Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, d’autres avant moi ont expliqué les raisons pour lesquelles nous sommes réunis ici, aujourd’hui, afin de nous prononcer une nouvelle fois sur ce projet de loi.
La commission mixte paritaire à laquelle j’ai eu l’honneur de participer s’est réunie le 22 octobre dernier et n’est pas parvenue à un accord. L’ensemble des membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain le regrettent véritablement.
Au-delà de cette déception, on ne peut pas dire que nous soyons extrêmement surpris de la tournure prise par l’examen du texte… Celle-ci témoigne de la difficulté qu’éprouvent le Gouvernement et sa majorité avec le fonctionnement normal d’une démocratie parlementaire.
Sur la forme, nous avons déjà eu l’occasion de le dénoncer à de multiples reprises, l’ensemble de ce texte reflète la tendance du Gouvernement à privilégier le recours aux ordonnances. Nous le déplorons. Cette démarche n’est pas de nature à renforcer les liens indispensables entre les instances européennes et les instances nationales, ainsi que l’articulation de leurs travaux.
Cette réserve étant formulée, face à l’urgence de certaines transpositions, nous avions néanmoins accepté l’essentiel des habilitations sollicitées, en précisant parfois leur portée.
Sur le fond, ce texte sorti du Sénat et enrichi de nos propositions apparaissait comme globalement positif, au-delà même du fait qu’il permettait la transposition de nombreuses dispositions très attendues.
Ces dispositions ayant été déclinées par de précédents orateurs, je n’en mentionnerai que quelques-unes.
Je pense, en particulier, aux moyens accordés aux autorités françaises pour lutter contre la fraude fiscale, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, par la mise en œuvre de nouvelles règles relatives aux mouvements d’argent liquide en provenance ou à destination des pays tiers et le renforcement des sanctions en cas de violation de la réglementation douanière.
Je pense également aux dispositions relatives aux techniques des plateformes numériques de vente en ligne, qui créent des blocages géographiques injustifiés au sein du marché intérieur. Il fallait bien évidemment interdire ces pratiques, pour favoriser la fluidité des marchés dans l’intérêt des consommateurs.
Ces dispositions étaient particulièrement souhaitables. Malheureusement, lors de la CMP, nous avons dû faire face à plusieurs points de désaccord, aboutissant, malgré notre bonne volonté, à un échec.
Ainsi, sur l’initiative du Gouvernement, l’Assemblée nationale a rétabli l’article 24 relatif à la répartition future des compétences entre l’État et les régions en matière de gestion du Feader. Nous n’en voulions pas.
Nous avions supprimé cette habilitation pour deux raisons : d’une part, les intentions du Gouvernement n’étaient pas clairement établies à l’époque, ce qui suscitait l’inquiétude des régions ; d’autre part, pour un tel sujet touchant à l’aménagement du territoire et à la décentralisation, nous jugions préférable de passer par l’examen d’une loi, permettant un vrai et large débat en séance.
Nous n’avons malheureusement pas été écoutés. Mais nous étions prêts à y renoncer, en contrepartie d’une avancée sur les mesures que nous avions introduites dans le projet de loi, à savoir les dispositions de la proposition de loi de notre collègue Sophie Primas visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, texte cosigné par un grand nombre de sénateurs et voté à l’unanimité en février dernier.
L’article 4 bis, adopté lui aussi à l’unanimité au Sénat, proposait un nouvel encadrement des géants du numérique, au travers de trois grandes dispositions : la neutralité des terminaux, l’interopérabilité des plateformes et le renforcement du contrôle des concentrations, afin d’appréhender les acquisitions dites « prédatrices » des géants du numérique. Un quatrième dispositif avait été ajouté pour protéger les consommateurs contre les interfaces trompeuses.
Ces enjeux sont décisifs, et le Gouvernement avait pourtant indiqué en séance qu’ils étaient au cœur de sa réflexion. Mais il a rejeté l’intégralité des propositions du Sénat, au motif, notamment, qu’elles pourraient créer des distorsions majeures et affecter le dynamisme de l’écosystème des start-up du numérique, qui, pour bon nombre d’entre elles, se développent dans une perspective de rachat par une plateforme plus grande.
On ne peut que regretter cette appréciation, d’autant que l’Assemblée nationale a fini par suivre le Gouvernement dans ce rejet de l’article 4 bis. Nous aurions pu ainsi orienter les travaux de la Commission européenne vers une régulation plus agile, plus efficace, qui ne bride ni n’empêche l’innovation et qui permette de mettre un terme à la dynamique actuelle d’enfermement du consommateur.
Il semble que l’Allemagne s’engage dès à présent dans cette direction à laquelle nous renonçons… Les États-Unis, eux-mêmes, semblent affermir leur régulation des géants du numérique, comme en témoigne l’action engagée par le Département de la justice contre Google pour abus de position dominante. Il est essentiel que la France ouvre la voie en Europe, en attendant qu’une solution européenne soit arrêtée.
Oui, c’est au niveau de l’Union européenne qu’il faut agir ! Celle-ci s’est imposée comme un acteur majeur de la régulation numérique, et la Commission européenne fait preuve de volontarisme sur le dossier. Notre ambition au Sénat est de peser dans les négociations, notamment celles qui auront lieu autour du futur Digital Services Act.
C’était le sens de nos propositions, qui fixaient un cap et une exigence française. C’était aussi le sens des dispositions que nous avions adoptées pour, enfin, donner du pouvoir aux consommateurs et, derrière eux, à toutes les entreprises qui se retrouvent impuissantes face aux géants du numérique, et cela en agissant dès à présent.
Aujourd’hui, nous devons faire face à ce rendez-vous manqué, qui aurait été, sans nul doute, un signe encourageant et un soutien à notre gouvernement dans les négociations. N’ayez peur ni du Parlement ni des corps intermédiaires, monsieur le secrétaire d’État ! Sachez, au contraire, vous appuyer sur eux !
Opposés au texte de l’Assemblée nationale, nous voterons donc le texte tel que la commission des finances l’a amendé, c’est-à-dire reprenant les dispositions de l’article 4 bis.