Intervention de Catherine Di Folco

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 24 novembre 2020 à 9h15
Projet de loi de finances pour 2021 — Mission « transformation et fonction publiques » - examen du rapport pour avis

Photo de Catherine Di FolcoCatherine Di Folco, rapporteur pour avis :

À titre liminaire, je tiens à saluer l'engagement et la réactivité des agents publics : ils assurent la continuité du service alors que nous traversons une crise sanitaire sans précédent. Notre pays compte 5,56 millions d'agents publics, dont 21 % dans les hôpitaux, 35 % dans les collectivités territoriales et 44 % dans l'administration de l'État. Le Gouvernement ne sait pas combien d'entre eux ont été touchés par la covid-19. J'espère que nous aurons cette information prochainement.

Nous avons voté, à l'été 2019, la loi de transformation de la fonction publique. Or, si 95 % des décrets ont été publiés, il manque encore des textes d'application importants, en particulier sur la santé au travail, l'accès à la haute fonction publique et les autorisations spéciales d'absence.

Je crois que l'on peut dire désormais de façon certaine que le Gouvernement a renoncé à ses objectifs de réduction des effectifs de l'État, alors que l'objectif annoncé en 2017 était de supprimer 50 000 postes sur le quinquennat, puis 10 500 postes à l'issue du grand débat national. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2021 propose de supprimer 157 équivalents temps plein (ETP) ; compte tenu des 26 883 ETP créés depuis 2018, il faudrait, ne serait-ce que pour atteindre l'objectif le moins élevé du Gouvernement, supprimer près de 8 500 postes en 2022, ce qui n'est guère crédible.

L'effort devrait porter cette année, une fois encore, sur les opérateurs, seuls 11 ETP étant supprimés dans les ministères. Les secteurs régaliens et l'enseignement supérieur seraient préservés, les suppressions de postes portant principalement sur les finances, la transition écologique et le travail. Le ministère de la santé et ses opérateurs bénéficieraient de 76 ETP supplémentaires, ce qui peut paraître faible au regard de leur mobilisation pour faire face à la crise sanitaire.

Au total, seuls 2 065 ETP seraient supprimés dans l'administration de l'État depuis 2018. Les difficultés du Gouvernement pour maîtriser les effectifs ont donc commencé bien avant la crise sanitaire. En réalité, je vous en parle depuis trois ou quatre ans. Du reste, l'agence de reconversion des agents de l'État n'est toujours pas installée. Le Gouvernement a-t-il réellement l'intention de diminuer les effectifs dans la fonction publique ? Lors de son audition, Amélie de Montchalin nous a dit qu'elle n'était pas la ministre des effectifs, mais celle de la qualité du service au public...

S'agissant de l'organisation de l'État, le Gouvernement souhaite renforcer la déconcentration, un objectif confirmé par des circulaires en juillet 2018 et en juin 2019 : le Premier ministre s'est engagé à ce que toutes les créations d'emplois autorisées pour l'an prochain soient affectées, sauf exceptions justifiées, dans les services départementaux de l'État et aucune dans les administrations centrales.

La masse salariale de l'État atteint 91,20 milliards d'euros dans ce PLF pour 2021 : malgré le gel du point de l'indice de la fonction publique, elle augmente de 1,45 milliard d'euros par rapport à la loi de finances 2020, à cause du glissement vieillesse-technicité (GVT) et des mesures catégorielles. L'effet des créations de postes, lui, ne compte que pour 100 millions d'euros dans cette augmentation.

Depuis 2014, pour harmoniser les primes des agents, l'État développe le régime indemnitaire tenant des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP), qui s'applique également aux collectivités territoriales. Ce régime s'articule autour de deux composantes : l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE), fixée selon la nature des fonctions exercées par l'agent, et un complément indemnitaire annuel (CIA), qui valorise l'engagement professionnel.

