Séance en hémicycle du 19 novembre 2020 à 9h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance est ouverte à neuf heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La parole est à M. Jean-François Longeot, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Madame la présidente, lors du scrutin public n° 26 sur l’ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, ma collègue Nathalie Goulet a été enregistrée comme ayant voté pour, alors qu’elle souhaitait s’abstenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, sur le thème : « La forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux. »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans la mesure où deux débats sont inscrits à l’ordre du jour de la matinée, je veillerai au respect du temps de parole.

Dans le débat, la parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe auteur de la demande.

Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Menonville

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt française est en danger, confrontée à de multiples crises et défis auxquels nous devons apporter des réponses adaptées, efficaces et pérennes. Le groupe Les Indépendants a choisi d’éclairer, par ce débat, ses difficultés, mais aussi ses atouts.

Monsieur le ministre, le moment est aujourd’hui opportun, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, de nombreux rapports récents sont venus étayer nos réflexions, comme celui de la Cour des comptes, publié en avril dernier, mais aussi celui de notre collègue députée Anne-Laure Cattelot, qui est de grande qualité et qui constitue la base d’une stratégie réaffirmée pour notre forêt française. Je veux aussi saluer le travail mené par le groupe sénatorial d’études Forêt et filière bois, présidé par notre collègue Anne-Catherine Loisier.

Ensuite, le plan de relance, attendu et salué par le secteur, consacre 200 millions d’euros – c’est historique ! – à la forêt, qui est au bord de l’abîme.

Celle-ci occupe 31 % de notre territoire national, qui recèle donc la quatrième surface boisée de l’Union européenne, en progression depuis 1840.

La forêt française est à la croisée de trois tournants majeurs.

Le premier, communément qualifié de « tempête silencieuse », recouvre les conséquences du changement climatique, dont nous observons les effets croissants depuis des années. Aléas climatiques, développement de maladies ou encore présence de nuisibles, comme les scolytes et les chenilles processionnaires, sont autant de traces visibles d’une forêt victime de ces changements.

La forêt est pourtant un levier essentiel pour lutter contre ce changement climatique et pour la préservation de nos ressources naturelles et de notre biodiversité. Nous devons aujourd’hui accompagner son adaptation et construire la forêt de demain. La stratégie de la transition écologique de la France doit passer par une gestion durable des forêts, par une politique renouvelée, stable et volontariste inscrite dans le long terme, couplée à des niveaux d’investissements et de recherches importants.

La deuxième crise est d’ordre économique. Protéger notre forêt, c’est aussi l’entretenir, la gérer durablement et en valoriser les atouts. Notre filière forêt-bois constitue l’une des réponses principales : elle représente 440 000 emplois, soit 12, 7 % de l’effectif industriel français, et pèse 60 milliards d’euros d’activités. Néanmoins, son déficit commercial de 6, 8 milliards d’euros s’accroît de manière constante. Ces chiffres sont issus du rapport de la Cour des comptes, lequel identifie les faiblesses d’une filière dans laquelle les investissements manquent et dont l’articulation insuffisante des acteurs, notamment entre l’amont et l’aval, nuit gravement à la compétitivité.

La filière rencontre des problèmes dans ses approvisionnements, une fragilisation de la première transformation faute de débouchés et une concurrence des marchés étrangers sur la seconde ; d’où l’enjeu d’un travail approfondi en amont et en aval.

La filière bois doit jouer un rôle majeur dans le secteur du bâtiment, notamment dans la rénovation. À titre de recommandations et à l’aune du plan de relance, nous devons la revaloriser et inciter davantage à l’utilisation du bois, véritable levier de la stratégie bas-carbone, dans la construction et le bâtiment. Nous sommes d’ailleurs en attente d’une réglementation environnementale 2020 (RE 2020) ambitieuse en la matière.

La troisième crise que je souhaite évoquer est sociétale : la forêt est, pour beaucoup de Français, un lieu de loisirs, de découverte et de bien-être ; c’est aussi un milieu dans lequel l’équilibre sylvocynégétique est primordial. Or les déséquilibres parfois observés affectent la régénération des forêts. Un dialogue permanent entre les forestiers et les chasseurs est donc indispensable.

Surtout, nous voyons se développer un courant de pensée selon lequel il faudrait protéger les arbres sans les exploiter. Mettre sous cloche la forêt reviendrait pourtant à ignorer que seule son exploitation durable permet sa régénération, en captant et en fixant le carbone.

À la suite des auditions menées avec mon collègue Daniel Chasseing, je vous propose plusieurs pistes de réflexion.

À mon sens, une politique forestière nationale ne peut faire l’économie d’un volet local. L’échelon régional semble être le plus pertinent, car il est suffisamment local tout en permettant de dégager une vision d’ensemble. Cela pourrait prendre place dans le projet de loi « 3D » (décentralisation, différenciation, déconcentration), très attendu par les acteurs de la filière.

L’Office national des forêts (ONF), ensuite, joue un rôle majeur. Il est pourtant indispensable de clarifier ses missions, de revoir son modèle économique, de lui donner les moyens de ses ambitions et de développer un dialogue plus systématique avec le local et la filière bois. En outre, je ne suis pas favorable à la création d’une agence nationale des forêts unique regroupant l’ONF, le Centre national de la propriété forestière (CNPF) et d’autres acteurs. À mon sens, le problème ne se situe pas là : il faut privilégier une politique plus décentralisée et régionalisée.

C’est l’occasion pour nous de réaffirmer le rôle essentiel des élus qui participent à la gestion des forêts communales et sont en première ligne dans la gestion de crise. Ils font le lien avec les propriétaires privés, avec l’ONF, avec la filière bois, avec les chasseurs, et doivent être les acteurs d’une territorialisation accrue de la stratégie forestière française.

Ce point pose, par ailleurs, le problème de l’information et des données. En effet, le flux d’informations entre les acteurs est une part importante de la réussite d’une politique forestière cohérente. La lutte efficace contre les crises repose sur l’utilisation d’outils modernes, sur l’innovation, sur la recherche, sur le développement et sur des investissements importants.

Enfin, venons-en au plan de relance, que je veux saluer, monsieur le ministre, même s’il m’inspire deux mises en garde.

La première concerne la durée de deux ans prévue pour son déploiement. Le temps de la forêt est un temps long, en particulier en ce qui concerne le reboisement, qui requiert des plants, des graines et, surtout, de bons choix d’essences.

La seconde mise en garde porte sur la complexité de la constitution des dossiers, qui nuirait nécessairement à l’accès à ce plan, et donc à son efficacité. Pourriez-vous nous rassurer sur ce point ?

Ce plan de relance constitue véritablement un starter indispensable, qui devra être relayé par une politique de long terme. Je soutiens d’ailleurs, comme les acteurs de la filière, le projet de création d’un fonds sur trente ans pour l’avenir de la forêt, qui devrait être doté de 300 millions d’euros et dont le financement proviendrait des sphères tant privée que publique.

Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt privée est donc le sujet du débat du moment, et quel endroit est plus indiqué pour en débattre que cet hémicycle, placé sous le regard exigeant de Colbert, qui considérait la forêt comme un trésor qu’il faut soigneusement conserver ?

Surtout, n’oublions jamais que la forêt est le fruit et l’œuvre du travail des hommes !

Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de commencer en soulignant le plaisir que j’éprouve à venir débattre ce matin avec vous de ce beau sujet qu’est la forêt française.

Vous l’avez dit, monsieur le sénateur Franck Menonville, les défis sont immenses ; la forêt est à la fois un patrimoine et un bien très précieux, comme l’est l’ONF. En ce début de propos, je veux saluer l’ensemble des femmes et des hommes qui y travaillent et que je soutiens.

La France est aussi un grand pays forestier, avec une forêt qui se cultive, qui est un élément très important de l’environnement dans lequel nous vivons et qui doit donc être protégée. Bref, la forêt française est indéniablement un très grand avantage, un actif, un trésor dans notre pays. Nous devons en prendre soin et savoir en tirer des bénéfices économiques, environnementaux ou sociaux.

Face à nous, dans ce contexte, se trouvent de nombreux défis.

Le premier est, évidemment, la question du changement climatique, qui se pose à tous les écosystèmes naturels, y compris à l’écosystème forestier. Monsieur Menonville, vous l’avez dit, les conditions climatiques ont favorisé ces dernières années l’amplification d’un certain nombre de maladies, notamment la maladie liée aux scolytes, que nous avons tous en tête. Songez que celle-ci a déjà fortement affecté près de 7 millions de mètres cubes d’épicéas. Certaines régions, comme Grand Est ou Bourgogne-Franche-Comté, sont particulièrement touchées.

Le changement climatique ne concerne évidemment pas seulement les résineux, notamment l’épicéa, mais aussi le frêne, le peuplier, qui a l’habitude de vivre dans des écosystèmes humides, le châtaignier et de nombreuses autres essences.

Nous sommes donc face à ce premier défi du changement climatique, qui nous conduit à nous demander comment nous pouvons rendre les écosystèmes forestiers plus résilients et mettre en œuvre une véritable stratégie d’adaptation. Il est d’abord nécessaire que nous parvenions à nous mettre d’accord sur les espèces résilientes que nous pourrions développer pour peupler, aujourd’hui et demain, nos filières françaises.

Une chose est certaine, toutefois, ce peuplement ne pourra se faire qu’avec la filière forestière, avec laquelle nous avons entrepris un travail très important pour qu’une feuille de route sur la résilience des parcelles forestières soit établie et que nous puissions avancer.

Cela nécessite, par exemple, de renforcer la coopération scientifique et les connaissances pour l’adaptation des forêts, mais aussi de donner une vision prospective, de long terme, sur les essences qui seront le mieux à même de peupler nos forêts en 2030, en 2050 et même en 2100. Il est également nécessaire d’investir dans nos forêts pour faire face, aujourd’hui, à ces dangers sanitaires qui impactent les peuplements.

C’est la raison pour laquelle, face à ce défi du changement climatique, je me suis battu et j’ai obtenu que 150 millions d’euros du plan de relance soient consacrés au repeuplement de nos forêts. Cette somme pourrait permettre de planter jusqu’à 50 millions d’arbres dans les forêts communales, domaniales ou privées. C’est probablement le plus grand investissement forestier depuis l’après-guerre en termes de repeuplement et c’était, à mes yeux, absolument indispensable.

