Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 s’achève, nous laissant estourbis et pantois, quelque peu sonnés, je dois dire. Est-ce le manque de sommeil, l’intensité parfois des échanges, la valse des milliards, l’incongruité à vouloir prévoir l’avenir budgétaire, alors que personne ne sait où nous allons ? Ou encore les innovations, souvent importantes, introduites par ce texte, et quelques inévitables déceptions ?…
« Mieux vaut une amère vérité qu’un doux mensonge », dit un proverbe russe. Alors, regardons la réalité en face !
La crise sanitaire sans précédent de l’année 2020, qui n’a pas justifié pour le Gouvernement l’élaboration d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, tandis que le Parlement a planché sur quatre projets de loi de finances rectificative (PLFR) successifs, appelait des mesures d’ajustement budgétaire afin d’amortir, autant que faire se peut, le surcoût engendré par l’épidémie de covid, et les dispositions du Ségur de la santé.
Ainsi, le fait marquant de ce PLFSS est sans aucun doute cet abyssal déficit de 49 milliards d’euros de premiers secours.
À situation exceptionnelle, remèdes exceptionnels ! Ainsi, chronologiquement fut d’abord votée une contribution des organismes complémentaires en santé. La modulation pour les organismes mutualistes a entraîné, dès la première heure, un manque à gagner de 400 millions d’euros. J’ai alors songé que, dans nos collectivités territoriales, on ne votait pas une mesure sans connaître son impact budgétaire. Il serait bon que les parlementaires disposent systématiquement des mêmes outils d’appréciation. C’était une remarque préliminaire…
L’un des objets de ce PLFSS était de permettre la mise en œuvre des mesures du Ségur de la santé, en particulier l’augmentation salariale des personnels des établissements de santé et des Ehpad, et le financement de la prime exceptionnelle pour les personnels des services d’aide à domicile.
Je veux dire un mot, ici, pour tous ceux qui se sentent oubliés du Ségur, exclus de la reconnaissance nationale. Nous sommes nombreux, sur l’initiative de notre collègue Élisabeth Doineau, à avoir cosigné un courrier vous demandant, madame la ministre, d’accorder une bienveillante attention à tous ces « autres » professionnels qui ont, aussi, fait leur part. La santé est un système vaste et complexe qui va bien au-delà des murs de l’hôpital, et les applaudissements symboliques des Français sont allés, dans les moments les plus durs, à chacun des acteurs de cette longue chaîne humaine.
Dans la suite de nos débats, l’article 6 t er a marqué la volonté forte du Gouvernement d’aider les employeurs par une exonération totale de contributions sociales. Cela illustre le « quoi qu’il en coûte » qui, dans les heures de grand doute et de désespoir, doit être une planche de salut. Le champ de cette mesure est large. Espérons seulement qu’il n’y ait pas trop de trous dans la raquette… Merci, madame la ministre, de mettre en œuvre ces véritables outils de solidarité nationale.
Je note l’adoption, aux articles 13 et suivants, de l’exonération des cotisations sociales pour les salariés non agricoles des exploitations viticoles, ainsi que la pérennisation et le relèvement du taux du dispositif d’exonération pour les travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi, dits « TO-DE ». Espérant pour ces filières que ces mesures puissent prospérer, je souligne ainsi un exemple concret de soutien aux professionnels.
Puis vint le moment de créer cette fameuse « cinquième branche », cette décision de traiter à part entière la dépendance, de donner un cadre aux futures mesures du grand âge et de la perte d’autonomie. De nombreuses questions et inquiétudes subsistent sur son financement, qui ne pourra pas reposer principalement sur la contribution sociale généralisée (CSG), son périmètre et sa gouvernance.
Était-ce le moment ? Le rapport Libault prévoyait cette création à l’occasion de l’extinction de la dette sociale, afin que puisse être utilisé le produit de la CRDS pour soutenir cette branche. Cette extinction a été reportée, hélas, à un horizon lointain. Fallait-il différer encore ?
