J'interviendrai spécifiquement sur les volets de l'immigration régulière et l'intégration, d'une part, puis de la lutte contre l'immigration irrégulière, d'autre part.
Précisons d'abord que la mission « Immigration, asile et intégration » ne recouvre pas l'intégralité des sommes affectées dans le budget de l'État en la matière. En réalité, le financement des politiques migratoires relève de 13 missions, pour un montant de 6,9 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), si l'on en croit le document de politique transversale relatif à cette thématique. La mission qui nous intéresse rassemble, quant à elle, 1,84 milliard d'euros en CP, et 1,76 en autorisations d'engagement (AE). Ces crédits sont pilotés par la direction générale des étrangers en France, qui dépend du ministère de l'intérieur. Il s'agit donc d'apprécier ce budget et l'action au Gouvernement, en prenant en compte l'intervention de la pandémie dans les flux d'immigration et d'éloignement.
Concentrons-nous d'abord sur l'immigration régulière, en rappelant quelques faits. Celle-ci est en hausse, de 4,6 % en 2018, et de 6,1 % en 2019. Les chiffres pour 2020 ne sont pas encore disponibles, notamment en raison de la pandémie. Environ 275 000 titres de séjours ont été délivrés en 2019. Le stock en cours, c'est-à-dire les titres de séjour en cours de validité, était de 3,4 millions au 31 décembre 2019. On peut observer une évolution des motifs de délivrance de ces titres : les titres de séjour étudiants ont augmenté de 7,5 %, atteignant ainsi pour la première fois le niveau des demandes au titre du regroupement familial, et l'immigration économique a augmenté de 14,8 %. Environ 224 000 immigrés au total ont été régularisés sur le fondement de la circulaire Valls depuis 2012, dont nous déplorons tous les ans le manque de fermeté à l'égard des personnes entrées irrégulièrement sur le territoire. Les trois premières nationalités des personnes qui immigrent régulièrement sur notre territoire sont les nationalités marocaine, algérienne et tunisienne.
Le sujet de l'intégration est essentiel lorsqu'on parle d'immigration légale. Or, nonobstant l'activité de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et indépendamment de la crise de la covid-19, les résultats sont relativement décevants. À compter de mars 2019, un contrat d'intégration républicaine (CIR) renforcé avait pourtant été mis en place. Celui-ci prévoyait une formation linguistique et civique, ainsi que des possibilités d'insertion professionnelle. Il n'a pas donné les résultats attendus : sur près de 52 000 primo-arrivants qui bénéficiaient de la formation linguistique, un quart n'atteint pas le niveau de langue requis, pourtant rudimentaire. De plus, seules 173 personnes se sont présentées pour obtenir la certification de niveau de langue qui était proposée. S'agissant de la formation professionnelle, un nouvel accord-cadre doit être conclu depuis plus de deux ans, notamment avec Pôle emploi, il se fait attendre. Surtout, les moyens accordés à l'OFII n'évoluent pas, et en décalage avec la pression migratoire qui augmente d'année en année.
Il est beaucoup plus difficile de donner des chiffres sur l'immigration irrégulière. Le Sénat a déjà alerté à plusieurs reprises le Gouvernement sur le fait qu'aucune donnée ne semble à même de pouvoir chiffrer précisément ce type d'immigration. Nous en sommes donc réduits à évoquer le chiffre de l'aide médicale de l'État (AME), qui correspond à la sécurité sociale des immigrés en situation irrégulière sur le territoire, dans la mesure où ils s'y trouvent depuis au moins trois mois sans bénéficier d'aucun revenu. Cet indicateur a été multiplié par deux en quinze ans, et a augmenté de 5 % en 2019. Ce sont ainsi 334 546 personnes qui en bénéficient, mais ces chiffres sous-estiment sans doute de beaucoup la réalité de l'immigration irrégulière.
L'immigration irrégulière a vocation à engendrer des départs de France, ce devrait être une priorité de notre politique. Nous en sommes loin.
Premièrement, concernant les centres de rétention administratifs (CRA) - lieux où sont maintenus les étrangers qui font l'objet d'une décision d'éloignement, dans l'attente d'un renvoi forcé, et qui sont 25 en France - des places supplémentaires sont certes en cours de création : le plan 2018-2020 se poursuit, avec 480 nouvelles places. Mais il faut rappeler que ces centres font l'objet d'un taux d'occupation extrêmement important, à hauteur de 87 % en 2019. L'année 2020 est, à cet égard, une exception, du fait des mesures sanitaires. La question du personnel qui sera affecté pour « armer » ces nouvelles places revêt une grande importance. Le taux d'encadrement requis est conséquent, de l'ordre d'1,5 à 1,7 agent nécessaire par personne en situation de rétention. Des incertitudes demeurent sur l'affectation de personnel en temps et en heure pour l'ouverture des places.
Deuxièmement, concernant l'éloignement des étrangers en situation irrégulière, se pose d'abord la question des laissez-passer consulaires. Ce document doit être délivré par le pays d'origine pour qu'il reprenne son ressortissant. Sur ce point, on constate une amélioration du taux de délivrance, passé de 54 à 67 %, ainsi que du délai de réponse. Malgré tout, le taux d'exécution des décisions d'éloignement reste extrêmement faible : il est de l'ordre de 13,6 % en 2017, de 12,6 % en 2018 et de 12,2 % en 2019. Ce résultat se dégrade d'année en année, et dans les faits, un étranger sur deux se trouvant en CRA ne quitte pas le territoire. La situation est donc meilleure du point de vue de la délivrance des laissez-passer consulaires, mais mauvaise du point de vue de l'exécution des mesures d'éloignement, avec un budget qui reste, là encore, constant.