Intervention de Roger Karoutchi

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 19 novembre 2020 à 9h05
Projet de loi de finances pour 2021 — Mission « médias livres et industrie culturelle » et compte de concours financiers « avances à l'audiovisuel public » - examen du rapport spécial

Photo de Roger KaroutchiRoger Karoutchi, rapporteur spécial :

Notre rapport couvre deux secteurs : d'un côté les médias, le livre et les industries culturelles et, de l'autre, l'audiovisuel public.

Le budget du premier secteur s'élève à 600 millions d'euros en crédits de paiement (CP). Par ailleurs, le plan de relance lui consacre pratiquement 500 millions en CP, presque autant que la totalité de la mission. Cela donne le sentiment que l'on consacre beaucoup plus de moyens à ce secteur que d'ordinaire, mais, en réalité, l'augmentation du budget de la mission n'est que de 3 %.

Je parlerai dans un deuxième temps de l'audiovisuel public, sur lequel le désespoir l'emporte, pas seulement quant à la qualité de ses programmes - sur lesquels les Français se sont fait leur opinion depuis longtemps -, mais aussi par rapport à la réforme promise depuis des années, qui a été retardée et semble à présent perdue dans les limbes. Le résultat est un audiovisuel public qui ne se réforme pas et semble en roue libre ; j'y reviendrai. Sera-t-il à nouveau question de cette réforme ? On peut en douter et ce ne sera sûrement pas le cas avant l'élection présidentielle, ni même peut-être après. Les bastions de l'audiovisuel public n'en veulent pas et ils semblent avoir obtenu la mise à mort de cette réforme pourtant annoncée à grands cris par le Président de la République.

Sur la question de la presse, des réformes des aides avaient été imaginées pour 2020 et 2021. Fallait-il en rester au système d'après-guerre, qui subventionnait les journaux issus de la résistance et une presse plus politique que spécialisée ? Cette façon classique de concevoir les choses est remise en cause par beaucoup, les temps ayant changé. Une partie du chemin seulement a été faite, notamment à cause du désastre qu'a été Presstalis. Les responsables de presse ont en effet utilisé l'argument des pertes liées à ce système de diffusion pour remettre à plus tard une réforme pourtant nécessaire. Le Canard enchaîné - dont je ne suis pas un lecteur assidu - a notamment annoncé il y a quelques jours un budget déficitaire pour la première fois de son histoire, à cause de pertes liées à Presstalis. Malgré plus de 150 millions euros d'aide et 80 millions d'euros d'abandon de dettes pour la seule année 2020, et un certain nombre de plans visant à son soutien et à sa rénovation, Presstalis a fini par être remplacé, tardivement et en partie, par France Messagerie.

À cela s'ajoute la crise sanitaire. De nombreux kiosques ont fermé, les transports assurés par La Poste et la SNCF ont été perturbés et les abonnements n'ont pas été tenus. Quand on explique aux responsables de la presse écrite qu'on ne peut continuer à entretenir un système d'aide qui n'en finit pas de soutenir des titres qui ne sont pas assez lus, ils répondent, de façon légitime, qu'on ne peut lancer une réforme et prendre des décisions définitives en ces temps de crise. La réforme a donc été reportée à des temps meilleurs. Le Gouvernement a tout de même mis en place un certain nombre d'aides pour moderniser la presse, notamment pour soutenir les efforts nécessaires à la numérisation.

Les crédits du Centre national du livre (CNL) n'ont pas vraiment augmenté, mais le plan de relance consacre 30 millions d'euros au soutien des libraires et des bibliothèques.

En revanche, le Centre national de la musique (CNM), entré en fonction le 1er janvier 2020, n'a pas eu de chance. Ce centre, résultat d'une fusion de différents organismes, avait prévu de nombreux efforts en matière de modernisation, de regroupement et de rationalisation, mais les ressources sont à présent consacrées à éviter faillites et fermetures de salles. Le budget du CNM pour 2021 est en augmentation de 7,8 millions d'euros, mais, ici aussi, le plan de relance joue un rôle majeur puisqu'il prévoit une aide de 175 millions d'euros. Sans ce soutien, logique et légitime, la plupart de nos salles de concert auraient fermé. Le CNM attend la réouverture des salles pour début 2021 et espère pouvoir accompagner financièrement cette reprise. La situation de cette filière est sans doute la plus difficile, car elle ne reçoit pas d'autres soutiens que celui de l'État.