Nous nous interrogeons aussi sur le transfert de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH). Le périmètre est-il amené à évoluer ultérieurement ?
Notre collègue Jocelyne Guidez, par ses remarques sur l’AEEH, nous invite par ailleurs à nous interroger sur la portée symbolique des dispositions. Un individu porteur d’un handicap est-il d’abord porteur de handicap, ou d’abord un enfant ? Puis, porteur de handicap ou retraité ? C’est la difficulté de classer les êtres humains dans des cases…
Ce texte apporte des avancées attendues et des propositions innovantes – versement anticipé de la prime de naissance ; création des maisons de naissance ; hôtels hospitaliers –, ainsi que cette mesure fort médiatisée visant à allonger le congé de paternité à vingt-huit jours, dont sept obligatoires.
Me singularisant un peu dans cet hémicycle, j’ai exprimé ma crainte que l’on aggrave ainsi le fossé existant dans notre société entre ceux qui ont un salaire et ceux qui n’en ont pas. Cependant, le Sénat, dans son immense majorité et sa très grande sagesse, a franchi ce pas.
Médicaments innovants, stocks, téléconsultation, pénurie de professionnels de santé, répartition territoriale des médecins, dette hospitalière, médecine hospitalière, médecine de ville, médecine privée, sport et santé, périnatalité, concertation sur l’âge de la retraite… tout le champ des sujets d’une brûlante acuité dans ce contexte sanitaire a été longuement balayé.
Je souhaite enfin m’attarder sur un sujet particulier, un de ceux que nos concitoyens attendent de voir évoqués, même s’il ne fit pas beaucoup frémir le banc des ministres : la fraude.
Notre collègue Nathalie Goulet a déposé de nombreux amendements relatifs à ce problème car elle maîtrise parfaitement ce dossier, qui est par ailleurs pointé dans nombre de rapports publics et officiels. Alors que le simple croisement de fichiers permettrait de mettre fin à bien des pratiques malhonnêtes, on se demande si l’atonie des débats ne confirme pas une forme de banalisation de la fraude.
Madame la ministre, devant tous ces amendements qui ont été déclarés « satisfaits », je réponds que nous ne sommes pas satisfaits ! Pour lutter contre la fraude, il faut plus que des lois, il faut une volonté ! Beaucoup de mesures relèvent du réglementaire, à vous de les prendre ! Plus que jamais, en période d’austérité et de rigueur, les Français vous attendent sur ce sujet.
Madame la ministre, avant de conclure, je veux souligner le nombre d’amendements partis au panier au titre de l’article 40 de la Constitution et consorts, ou repeints en une « demande de rapport ». Entendez derrière tout cela que nombre de sujets, remontés de nos territoires, ne trouvent pas d’écho ! Comment pouvons-nous les porter ?
Je vous donne un exemple : les préparations magistrales de mélatonine, qui permettent aux enfants autistes de trouver le sommeil, ne sont pas remboursées par la sécurité sociale. Sur ce sujet, on nous rétorque « article 40 », « rapport », quand ce n’est pas une question écrite qui reste sans réponse… C’est pourtant le souci de milliers de parents, qui ont besoin de dormir un peu pour faire face à un quotidien difficile ! Comment se faire entendre, lorsque le ministre des solidarités et de la santé ne souhaite pas prendre sa place sur ce banc ?
Je rejoins ceux de mes collègues qui ont appelé à une refonte profonde et concertée de notre système de santé.
Je conclus en remerciant ceux qui nous ont accompagnés pendant de longues heures, en soulignant le travail remarquable de mes collègues sénateurs centristes, notamment au banc des commissions, qui ont permis l’adoption de nombreux amendements.
Le groupe centriste votera cette version du PLFSS amendée par le Sénat.
Puisqu’il me reste quelques secondes, je citerai les mots pleins de sagesse du Nivernais Romain Rolland : « L’équilibre est la règle souveraine des plus grands comme des plus petits. » C’est un vœu pieux !