Intervention de Frédéric Marchand

Réunion du 17 novembre 2020 à 14h30
Alimentation locale et durable — Débat organisé à la demande du groupe rassemblement des démocrates progressistes et indépendants

Photo de Frédéric MarchandFrédéric Marchand :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire sans précédent que nous connaissons a mis en lumière, parmi les sujets que nous pensions – funeste erreur ! – acquis ad vitam æternam, celui de l’alimentation, celui de notre alimentation.

Ce bien commun est sans conteste celui qui importera le plus dans les semaines, les mois et les années à venir, celui sur lequel il est urgent, sans transiger, de prendre des engagements forts. Les mesures du plan de relance que vous portez, monsieur le ministre, sont à cet égard significatives.

Oui, cette crise nous rappelle toute l’importance de ce que nous pouvons nommer la « sécurité alimentaire », le besoin de savoir que l’on pourra s’alimenter en quantité mais aussi en qualité suffisantes !

Cette question, la plus ancienne du monde, est celle que pose Stéphane Linou dans son ouvrage Résilience alimentaire et sécurité nationale, qui a d’ailleurs servi de base à une proposition de résolution déposée par notre ancienne collègue Françoise Laborde, que je veux ici saluer.

La question de l’alimentation durable et locale est aussi au cœur de l’excellent rapport d’information rendu au nom de la délégation sénatoriale à la prospective par notre collègue Jean-Luc Fichet et notre ancienne collègue Françoise Cartron, à qui je veux ici adresser un salut amical.

Oui, monsieur le ministre, nous sommes nombreux, sur ces travées et dans nos territoires, à penser qu’il est désormais urgent de donner à l’alimentation un véritable statut.

Il est temps d’en faire définitivement un secteur d’activité d’importance vitale, tel que défini par l’article R. 1332-2 du code de la défense, plutôt que de continuer de s’en tenir à sa seule dimension sanitaire. Alors, nous serions peut-être capables de doter notre pays, par exemple, de véritables indicateurs sur les flux d’approvisionnement alimentaire sur notre territoire, de manière à permettre une approche plus précise et préventive de la réalité alimentaire de notre pays.

Cette crise sanitaire a eu quelques vertus, si je puis me permettre cette expression : elle nous a ainsi fait redécouvrir la signification de concepts essentiels dont nous pensions parfois qu’ils n’étaient que des vœux pieux.

Concept de la solidarité, d’abord, avec nos agriculteurs, producteurs et maraîchers qui ont été, dans nos villes et nos campagnes, au moment du premier confinement, frappés de plein fouet par l’arrêt de la restauration collective et de la restauration hors foyer. Ils ont su se réinventer dans l’urgence, avec l’aide des restaurateurs et des collectivités ; depuis le début du deuxième confinement, ils sont toujours au rendez-vous.

Concept de la proximité, ensuite : certaines habitudes de consommation ont évolué, ce qui a suscité un développement sans précédent des circuits courts pour le bonheur d’un segment très large – les études le montrent – des consommateurs.

Concept de la qualité, aussi, avec une exigence renforcée au nom de principes sanitaires, mais également une plus grande appétence pour les bonnes choses produites de manière vertueuse.

Concept de la saisonnalité, enfin, avec la redécouverte de produits locaux et de saison, et une palette de productions qui permet de mélanger allégrement les goûts et les couleurs.

Ce constat posé, quelles pistes explorer pour faire en sorte que le monde d’après ne ressemble pas au monde d’avant, et pour que ce moment éphémère, dont certains producteurs nous disent qu’il n’est déjà plus qu’un vague souvenir pour des consommateurs qui ont retrouvé leurs habitudes antérieures, donne le top départ d’une résilience alimentaire partagée par toutes et tous ?

Derrière cela, c’est toute la question de notre souveraineté alimentaire qui ressurgit. Je sais, monsieur le ministre, que vous en avez fait la priorité des priorités.

« Nous ne pouvons plus déléguer notre alimentation », indiquait le 12 mars dernier le Président de la République.

La France est un grand pays agricole exportateur, mais elle est aussi un pays qui s’est inspiré du modèle américain mondialisé. Or ce modèle nous fait transférer d’énormes flux d’intrants, d’énergie ou d’azote du Brésil, pour nourrir des animaux que nous exportons ensuite vers le Moyen-Orient, le tout dans des conditions sociales difficiles et avec des coûts considérables pour la politique agricole commune (PAC).

En France, par ailleurs, nous ne produisons que 50 % des légumes que nous mangeons, et 40 % de nos besoins en fruits. Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, il nous faut réaffirmer un principe fort : reconstituer nombre de filières qui ne peuvent être que maraîchères, ou presque, le sud de la France étant, par exemple, fort touché par le changement climatique.

Alors que nous exportons des volailles, nous importons 40 % des poulets que nous mangeons ; il convient de corriger cette inadéquation pour que la relocalisation de qualité prenne tout son sens. Pour les viandes, nous importons principalement les produits les moins chers, souvent pour la restauration collective.

