Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt française est en danger, confrontée à de multiples crises et défis auxquels nous devons apporter des réponses adaptées, efficaces et pérennes. Le groupe Les Indépendants a choisi d’éclairer, par ce débat, ses difficultés, mais aussi ses atouts.
Monsieur le ministre, le moment est aujourd’hui opportun, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, de nombreux rapports récents sont venus étayer nos réflexions, comme celui de la Cour des comptes, publié en avril dernier, mais aussi celui de notre collègue députée Anne-Laure Cattelot, qui est de grande qualité et qui constitue la base d’une stratégie réaffirmée pour notre forêt française. Je veux aussi saluer le travail mené par le groupe sénatorial d’études Forêt et filière bois, présidé par notre collègue Anne-Catherine Loisier.
Ensuite, le plan de relance, attendu et salué par le secteur, consacre 200 millions d’euros – c’est historique ! – à la forêt, qui est au bord de l’abîme.
Celle-ci occupe 31 % de notre territoire national, qui recèle donc la quatrième surface boisée de l’Union européenne, en progression depuis 1840.
La forêt française est à la croisée de trois tournants majeurs.
Le premier, communément qualifié de « tempête silencieuse », recouvre les conséquences du changement climatique, dont nous observons les effets croissants depuis des années. Aléas climatiques, développement de maladies ou encore présence de nuisibles, comme les scolytes et les chenilles processionnaires, sont autant de traces visibles d’une forêt victime de ces changements.
La forêt est pourtant un levier essentiel pour lutter contre ce changement climatique et pour la préservation de nos ressources naturelles et de notre biodiversité. Nous devons aujourd’hui accompagner son adaptation et construire la forêt de demain. La stratégie de la transition écologique de la France doit passer par une gestion durable des forêts, par une politique renouvelée, stable et volontariste inscrite dans le long terme, couplée à des niveaux d’investissements et de recherches importants.
La deuxième crise est d’ordre économique. Protéger notre forêt, c’est aussi l’entretenir, la gérer durablement et en valoriser les atouts. Notre filière forêt-bois constitue l’une des réponses principales : elle représente 440 000 emplois, soit 12, 7 % de l’effectif industriel français, et pèse 60 milliards d’euros d’activités. Néanmoins, son déficit commercial de 6, 8 milliards d’euros s’accroît de manière constante. Ces chiffres sont issus du rapport de la Cour des comptes, lequel identifie les faiblesses d’une filière dans laquelle les investissements manquent et dont l’articulation insuffisante des acteurs, notamment entre l’amont et l’aval, nuit gravement à la compétitivité.
La filière rencontre des problèmes dans ses approvisionnements, une fragilisation de la première transformation faute de débouchés et une concurrence des marchés étrangers sur la seconde ; d’où l’enjeu d’un travail approfondi en amont et en aval.
La filière bois doit jouer un rôle majeur dans le secteur du bâtiment, notamment dans la rénovation. À titre de recommandations et à l’aune du plan de relance, nous devons la revaloriser et inciter davantage à l’utilisation du bois, véritable levier de la stratégie bas-carbone, dans la construction et le bâtiment. Nous sommes d’ailleurs en attente d’une réglementation environnementale 2020 (RE 2020) ambitieuse en la matière.
La troisième crise que je souhaite évoquer est sociétale : la forêt est, pour beaucoup de Français, un lieu de loisirs, de découverte et de bien-être ; c’est aussi un milieu dans lequel l’équilibre sylvocynégétique est primordial. Or les déséquilibres parfois observés affectent la régénération des forêts. Un dialogue permanent entre les forestiers et les chasseurs est donc indispensable.
Surtout, nous voyons se développer un courant de pensée selon lequel il faudrait protéger les arbres sans les exploiter. Mettre sous cloche la forêt reviendrait pourtant à ignorer que seule son exploitation durable permet sa régénération, en captant et en fixant le carbone.
À la suite des auditions menées avec mon collègue Daniel Chasseing, je vous propose plusieurs pistes de réflexion.
À mon sens, une politique forestière nationale ne peut faire l’économie d’un volet local. L’échelon régional semble être le plus pertinent, car il est suffisamment local tout en permettant de dégager une vision d’ensemble. Cela pourrait prendre place dans le projet de loi « 3D » (décentralisation, différenciation, déconcentration), très attendu par les acteurs de la filière.
L’Office national des forêts (ONF), ensuite, joue un rôle majeur. Il est pourtant indispensable de clarifier ses missions, de revoir son modèle économique, de lui donner les moyens de ses ambitions et de développer un dialogue plus systématique avec le local et la filière bois. En outre, je ne suis pas favorable à la création d’une agence nationale des forêts unique regroupant l’ONF, le Centre national de la propriété forestière (CNPF) et d’autres acteurs. À mon sens, le problème ne se situe pas là : il faut privilégier une politique plus décentralisée et régionalisée.
C’est l’occasion pour nous de réaffirmer le rôle essentiel des élus qui participent à la gestion des forêts communales et sont en première ligne dans la gestion de crise. Ils font le lien avec les propriétaires privés, avec l’ONF, avec la filière bois, avec les chasseurs, et doivent être les acteurs d’une territorialisation accrue de la stratégie forestière française.
Ce point pose, par ailleurs, le problème de l’information et des données. En effet, le flux d’informations entre les acteurs est une part importante de la réussite d’une politique forestière cohérente. La lutte efficace contre les crises repose sur l’utilisation d’outils modernes, sur l’innovation, sur la recherche, sur le développement et sur des investissements importants.
Enfin, venons-en au plan de relance, que je veux saluer, monsieur le ministre, même s’il m’inspire deux mises en garde.
La première concerne la durée de deux ans prévue pour son déploiement. Le temps de la forêt est un temps long, en particulier en ce qui concerne le reboisement, qui requiert des plants, des graines et, surtout, de bons choix d’essences.
La seconde mise en garde porte sur la complexité de la constitution des dossiers, qui nuirait nécessairement à l’accès à ce plan, et donc à son efficacité. Pourriez-vous nous rassurer sur ce point ?
Ce plan de relance constitue véritablement un starter indispensable, qui devra être relayé par une politique de long terme. Je soutiens d’ailleurs, comme les acteurs de la filière, le projet de création d’un fonds sur trente ans pour l’avenir de la forêt, qui devrait être doté de 300 millions d’euros et dont le financement proviendrait des sphères tant privée que publique.
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt privée est donc le sujet du débat du moment, et quel endroit est plus indiqué pour en débattre que cet hémicycle, placé sous le regard exigeant de Colbert, qui considérait la forêt comme un trésor qu’il faut soigneusement conserver ?
Surtout, n’oublions jamais que la forêt est le fruit et l’œuvre du travail des hommes !