Le deuxième défi est la réalité économique.

Je le dis avec beaucoup de conviction, une forêt, cela se cultive avec des ambitions. La question est la suivante : comment le bois peut-il accompagner la forêt en étant utilisé dans nos industries et exploitable sur plusieurs années ?

Relever ce défi impose d’abord de créer un lien indéfectible entre l’amont et l’aval de la forêt française et de réconcilier ces deux dimensions. Nous y sommes invités depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies. La situation me semble – j’emploie ce terme à dessein – ubuesque : d’un côté, le taux de prélèvement est estimé à 50 % de l’accroissement biologique, ce qui signifie que, chaque année, la forêt avance, et c’est très bien ainsi ; de l’autre, en 2016, le déficit commercial de l’ensemble de la filière s’élevait à près de 6 milliards d’euros.

Lorsque, il y a vingt ans, j’ai fait des études d’ingénieur des eaux et forêts, on me disait : « La forêt avance, mais le bois recule. » C’était il y a vingt ans !

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Or aujourd’hui, la forêt continue à avancer et le bois à reculer, ou, au moins, à ne pas avancer suffisamment vite.

L’enjeu est énorme : il s’agit de réconcilier l’amont et l’aval de la forêt. C’est pour moi quelque chose d’essentiel, qui repose, encore une fois, sur la notion de souveraineté agricole et forestière, laquelle, vous le savez, est l’axe majeur de l’action du ministère que je souhaite conduire : elle nécessite d’adopter une approche holistique de l’amont à l’aval.

Comment l’amont peut-il s’attacher à faire en sorte que les choix effectués soient ensuite utilisés par l’aval ? Comment l’aval peut-il s’adapter, sans forcément toujours attendre de l’amont qu’il le fasse, tout en essayant de relocaliser certains outils de transformation, en évitant des chaînes de transport dont le bilan environnemental n’est pas acceptable ?

Songez que, parfois, on vend du bois sur pied dont les grumes sont exportées en Chine et nous sont retournées sous la forme de meubles ou de produits transformés encore travaillés en Europe avant d’arriver en France. Ce système est perdant-perdant-perdant, pour la forêt, pour le bois et pour l’environnement. Il nous faut donc absolument inverser la donne.

Le plan de relance offre, à ce titre, une formidable occasion pour la filière. Dans ce cadre, j’ai décidé, au-delà des 150 millions d’euros dédiés au reboisement, de consacrer une somme importante à la création d’un nouveau fonds, le « Fonds bois III », pour structurer l’aval de la filière.

Cela nécessite aussi de nous poser une question fondamentale : si la forêt se cultive, quels sont ses usages ? Je prends le pari, par exemple, que la forêt française doit jouer un rôle beaucoup plus fort dans les prochaines décennies en ce qui concerne la construction en bois. À l’exception de quelques scieries, la plupart des bois de construction sont importés, alors que nous avons la capacité de développer et d’accroître cette filière de production dans notre pays. Vous l’avez dit, monsieur le sénateur, cela renvoie également à la question de la RE 2020 et de l’ensemble de l’analyse du cycle de vie.

Enfin, le troisième défi est le caractère multifonctionnel de la forêt.

Nous devons donc avoir une approche tenant compte de son écosystème complexe, afin de le préserver, de son potentiel économique, pour le cultiver, de ses avantages sociaux, de manière à les développer, mais également du rôle de protection qu’elle joue dans l’aménagement du territoire, en matière de lutte contre l’érosion ou d’avantages apportés à certains types de territoires.

Cela nous impose de sortir de toute position dogmatique, dès lors que l’on reconnaît cet usage multifonctionnel. Une forêt se cultive, se protège et doit pouvoir donner à l’ensemble de nos concitoyens ce qu’elle peut leur apporter d’un point de vue social.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Il faut vous diriger vers la conclusion, monsieur le ministre.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

J’en ai presque terminé, madame la présidente.

Pour conclure, je précise que cette multifonctionnalité nécessite une vision, que j’ai essayé de développer. Elle impose d’associer tous les acteurs, notamment les communes forestières, qui sont des acteurs majeurs, et elle exige le soutien de ces femmes et de ces hommes qui travaillent passionnément sur la forêt ; j’ai à l’esprit les agents de l’ONF, mais aussi l’ensemble des personnes travaillant dans la filière privée forestière.

Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Je demande de nouveau à chacun d’être vigilant quant au respect de son temps de parole.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Henri Cabanel.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ainsi que sur des travées du groupe INDEP.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

La forêt est un des écosystèmes durement touchés par les changements climatiques, comme le montrent les crises actuelles liées au dépérissement des peuplements. Elle constitue pourtant également un atout majeur dans la lutte contre ces mêmes changements, car elle fait partie intégrante du cycle du carbone et constitue un réservoir de biodiversité, gage de résilience.

Cependant, le morcellement de la propriété forestière rend sa gestion compliquée. De nombreux propriétaires ne savent pas qu’ils le sont, d’autres se trouvent dans des impasses parce que leurs propriétés sont trop petites ou trop fragmentées.

La loi de 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a renforcé les moyens de lutte contre ce morcellement, en créant de nouveaux droits de préférence et préemption.

La recherche des biens non bâtis présumés sans maître est désormais de la compétence de l’État, mais les services de la direction des finances publiques sont souvent dans l’incapacité de la mettre en œuvre complètement. On constate ainsi que les listes transmises aux mairies par l’intermédiaire des préfectures se limitent aux seules propriétés du domaine des propriétaires inconnus, ce qui est loin de recouvrir la notion de non-paiement des impôts fonciers pendant trois ans, prévue dans les textes.

Monsieur le ministre, quelles solutions préconisez-vous pour faciliter la mise à jour des données cadastrales, aussi bien en termes de nature des cultures déclarées que pour la vérification des propriétaires dont les données cadastrales posent manifestement question ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Monsieur le sénateur Cabanel, le sujet que vous évoquez est absolument crucial et s’impose à nous depuis de nombreuses années : comment parvenir à mieux gérer la forêt au regard des données foncières ?

Je souhaite attirer votre attention sur deux points.

Tout d’abord, le plan de relance va financer de nouveaux outils technologiques, notamment pour permettre à l’ONF de mieux gérer l’espace forestier grâce aux données géographiques obtenues par la technologie Lidar, laquelle permet de disposer de données, précisément quand les éléments cadastraux ou topographiques manquent, ce qui est en effet souvent le cas.

Ensuite, votre question concerne la disponibilité des informations relatives aux droits de propriété, ou plus exactement aux relevés de propriété. Vous insistez sur le fait que certaines de ces données ne sont pas suffisamment accessibles.

C’est pourquoi j’ai introduit, dans le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), la simplification de l’accès aux relevés de propriété pour les experts fonciers et les experts agricoles. Je remercie, d’ailleurs, la Haute Assemblée d’avoir adopté l’amendement que nous avions proposé à ce sujet. Le texte, qui est aujourd’hui même au Conseil constitutionnel sous votre contrôle, permet d’améliorer la transparence de ces données. Le fait d’en avoir élargi l’accès à ces deux professions est un élément important pour mieux gérer nos forêts, y compris en matière cadastrale.

Un troisième sujet n’a pas encore été abordé : la réforme du cadastre forestier. Il faudra très certainement s’y atteler un jour, mais, pour le moment, nous avons simplifié et rendu plus transparent l’accès aux données déjà existantes, c’était une première étape importante, qui ne nous dispensera sans doute pas de revoir, dans un avenir proche, les données cadastrales.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Parmi les idées proposées par l’union régionale des collectivités forestières d’Occitanie, qui regroupe plus de 700 collectivités adhérentes, certaines peuvent vous inspirer, monsieur le ministre.

On y trouve, par exemple, la suggestion d’un meilleur suivi des remontées des commissions communales des impôts directs, du rappel de la nature de cultures déclarées sur les feuilles d’imposition, de celui de l’existence de surfaces en deçà du seuil de recouvrement des impôts fonciers, ou de la prise en compte des biens susceptibles d’être sans maître recensés grâce aux outils que les communes forestières ont développés en appui aux démarches des collectivités.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Lahellec

La présentation du plan de relance et de ses 150 millions d’euros dédiés à la forêt s’ouvre par un constat que nous partageons tous : nos forêts sont déjà durement touchées par le changement climatique, alors même qu’elles jouent un rôle essentiel dans la lutte contre ce même réchauffement climatique.

On nous dit qu’il est impératif de financer l’amélioration, la diversification et le renouvellement des peuplements forestiers, afin de favoriser une meilleure résilience des écosystèmes forestiers, dans le respect d’une gestion durable et multifonctionnelle de la forêt. Nous en sommes tous d’accord.

Pourtant, depuis de nombreuses années, l’ONF, outil historique de cette gestion durable et multidimensionnelle, ne cesse d’être fragilisé, voire malmené, et se trouve aujourd’hui en voie de privatisation.

Merci, monsieur le ministre, d’avoir bien voulu rappeler, dans votre intervention liminaire, que l’ONF est un bien précieux.

Pourtant, nous constatons que les coups de rabot budgétaire et la fragilisation des recrutements, d’ailleurs remise en cause aujourd’hui, s’accompagnent d’une tentation de généraliser la possibilité de recrutement d’agents contractuels de droit privé. Ainsi, depuis trois ans, les concours de recrutement de techniciens forestiers fonctionnaires sont bloqués et les postes de gardes forestiers sont affectés massivement à des contractuels.

Enfin, le Gouvernement a annoncé un plan de soutien à la filière bois, mais il ne prévoit aucune augmentation du budget de l’ONF, pourtant en déficit structurel depuis plusieurs années. La conséquence de ces politiques est un affaiblissement de la protection des forêts.

Dès lors, monsieur le ministre, quand allez-vous décider de mettre un terme à cette spirale de destruction d’un outil si précieux, indispensable pour assurer la durabilité de nos forêts ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Monsieur le sénateur, je vous remercie à mon tour de rappeler mes propos. L’ONF est un bien incroyablement précieux, tout le monde le voit. J’attire d’ailleurs l’attention de ceux qui nous écoutent sur un point que vous n’ignorez pas : l’ONF gère les forêts domaniales, mais aussi beaucoup de forêts communales, en lien avec les collectivités territoriales.

