Monsieur le président, mes chers collègues, la période de confinement que nous avons vécu et que, hélas, nous vivons de nouveau, a réaffirmé avec force l'attachement presque intime de nos concitoyens aux industries culturelles, vaste ensemble qui dans ce programme regroupe aussi bien les livres que la musique, le jeu vidéo, ou encore les bibliothèques.
Dans le cadre de mon rapport pour avis, j'ai souhaité analyser de manière approfondie trois sujets : la Bibliothèque nationale de France (BnF), confrontée à de lourds défis en particulier immobiliers, le secteur du livre, frappé de plein fouet par la crise pandémique, et enfin la mise en place rendue complexe par la situation du Centre national de la musique.
Premier point, les défis qui attendent la Bibliothèque nationale de France, qui représente à elle-seule 70 % des crédits du programme.
Ce grand établissement public a été moins touché que d'autres par la pandémie. L'essentiel de ses ressources provient en effet des subventions de fonctionnement et d'investissement, qui progressent cette année de 3,2 % pour s'établir à un peu moins de 217 millions d'euros. Les ressources propres ne représentent qu'entre 6 % et 8 % de son budget, par le biais de location d'espaces et de droits d'accès aux salles de lecture, mais également d'opérations de mécénats pour le financement de travaux comme pour l'acquisition d'exemplaires destinés à rejoindre les collections.
Pour autant, l'impact de la pandémie est évalué à 6 millions d'euros, pour moitié de pertes de recettes, pour moitié de dépenses engagées pour assurer la sécurité des personnels. Comme je vous le disais, si ce montant est modeste par comparaison avec les salles de spectacle, il est néanmoins significatif pour un budget serré et dont la plus grande partie des dépense est contrainte.
La BnF est engagée dans trois grands projets que je souhaite évoquer devant vous par ordre chronologique.
Tout d'abord, un chantier enfin en voie d'achèvement, celui du « Quadrilatère Richelieu ». Berceau historique de la Bibliothèque, il a nécessité d'importants travaux de restructuration. Le chantier devait initialement s'élever à 120 millions d'euros et durer 7 ans, entre 2006 et 2013. Finalement, budget et délais ont été doublés, puisque la facture finale s'élèvera à un peu moins de 250 millions et les travaux ne seront achevés qu'en 2021, pour une ouverture au public en 2022. Il reste encore du chemin à faire avant de pouvoir profiter de ce lieu unique, qui nécessitera environ 7 millions d'euros de budget de fonctionnement annuel, dont seule une moitié sera couverte par de nouvelles recettes.
Deuxième chantier d'ampleur, le site François-Mitterrand de Tolbiac. 25 ans après son inauguration, il nécessite des travaux importants pour permettre son fonctionnement. Plus de 72 millions d'euros devront être engagés d'ici 2027, dont 31 millions pour la sécurité incendie.
Dernier chantier, la création d'un nouveau centre de stockage des oeuvres. La ministre a évoqué devant vous l'enthousiasme suscité auprès des collectivités locales suite à l'appel à manifestation d'intérêt. Plus de 80 candidatures ont été enregistrées dans toutes les régions éligibles. Le centre de stockage doit permettre non seulement de conserver dans de bonnes conditions les collections, mais également de faire une place particulière à la presse, un sujet qui ira droit au coeur de Michel Laugier ! Je suis personnellement très intéressé par ce projet de conservation et de numérisation. Pensez, mes chers collègues, que 100 millions de pages de presse de la seule IIIème République doivent être traitées et numérisées d'ici 10 ans pour éviter leur disparition ! Il s'agit là d'un projet d'ampleur pour notre mémoire collective, et je serai très attaché, comme j'ai pu l'indiquer à la Présidente de la BnF, au succès de ce projet trop méconnu.
Deuxième sujet de ma présentation, le soutien au secteur du livre.
Durant nos auditions, j'ai été très marqué par un chiffre relevé par le Syndicat des libraires : 150 000 références différentes de livres avaient été vendues en novembre 2019. En 2020, nous passons à 50 000, soit une division par trois. Cela devrait éclairer le débat autour de la place prise par les plateformes numériques : on vient dans une librairie pour flâner, se laisser surprendre et conseiller, on va sur internet pour acheter juste ce que l'on a prévu d'acheter.
À lui seul je crois, ce chiffre justifie le soutien accordé par les pouvoir publics à toute l'industrie du livre. Les libraires, en particulier, ont subi des diminutions de leur chiffre d'affaires de près de 40 % sur les mois de confinement de printemps, ce qui est considérable pour des commerces qui affichent la plus faible rentabilité.
Dès la réouverture, cependant, les clients ont « redécouvert » le chemin des librairies ce qui, au-delà des effets économiques d'une hausse de 22 % du chiffre d'affaires en juin, a profondément touché ces professionnels souvent passionnés.
C'est alors qu'est intervenu le deuxième confinement. Il diffère du premier pour au moins deux raisons :
- d'une part, les libraires n'ont pas reconstitué leur trésorerie au printemps. Ils arrivent donc affaiblis ;
- d'autre part, la période novembre-décembre représente entre 25 et 30 % du chiffre d'affaires annuel. En effet, et en plus des « prix littéraires », les libraires profitent souvent de ces mois pour proposer des « assortiments » destinés à être offerts.
Or le « commande-retrait » ne peut constituer qu'une réponse partielle, avec dans le meilleur des cas 20 à 30 % du chiffre d'affaires, mais au prix d'un niveau de charges très semblable à celui d'une ouverture normale.
Les conséquences du deuxième confinement pourraient donc ne se faire ressentir qu'au premier trimestre de l'année 2021, avec des établissements contraints de fermer faute de trésorerie. Certains éditeurs de très petite taille pourraient en effet faire faillite.
