Le document de référence que constitue la loi de programmation militaire (LPM) est respecté, puisque les crédits passent de 46,1 milliards d'euros à 47,7 milliards d'euros, soit une augmentation de 1,6 milliard d'euros.
Je souhaiterais tout d'abord faire un focus sur un sujet qui tient à coeur, à la fois, à la ministre et à la commission, celui de la fidélisation des personnels.
Une réforme de la rémunération a été engagée, avec la mise en place, entre autres, de la prime de lien au service (PLS), qui semble porter ses fruits. Malgré le contexte sanitaire, les recrutements se sont effectués dans des conditions correctes, les objectifs étant atteints. Les dispositifs d'accompagnement aux familles se mettent progressivement en place.
Je souhaiterais cependant partager avec vous une inquiétude, qui m'a été exprimée très clairement par le chef d'état-major de l'armée de terre : « Nous risquons de perdre la bataille de la fidélisation, compte tenu de notre incapacité à offrir des conditions d'hébergement convenables à nos militaires. »
J'ai bien entendu regardé les choses de plus près, mais je dois avouer que je n'ai pas été aidé par le secrétariat général pour l'administration du ministère des armées. J'ai cependant compris que nous étions dans un dispositif kafkaïen, qui consiste, dans la rénovation ou la création de bâtiments, à ne pas tenir compte de la spécificité du personnel des armées.
En effet, lorsqu'un bâtiment de trois étages est rénové, des études sont réalisées pour déterminer comment sera installé l'ascenseur, assurer la signalétique en braille, et comment vont être disposées les places de parking réservées aux personnes à mobilité réduite. Tout cela part d'un très bon sentiment, mais ne tient pas compte de la spécificité de nos personnels, qui devrait nous permettre de nous affranchir de ces règles, lesquelles expliquent l'enchérissement des coûts et l'allongement des délais.
Ensuite, ce qui m'inquiète dans le projet de budget pour 2021, ce n'est pas tant ce qu'il contient que ce qu'il ne contient pas.
Le premier point que je soulèverai est sans doute un marronnier, mais nous y sommes attachés : ce sont les modalités de gestion du surcoût entraîné par les opérations extérieures (OPEX). Je prends acte que la provision pour les OPEX est davantage conforme à ce que nous avons pu connaître par le passé.
Nous avions pris le soin, au Sénat, d'introduire un article 4 à la LPM, indiquant que le surcoût lié aux OPEX non prévu par la dotation initiale devrait faire l'objet d'un abondement de crédits interministériels en cours de gestion. Nous ne l'avons pas obtenu l'année dernière, nous ne l'aurons pas non plus cette année. Il s'agit là d'un manque de respect à l'égard du Parlement - et de 200 millions d'euros de moins au budget des armées ou, plus exactement, de 200 millions d'euros de dépenses supplémentaires qui devront être prélevés sur l'enveloppe. Des choix opérationnels devront donc être effectués.
Le deuxième point qui me préoccupe, et qui n'est pas évoqué dans la loi, concerne les avions que nous devons fournir à la Grèce.
Chacun a bien compris que l'équilibre de la LPM repose, en partie, sur la vente d'un certain nombre de Rafale. Or, comme nous avons quelques difficultés à les vendre - ou que nous avons placé trop haut notre ambition -, il a été décidé de vendre à la Grèce des avions d'occasion et d'en acheter des neufs. Ainsi, 12 avions de l'armée de l'air sont vendus dans l'optique d'en acheter 12 neufs.
Cependant, il ne vous aura pas échappé qu'un avion d'occasion vaut moins cher qu'un avion neuf. De sorte que nous sommes en train d'affaiblir notre capacité opérationnelle, sans la reconstituer, sauf à la prendre sur d'autres équipements. Cette opération risque de laisser subsister un surcoût d'au moins 600 millions d'euros pour les armées. Personnellement, je pense que nous serons plus proches du milliard d'euros.
L'autre conséquence, c'est qu'en attendant la livraison des avions neufs, d'ici à deux ou trois ans, nous perdons une capacité opérationnelle - nous avons toutes les peines du monde à ce que l'on nous fournisse un calendrier sur le retrait des avions actuellement opérationnels vendus à la Grèce, mais les livraisons devraient être réalisées en 2021. Et pas seulement une capacité d'intervention, mais aussi notre capacité à former et à entraîner nos personnels. Pour vous donner un ordre de grandeur, retirer 12 avions Rafale sur les 102 que compte l'armée de l'air revient à diminuer sa flotte de plus de 10 %.