À ce titre, j’ai d’ailleurs souhaité, dès mon arrivée, faire en sorte que les collectivités locales puissent rester au conseil d’administration de l’ONF. C’était en débat, mais cela me paraissait absolument nécessaire.

Sur les trois points que vous évoquez, les financements que nous devons octroyer à l’ONF sont importants et doivent prendre en compte, effectivement, la situation financière actuelle de l’Office, que vous avez rappelée.

Il y a, d’abord, le financement national, que je vous présenterai dans le cadre du budget pour 2021. Le programme 149, destiné à financer l’ONF, verra ses crédits augmenter. Sans doute cela ne suffira-t-il pas à combler le déficit structurel de l’établissement ; reste qu’il s’agit d’une augmentation.

Ensuite, l’ONF bénéficiera, non pas certes exclusivement, mais significativement, du plan de relance dans son aspect reboisement. Dans ce cadre, 150 millions d’euros sont prévus pour subventionner massivement le reboisement. Une partie des financements serviront aussi au développement des outils de gestion de type Lidar dont j’ai parlé il y a quelques instants, notamment pour le compte de l’ONF.

Enfin, s’agissant du schéma d’emplois et du statut des personnels – une question abondamment débattue dans le cadre du projet de loi ASAP –, l’ONF emploie aujourd’hui près de 40 % de ses personnels sur contrat de droit privé. Je crois qu’il ne faut pas opposer les uns aux autres, et je tiens à rendre hommage à tous !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Je me félicite de l’organisation de ce débat, eu égard aux nombreux enjeux pour lesquels je considère la forêt comme une solution : réchauffement climatique, menaces sur la ressource en eau, glissements de terrain, érosion de la biodiversité, demande de nature de nos concitoyens.

La forêt peut assumer de nombreuses fonctions, si tant est qu’elle fasse l’objet d’une gestion durable. Malheureusement, elle subit aujourd’hui des crises multiples.

D’une part, les sécheresses de 2018, 2019 et 2020 ont provoqué une multiplication des scolytes, asséchant le bois, altérant sa qualité, affectant sa valeur marchande et déstabilisant l’ensemble de la filière.

D’autre part, la chute des cours du bois liée notamment à la crise sanitaire et à la saturation du marché menace la pérennité de la filière et affaiblit les communes forestières dépendantes de la gestion de leur patrimoine forestier ; une commune française sur trois est concernée – une sur deux dans mon département du Doubs !

En sus de l’aide d’État pour le transport du bois, bienvenue mais loin de couvrir les pertes réelles, une enveloppe de 200 millions d’euros est consacrée à la forêt dans le cadre du plan de relance. Un reboisement massif est ambitionné, ainsi qu’un renforcement des dispositifs de soutien aux entreprises de la filière bois.

Monsieur le ministre, cette démarche va dans le bon sens, mais comment venir en aide aux communes dont les revenus forestiers représentent parfois 20 %, 40 %, voire 50 % des recettes annuelles ?

Par ailleurs, quelles seront les modalités du volet forêt de la relance ? Le développement forestier ne se décrète pas : il se construit de manière volontaire et concertée avec les acteurs locaux, autour, surtout, d’un projet commun qui profitera à nos territoires !

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Monsieur le sénateur, vous avez bien perçu, d’après mes réponses aux précédents orateurs, que je mesure pleinement l’enjeu pour les communes forestières et le rôle essentiel joué à cet égard par l’ONF – donc, par son truchement, par l’État. De fait, près des deux tiers du patrimoine forestier géré par l’ONF est constitué de forêts communales.

J’ai bien à l’esprit aussi les difficultés que rencontrent aujourd’hui certaines communes face à des crises conjoncturelles, comme celle des scolytes, ou plus structurelles, comme celle dont vous avez parlé sur le marché du bois, liée aux usages du bois et à l’adéquation entre l’amont et l’aval.

En ce qui concerne les scolytes, nous avons mis en place par décret, il y a environ un an, un système qui fonctionne plutôt bien, consistant à échanger les bois scolytés entre régions, pour pouvoir les mettre sur le marché. Cette solution, qui paraissait à première vue un peu complexe, s’est avérée efficace.

S’agissant du plan de relance, les 150 millions d’euros prévus permettront le repeuplement de nombreuses forêts communales, que les communes elles-mêmes n’auraient pas eu les moyens de reboiser. À cet égard, l’ONF est bien conscient de la nécessité d’accompagner les forêts communales.

Enfin, nous sommes en train de lancer une mission d’évaluation des conséquences financières de la situation actuelle pour les communes. Cette mission IGA-CGAAER, donc interministérielle, chiffrera les pertes financières des communes forestières liées aux crises conjoncturelles, ce qui permettra d’éclaircir le débat.

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Blatrix Contat

Depuis deux ans, sous l’effet de sécheresses qui se succèdent, nos forêts de résineux sont touchées par une épidémie de scolytes qui ne cesse de s’aggraver : les volumes de bois touchés ont doublé chaque année entre 2018 et 2020.

Les régions Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est ont été les premières frappées par ce phénomène. Mon département, l’Ain, est touché dans les massifs du Haut-Jura.

À court terme, nous sommes face à un problème économique. De fait, comme il a déjà été souligné, de nombreuses communes forestières ont vu leurs ressources issues de la vente de bois baisser drastiquement. L’une d’entre elles m’a indiqué que ses produits forestiers étaient passés de 300 000 à 30 000 euros ! Les forestiers privés sont également touchés : les rendements s’effondrent sous l’effet d’une chute des cours, et les marchés régionaux sont saturés.

À long terme, nous sommes face à un problème de pérennité de nos couverts forestiers.

J’entends bien, monsieur le ministre, que vous avez mandaté une mission d’évaluation des conséquences pour les communes des baisses de ressources ; mais quelles mesures compensatoires envisagez-vous pour parer à ces déficits de recettes ?

Par ailleurs, il est nécessaire de renforcer le soutien aux coopératives forestières afin qu’elles trouvent des débouchés, notamment en pérennisant et en accroissant l’aide à l’évacuation des bois et en leur apportant une aide de trésorerie.

À plus long terme, quel soutien à la recherche prévoyez-vous en matière de lutte contre les parasites et d’essences susceptibles d’être implantées ?

Enfin, vous annoncez un plan de relance de 150 millions d’euros, mais l’Allemagne annonce un plan de 800 millions d’euros pour la forêt, avec une stratégie forestière pour 2050… Quels moyens allez-vous mobiliser, au service de quelle stratégie à long terme ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Madame la sénatrice, le dispositif mis en place voilà un an pour l’évacuation et la commercialisation des bois scolytés fonctionne, je le répète, plutôt bien, en dépit de son apparence quelque peu complexe. Nous verrons s’il est nécessaire de l’adapter – j’y suis tout à fait ouvert.

En la matière, le vrai défi, c’est de couper et repeupler. Or, jusqu’à présent, on avait souvent « la boule au ventre », comme nombre de forestiers disent, devant une parcelle scolytée, faute d’avoir la capacité de repeupler. Dans le cadre du plan de relance, jusqu’à 80 % du repeuplement d’une parcelle scolytée pourra être financé : il s’agit donc d’une aide très importante. Les modalités seront les plus simples possible, pour que le dispositif soit effectif – comme il a été souligné par plusieurs d’entre vous, la temporalité forestière est essentielle.

S’agissant de la recherche, nous y avons beaucoup travaillé ; M. Menonville a mentionné le rapport d’Anne-Laure Cattelot sur ce sujet très important. Dans le cadre du repeuplement, la question posée, incroyablement complexe mais très intéressante, est celle du choix des essences. Faut-il planter les mêmes essences, des essences cousines, d’autres essences ? Nous travaillons avec la filière pour répondre à cette question, en effet, essentielle.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Julien Denormandie a déjà répondu en partie à la question, lancinante et immédiatement préoccupante, des forêts scolytées. C’est une réalité dans le Grand Est comme dans le reste de la France ; c’est une réalité dans la Meuse comme dans toute la Lorraine. Les coûts en sont sans doute supérieurs à ceux de la tempête de 1999…

Monsieur le ministre, le 29 juillet dernier, devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, vous vous êtes exprimé avec autant de compétence que de patience, ce qui est plutôt de bon augure pour les solutions que vous pourriez apporter à la forêt.

S’agissant du scolyte, le plus important est, en effet, que le plan de relance engage rapidement des solutions en matière de repeuplement. Les mesures prises pour le transport ont permis d’ouvrir et d’élargir le marché, de « péréquer » en quelque sorte, ce qui a permis d’amortir les baisses de prix, néanmoins bien réelles.

Je vous interrogerai sur l’avenir. Alors que le réchauffement climatique est jugé par la majorité de l’opinion comme une certitude absolue, la forêt étant une affaire de long terme, nous avons le devoir absolu, face à un horizon de long terme annoncé comme prévisible, d’agir en matière de repeuplement. En général, la forêt existe parce que d’autres solutions agricoles n’étaient pas possibles. Il est essentiel que nous sachions comment conduire des projets de forêts nouvelles, compte tenu des perspectives de réchauffement climatique, dont on peut penser, hélas, qu’elles sont certaines.

Par ailleurs, vous avez évoqué l’usage du bois. La filière étant un ensemble complet, de la production à l’utilisation, pourriez-vous nous expliquer de façon simple pourquoi la filière bois ne rencontre pas, dans la construction en France, les succès que nous attendons tous d’elle ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Monsieur le sénateur, les deux questions que vous posez sont intrinsèquement liées. Au fond, il s’agit de savoir quelle est notre vision de la forêt – c’est cette question qui forge ma passion pour le domaine forestier.

Nous avons à relever un défi extraordinairement complexe, avec une temporalité de très long terme et des enjeux multiples, parce que la forêt remplit de nombreuses missions pour le peuple français, environnementales, économiques et sociales. C’est déjà très compliqué pour le forestier ; imaginez pour le politique, pris dans le temps de l’émotion et du simplisme… On est loin de la temporalité longue et de la multifonctionnalité !

Puisque le plan de relance nous offre l’opportunité de reboiser massivement, il s’agit de savoir quelles essences planter. Je considère qu’il faut opter pour les essences les plus résilientes du point de vue du changement climatique et qui pourront être utilisées dans trente, quarante ou cinquante ans en fonction des usages que nous pouvons prévoir.