Pour le financement du cinéma, plus de 140 millions d'euros ont déjà été dégagés en 2020 pour aider l'industrie à faire face aux effets de la crise, et 165 millions ont été prévus par le plan de relance. Les responsables du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ont tout de même réussi un exploit. En effet, malgré une situation calamiteuse - très peu de tournages, salles fermées -, ils sont parvenus à faire en sorte qu'aucune grande société de production ni aucun site de l'industrie cinématographique française ne ferme. Le secteur était pourtant déjà en difficulté, souffrant de la concurrence des studios d'Europe de l'Est et des tournages réalisés à l'étranger. Mais le système tient, et le plan de relance renforce aussi la capacité de financement de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC). J'ai le sentiment qu'on a mis les moyens, que le monde du cinéma a résisté et que nous serons prêts à une phase de modernisation en 2021. Je rappelle que des parts de marché ont été reprises avec difficulté dans la création cinématographique depuis quatre ou cinq ans, à la suite d'un effondrement progressif, à l'oeuvre depuis le début des années 1990. La crise sanitaire gèle les choses, mais on peut imaginer que le soutien à ce secteur permettra de continuer à avancer. Les responsables des secteurs de la musique et du cinéma sont extrêmement dynamiques, passionnés, et ont plutôt réussi à mobiliser leurs secteurs dans de bonnes conditions.

Après ces quelques flatteries, passons à moins flatteur... Le budget de l'audiovisuel public... Je ne sais même pas s'il faut en dire quelque chose, monsieur le président ! On nous dit, d'un air de triomphe, que la redevance est maintenue à 138 euros, et que l'audiovisuel va donc recevoir 3,6 milliards d'euros. Mais depuis déjà trois ou quatre ans, des contrats d'objectifs devaient réduire les frais de fonctionnement des grands médias et notamment de France Télévisions et de Radio France - ARTE et France Médias Monde (FMM) pouvant difficilement réduire davantage.

On avait eu, ici même, un débat sur la redevance pour se demander sur quoi pourrait s'appuyer cette contribution à l'audiovisuel public (CAP), après la disparition annoncée de la taxe d'habitation. Le ministre Darmanin, alors responsable du budget, avait évoqué une possible suppression de la redevance au profit de dotations d'État. Ce débat a été enterré, notamment parce que les acteurs de l'audiovisuel public ne veulent pas dépendre de ces dotations, qui risquent de fluctuer dans le futur, et d'être conditionnées à des exigences d'efficacité. Ainsi, ils continuent de profiter de la manne de la redevance, et l'État ne se montre pas aussi exigeant qu'avec d'autres secteurs. Il n'y a plus de réflexion véritable sur la redevance, ou seulement à la marge, notamment sur la possibilité de l'augmenter d'un euro par an pour assurer une régularité des recettes. Les ressources de l'audiovisuel sont donc garanties, sans exigence de contrepartie, et cela me semble être une aberration.

France Télévisions a tout de même fait quelques efforts, notamment en matière de personnel, et le nombre de contrats à durée déterminée (CDD) et d'opérateurs extérieurs a légèrement diminué. Mais ces efforts n'ont pas porté sur tout, et représentent des sommes loin d'être extravagantes. On avait demandé une baisse des dépenses de 80 millions d'euros en 2021 aux sociétés de l'audiovisuel public, en ciblant principalement France Télévisions et Radio France dans une moindre mesure. Cette somme a finalement été ramenée à 70 millions d'euros en raison de la crise, mais ces efforts de réduction des dépenses ont été compensés par le plan de relance. Or ces entreprises ne me semblent pas avoir enregistré de pertes majeures en raison de la crise.

La seule nouveauté de 2020 a été la création de la plateforme de diffusion Salto, dont le démarrage a été pour le moins lent et dont l'avenir ne sera sans doute pas radieux. De plus, France Télévisions prend des risques financiers pour la plateforme ; à laquelle sont associés TF1 et M6. Enfin, l'objectif des 40 000 abonnés pour 2020, pourtant très limité, ne sera peut-être même pas atteint.

Il nous faut entamer une réflexion sur le périmètre de France Télévisions et sur sa mission de service public. France 4, avec la diffusion de programmes jeunesse pendant le confinement, a repoussé sa disparition, à présent prévue pour l'été 2021, et a assuré sa mission de service public. Il me semble que c'est le cas aussi de France 3 dans ses phases régionales, de France 5, voire d'ARTE. Mais les jeux, émissions et films diffusés par France 2, et France 3 dans sa phase nationale, ne sont pas différents de ceux que propose le secteur privé. Et il n'est pas rare que des responsables de chaînes publiques achètent à prix d'or des films américains pour s'assurer certains soirs un meilleur audimat que les chaines privées. Si c'est pour faire la même chose que le privé, quelle est l'utilité d'avoir autant de chaines ?

Je suis donc confiant pour les secteurs du cinéma, de la musique et du livre, et sur le soutien à la modernisation, avec une petite inquiétude pour la presse écrite dont les réformes ont été ajournées par la crise sanitaire. Mais sur l'audiovisuel public, mes réserves sont grandes et je vois bien comment on a profité de la crise pour ne pas redéfinir le périmètre, les missions et les vrais enjeux. Néanmoins, ces secteurs faisant ensemble une moyenne, j'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission et du compte de concours financiers.

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