J'ai souhaité que mon avis budgétaire s'inscrive dans la continuité de l'état des lieux et des recommandations que notre groupe de travail « Action culturelle extérieure » a présentés au printemps dernier. Cette fin d'année est l'occasion de faire le point sur l'évolution de la situation des six derniers mois, d'analyser la réponse apportée par le Gouvernement et d'identifier les priorités pour 2021.
La crise sanitaire a eu, sur le réseau culturel et d'influence français à l'étranger, comme sur l'ensemble du monde de la culture, des conséquences importantes dont l'ampleur est encore difficile à évaluer précisément. Tous les acteurs ont été mis à rude épreuve : fermeture partielle ou totale des établissements, report ou annulation d'évènements, modification des modes de fonctionnement, perte de recettes. Face à cette situation particulièrement complexe et inédite, nous avons tous à coeur d'aider nos réseaux et nos opérateurs à se relever et à retrouver des conditions favorables à leur rayonnement.
Les auditions que j'ai menées, et auxquelles ont assidûment participé Catherine Morin-Desailly, Claudine Lepage et Monique de Marco, m'ont conduit à centrer mon rapport sur le réseau d'enseignement français à l'étranger et celui des instituts culturels et des alliances françaises.
Notre groupe de travail avait dressé un panorama particulièrement sombre de la situation du réseau d'enseignement français à l'étranger pendant la première vague épidémique, certains de nos interlocuteurs n'hésitant pas à parler de la plus grave crise de son histoire. La fermeture de la quasi-totalité des établissements au pic de la crise sanitaire s'est traduite par le basculement vers un enseignement en distanciel, qui a suscité un mouvement de contestation sur son inadéquation avec le niveau des frais de scolarité. Les établissements ont alors été confrontés à des défauts de recouvrement, engendrant des problèmes de trésorerie, provoquant eux-mêmes une diminution des contributions à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). L'emballement de cette mécanique récessive a fait craindre la faillite de certains établissements et la diffusion d'une crise financière à l'ensemble du réseau.
C'est dans ce contexte que, fin avril, le Gouvernement a annoncé un plan de soutien d'urgence. Notre groupe de travail avait salué cette initiative, tout en émettant deux réserves : une méthode contestable, privilégiant l'effet d'annonce plutôt que le travail de fond, et un calibrage budgétaire encore très imprécis. Nos critiques ont été entendues puisque ce plan a finalement fait l'objet d'une budgétisation dans la troisième loi de finances rectificative du 30 juillet 2020.
Les crédits destinés au réseau ont été articulés autour de trois grands volets : un accompagnement aux familles françaises en difficulté, grâce à un abondement des bourses scolaires de 50 millions d'euros supplémentaires ; une aide aux familles étrangères et aux établissements, avec une subvention supplémentaire de 50 millions d'euros ; une troisième enveloppe de 50 millions d'euros d'avances de l'Agence France Trésor (AFT) permettant à l'AEFE de soutenir la trésorerie des établissements.
Au 1er octobre dernier, le montant des crédits consommés sur l'enveloppe dédiée aux bourses s'élevait à 104,1 millions d'euros sur une dotation globale de 155 millions. Un tel chiffre, à cette période de l'année, illustre la forte augmentation des demandes de bourses de la part des familles françaises ; sur les 50 millions d'euros supplémentaires destinés aux familles étrangères et aux établissements, 23 millions d'euros ont été consommés.
Même si ces deux mesures ont été accueillies favorablement, certaines associations de parents d'élèves font état d'une trop grande rigidité du dispositif de soutien aux familles françaises, dont les critères seraient plus restrictifs que ceux retenus pour l'aide aux familles étrangères.
Nous avons eu aussi écho de disparités dans l'application des aides selon les postes diplomatiques, qui semblerait être imputable à une mauvaise communication du ministère vers les postes, puis de ces derniers vers les établissements.
Quant aux avances de France Trésor à l'AEFE, elles ont permis à l'opérateur de débloquer 24 millions d'euros sous la forme de report de contributions et d'octroi de prêts.
La mise en oeuvre de ces premières mesures de soutien, combinée à une mobilisation remarquable des équipes administratives et pédagogiques, a permis à la rentrée 2020 de se dérouler de manière globalement satisfaisante. La moitié des établissements ont repris l'enseignement en présentiel ; 21 % ont mis en place un mode « hybride » ; 29 % sont restés en distanciel complet. La situation évolue quasi quotidiennement, en fonction de l'état sanitaire des pays et des décisions prises par les autorités locales.
Les relations entre les établissements et les parents se sont apaisées, même si des points de crispation peuvent perdurer. La ligne directrice de l'AEFE est clairement de promouvoir la qualité du dialogue pour créer du consensus. Une récente enquête menée auprès de l'ensemble des acteurs du réseau fait état de retours globalement positifs sur l'enseignement à distance. Néanmoins, trois préoccupations en ressortent : l'accompagnement des enfants à besoins éducatifs particuliers, les difficultés propres à l'enseignement en maternelle, la qualité de la communication entre les établissements et les familles.