Au XVIIIe siècle, on faisait du feuillu pour l’usage militaire. Après-guerre, on a planté des résineux pour l’usage industriel. Je suis convaincu que, à l’avenir, un des principaux usages du bois sera la construction.

Pour résoudre cette équation, il faudra sûrement retenir plusieurs types d’espèces, en fonction des territoires et en tenant compte des erreurs du passé.

Vous me demandez pourquoi la filière construction bois n’est aujourd’hui pas assez développée. Je pense qu’il manque une articulation entre l’amont et l’aval : le second ne tire pas le premier, qui ne pousse pas le second.

Nous devons donc à la fois repeupler, financer l’aval et reconnecter les deux versants. C’est ce à quoi je m’attelle avec force.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Jean Verzelen

Aux frontières de ma région, les Hauts-de-France, entre les départements de l’Oise et du Val-d’Oise, se trouve la forêt de Chantilly, concentré des richesses des forêts françaises, mais aussi de la complexité de leur situation. Cette forêt, c’est un véritable laboratoire à ciel ouvert !

Le dérèglement climatique, l’infestation par les hannetons et les dégradations causées par le grand gibier : en dix ans, les gestionnaires, dont évidemment l’ONF, ont pu identifier les causes majeures des problèmes de la forêt de Chantilly.

Une mobilisation importante s’est déployée pour agir et conserver une forêt vivante. Elle a permis de mettre autour de la table tous les acteurs : la population, les scientifiques, les associations environnementales, les chasseurs et les élus. Ainsi, les problèmes ont pu être identifiés, et les solutions dégagées.

Les solutions, nombreuses, s’inscrivent dans un schéma national : le reboisement, l’inclusion des chasseurs dans les discussions de régénération de la forêt, l’adaptation de la forêt par la recherche et le développement d’actions en faveur de la filière bois, dans le respect de ses particularités, afin d’assurer son avenir.

Pour établir un cadre et organiser au mieux cette action, l’idée a émergé de créer un groupe d’intérêt public. Loin d’être un comité Théodule, ce GIP met tout le monde autour de la table pour travailler à l’organisation et l’aménagement d’une gestion durable et adaptée au domaine forestier, avec un objectif principal : trouver des solutions face aux dangers qui guettent la forêt.

Je souhaitais attirer l’attention sur le combat mené pour la forêt de Chantilly, parce qu’il y a urgence ! Monsieur le ministre, cette pratique volontariste et la création de ce GIP ne pourraient-elles pas être dupliquées, en tenant compte des spécificités de chaque situation ?

Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Monsieur le sénateur Verzelen, j’ai bien présente à l’esprit la situation particulière de la forêt de Chantilly. J’ai entendu les déclarations du général Millet et je mesure à quel point le plan d’action que vous avez brillamment décrit est très certainement en tout point exemplaire.

D’abord, il associe, comme vous l’avez expliqué, l’ensemble des parties prenantes, des citoyens aux gestionnaires en passant, entre autres, par les chasseurs.

Ensuite, il prend bien en compte l’ensemble des défis, grâce à une sorte de comité scientifique associant l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), AgroParisTech et France Nature Environnement, pour ne citer qu’eux.

Enfin, il établit de nouvelles pratiques sylvocynégétiques permettant de concevoir le développement de la forêt de Chantilly sur la durée.

Compte tenu de tout le travail réalisé, j’ai donné instruction à mes services que l’on tire parti des financements du plan de relance pour soutenir l’action en faveur de la forêt de Chantilly. Les acteurs n’ont pas attendu le Gouvernement et son plan de relance, mais celui-ci tombe à point nommé pour leur offrir de nouvelles possibilités de financement.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

On ne le dit jamais assez : on est mal parti… Oui, notre forêt est mal partie, le climat va mal, l’ensemble de notre biodiversité va mal également – tout cela étant lié.

Monsieur le ministre, quarante pesticides de synthèse sont encore autorisés en forêt, dont le glyphosate. Alors que nous arrivons presque à l’échéance du délai sur lequel le Président de la République s’était engagé pour la sortie du glyphosate en novembre 2017, la mise en œuvre de cette promesse semble, au fil des mois, toujours plus floue…

On pourrait imaginer, monsieur le ministre, que la sortie des pesticides en forêt constitue pour vous une priorité. Elle est en tout cas réclamée par les citoyens, qui ont été des milliers à signer un appel en ce sens lancé en 2019 par la très responsable ONG Noé, qui œuvre pour la biodiversité. En effet, les forêts sont des espaces de production, mais aussi des réserves de biodiversité et des lieux de promenade qu’il faut préserver des pollutions.

Les alternatives sont déjà là, puisque l’ONF a abandonné le glyphosate dès 2018, puis l’ensemble des pesticides en 2019. Nous avons reçu ses représentants au Sénat voilà un an, lors d’un colloque, pour qu’ils nous présentent leurs solutions. Pourtant, en septembre dernier, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a écarté la quasi-totalité des alternatives au glyphosate en forêt, non pour des raisons d’impasse technique, mais du fait d’inconvénients pratiques et économiques.

Un arrêté étendant la loi Labbé à de nouveaux espaces doit être publié très prochainement. Je m’en réjouis, mais, selon nos échanges avec la ministre, la forêt ne sera pas concernée. Ce serait pourtant l’occasion d’agir dès maintenant.

Monsieur le ministre, pouvez-vous vous engager pour une sortie rapide du glyphosate et de tous les produits phytosanitaires en forêt ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Monsieur le sénateur Labbé, nous avons souvent débattu ensemble de ces questions au cours des derniers mois.

J’ai en la matière une approche assez raisonnée. Comme je l’ai dit à la tribune, il nous faut absolument protéger l’environnement et considérer tout ce que la forêt offre d’important aux citoyens que nous sommes : un poumon vert, un écosystème environnemental, un espace qui se cultive.

Nous avons demandé à l’Anses, une autorité indépendante et à mes yeux l’instance la plus à même de déterminer les usages, d’établir les autorisations de mise sur le marché – lesquelles, je le rappelle, sont non pas signées par le ministre, mais données par cette agence –, y compris dans le milieu forestier.

Dans le cadre du bilan de l’usage des produits phytosanitaires que nous avons présenté voilà quelques jours, l’Anses a été très claire sur l’utilisation du glyphosate en forêt, en en limitant significativement tous les usages, exception faite de quelques situations spécifiques lorsqu’il n’y a pas d’alternative. Cette décision résulte d’une analyse non pas économique, mais holistique, prenant en compte l’ensemble des approches : environnementale, substitution mécanique au travail, faisabilité.

C’est grâce à ce travail très sérieux de l’Anses que nous pouvons tracer cette voie et sortir du glyphosate dès lors qu’une alternative existe. Nous nous y employons avec une grande détermination. D’ailleurs, nous avons prévu des moyens financiers importants pour investir dans la recherche, afin de trouver toutes les alternatives le plus rapidement possible.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Monsieur le ministre, je ne voulais pas mettre en cause le sérieux de l’Anses, …

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

… mais quand même… Ses membres n’ont pas pris leur décision, je le répète, pour des raisons d’impasse technique, mais d’inconvénients pratiques et économiques – vous pourrez le vérifier.

Derrière l’usage des pesticides en forêt, il y a tout un modèle d’industrialisation excessive des pratiques en forêt, que l’on retrouve d’ailleurs en agriculture. Le glyphosate est lié à la pratique des coupes rases, à ce jour toujours pas encadrée.

M. le ministre le conteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Dans un contexte de chute de la biodiversité et de réchauffement climatique, cette industrialisation excessive est dangereuse. L’abandon du glyphosate et des produits phytosanitaires en forêt n’est pas seulement souhaitable : il est possible !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Laure Phinera-Horth

En Guyane, la forêt couvre 8 millions d’hectares, soit 96 % du territoire. Or l’État a confié 6 millions d’hectares de son domaine privé au seul Office national des forêts.

Ainsi donc, l’ONF dispose en Guyane, et nulle part ailleurs, d’un rôle de conservateur gestionnaire, mais aussi d’opérateur, ce qui fait de ses agents des juges et parties dans bon nombre de dossiers.

En 2015, la délégation sénatoriale aux outre-mer a émis trente propositions pour « mettre un terme à une gestion jalouse et stérile du domaine public et privé de l’État en outre-mer ». Elle a proposé une nouvelle architecture propre à la Guyane, destinée à libérer du foncier d’État au service du développement local. Il s’agirait notamment d’accélérer les procédures de cession de terrains du domaine privé, de repousser vers l’intérieur des terres les limites du domaine forestier permanent et de transférer le foncier libéré à la collectivité unique de Guyane, charge à elle de le rétrocéder aux communes et aux acteurs économiques.

Monsieur le ministre, l’exploitation du bois et des produits de la forêt constitue une filière d’avenir pour la Guyane, mais l’accès à la ressource reste problématique, car l’ONF demeure l’unique fournisseur de bois pour les professionnels de la première transformation.

L’État semble réticent à laisser une partie de la maîtrise foncière à la collectivité territoriale de Guyane, qui, en cas de rétrocession, disposerait d’un levier permettant de mettre en œuvre une véritable politique de développement économique. Pourtant, après les événements de 2017, l’État s’était engagé à transférer 250 000 hectares à la collectivité territoriale de Guyane. Malheureusement, ce transfert n’a toujours pas eu lieu, alors qu’il pourrait éviter certaines crispations au sein de la population sur des problématiques telles que la chasse ou l’orpaillage légal.

Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement pour tenir cet engagement et ainsi aider au développement économique de la Guyane ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Madame la sénatrice, je vous remercie d’avoir soulevé cette question de la plus haute importance. Car si la forêt joue un rôle majeur dans l’ensemble des écosystèmes, la forêt guyanaise est tout à fait essentielle non seulement pour la Guyane, mais aussi pour une grande partie de la région, voire du monde. C’est un trésor, en même temps qu’une responsabilité collective : nous devons préserver la forêt guyanaise.

