seulement de le leur dire mais également de les en convaincre. Le Ministre des Affaires Étrangères parle aussi de ces sujets. On a mis en place un comité de pilotage, début novembre, pour que je lui rende des comptes et que je lui explique les priorités. Elles seront suivies et vérifiées dans une relation d'une grande sincérité avec les postes en administration centrale.
Ma question ne remettait évidemment pas en cause le rôle du ministre des Affaires Étrangères. Mais ce ministre est tellement pris par toutes les crises qui ne cessent de surgir partout dans le monde que je crois que la tradition, sous la Vème République, d'avoir un ministre délégué ou un secrétaire d'État à la Coopération, n'était pas une mauvaise chose. Cela ne vous a pas échappé : le Président de la République ne parle pas au Parlement. C'était le sens de notre question : d'un côté, le montant des aides devient très important, de l'autre, on voit des secrétaires d'État qui ont de très petits budgets.
Enfin, vous n'avez pas répondu, me semble-t-il, à un point qui attire toujours notre attention : les prêts consentis à la Chine. Olivier Cadic vous a demandé s'il n'était pas possible de les redéployer vers la zone indopacifique où la France a besoin d'accroître son influence. Vous savez l'extrême réticence du Parlement sur ces prêts à la Chine. La France a prêté 250 millions d'euros à la Chine pour sa transition écologique. Cela fait des années que nous vous demandons s'il n'y a pas de meilleures causes à défendre. On nous dit que c'est pour conserver de bonnes relations. Effectivement, ça n'est pas pour la gouvernance démocratique ! Alors pour la transition écologique, pourquoi pas ? Mais prêter 250 millions à un pays qui a déclaré pouvoir s'offrir le Portugal avec un seul chèque, est-ce que réellement cela fait sens ? Vous vous souvenez que le budget de la coopération a failli ne pas être voté l'année dernière en hémicycle. J'ai dû batailler pour convaincre mes collègues de la commission des Finances qui s'appuyaient sur ces mêmes arguments. Je ne voudrais pas que les mêmes causes produisent les mêmes effets. À quoi sert-il de prêter 250 millions d'euros à la Chine pour favoriser sa transition écologique ? Ne serait-il pas souhaitable de les réinjecter dans le monde indopacifique où nous avons de vrais sujets, de vrais problèmes, et où la présence de la France a besoin d'être plus marquée ?
Premièrement, ça n'est pas l'un ou l'autre. La limite d'intervention de l'AFD dans un pays est une limite réglementaire qui s'appelle le ratio grand risque. Ce ratio est fixé à un quart des fonds propres pour chaque pays : ce n'est pas de faire moins en Chine qui nous amènera à faire plus en Indonésie ou dans l'axe indopacifique. Nous avons fait une étude quand le Président est allé à Mayotte et à la Réunion, il y a un an, portant sur la contribution de l'AFD aux financements des pays de l'axe indopacifique. Nous formulons également un certain nombre de propositions, pour identifier plus clairement cet ensemble et amener, avec d'autres dimensions, les briques développement, climat, etc...
Dans certains pays, je pense en particulier à la Chine, les règles de l'aide au développement s'appliquent certes, mais « aide au développement » n'est pas une expression appropriée. Employer cette expression dans des pays très pauvres comme en Chine rend évidemment le débat impossible. On n'aide pas la Chine comme on aide le Mali, ça n'aurait pas de sens ! C'est la stratégie de l'AFD, revalidée en Conseil d'administration avant l'été, que de créer des liens entre la France et la Chine sur des sujets qui sont de notre intérêt. Ce n'est pas moi qui vous le dis, c'est le Conseil d'administration, avec les ministères et les parlementaires qui y siègent. Ce que nous faisons, c'est une forme d'investissement. Nous avons notamment travaillé sur le vieillissement. Je vous invite, comme je l'ai fait personnellement, à venir voir ces projets en Chine : les parcs naturels que l'on fait avec le parc du ballon des Vosges, par exemple. J'ai même rencontré le dirigeant d'une PME française qui m'a dit qu'il avait inventé un modèle de parc de biodiversité en périphérie des villes et qu'il cherchait maintenant à le vendre aux collectivités locales françaises.
Je rajoute un élément, pardon d'être un peu près de mes sous, mais je gagne de l'argent en Chine ! Mon salaire est payé par les Chinois. Comment puis-je financer des agences déficitaires dans certains pays ? Je bénéficie du fait que les Chinois ne sont pas les plus difficiles sur la négociation des taux ! Nous ne mettons aucun argent budgétaire en Chine. Au contraire : la Chine, d'une certaine manière, finance l'AFD: les Chinois nous achètent des obligations émises par l'AFD pour l'essentiel sur des marchés financiers. Lorsqu'on émet des titres, il y a des gens du monde entier qui achètent le papier AFD. Cet argent retourne ensuite en Chine sous forme de prêt. Le prêt est tarifé à un taux plus élevé que la rémunération qui est attachée à notre obligation. Vous avez là une boucle financière qui revient à ce que ce soit la Chine qui finance l'AFD. Par ailleurs, ce circuit financier, ce n'est pas que de l'aide. On crée des liens entre des acteurs français et des acteurs chinois, qui me semblent intéressants. Si on arrête, ça n'apportera pas plus à un autre pays, mais on perdrait un lien qui certes, est un petit lien à l'échelle des relations bilatérales que nous entretenons avec la Chine, qui ont mille autres dimensions, mais qui est un lien défendable, utile, positif et intéressant pour nous. Encore faut-il vous en convaincre !
C'est le vieux débat, sur le rôle double de l'AFD, banque de développement et bras séculier de coopération.
J'ajoute un point : on a noué des relations avec les banques publiques chinoises, notamment la China Development Bank. Nous avons fait traduire en chinois notre méthodologie d'évaluation de la soutenabilité de la dette d'un pays. Dans le club IDFC que je dirige chaque année, on déclare la finance-climat. Le plus grand financeur du climat au monde, c'est la China Development Bank, avec chaque année entre 100 et 130 milliards d'euros de prêts pour des métros, des énergies renouvelables, etc...
Pardonnez-moi, mais à côté de ça, au lycée français à Pékin, qui a été construit par les Chinois, nous avons été obligés de tout reprendre : les peintures étaient toxiques, les enfants étaient malades... Il a fallu tout recommencer à un coût très important.
Mais est-ce qu'on a un début d'influence sur la façon dont les institutions financières chinoises investissent ? Sur la qualité de leurs investissements ? Bien sûr qu'il y aurait, par exemple, des investissements dans des centrales à charbon et qu'il faudrait arrêter. C'est cela que l'on aimerait bien capturer dans ce rassemblement des banques.
Il est d'autant plus important de faire un effort sur l'évaluation. Nous souhaitons être informés des évaluations que réalise l'AFD. C'est au coeur de notre travail : le Parlement a pour fonction de contrôler la bonne utilisation de l'argent public. Il serait ainsi intéressant d'avoir une évaluation de notre relation avec la Chine en matière d'aide publique au développement, réalisée par l'AFD. Peut-être nous trompons-nous dans notre analyse, mais les réticences formulées par le Sénat sont les mêmes que celles formulées par l'Assemblée Nationale.
Veillons à ce que l'aide aux pays les plus pauvres reste prioritaire. Certes, le continent africain s'en sort mieux que nous en matière de COVID, mais on y observe toujours le lien entre les tensions politiques, la pauvreté et le sous-développement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.