La généralisation du RIFSEEP dans les services de l'État était prévue en 2017 ; nous sommes en 2020, l'objectif n'a pas été atteint et ne le sera pas, puisque le Gouvernement a abandonné tout projet de planification. Il a abrogé le calendrier de déploiement du régime et supprimé l'indicateur budgétaire correspondant. Il s'agit d'un coup d'arrêt regrettable, d'autant que le RIFSEEP n'intègre toujours pas la valorisation des résultats d'un service, qui me semble pourtant très importante pour assurer la cohésion des équipes.

Le RIFSEEP n'exclut pas l'attribution d'autres primes, notamment la prime « covid-19 » versée aux agents ayant garanti la continuité des services publics pendant la crise sanitaire. Cette nouvelle prime a été versée à 162 852 agents de l'État au 30 septembre 2020, ce qui représente un coût de 97,13 millions d'euros, avec des situations très hétérogènes en fonction des ministères : certains n'ont pas - du moins, pas encore - utilisé l'enveloppe ou ont préféré utiliser des primes déjà existantes ; d'autres, au contraire, ont dépassé le plafond. Nous serons vigilants sur le sujet et redemanderons, au début de l'année prochaine, des chiffres actualisés. L'engagement des agents publics doit être valorisé à sa juste mesure, comme le Gouvernement s'y est engagé.

Sur le plan budgétaire, le programme 148 « Fonction publique » finance les actions interministérielles en matière de formation à hauteur de 39 % du programme, d'action sociale à hauteur de 58 % et de gestion des ressources humaines, pour 3 %. Malgré son intitulé générique, il n'intervient qu'en complément des initiatives de chaque ministère.

En 2021, ce programme intègre une nouvelle mission « Transformation et fonction publiques ». Il s'établit à 224,37 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse notable de 6,87 % par rapport à l'exercice 2020.

Concernant le volet formation, plus de 80 % des crédits sont destinés aux instituts régionaux de formation (IRA) et à l'École nationale d'administration (ENA). Cette année, il convient de noter le nouvel effort pour développer les classes préparatoires intégrées (CPI). Il existe aujourd'hui 27 CPI, qui comptent 714 élèves et accompagnent les étudiants et les demandeurs d'emploi de condition modeste dans la préparation des concours administratifs.

Afin de renforcer les CPI, le Gouvernement propose de créer 1 000 places supplémentaires - pour un coût évalué à 7 millions d'euros en CP - et de doubler le montant de l'allocation pour la diversité. On peut toutefois regretter que le modèle des CPI ne soit pas étendu à la fonction publique territoriale, dans laquelle il conviendrait d'encourager la diversification des profils. Le Gouvernement et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) échangent depuis plusieurs années sur le sujet, sans résultat pour l'instant.

S'agissant du volet « action sociale » du programme 148, il finance neuf prestations dont l'objectif consiste à améliorer les conditions de vie des agents en matière de restauration, de logement, d'accès aux loisirs et de prise en charge de la petite enfance. Afin de financer les engagements pris par le Gouvernement lors du rendez-vous salarial de 2020, cette enveloppe augmente de 5,3 millions d'euros dans le PLF pour 2021. Seul le nombre de chèques-vacances diminuerait, sans doute en raison de la crise sanitaire.

Toutefois - chaque année, je vous dis la même chose -, les coûts de gestion de l'action sociale interministérielle restent élevés, à hauteur de 5,26 %. Pour rémunérer les prestataires extérieurs de cette administration, le coût total s'élève à 6,85 millions d'euros.

Je voudrais maintenant attirer votre attention sur l'apprentissage, qui reste encore sous-développé dans la fonction publique. L'administration emploie environ 5 % des apprentis, alors que l'État, les collectivités territoriales et les hôpitaux représentent près de 20 % des actifs. Les problèmes de débouchés demeurent : à l'exception des agents de catégorie C, les apprentis doivent passer un concours pour être titularisés à leur poste. Seuls 10 % des apprentis du secteur public intègrent l'administration après l'obtention de leur diplôme, le plus souvent en contrat à durée déterminée (CDD).

Pour rappel, la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique permet aux employeurs de titulariser les apprentis en situation de handicap. Le Sénat avait adopté un amendement prévoyant cette expérimentation, qui doit se poursuivre jusqu'en 2025. Nous veillerons à en évaluer les résultats.