Le Gouvernement s’est engagé à procéder à des transferts importants – 400 000 hectares à la population, 250 000 hectares aux collectivités territoriales et 20 000 hectares à une société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer). Je suis d’accord avec vous : leur mise en œuvre n’a pas été assez rapide. Mais il me semble qu’une disposition a été introduite dans un texte récent – ASAP ou Ddadue, je vérifierai – pour accélérer ces transferts, consentis à titre gracieux – c’est là que se posait une difficulté juridique, comme vous le savez.

Madame la sénatrice, votre demande est légitime et même nécessaire : nous devons mettre en œuvre le plus rapidement possible les engagements que nous avons pris en matière de transferts. Croyez bien que j’y veillerai !

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Laure Phinera-Horth

Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse. Le peuple guyanais attend maintenant la concrétisation des engagements de l’État !

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

Je poserai deux questions, monsieur le ministre.

La première porte sur le reboisement. À cet égard, permettez-moi de saluer la création et l’abondement, que nous espérions depuis si longtemps, du fonds de reboisement des forêts françaises et de soutien à la filière bois. Le défi consiste maintenant à en faire un bon usage, et ce rapidement.

Selon moi, monsieur le ministre, la question est de savoir non pas quelles essences nous devons planter – la nature offre de multiples richesses –, mais comment sortir du spectre assez limité de celles qu’utilisait l’aval jusqu’à présent.

La question de la disponibilité du matériel de reproduction, donc des plants, se pose également. Les plants seront-ils disponibles dans les délais impartis ? À cet égard, il vous faudra prévoir des modalités de mise en œuvre spécifiques, monsieur le ministre, car la forêt, vous l’avez dit, s’inscrit dans le temps long.

L’autre obstacle à une mise en œuvre rapide, de nombreux collègues l’ont dit, c’est l’autofinancement des communes forestières. Les communes qui vont devoir investir rapidement pour reboiser sont aussi celles qui ont malheureusement été les plus durement frappées par les attaques d’insectes, les fortes chaleurs et les déficits hydriques.

Leurs trésoreries étant sinistrées, il n’est pas sûr qu’elles aient les moyens de s’engager massivement ces deux prochaines années, d’autant que ces pertes financières forestières sont à ce jour exclues de toute compensation par l’État, monsieur le ministre. Il ne faudrait pas que les forêts publiques, ainsi pénalisées, rencontrent des difficultés pour accéder à ce fonds.

Ma deuxième question porte sur la RE 2020, qui est stratégique et déterminante tant pour l’avenir de la filière que pour la lutte contre le changement climatique. Des critères incitatifs et ambitieux sont nécessaires. Un seuil de 450 kilos de CO2 par mètre carré exigible dès 2021 paraît réaliste, surtout s’il est complété par un second indicateur de stockage de carbone, qui serait un véritable label biosourcé, à la fois pour les bâtiments neufs et la rénovation.

Quelle est votre position sur ces sujets déterminants, monsieur le ministre ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Madame la sénatrice, je vous remercie pour les propos que vous avez tenus sur le plan de relance. Cela faisait en effet bien longtemps que l’on attendait des financements massifs pour reboiser nos forêts.

En réponse à votre première question, mon objectif est clair : je souhaite mettre en œuvre le plan de relance le plus rapidement possible. Cela suppose de faire au plus simple, ce qui n’est pas évident, car le diable se cache dans les détails. Sur les types d’essence, j’estime qu’il faut faire confiance à l’intelligence des forestiers.

Par ailleurs, comme vous l’avez dit, il existe de grandes différences entre les forêts communales, les forêts domaniales et les forêts privées. Or toutes doivent avoir accès au plan de relance. C’est pourquoi nous avons lancé un appel à manifestation d’intérêt afin de recueillir l’avis de toutes les filières sur le caractère fonctionnel et opérationnel du dispositif proposé et sur la possibilité de le mettre en œuvre rapidement. Nous recueillons actuellement leurs réponses en vue de lancer le plan dès le mois de décembre et de commencer les plantations en tout début d’année. Ce plan doit être simple et massif.

Sur la RE 2020, vous prêchez un convaincu. Lorsque j’étais ministre du logement, j’ai fait en sorte que 50 % des matériaux utilisés pour la construction des établissements publics administratifs (EPA) soient du bois ou des matériaux biosourcés, de même que pour celle des immeubles construits pour les JO 2024. J’ai par ailleurs œuvré au lancement d’un grand plan bois construction, auquel j’avais d’ailleurs commencé à travailler il y a longtemps avec certains acteurs de la filière.

La RE 2020 est un enjeu historique. La priorité est de réaliser l’analyse du cycle de vie du bois. Certains estiment encore que le béton est meilleur que le bois pour l’environnement. Je ne le pense pas. La RE 2020 doit le démontrer.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

Monsieur le ministre, votre engagement sur la RE 2020 sera déterminant. À cet égard, vous êtes notre avocat, nous le savons tous.

Permettez-moi d’aborder rapidement un autre sujet. Un véritable et grand débat sur l’ONF est aujourd’hui nécessaire. Les mesures prises rapidement dans la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), qui, finalement, instillent de la défiance, ne sauraient se substituer à un véritable projet d’avenir sur le partenariat public-privé ni à une véritable stratégie amont-aval, laquelle est absolument essentielle pour dessiner un avenir pour la filière et l’ensemble des acteurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Redon-Sarrazy

Monsieur le ministre, le plan de relance du Gouvernement prévoit d’adapter la forêt au changement climatique. L’enveloppe de 200 millions d’euros prévue permettra d’assurer la régénération de nos forêts, d’approvisionner les industries de la filière bois, et surtout d’accroître la capacité des forêts à capter du carbone, lesquelles contribueront ainsi au respect des engagements climatiques de la France.

Le Gouvernement a rappelé à juste titre que la filière bois permettait de compenser environ 20 % des émissions françaises de CO2 et qu’elle jouait ainsi un rôle majeur en matière d’atténuation du changement climatique. Pour autant, ce rôle repose sur la résilience des forêts, notamment sur leur capacité à s’adapter à ce changement.

Vous avez donc prévu un grand plan de reboisement allouant 150 millions d’euros à la plantation de 45 000 hectares de forêt afin d’augmenter les surfaces plantées, de régénérer les surfaces existantes et de reconstituer celles qui ont dépéri, notamment en raison des attaques de scolytes.

J’attire néanmoins votre attention sur le fait que l’attribution de ces crédits à la plantation ne semble à ce stade ni conditionnée à une certification de gestion durable ni même bonifiée dans ce cas. Or dans le contexte actuel, nous observons de fortes interrogations sociétales sur la gestion forestière. Il me semble particulièrement important de donner à nos concitoyens la certitude que l’État a tout mis en œuvre pour s’assurer que le propriétaire forestier qui bénéficiera de cette importante aide publique au reboisement l’utilisera en respectant des critères de durabilité inscrits dans la démarche de certification forestière.

Pour ce faire, le Gouvernement pourrait conditionner l’attribution des aides publiques à l’adhésion à une certification de gestion durable des forêts, comme le programme de reconnaissance des certifications forestières (PEFC) dans lequel 70 000 propriétaires privés, détenteurs de plus de 5, 5 millions d’hectares, sont déjà engagés.

Aussi, monsieur le ministre, envisagez-vous de faire de la certification de la gestion durable une écoconditionnalité, et si oui, sous quelle forme ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Nous avons ce débat chaque fois que nous discutons de la forêt, monsieur le sénateur.

Nous avons une petite divergence : je pense que les personnes qui exercent le beau métier de forestier placent par essence la durabilité au cœur même de leur approche. Si vous ne croyez pas à la force du temps long, si vous n’avez pas la foi de planter des arbres dont certains arriveront à maturité après votre mort, vous n’exercez pas ce métier. C’est par cette foi dans la durabilité que le métier de forestier acquiert ses lettres de noblesse. Si je crois tant à l’intelligence de celles et ceux qui gèrent les forêts, même si tout n’est évidemment pas parfait partout, c’est parce que je pense que la durabilité fait partie de leur ADN.

J’en viens à la question de la conditionnalité des aides. Pour que les aides soient les plus efficientes, il faut bien sûr que des objectifs soient fixés. Cela étant, lorsqu’une parcelle est scolytée, la question n’est pas de savoir si elle est gérée de manière durable. Ce qu’il faut, c’est éradiquer les scolytes et repeupler la parcelle.

Il faut donc trouver le juste milieu entre conditionnalités des aides et efficacité du plan de relance, afin de permettre un repeuplement dès à présent. Il faut veiller à ce que trop de conditionnalités ne tuent pas l’efficacité. C’est là parfois un mal français, pour vous dire le fond de ma pensée.

C’est pourquoi je suis plutôt favorable à une action rapide en faveur de cette filière, qui – je le répète – place la durabilité au cœur de son approche.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Redon-Sarrazy

Je ne peux me satisfaire de votre réponse, monsieur le ministre.

J’estime pour ma part que qui peut le plus peut le moins : si la durabilité est au cœur des préoccupations des propriétaires, on peut sans doute s’organiser pour qu’ils respectent un certain nombre de critères, sachant en outre que nos concitoyens sont aujourd’hui sensibles à cette cause.

De plus, un certain nombre de subventions sont attribuées, notamment aux collectivités, sur des critères de durabilité. Je doute que les élus comprennent qu’on leur impose de tels critères pour la construction, mais que tel ne soit pas le cas pour la filière bois en amont.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Viviane Malet

Monsieur le ministre, ce débat intervient à un moment particulier pour La Réunion, alors que, depuis environ dix jours, un incendie ravage un écosystème unique au cœur du parc national, plus de 175 hectares ayant été détruits. M. le ministre des outre-mer s’est rendu sur place, accompagné d’un renfort de sapeurs-pompiers hexagonaux.

Cette tragédie vient rappeler l’importance de la forêt pour cette île tropicale montagneuse de l’océan Indien. La Réunion est en effet l’un des trente-cinq hotspots de biodiversité terrestre mondiale. Sa richesse patrimoniale et ses taux d’endémisme records sont reconnus à l’échelon planétaire. Depuis 2010, l’inscription des pitons, cirques et remparts au patrimoine mondial de l’Unesco est pour nous une fierté.

La préservation de cette distinction ne pourra se faire sans le concours de l’Office national des forêts, qui gère plus de 90 % du domaine forestier de l’île.