La baisse des effectifs est de l'ordre de 8 000 élèves ; en prenant en compte les 5 000 nouveaux élèves arrivés dans le cadre de la dernière campagne d'homologation, le recul serait donc de 3 000 élèves. Les effectifs connaissent aussi des variations importantes selon les zones géographiques, la nationalité des élèves et le degré de scolarité.
Le réseau apparaît globalement en moins mauvaise santé qu'on aurait pu le craindre il y a quelques mois. La plus grande vigilance s'impose cependant, car la situation demeure très instable et parce que certains établissements, notamment des petites structures, sont dans un état plus critique que d'autres. C'est au regard de ce constat prudent qu'une deuxième étape du plan de soutien devrait être prochainement déployée au bénéfice des familles et des établissements. Nous y serons très attentifs.
L'AEFE voit sa subvention pour charges de service public augmenter de 9 millions d'euros en 2021. Cette évolution résulte de la pérennisation du « rebasage » de 24,6 millions d'euros effectué l'an passé - nous l'avions appelé de nos voeux après la coupe budgétaire survenue en 2017 - et à l'attribution de 9 millions d'euros pour financer des mesures de sécurisation des établissements, face à la montée de la menace terroriste.
Hors cette enveloppe spécifique, la stabilisation de la subvention constitue, certes, une garantie, mais je doute qu'elle suffise à couvrir à la fois les effets de la crise et l'expansion du réseau, dont le Gouvernement fait toujours un axe stratégique. Alors que la situation reste fragile, j'estime que priorité doit être donnée à la sauvegarde et à la consolidation des établissements existants plutôt qu'à l'homologation de nouvelles structures.
J'en viens à mon second point, consacré aux instituts culturels et aux alliances françaises, que nous n'avions malheureusement pas pu traiter avec le groupe de travail faute, à l'époque, de remontées de terrain consolidées.
Au plus fort de la crise sanitaire, 105 des 117 instituts culturels étaient fermés, ainsi que 650 des 830 alliances françaises. Depuis la rentrée, certains établissements ont pu rouvrir, soit partiellement, soit entièrement ; d'autres sont restés fermés. Là aussi, la situation est très évolutive.
Sur place, les équipes ont fait preuve d'une grande capacité d'adaptation pour réorganiser leurs activités à distance. Cette mobilisation n'a cependant pas permis d'empêcher la baisse des ressources propres, qui devrait se traduire par une diminution de 10 % du taux d'autofinancement des instituts culturels. Selon le ministère, un premier tiers d'instituts serait en situation budgétaire fragile, un deuxième tiers serait sous surveillance accrue, et un dernier tiers serait résilient.
L'incertitude sur les dates de réouverture et sur la capacité des instituts à retrouver leurs publics lors de la reprise constituent un véritable défi. En l'absence d'amélioration de la situation, le taux d'autofinancement continuera à baisser et les fonds de réserves de certains instituts pourraient être entièrement épuisés d'ici la fin de l'année ou le début de l'année prochaine, laissant craindre de possibles fermetures définitives.
Les alliances françaises sont confrontées aux mêmes problématiques de baisse du nombre d'apprenants, d'interruption de leurs activités, d'incertitude sur les dates de réouverture et sur le niveau des inscriptions. Une première estimation évaluait le montant des besoins supplémentaires, d'ici la fin de l'année, entre 800 000 et 1,5 million d'euros.
Or, aucune enveloppe spécifique n'a été ouverte en loi de finances rectificative au bénéfice des instituts culturels et des alliances françaises. Le ministère a simplement procédé, en cours de gestion, à des redéploiements de crédits au sein du programme 185 ; 5 millions d'euros supplémentaires ont ainsi été attribués aux instituts et 2 millions d'euros aux alliances. Cette gestion pragmatique des crédits doit être saluée, mais elle ne permettra sans doute pas de sauver les établissements en situation de grande vulnérabilité financière.
Le PLF pour 2021 ne comporte pas non plus de mesures de soutien aux réseaux des instituts et des alliances, hormis une enveloppe supplémentaire de 3 millions d'euros pour accélérer leur transformation numérique. Ce statu quo devra être révisé, lors de prochaines lois de finances rectificatives, en fonction des difficultés qui émergeront en cours d'année prochaine. Car, si les réouvertures venaient à être encore repoussées, des aides exceptionnelles à certaines structures pourront s'avérer indispensables.
Un mot, pour finir, de l'Institut français, dont la crise aura permis de conforter son rôle d'interface et d'appui aux réseaux des instituts culturels et des alliances françaises. Bien qu'ayant dû lui aussi adapter et reprogrammer la plupart de ses activités, la crise ne l'a affecté que modérément. En outre, la stabilisation de sa subvention en 2021 est perçue par son équipe dirigeante plutôt comme une bonne nouvelle.
À l'heure où nombre de politiques publiques nécessitent un soutien financier accru de l'État, la sanctuarisation, en 2021, du budget de nos réseaux d'enseignement et de culture à l'étranger mérite d'être accueillie favorablement. Mais nous devrons, tout au long de l'année prochaine, prêter la plus grande vigilance aux conséquences encore non stabilisées de la crise, afin de ne pas laisser des dommages irréversibles atteindre les acteurs les plus fragiles de ces réseaux. Je m'y engage.
Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 185 consacrés à la diplomatie culturelle et d'influence.