Il nous a été alors expliqué que tout cela n'était pas grave, qu'il existait une clause de revoyure à la LPM, et que nous étudierons cette question dans ce cadre-là. Effectivement, il y a une clause de revoyure - normalement pour 2021 -, mais sans nouveaux crédits. Cela signifie que si nous voulons remplacer nos Rafale par des neufs, ce sera forcément au détriment d'autres équipements - et personne n'est capable de nous dire lesquels.
J'entends déjà une petite musique nous dire : ce n'est pas grave, parce que les Rafale neufs sont des avions d'une autre génération, qui disposent d'une meilleure capacité que les anciens. De fait, nous allons compenser, potentiellement, notre manque à gagner opérationnel par une amélioration de chacune des unités.
Par ailleurs, il nous a été également dit, que nous allions améliorer le maintien en conditions opérationnelles, ce qui est vrai. Cependant, le niveau du maintien était financé dans la LPM. Or je n'avais pas noté que l'objectif était de se défaire de moyens potentiels, en améliorant le maintien en conditions opérationnelles. Au contraire, nous avions la volonté d'être plus performants.
Troisième point préoccupant : la question du choix de la propulsion du porte-avions de nouvelle génération, le successeur du Charles-de-Gaulle.
Cette décision devrait intervenir, si nous voulons respecter l'échéance de 2038, avant la fin de l'année. Une décision importante : nucléaire ou pas nucléaire ? Derrière ce choix, il ne s'agit pas uniquement de la question de l'autonomie du futur porte-avions, c'est toute la filière nucléaire et, in fine, la dissuasion nucléaire, qui sont en cause.
Ce sont les raisons pour lesquelles nous aimerions connaître le choix qui sera fait et ses conséquences pratiques et opérationnelles dans la révision de la LPM. Certes, quelques crédits d'études ont été inscrits, mais selon le choix qui sera fait, les conséquences financières ne seront pas du tout les mêmes.
Je terminerai en vous exposant une dernière préoccupation. Nous devons revoir la LPM, certes, mais son objectif était d'atteindre 2 % du produit intérieur brut (PIB). Or je crains que nous arrivions à cet objectif malgré nous, par une diminution mécanique du PIB.
J'entends là aussi une petite musique, consistant à dire : de quoi vous plaignez-vous, le taux d'effort est respecté ! Mais depuis quand mesure-t-on le degré d'une menace en pourcentage de PIB ?
La question qui se pose est donc la suivante : dans le cadre de la révision de la LPM, devons-nous rester sur le taux de 2 % du PIB, ou devons-nous garantir en valeur absolue les sommes qui avaient été envisagées lors de son vote initial ?
Mes chers collègues, à ce stade, je serai tenté de conclure de la façon suivante : nous n'avons pas de raison budgétaire de considérer que le budget pour 2021 n'est pas respectueux, à ce stade, de la LPM. Cependant, je vous propose de conditionner notre vote favorable à une réponse claire, nette, précise et sans ambiguïté, à cinq questions.
Premièrement, la LPM sera-t-elle bien actualisée en 2021 ? Cette actualisation se fera-t-elle par la loi, et non par un décret ou, pire encore, par une décision d'un de ces nombreux conseils de défense ?
Deuxièmement, le produit de la vente des Rafale d'occasion reviendra-t-il au budget de la défense ? Il devrait être considéré comme une recette exceptionnelle, mais il serait préférable d'en avoir la confirmation.
Troisièmement, quelles vont être les conséquences opérationnelles d'une enveloppe inchangée, notamment pour l'armée de l'air ? J'aimerais obtenir des précisions de la ministre, qui ne soient pas la promesse qu'avec une diminution du nombre d'avions opérants, l'objectif du nombre de Rafale disponibles pour l'Armée de l'air fixés par la LPM à fin 2021 sera atteint en 2025 ou 2026. Après 2022, la marche à franchir chaque année sera non plus de 1,7 milliard d'euros, mais de 3 milliards.
Quatrièmement, je souhaiterais que la ministre nous confirme que la décision relative à la propulsion du Charles-de-Gaulle sera prise conformément au calendrier annoncé, c'est-à-dire pour la fin de l'année.
Cinquièmement, enfin, nous aimerions être rassurés sur le fait qu'une potentielle baisse du PIB ne se traduirait pas par une diminution, à due concurrence, des crédits alloués au ministère des armées.