Monsieur le ministre, l’action de l’ONF sur notre territoire est reconnue de tous, notamment en matière de lutte contre les espèces exotiques envahissantes, de prévention des risques naturels, mais aussi d’entretien des 850 kilomètres de sentiers, des 365 aires d’accueil du public en forêt, des 609 kilomètres de routes et de pistes forestières, des 276 kilomètres de pistes de VTT et des 158 kilomètres de pistes équestres, qui sont dégradés après chaque saison cyclonique et représentent des enjeux importants pour le tourisme.

Le faible niveau de production forestière à l’échelon local, le surcoût lié à l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco et les autres activités hors du régime forestier, qu’elles soient financées partiellement ou non financées, expliquent le déficit structurel de l’ONF de La Réunion.

Or la réduction des moyens humains et financiers de l’ONF sur l’île semble engagée. Le projet de contrat État-ONF pour la période 2021-2025 nous inquiète fortement, car il ne fait pas mention de La Réunion.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rassurer en nous annonçant que les moyens alloués à l’ONF ne seront pas réduits à La Réunion, ou, mieux encore, que ses plafonds d’embauche et d’engagement budgétaire seront revus à la hausse ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Madame la sénatrice, permettez-moi de m’associer à l’hommage que vous avez rendu aux forces publiques, notamment aux pompiers qui ont lutté contre ces incendies, et d’assurer de mon soutien les femmes et les hommes de cette belle île, qui ont été extrêmement meurtris par ces incendies.

Je salue également la politique de gestion des risques menée par l’ONF. Comme vous l’avez souligné, l’ONF ne se borne pas à gérer ou à cultiver de l’espace. Il mène aussi des actions très ciblées, notamment en termes de gestion des risques, ces actions ayant permis de réelles évolutions dans les territoires.

La Réunion a connu des incendies au début des années 2010. Une période d’accalmie s’en est suivie, en partie grâce aux actions en matière de gestion du risque de l’ONF.

Pour répondre à votre question, nous allons finaliser avec l’ONF le contrat d’objectifs et de performance. Je vous confirme que La Réunion sera bien incluse dans ce document, et je prends bonne note de votre demande. Madame la sénatrice, soyez assurée que nous sommes conscients que nos territoires ultramarins doivent faire l’objet d’une attention toute particulière.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Merillou

Monsieur le ministre, permettez-moi, pour illustrer l’importance de la forêt en France, de citer quelques chiffres relatifs à la Nouvelle-Aquitaine : la forêt occupe 3 millions d’hectares, soit plus de 30 % de l’espace aquitain. En Dordogne, elle s’étend sur plus de 400 000 hectares, ce qui représente plus de 40 % de la surface du département.

La forêt est certes un poids lourd économique, mais c’est un colosse aux pieds d’argile parce que c’est une activité de temps long alors que l’économie et la finance sont à l’immédiateté, mais aussi parce que de grands domaines forestiers côtoient une multitude de petits propriétaires.

La forêt est en souffrance, du fait notamment des évolutions climatiques, de la sécheresse, des grandes tempêtes comme la tempête Klaus, mais aussi de son morcellement extrême au gré des successions.

Elle est pourtant un gisement de matières premières quasi inépuisable, mais parfois inadaptée au marché. Elle a une fonction économique irremplaçable, mais aussi une fonction environnementale pour le maintien de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique – elle est un formidable piège à carbone. Enfin, elle a une fonction de protection contre les risques naturels, notamment l’érosion.

Mes questions sont les suivantes, monsieur le ministre : comment les petits propriétaires forestiers pourront-ils accéder de façon simple aux aides prévues dans le plan de relance ? Par ailleurs, dans notre région, les études prospectives sur l’évolution de la forêt au cours des cinquante prochaines années prédisent une trajectoire de forêt méditerranéenne. Quelles conclusions convient-il d’en tirer en matière de peuplement et de développement des défenses des forêts contre les incendies, les DFCI, notamment dans les secteurs où forêt et habitat sont étroitement imbriqués ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Je ne reviens pas sur le constat que vous avez fait, que je partage en tout point, monsieur le sénateur. Les forêts d’Aquitaine ont des spécificités, qui font toute leur beauté. Certaines sont très anciennes, d’autres un peu moins, et comprennent des essences très différentes. Elles ont contribué à l’aménagement du territoire aquitain et participent de son identité.

Comment faire en sorte que le plan de relance profite à tous ? Premièrement, de manière très pratique, en l’ouvrant à tous – c’est chose faite –, deuxièmement, en travaillant avec les représentants de la filière. J’ai par exemple réuni les représentants de Fransylva au Centre national de la propriété forestière (CNPF) en fin de semaine dernière pour leur présenter les critères du plan de relance et m’assurer de leur caractère opérationnel afin que l’ensemble de leurs membres puissent y accéder.

Je m’efforce d’avancer de manière très pragmatique, avec beaucoup de bon sens. Je n’invente pas un dispositif dans mon bureau avant de l’imposer aux autres. Nous travaillons ensemble, et nous testons les dispositifs avec les personnes concernées afin d’être sûrs qu’ils fonctionnent avant de lancer les appels à manifestation d’intérêt. Si nous constations qu’un dispositif n’est pas suffisamment agile, je n’hésiterais pas à en modifier les critères d’accès.

Vous m’avez également interrogé sur l’aménagement du territoire forestier à long terme. Sur ce sujet également, il faut adopter une approche très complète.

Aujourd’hui, nous devons par exemple relever le défi de la diversification des essences au sein de certains massifs forestiers – cette belle question se pose notamment dans la région Nouvelle-Aquitaine. Seul le travail avec la filière nous permettra de prendre un certain nombre de décisions qui ne sont pas évidentes et d’avancer tous ensemble.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Merillou

Je vous remercie d’abord de ces réponses, monsieur le ministre.

Permettez-moi ensuite d’attirer votre attention sur un autre problème : le morcellement. Alors que nos forêts privées sont très morcelées, il faut favoriser la restructuration parcellaire, car la forêt n’est transmissible que si elle est regroupée. Le volet du plan de relance relatif à la forêt permettra-t-il d’aider à une telle restructuration ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bacci

Monsieur le ministre, la forêt méditerranéenne s’étend sur tout le sud de la France, de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur à l’Occitanie, de la Drôme à la Corse. Elle représente un tiers de la forêt française.

Longtemps prisé par les constructeurs, le pin d’Alep a été abandonné au XXe siècle au profit d’alliages de nouveaux métaux, et toute l’économie sylvicole l’entourant a pratiquement disparu.

L’industrie revenant vers des matériaux naturels, ce résineux résistant présente de nouveaux atouts. Pourtant, sa production est considérablement freinée, d’une part parce que sa normalisation comme bois d’œuvre n’est intervenue que très récemment, d’autre part parce que la relance d’une économie dédiée requiert des investissements importants sur le moyen terme.

Les acteurs publics locaux sont prêts à investir pour soutenir des partenaires publics et privés, mais la limite européenne des 40 % d’aides publiques à l’investissement bloque les projets de relance, car la forêt méditerranéenne est peu productive comparée à d’autres forêts nationales.

L’actuelle renégociation de la politique agricole commune (PAC) est le moment opportun pour défendre la spécificité de cette forêt et le bien-fondé d’une action publique soutenue.

Dans le Sud, 35 % des émissions de carbone émises dans le territoire sont stockées par la forêt, et nous travaillons à augmenter ce taux, notamment par la plantation d’un million d’arbres. C’est un engagement environnemental fort pour les générations futures.

La production de bois d’œuvre est la seule solution pour capter du carbone de façon permanente. Se contenter de couper la forêt pour produire de la biomasse ne ferait que décaler le relâchement des émissions de CO2 d’un demi-siècle.

Indépendamment de l’argument écologique, l’investissement dans la forêt méditerranéenne est une stratégie ambitieuse pour développer l’économie locale, créer des emplois et des richesses dans des territoires ruraux.

Avec la crise du scolyte, l’État semble enfin avoir pris la mesure de la nécessité de faire évoluer l’encadrement des aides publiques à l’investissement en forêt. C’est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de ne pas oublier la forêt méditerranéenne et de lui permettre de bénéficier d’une hausse des taux d’aide publique à l’investissement forestier.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Non, monsieur le sénateur, je n’oublierai pas la forêt méditerranéenne ! Celle-ci est très importante à plusieurs titres – nous en revenons à la multifonctionnalité de la forêt –, notamment parce que sa gestion et son usage supposent que soient pris en compte des risques auxquels d’autres régions sont moins confrontées – je pense évidemment aux risques d’incendie.

Le pin d’Alep illustre bien le défi auquel nous sommes confrontés. L’usage que l’on a pu en faire ne répond plus aux besoins d’aujourd’hui. Les usages définis à un moment donné peuvent évoluer. L’amont peut ensuite considérer que l’aval doit s’adapter à la forêt, quand l’aval, lui, estime qu’il doit s’adapter à la demande du consommateur et aux besoins du moment. C’est pourquoi il est nécessaire de réconcilier l’amont et l’aval, même si c’est difficile, car l’échelle de temps est très longue.

Cela étant, nous avons de plus en plus de certitudes. Nous savons ainsi qu’il nous faudra demain du bois résilient face aux changements climatiques et utilisable pour la construction. Je pense qu’on ne se trompe pas en anticipant de tels besoins d’ici à quarante à cinquante ans. Si nous ne le faisions pas, nous raterions une marche, à la fois sociétale et environnementale, ce dont nous serions responsables.

Telle est ma vision, et sans doute peut-elle être critiquée, mais sans vision nous ne pourrons pas avancer. C’est ainsi que nous pourrons adapter nos politiques, notamment de repeuplement, en fonction des territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Sabine Drexler

Monsieur le ministre, notre collègue députée du Nord Anne-Laure Cattelot a remis en juillet dernier un excellent rapport sur la forêt et la filière bois, dont je vous invite à vous inspirer. Elle y préconise notamment la création d’un fonds pour permettre les reboisements.

Au cours de la dernière décennie, les forestiers ont repéré divers signes avant-coureurs du réchauffement climatique. Depuis 2018, ils ne repèrent plus seulement des signes, ils constatent des faits : succession d’étés caniculaires, nette augmentation du bois dépérissant, engorgement du marché du bois et chute des prix. Nos repères s’écroulent, et tous les indices confirment qu’un scénario de crise se met inexorablement en place.

