rapporteur spécial pour la mission « Cohésion des territoires » des programmes 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », 109 « Aide à l'accès au logement », 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » et 147 « Politique de la ville » - Nous présenterons, avec mon collègue Bernard Delcros, les crédits de la mission « Cohésion des territoires ». Cette mission est dotée, dans le projet de loi de finances (PLF) 2021, d'un budget de 16 milliards d'euros, soit une hausse de 833 millions d'euros par rapport à l'année dernière. Les crédits pour 2021 sont toutefois en baisse par rapport à la totalité des crédits ouverts en 2020, puisque, au fil des lois de finances rectificatives (LFR), dont la quatrième a été votée hier soir, ces derniers s'élèvent à 17,5 milliards d'euros - j'y reviendrai.
Les dépenses fiscales atteignent un montant de 10,1 milliards d'euros, ce qui montre l'importance des dépenses extrabudgétaires pour les politiques du logement, de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire.
En cette année de crise sanitaire, la situation du logement va au-delà des seuls crédits budgétaires de la mission, puisque beaucoup d'éléments se retrouvent à l'extérieur de celle-ci au fil du temps. Le logement a été impacté par la crise, mais moins que les autres secteurs. En effet, les chantiers ont pu reprendre dès la mise en oeuvre de précautions sanitaires. Pour autant, les chiffres de la construction ne seront pas bons en 2020, qu'il s'agisse de l'accession ou du logement social, selon une tendance qui se poursuit depuis 2017. Plusieurs facteurs expliquent cette situation.
Le premier est le resserrement du crédit bancaire : les banques demandent aujourd'hui un minimum d'apport, et les autorités de contrôle leur ont demandé de ne plus prêter au-delà d'un seuil d'endettement de 33 % pour les ménages.
Ensuite, les bailleurs sociaux subissent les effets de la réduction de loyer de solidarité (RLS), qui a certes été suivie de mesures de compensation, mais qui reste porteuse d'inquiétude pour ces derniers.
Par ailleurs, les incertitudes sur l'avenir d'Action Logement animeront les débats en loi de finances. Action Logement collecte la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC), mais dispose aussi d'un patrimoine important, s'élevant à 80 milliards d'euros. Or, les intentions du Gouvernement sur le patrimoine d'Action Logement posent question : on observe une volonté de réorienter les crédits ou d'en récupérer une partie pour les utiliser. Le résultat de l'étude demandée à l'inspection générale des finances (IGF) laisse même penser que le démantèlement d'Action Logement pourrait être une solution envisagée. L'association finance pourtant 40 000 logements sociaux par an. De plus, sur les 10 milliards d'euros destinées au renouvellement urbain, quasiment 7 seront apportés par Action Logement. Cette incertitude s'observe d'autant plus que la première partie du PLF supprime la compensation de la remontée du seuil à 50 salariés pour les entreprises exonérées de cotisations sur la PEEC, soit 300 millions d'euros de compensations, et qu'un article non rattaché à la mission lui ponctionne 1 milliard d'euros supplémentaire. Tout cela pose question sur l'avenir d'Action Logement, et rejaillit sur l'ensemble des acteurs du secteur.
De plus, le report des élections municipales a pesé sur un certain nombre de projets de construction. Les changements de municipalités ont également pu avoir un impact, puisque certaines grandes métropoles, comme Bordeaux, ont décidé de geler les projets pour une durée indéterminée.
Si le chiffre de 500 000 logements par an est souvent évoqué comme objectif pour répondre à la demande, nous serons cette année plutôt aux alentours de 400 000. En matière de logements sociaux, la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), que nous avons auditionnée, est confiante et prévoit 100 000 logements supplémentaires. Mais l'Union sociale pour l'habitat (USH) et les autres acteurs du secteur évoquent plutôt le chiffre de 90 000. La situation est donc critique, à la fois pour le secteur privé et pour les logements sociaux.
Enfin, n'oublions pas que le problème de la suppression de la taxe d'habitation va se poser, puisque celle-ci doit être compensée par la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), dont les bailleurs sociaux et le logement intermédiaire sont exonérés. Il en résulte une mauvaise visibilité pour les acteurs du secteur.