L'État s'était fixé comme objectif d'employer 10 000 apprentis dès la rentrée 2016. En 2017, nous avions presque atteint l'objectif et, aujourd'hui, le chiffre s'avère en net recul : en 2019, les ministères et leurs opérateurs ne comptaient que 7 078 apprentis.

L'État emploie 44 % des agents mais ne représente que 35 % des recrutements d'apprentis dans le secteur public. Les collectivités territoriales restent les premiers employeurs d'apprentis, avec près de 60 % des contrats conclus.

Pour mémoire, la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a apporté une nouvelle source de financement aux collectivités territoriales : le CNFPT prend en charge 50 % des frais de formation des apprentis pour les contrats conclus après le 1er janvier 2020. À l'époque, vous vous en souvenez peut-être, cela avait agacé le CNFPT, qui craignait de ne pas pouvoir financer cette nouvelle compétence. L'État s'est penché sur la question et un mécanisme de compensation partielle a été mis en place pour éviter des conséquences trop lourdes sur le budget de l'établissement : chaque année, le Gouvernement fixera un plafond de financement pour le CNFPT, les dépenses supplémentaires étant prises en charge par l'organisme France compétences. Sachant qu'un certain nombre d'apprentis n'intègrent pas la fonction publique et sont ensuite employés dans le secteur privé, cette prise en charge d'une partie de la formation des apprentis par le secteur privé n'est pas incohérente.

Ce mécanisme de compensation pourrait être activé dès 2021 afin de stabiliser l'apport annuel du CNFPT à hauteur de 25 millions d'euros. Ce dernier indique que son déficit pourrait atteindre 6 millions d'euros en 2021, avec le risque d'une nouvelle dégradation au cours des années suivantes ; il estime que ses réserves budgétaires seront consommées dès 2024, ce qui lui imposerait de recourir à l'emprunt.

Si les collectivités territoriales font figure de bons élèves, l'État, quant à lui, a pris du retard concernant l'apprentissage, alors même que la France n'a jamais compté autant d'apprentis : à la fin de l'année 2019, secteurs privé et public confondus, 491 000 contrats d'apprentissage étaient en cours, soit une hausse de 16 % par rapport à l'année 2018.

En juillet 2019, le Premier ministre a publié une circulaire afin de relancer la dynamique des recrutements d'apprentis dans la fonction publique de l'État. L'objectif - très largement hors d'atteinte - était alors de recruter 11 129 apprentis en 2020.

Comme l'année dernière, je tiens à pointer le manque de coordination entre les ministères. En l'absence de cadrage national, chaque ministère doit négocier les conditions de prise en charge de ses apprentis avec les centres de formation d'apprentis (CFA), ce qui constitue une perte d'efficacité notable.

Je regrette également la suppression de la dotation interministérielle pour le financement de l'apprentissage : depuis 2019, la rémunération et la formation des apprentis sont directement prises en charge par les budgets des ministères, ce qui nuit à la lisibilité et à la dynamique de cette politique.

Pour l'État, l'apprentissage représente aussi un enjeu financier. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a entraîné une forte augmentation du coût de formation. En cohérence avec les niveaux de prise en charge déterminés par les branches professionnelles du secteur privé, ce coût est passé de 5 000 euros par an et par apprenti en 2018 à 6 500 euros en 2019.

En conséquence, je vous propose un amendement pour créer une dotation interministérielle de 15 millions d'euros, sur l'exemple de ce que prévoyaient les lois de finances de 2016 à 2018. L'enveloppe était alors plus importante - elle atteignait les 30 millions d'euros - mais les règles de recevabilité financière des amendements nous empêchent d'aller au-delà. Cette dotation aurait pour objet d'inciter les ministères à recruter des apprentis en prenant en charge une partie de leur rémunération et de leurs frais de formation.

Au bénéfice de toutes ces explications, je vous propose d'émettre un avis favorable sur les crédits du programme 148 « Fonction publique ».

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