L’heure est venue de réinventer la forêt, de donner l’envie, mais aussi les moyens aux propriétaires forestiers de reboiser leurs forêts sinistrées. Aujourd’hui, l’intérêt financier d’un boisement est difficile à démontrer. Or il est indispensable de maintenir notre patrimoine forestier.

Parmi les pistes proposées dans le rapport Cattelot figurent la plantation d’essences nouvelles susceptibles de supporter le réchauffement climatique et la création d’un fonds pour l’avenir des forêts doté annuellement de 200 à 300 millions d’euros.

Actuellement, l’attribution des aides forestière nécessite de constituer des dossiers complexes. Si cette procédure est bien adaptée aux boisements importants, elle ne l’est pas pour les petites plantations.

Dans le contexte du réchauffement climatique, il est intéressant de constituer des îlots d’avenir et des enrichissements de régénération naturelle.

Jadis, dans le cadre du Fonds forestier national, il était possible d’obtenir des bons de subvention pour de petits reboisements. Par le biais d’un formulaire simple, le propriétaire adressait sa demande à l’administration, et il pouvait retirer ses plans gratuitement auprès d’une pépinière agréée. Le département du Haut-Rhin subventionne d’ailleurs sur ce modèle la fourniture d’arbres fruitiers…

Debut de section - PermalienPhoto de Sabine Drexler

Dans le cadre du fonds pour l’avenir des forêts, ne pourrait-on pas mettre en place un tel système ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Madame la sénatrice, vous en appelez à un système à la fois simple et inclusif, y compris pour les petites parcelles.

Je ne reviens pas sur les efforts déployés pour concevoir un système simple, notamment le travail avec la filière. Mais élaborer un tel plan de repeuplement est une nouveauté, et on apprend aussi en marchant : peut-être nous faudra-t-il ajuster les critères au fur et à mesure. Je suis d’ailleurs convaincu que si le système dont nous sommes convenus était trop complexe, vos critiques constructives et celles de vos collègues ne se feraient pas attendre.

Pour vous donner un exemple, nous financerons le plan de relance sur la base de forfaits. Lorsqu’un arbre est protégé des cervidés par un grillage, il est évident qu’il a été planté. Il ne paraît pas nécessaire, dans ce cas, de produire quantité de factures pour le prouver !

De manière générale, j’estime que nous pouvons recourir davantage à la forfaitisation, ce système simplifiant grandement les démarches, notamment pour les plus petites structures. J’ai demandé à mes équipes d’en tenir compte dans le cadre du plan de relance forestier.

Par ailleurs, des mesures fiscales existent déjà. Le fameux dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement, ou DEFI, permet de favoriser le repeuplement, en particulier de petites parcelles. J’ai souhaité prolonger ce dispositif pour deux années supplémentaires afin de donner de la visibilité aux acteurs. Nous y reviendrons lors de l’examen du projet de loi de finances.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Monsieur le ministre, sénateur du Doubs, je représente un département où la forêt revêt une place très importante puisqu’elle recouvre 43 % de son territoire. Plus de la moitié de ces surfaces forestières appartiennent aux communes.

Monsieur le ministre, à la fin de ce débat, je souhaite vous redire combien les maires sont inquiets devant l’état catastrophique de leurs forêts. Depuis deux ans, deux phénomènes se conjuguent : la sécheresse et l’attaque des scolytes.

Nos forêts sont singulièrement concernées par cette invasion qui fait des ravages. Or il n’existe pas de remède contre les scolytes. Les communes forestières vont donc être contraintes de revoir totalement le modèle de développement de leur forêt. Le réchauffement climatique entraîne une surpopulation de ces insectes, de plus en plus d’arbres résineux sont touchés.

Parallèlement, la sécheresse sévit dans les plantations de feuillus, provoquant leur dépérissement. Alors que la récolte annuelle moyenne en forêt publique dans le Doubs est de 600 000 mètres cubes, elle est évaluée en 2020 à 720 000 mètres cubes, dont 60 % de produits subis. Il en résulte un effondrement du cours du bois et un important manque à gagner pour les communes.

La vente de bois représentant une part importante de leurs recettes de fonctionnement – 20 % en moyenne, et jusqu’à 40 % pour certaines de ces communes – elles connaissent une crise durable.

En concertation avec l’ONF, les communes tentent de réguler le marché et demandent de diminuer le volume de bois vert en 2021 pour lutter contre cet effondrement des cours.

Les agents de l’ONF ayant établi pour 2021 un état d’assiette en diminution de 70 % pour les coupes de résineux et de 40 % pour les coupes de feuillus, il est difficile pour les communes de s’organiser.

Monsieur le ministre, il est urgent d’agir dans deux directions : premièrement, en augmentant la dotation de solidarité rurale pour les communes forestières afin de compenser le manque à gagner de ces trois années ; deuxièmement, en aidant de manière significative les communes à repeupler leurs forêts et à y réinvestir.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Monsieur le sénateur, nous allons confier à l’Inspection générale de l’alimentation (IGA) et au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) une mission – un véritable travail de dentelle – afin d’identifier les pertes.

Une dotation de compensation a été accordée aux collectivités dans le cadre du PLFR 3, pour prendre en compte leur situation financière dans la période de crise actuelle.

Par ailleurs, il est important de rappeler que l’épidémie de scolytes n’est pas une fatalité. Elle nécessite qu’on s’adapte à la situation et qu’on lutte contre sa propagation.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler, en répondant notamment à M. Longuet, nous avons mis en place, il y a un an, un dispositif qui favorise le transport de bois afin de soutenir les marchés locaux et de rééquilibrer la situation entre les zones scolytées et les zones non scolytées. Nous le prolongerons aussi longtemps que cela sera nécessaire.

Quant à la lutte contre la propagation de l’épidémie, elle consiste à abattre les arbres dès que l’on constate qu’une parcelle est scolytée et à la repeupler aussitôt. C’est l’objectif du plan de relance. Le taux de subvention devrait être de 60 % pour une parcelle de repeuplement et de 80 % dès lors que le repeuplement est lié à un problème de scolytes.

Ces taux sont tout à fait significatifs de l’effort massif que nous voulons fournir, même s’il reste à les affiner et à vérifier leur compatibilité avec le dispositif européen. De telles aides sont nécessaires sur les territoires aujourd’hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

La mission que vous envisagez de mettre en place est intéressante, tout comme le plan de relance. Cependant, le temps de la forêt n’est pas le temps du plan de relance, et c’est là toute la difficulté.

Je vous rappelle également que les recettes des communes forestières sont prises en compte dans le calcul de la contribution des collectivités territoriales au redressement des finances publiques (CRFP), qui est imputée sur la dotation globale de fonctionnement (DGF). Alors que la CRFP est gelée depuis 2018, elle continue d’intégrer les recettes forestières après 2018, ce qui a un double effet négatif pour les communes.

Il est donc souhaitable d’envisager une aide à l’investissement sur une durée plus longue, portée à cinq ans, car les communes forestières sont au bord de l’asphyxie écologique, sociale, mais surtout économique.

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Lassarade

La filière forêt-bois représente, en France, 60 milliards d’euros et 440 000 emplois. Par les fonctions qu’elle exerce, la forêt est au cœur des solutions pour atteindre la neutralité carbone en 2050, conformément à l’engagement inscrit dans l’accord de Paris. Essentielle pour lutter contre le réchauffement climatique, elle favorise la séquestration du carbone, la préservation de la qualité de l’eau, la fourniture d’énergie en substitution à des procédés plus intensifs, et la régulation des risques naturels.

Ces enjeux environnementaux représentent une opportunité dont il faut nous saisir.

La forêt française est privée à 74 %. Encourager fiscalement la gestion de la forêt privée aura un effet direct sur l’atteinte des objectifs environnementaux. Le coût d’un tel dispositif d’encouragement sera dérisoire par rapport aux bénéfices globaux en matière de changement climatique.

La loi d’orientation sur la forêt du 9 juillet 2001 a créé le dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement en forêt, le DEFI Forêt, qui arrivera à échéance au 31 décembre 2020. Ce dispositif, très simple, est également très opérationnel pour accompagner l’investissement forestier. Toutefois, son manque de lisibilité et ses modifications successives ont rendu son utilisation complexe.

Au regard des enjeux climatiques et économiques pour la forêt française, il est nécessaire que l’État favorise l’investissement et la gestion durable des forêts privées, non seulement en reconduisant la mesure, mais en l’améliorant fortement.

Monsieur le ministre, le Gouvernement a accepté de prolonger de deux ans ce dispositif d’encouragement fiscal. Or, dans son rapport d’avril 2020, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux formule un certain nombre de propositions pour le rendre plus lisible et plus stable. L’enjeu est important, car les questions forestières ne peuvent se traiter que dans le temps long.

Monsieur le ministre, que proposez-vous pour améliorer la lisibilité et la stabilité du DEFI Forêt sur le long terme ? Que retiendrez-vous des recommandations qui figurent dans le rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Comme je l’ai déjà dit, la politique forestière est un tout. Le programme 149 du budget de l’État, qui lui est consacré et dont nous aurons l’occasion de parler prochainement, est en augmentation cette année. Elle dépend également du plan de relance et de la politique européenne. Avant-hier encore, la question de la stratégie forestière européenne était à l’ordre du jour de la réunion des ministres européens de l’agriculture au cours de laquelle je suis intervenu.

Enfin, il existe aussi des dispositifs fiscaux comme le DEFI Forêt, qui est un crédit d’impôt. En la matière, des améliorations restent possibles, et j’en suis parfaitement conscient. Dans son rapport d’avril 2020, le CGAAER propose des pistes en ce sens. Cependant, pour le dire clairement, l’enjeu n’est pas tant de modifier le dispositif que de le positionner dans la durée. En effet, ce serait un euphémisme de dire que les crédits d’impôt n’ont pas le vent en poupe dans le débat budgétaire.

Je suis donc très satisfait d’avoir pu obtenir la prolongation du DEFI Forêt pour deux ans. Cela donnera plus de visibilité à l’ensemble des acteurs. Certes, le dispositif pourrait être aménagé, conformément aux recommandations du CGAAER. Cependant, la priorité reste de l’inscrire dans la durée, ce que nous faisons.