Le plan de relance est assez décevant, car les mesures proposées ne sont pas de nature à relancer le secteur, malgré des crédits sur la rénovation énergétique. Lorsque l'on compare ces derniers aux crédits de 2019, qui étaient essentiellement basés sur le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), on retrouve finalement les mêmes montants. On ne peut donc pas parler d'effort budgétaire particulier.
Le tableau d'ensemble du secteur du logement n'est donc pas satisfaisant, même si les crédits de la mission ne permettent pas de se faire une idée globale du sujet.
S'agissant du programme 177, qui porte sur la politique d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées, les crédits en 2021 sont de 2,2 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une augmentation de 209 millions par rapport à la loi de finances initiale pour 2020. Ceux-ci sont toutefois inférieurs au total des crédits ouverts en 2020, s'élevant à 2,44 milliards d'euros. En effet, la crise sanitaire a conduit à ouvrir 450 millions d'euros supplémentaires en cours d'année. Je salue l'action du Gouvernement sur ce point. Cette crise aurait pu être dramatique pour les personnes privées de logement, et la réaction a été très forte, avec 34 000 places d'hébergement supplémentaires ouvertes. Le recours aux nuitées hôtelières a également été utile, et le fait que les hôtels soient vides a aidé le Gouvernement dans la mise en place de ce dispositif : 12 000 nuitées supplémentaires ont ainsi été mobilisées. Des centres d'hébergement spécialisés (CHS) ont également été ouverts pour les personnes sans domicile atteintes de covid sans gravité, mais ont finalement été assez peu utilisés. Cependant, la question de l'avenir de ces personnes temporairement logées se posera en sortie de crise, malgré l'existence du plan quinquennal pour le Logement d'abord et la lutte contre le sans-abrisme, qui n'est pas une grande réussite.
Les services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO), qui gèrent le 115, ont d'abord été surchargés, mais ont ponctuellement réussi à répondre à la demande. Par ailleurs, un projet de convergence informatique des systèmes d'accueil était prévu depuis longtemps, pour permettre d'avoir une plus grande vue d'ensemble sur les places disponibles. Sa mise en oeuvre à l'automne s'est soldée par un « plantage », qui a abouti à un blocage du système pendant trois semaines.
S'agissant du logement adapté, il faut saluer le relèvement du forfait journalier pour les pensions de famille. Toutefois, l'objectif du quinquennat de créer de 40 000 places en intermédiation locative et 10 000 places en pension de famille nécessitera un effort important dans les deux années à venir. Le budget est d'ailleurs en hausse de 18 % en 2021. Cependant, le problème ne provient pas nécessairement des crédits manquants, mais plutôt d'un nombre insuffisant de projets.
Le programme 109, relatif aux aides personnalisées au logement (APL), est à l'origine de la majeure partie du dépassement du budget en 2020, puisqu'il nécessite l'ouverture de près de 1,9 milliard d'euros de crédits dans le quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR4). D'une part, la réforme des APL, visant à prendre en compte les revenus actualisés des allocataires, a été repoussée : d'abord au 1er avril de l'année en cours pour des raisons techniques, et ensuite, parce que le confinement en aurait compliqué considérablement la gestion, au 1er janvier de l'année 2021, créant un manque à gagner de 1,2 milliard d'euros pour l'année 2020. D'autre part, la crise augmente le nombre de personnes éligibles à l'aide. Dans le même temps, la contribution des entreprises serait moins importante que prévu en 2020, via une probable diminution de la masse salariale.