C'est la raison pour laquelle les libraires se sont retrouvés médiatiquement en première ligne dans la bataille de la réouverture, soutenus par de nombreuses personnalités - je pense à l'initiative de notre collègue Laure Darcos qui a rassemblée la signature de 68 collègues.
Les annonces du Président de la République hier soir, qui a annoncé la réouverture des commerces le samedi 28 novembre, constituent enfin une bonne nouvelle, même s'il est trop tôt pour savoir dans quelle mesure elle permettra de rattraper le temps perdu.
Dans ce contexte, il faut le souligner, les pouvoirs publics ne sont pas restés sourds et ont entendu les libraires, comme l'ensemble du secteur du livre. En plus des mesures de droit commun, le livre a bénéficié de mesures spécifiques : 5 millions d'euros rapidement mobilisés par le Centre national du livre (CNL) et 36 millions d'euros, dont 31 millions à destination des libraires et 5 millions des éditeurs les plus fragiles ont été engagés par la loi de finances rectificative du 30 juillet 2020.
A l'heure actuelle, le plan de relance prévoit 29,5 millions d'euros de crédits dont 9,5 millions pour plusieurs aides à l'attention des libraires. De plus, le Gouvernement a acté des frais de port divisés par trois pour l'envoi de livres par les libraires, une revendication ancienne de la profession qu'il faudra certainement prolonger pour lui permettre de lutter à armes plus égales contre les grandes plateformes.
Pour résumer, les pouvoirs publics ont été présents, ce que toute la profession reconnait et apprécie.
Cela sera-t-il suffisant compte tenu du deuxième confinement ? Probablement pas, mais il y a tout lieu de penser que le lien fort entre les français et leurs libraires, réaffirmé en juin dernier, constitue la meilleure garantie de pérennité du secteur.
Dernier sujet, la mise en place du Centre national de la musique, cher à notre collègue Jean-Raymond Hugonet qui prête toujours une oreille (musicale !) attentive au Centre.
Le CNM a été directement plongé dans le « grand bain ». Alors qu'il devait déjà, à compter du 1er janvier 2020, gérer la délicate mission de fusionner des structures distinctes, convaincre les organismes de gestion collective (OGC) de lui allouer des fonds, et organiser son déménagement, il s'est retrouvé en première ligne pour aider un secteur menacé dans son existence même. Il nous faut, je crois, saluer l'engagement des personnels d'un CNM, qui a su en un temps record, se montrer indispensable, probablement au-delà des espérances.
Ainsi, entre mars et avril 2020, alors que l'État n'avait pas encore mobilisé de moyens, le CNM a décidé d'affecter l'ensemble de ses crédits, soit 7,5 millions d'euros, dans un premier fonds, ultérieurement abondé par les professionnels et l'État pour s'établir in fine à 18,4 millions d'euros. Il a été intégralement consommé en septembre au bénéfice de près de 1 000 entreprises, toutes esthétiques confondues.
Alors que le budget pour 2020 du CNM s'établissait à 46 millions d'euros en 2020, il a été presque quadruplé, passant à 173,4 millions d'euros. La tendance se renforce encore en 2021, avec un budget de 200 millions d'euros, soit 25 millions d'euros pour le centre et 175 millions issus du plan de relance.
La répartition exacte de ces crédits doit encore faire l'objet de concertation. Plusieurs fonds et mécanismes ont été créés pour répondre à la situation « d'urgence absolue » du secteur. Les plus significatifs sont :
- le fonds de sauvegarde, qui a pris la suite du fonds de secours au spectacle vivant. Le nouveau fonds de sauvegarde est destiné à soutenir les entreprises du secteur de la musique qui justifient d'une perte d'au moins 30 % du chiffre d'affaires. Il est doté de 50 millions d'euros ;
- le fonds de compensation des pertes de billetterie. Les crédits sont destinés aux diffuseurs (salles de spectacle, festivals..) et aux producteurs. Le fonds permet de compenser le manque à gagner correspondant à l'écart entre le chiffre d'affaires de billetterie réalisé avec la jauge « distanciation » et celui qui aurait été réalisé avec une jauge « point mort » (80 %). Il s'établit à 45 millions d'euros.
Malgré ces moyens considérables mis à disposition du CNM, la question posée par le deuxième confinement reste là encore entière. Il est probable que des moyens supplémentaires seront nécessaires. Cependant, nous pouvons avoir la satisfaction de disposer maintenant d'un instrument dédié et performant pour le secteur.
Avant de conclure, je voudrais dire un mot d'un sujet évoqué en audition avec la ministre, soit les conséquences de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) « Recorded Artists Actors Performers Ltd » du 8 septembre 2020. Pour le résumer, cet arrêt s'oppose à ce qu'un État membre limite de lui-même, sans que l'Union ne l'y autorise spécifiquement, le droit à rémunération équitable des ayants droit issus de pays tiers qui n'appliquent pas ce droit sur leur territoire. Très concrètement, la perte pour les OGC serait comprise entre 25 et 30 millions d'euros par an, des sommes destinées à l'action culturelle et au soutien à la création. Le secteur de la musique est de loin le plus touché. Si un amendement adopté sur le projet de loi « Daddue » devrait permettre aux OGC de ne pas rembourser 140 millions correspondant aux dernières années, la perte annuelle fragilise incontestablement le secteur. Une négociation européenne est indispensable et urgente sur ce point. J'avais proposé, dans la première partie de la loi de finances, une nouvelle taxe sur certains matériels électroniques, ce qui aurait représenté environ la moitié de la somme, mais le dispositif, trop complexe, n'a pas été adopté.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de crédits du programme « Livre et industries culturelles » pour 2021.