Sécurité alimentaire, souveraineté alimentaire, garantie d’un accès à une alimentation de qualité pour nos concitoyens, notamment pour celles et ceux qui subissent le plus la précarité, préservation de la biodiversité : voilà, monsieur le ministre, les piliers qui devraient inspirer des contrats alimentaires territoriaux passés avec les collectivités, véritables feuilles de route pour une transition agricole et alimentaire partagée par le plus grand nombre.

On m’objectera que les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont la réponse déjà mise en place. Ils représentent à l’évidence une avancée, mais leur prisme par trop restrictif, parce qu’articulé autour de la question – certes essentielle mais non unique – de la restauration collective, leur caractère facultatif et le peu de moyens financiers et humains qui leur sont consacrés, limitent leur portée. De belles réussites sont toutefois à mettre à leur crédit, comme vous avez pu vous en rendre compte, monsieur le ministre, au début de septembre, sur le territoire de la communauté d’agglomération du Douaisis.

À cette occasion, vous avez rappelé votre ambition de développer le nombre et la qualité de ces PAT en leur octroyant des moyens supplémentaires dans le cadre du plan de relance. Nous ne pouvons que saluer un engagement qui rejoint nombre de ceux pris lors des dernières élections municipales sur ce sujet majeur de l’alimentation durable et locale.

Alors, allons plus loin et portons cette belle ambition de développer les CAT.

Pour réussir, les contrats alimentaires territoriaux doivent revêtir un caractère obligatoire et être signés à l’échelle territoriale des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), qui sont de véritables bassins de vie. Ils doivent être conclus dans un horizon temporel raisonnable, qui pourrait être fixé à 2022, et faire l’objet de révisions régulières.

Ils doivent affirmer le primat de l’alimentation durable et de notre sécurité alimentaire, comme outils de développement par tous et pour tous.

Ils doivent devenir l’alpha et l’oméga des documents de planifications territoriales. Leur intégration dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) portés par les régions doit permettre de réaffirmer que les schémas de cohérence territoriale (SCOT) et autres plans locaux d’urbanisme (PLU) doivent être compatibles avec ces contrats.

Ils auront aussi pour vocation d’édicter des principes forts en matière de gestion du foncier agricole, ce qui me donne l’occasion de rappeler la nécessité d’ouvrir très rapidement le chantier sur le sujet, si ne voulons pas en rester au stade de l’incantation.

Ils devront intégrer de nouveaux objectifs chiffrés sanctionnables, la mise en place d’indicateurs de résilience, tels le pourcentage de l’autonomie alimentaire territoriale, le développement des circuits alimentaires de proximité, les installations ou les conversions en vente directe, sans oublier le nécessaire accompagnement des agriculteurs dans la régénération des sols.

Des moyens financiers nouveaux devront les rendre possibles, pour les redéployer, en y associant nombre d’acteurs citoyens, notamment celles et ceux qui interviennent dans le champ de la précarité alimentaire – la crise actuelle permet d’ailleurs d’en mesurer toute la prégnance – et auxquels nous ferons appel dans les semaines et les mois à venir, compte tenu des effets dévastateurs de l’épidémie sur la situation économique et sociale dans notre pays.

L’accès à une alimentation durable et de qualité est une priorité possible : c’est une question de moyens mais aussi de volonté, et je sais que vous n’en manquez pas.

Les collectivités territoriales, elles aussi, ont de la volonté à revendre. Elles ont montré, ces dernières semaines, à quel point elles étaient essentielles pour la vie quotidienne de nos concitoyens. Faire de nos EPCI des autorités organisatrices de l’alimentation durable et locale, et réunir tous les acteurs autour de la table pour prendre des décisions partagées et encouragées constitue une perspective à laquelle je vous sais très attaché. Je sais également que cette volonté, monsieur le ministre, est la vôtre, et que vous entendez consacrer énergie et moyens à la question de l’alimentation durable et locale.

N’attendons pas pour repenser notre alimentation ! Il est désormais urgent de penser des systèmes alimentaires territorialisés. Le contrat alimentaire territorial peut à ce titre s’avérer demain un outil majeur pour, ensemble, cultiver notre jardin et faire vivre notre belle exception alimentaire, laquelle est aujourd’hui plus qu’essentielle.

Cette ambition fonctionnera seulement si elle partagée par tous les acteurs qui font et qui représentent l’alimentation durable et locale. Mon ancienne collègue Nelly Tocqueville, que je salue, et moi-même avons ces derniers mois travaillé sur ce sujet. Nous remettons l’ouvrage sur le métier et formulons des propositions que, j’en suis sûr, vous partagerez.

Plusieurs choses me frappent : la qualité, l’envie et l’inventivité de tous les acteurs pour tendre vers une résilience alimentaire de qualité, mais aussi certaines incompréhensions, des méfiances entre acteurs et, parfois, le manque d’une véritable envie collective.

Permettez-moi de vous adresser une supplique. Soyez le ministre qui sera le grand ensemblier de toutes les énergies – on en trouve à foison en France ! – devant nous permettre de tendre vers cet objectif commun : faire de notre pays celui d’une alimentation durable et locale, pour toutes et tous.

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