Pour 2021, le Gouvernement a limité le coût des APL pour l'État par une ponction de 1 milliard d'euros sur le budget d'Action Logement. La même solution avait été trouvée l'an dernier, mais pour 500 millions d'euros. Cela s'ajoute à la suppression des 300 millions de la compensation du relèvement du seuil à 50 salariés pour les entreprises cotisantes à la PEEC. Comme je l'ai évoqué précédemment, le sujet d'Action Logement est très important pour le secteur, et le Gouvernement devrait jouer cartes sur table. Au total, les crédits budgétaires demandés pour les APL sont inférieurs de 1,4 milliard d'euros à ceux qui ont été effectivement ouverts en 2020, ce qui représente une diminution de 900 millions d'euros pour les aides versées aux bénéficiaires, si l'on prend en compte l'accroissement de la contribution d'Action Logement. Selon le Gouvernement, la réforme du mode de versement devrait apporter 750 millions d'euros d'économies, à mettre en relation avec les 1,2 milliard d'économies initialement prévus par la réforme des APL. Mais en fonction de l'évolution de la situation sanitaire, le Gouvernement sera probablement amené à abonder de nouveau les crédits destinés à couvrir les APL en cours d'année.
Le programme 135 concerne différentes actions liées à la construction et à l'habitat. Le coût de ces politiques est surtout porté par des dépenses fiscales. La politique privilégiée cette année est la rénovation énergétique. En effet, le plan de relance apporte 2 milliards d'euros à la rénovation des logements privés. Toutefois, l'année 2020 a connu un nouvel exercice de régulation budgétaire au sein de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), avec le programme « MaPrimeRénov' ». Ce programme fonctionnait très bien, voire trop bien : les professionnels ont eu tendance à augmenter leurs prix en conséquence, et certaines entreprises ont démarché des particuliers pour des chantiers de rénovation peu pertinents. La révision soudaine des subventions à l'isolation thermique par l'ANAH, le 14 juillet dernier, a abouti à une réduction des surfaces extérieures éligibles et du nombre de demandes. Les effets sur le secteur ont été considérables, et je dénonce cette politique permanente de « stop and go » de l'ANAH. Par ailleurs, la fin des restrictions sur les derniers déciles de l'impôt sur le revenu l'année prochaine permettra de rendre éligible l'ensemble des ménages.
En résumé, si ces crédits supplémentaires pour 2021 sont les bienvenus, ils sont comparables aux coûts vers 2019, si on inclut le crédit d'impôt transition énergétique. Dans le cadre du plan de relance, le Gouvernement pourrait donc faire un effort supplémentaire.
Il y a quelques années, l'aide aux maires bâtisseurs s'était finalement traduite par des montants peu élevés. Dans le cadre du plan de relance, le Gouvernement propose une nouvelle aide de 350 millions d'euros sur deux ans, et dont les conditions de versement sont contestables. En effet, elle sera accessible à toutes les communes, sans condition de potentiel financier. De plus, le système d'attribution découpe la France en cinq zones. Le nombre de mètres carrés à construire serait ensuite comparé à la moyenne dans la zone sur les années antérieures. Si la commune a des projets plus denses que la moyenne, 100 euros d'aide seraient attribués par mètre carré supplémentaire. Mais dans les faits, pour une année donnée, tous les permis de construire accordés seront pris en compte pour le calcul de l'aide, et si celle-ci dépasse l'enveloppe budgétaire, un coefficient réduira finalement l'aide au mètre carré.
Je terminerai par le programme 147, consacré à la politique de la ville. La crise sanitaire a conduit le Gouvernement au dégel de la réserve de précaution, mais aussi à une ouverture de crédits de 86,5 millions d'euros dans la troisième loi de finances rectificative, qui a créé l'opération « Vacances apprenantes » en lien avec plusieurs ministères, dont celui de l'éducation nationale. Le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) est en phase de lancement : les chantiers ont commencé dans la moitié des 450 quartiers concernés. Toutefois, les crédits consommés concernent encore très largement l'achèvement du programme de rénovation urbaine précédent. La contribution de l'État en 2021 au NPNRU étant de 80 millions sur 1 milliard promis, ce sont donc les prochains quinquennats qui en assumeront la charge.
L'an dernier, nous avions proposé le rejet des crédits. Cette année, considérant que les crédits budgétaires sont plus conformes à la réalité que par le passé et ne dénotent pas de sous-estimations, mais aussi qu'ils prennent également en compte l'hébergement d'urgence, nous vous proposons l'adoption des crédits. Cela ne nous empêche aucunement de porter un regard critique sur la politique du logement dans son ensemble.