Enfin, madame la présidente, je tiens à remercier M. Menonville d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce sujet passionnant pour gens passionnés. La forêt est l’un des plus grands actifs de la Nation. Que la forêt avance, que le bois cesse de reculer, et que la forêt et le bois avancent en même temps et plus rapidement : tel est le vœu que je forme en conclusion de ce débat.

Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

En conclusion de ce débat, la parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe auteur de la demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

La qualité des échanges que nous venons d’avoir démontre non seulement l’intérêt que chacun d’entre nous porte à la forêt, mais aussi l’importance d’organiser une politique forestière cohérente et sur le long terme. Nous partageons tous le constat que l’inaction serait dévastatrice pour notre environnement, notre économie et notre société.

Un tiers de notre territoire métropolitain est occupé par la forêt. Outre-mer, celle-ci peut s’étendre sur plus de 95 % du territoire, comme en Guyane. Depuis 1945, la superficie forestière a progressé d’environ 40 %.

La forêt française est un trésor de diversité d’essences. Elle permet la sauvegarde de notre biodiversité et de nos ressources naturelles. Nous devons la protéger, l’aider à s’adapter et à se régénérer pour faire face aux défis auxquels elle est confrontée.

Pour atteindre nos objectifs, l’effort doit porter sur la gestion forestière. Il faut inciter les gens à modifier leurs comportements et mettre en œuvre une gestion plus durable.

En effet, les trois quarts de la forêt sont détenus par 3, 5 millions de propriétaires privés, dont une grande majorité possède des domaines de moins de 3 hectares. Confier la gestion de ces espaces forestiers à des professionnels contribuerait à mutualiser les efforts, et cette meilleure organisation résoudrait une partie des problèmes de la forêt française.

Les efforts doivent aussi porter sur la filière bois. Le débat a permis de rappeler les difficultés économiques auxquelles elle est confrontée. Je m’attarderai sur le secteur du bâtiment.

En effet, le bois a des qualités et une performance thermique dont nous aurions tort de nous passer. Il peut être utilisé dans la rénovation, mais aussi dans le neuf. La construction d’une maison en bois réduit de 55 % les émissions de CO2, ce qui est un atout dans un secteur qui représente 40 % des émissions mondiales.

Revaloriser le bois passe aussi par le développement de l’économie circulaire, qu’il s’agisse du recyclage ou de la valorisation énergétique. La filière dégage des millions de tonnes de déchets, ce qui offre un débouché complémentaire pour une meilleure valorisation de l’exploitation forestière : il serait dommage de gaspiller des déchets aussi précieux.

Quant à la filière bois-énergie, elle représente environ 40 000 emplois directs et indirects.

De manière plus générale, l’ensemble de la filière forêt-bois crée beaucoup d’emplois dans tous les territoires, y compris dans les départements ruraux. Nous devons la soutenir et lui permettre de s’adapter.

La compétitivité de notre filière bois est essentielle. C’est pourquoi je ne suis pas favorable à la limitation des coupes rases. J’entends les arguments, légitimes, de ceux qui la défendent, que leurs raisons soient d’ordre visuel, ou qu’elles concernent l’érosion en montagne. Cependant, il faut aussi tenir compte de la compétition entre les pays et du respect de la maturité des arbres. Il faut enfin rendre les replantations obligatoires.

En matière de commercialisation du bois, la compétition économique peut s’exercer depuis l’étape du reboisement jusqu’à celle de la transformation. Si nous n’investissons pas suffisamment dans la filière bois, d’autres pays où l’exploitation est plus efficace viendront s’imposer sur notre propre marché.

Rien n’empêche pour autant de développer la forêt comme lieu de loisir, comme le suggère Pierre-Jean Verzelen. Tous les acteurs doivent être associés à la réflexion sur ce sujet.

Quand il s’agit de construire une stratégie équilibrée, le dialogue entre les acteurs et l’instauration d’un climat de confiance sont la clé de la réussite. Nous devons être capables d’expliquer à nos concitoyens les contraintes liées à l’exploitation de la forêt, ou bien les ravages causés par les attaques de nuisibles ; nous devons aussi pouvoir leur démontrer les bénéfices de la filière pour l’emploi et le climat.

L’écologie et l’économie sont les deux faces d’une même stratégie, celle de la préservation de notre forêt. L’État tient une place centrale dans sa mise en œuvre, mais les territoires ont aussi un rôle à jouer. À cet égard, je soutiens l’intervention de mon collègue Franck Menonville, en particulier lorsqu’il identifie la région comme l’échelon le plus pertinent pour agir. J’ajouterai celui du département, parce que les régions sont grandes et parce qu’il est nécessaire d’adapter la stratégie aux besoins locaux.

Pour conclure, je remercie M. le ministre, ainsi que tous les sénateurs qui ont participé à ce débat et qui ont présenté des propositions constructives.

Trois points majeurs se dégagent à l’issue de nos discussions.

Le premier concerne l’ONF, dont la réforme nécessite des moyens renforcés. L’Office est indispensable pour faire le lien avec les territoires. C’est un acteur parfait d’activation et d’animation d’une stratégie forestière efficace. Il a aussi pour rôle d’instruire les dossiers qui permettront aux communes forestières sinistrées de bénéficier d’aides financières, comme l’a rappelé M. Grosperrin.

Le deuxième point concerne le plan de relance, qui va dans le bon sens, à la fois en ce qui concerne le Fonds forêt, le soutien de Bpifrance aux entreprises, et le développement d’une couverture par télédétection. Ce plan doit marquer le début d’une politique plus ambitieuse pour la forêt.

Le troisième point porte sur la nécessité d’une réflexion sur la défiscalisation des travaux en forêt. Une telle mesure aurait des conséquences positives sur la création d’emplois et la valorisation de la filière. Cependant, il faut surtout inciter les propriétaires à se restructurer, comme l’ont suggéré plusieurs de mes collègues.

Monsieur le ministre, un travail important reste à mener pour répondre aux besoins de la forêt. Vous le savez, nous souhaitons la réussite d’une politique cohérente et de long terme. Il y va de l’avenir du pays, de l’emploi, de la société et des générations futures.

Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux.

Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix heures quarante-cinq, est reprise à dix heures cinquante-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, sur le thème : « Contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même. »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe auteur de la demande.

Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y avait autrefois dans les villages celui qu’on appelait l’idiot du village.

Aujourd’hui, les idiots du village global sont sur internet. Ils croient que la terre est plate ou que la lune est habitée parce qu’il y a de la lumière la nuit. Ils sont complotistes, harceleurs, racistes, haineux, radicalisés ou délirants.

Cela n’aurait pas beaucoup d’importance si les réseaux sociaux ne leur permettaient de se reconnaître, de se rassembler et de se réunir. On s’aperçoit alors qu’ils sont bien plus nombreux qu’on ne le croyait. Staline demandait : « Le pape, combien de divisions » ? L’armée des idiots du village en a beaucoup.

Pourquoi s’en préoccuper ? Après tout, peut-être vaut-il mieux laisser délirer entre eux ceux qui croient que Bill Gates veut tuer 15 % de l’humanité avec un vaccin contre la covid…

Mais les choses ont changé depuis que Facebook, au lendemain de l’élection américaine de 2016, a modifié ses algorithmes qui avaient permis aux de peser sur le résultat du vote. Dégrader la promotion des pages au profit des groupes partait d’une idée intéressante, mais l’enfer est pavé de bonnes intentions : une grande partie du contenu des fils d’actualité proviennent aujourd’hui des groupes et de leurs centaines de liens, de vidéos et de commentaires indignés.

Les plateformes sont désormais remplies de bataillons soudés à l’intérieur par leurs certitudes et leurs indignations, et à l’extérieur par le combat contre ceux qui ne pensent pas comme eux. Qu’il s’agisse des groupes sur Facebook, des combattants sur Twitter, le tout exacerbé par YouTube, une bonne partie de l’écosystème des réseaux dits « sociaux » ressemble chaque jour un peu plus à des gangs rivaux s’agressant dans des quartiers mal famés.

« Nul ne ment autant qu’un homme indigné », écrivait Nietzsche. Et le mensonge est devenu généralisé, favorisé par l’anonymat et la certitude de l’impunité. Le mensonge, mais aussi l’injure, la haine, le sexisme, le racisme, l’homophobie, les menaces, la violence, la propagande terroriste : tout un pan de l’internet est devenu un dépotoir.

Ce qui est grave, ce sont les conséquences, celles qui s’exercent sur la vie des victimes du harcèlement, du revenge porn, des dénonciations, des menaces de mort.

Beaucoup ne s’en aperçoivent pas parce qu’ils n’ont pas été victimes personnellement des tombereaux de boue déversés quotidiennement. Ils n’ont pas été forcés de fermer leurs comptes en ligne, de changer d’école ou de ville, leur réputation n’a pas été détruite. Ils ne sont pas obligés de vivre chaque jour sous protection policière, comme Sonia Mabrouk, comme Zineb El Rhazoui et tant d’autres, victimes de fatwas sur internet.

Mais le phénomène a pris tant d’ampleur que personne ne peut plus fermer les yeux. L’affaire Mila, médiatisée dans tous ses détails et dans toute son horreur, a permis à la France entière de prendre la mesure du fléau et de comprendre l’urgence de l’endiguer. Et chacun sait désormais que les torrents d’injures des fanatiques sur les réseaux ont préparé l’assassinat de Samuel Paty.

Il est urgent de se donner des lois enfin efficaces contre la haine en ligne. Ce ne sera pas facile en raison de l’obstruction des plateformes, qui luttent pied à pied contre les régulations, parce que c’est leur business model même qui est en cause.

Voici ce que l’ancien ingénieur de Google Tristan Harris, auditionné par la commission d’enquête du Sénat américain, dit de Twitter : « Pour chaque mot d’indignation ajouté à un tweet, le taux de retweet augmente en moyenne de 17 %. En d’autres termes, la polarisation de notre société fait partie du modèle commercial des réseaux sociaux. »

Bien sûr, les plateformes ne peuvent pas avouer la raison de leur passivité : le pognon ! Alors, leurs milliers d’avocats et de lobbyistes partent à l’assaut des gouvernements, des parlements et des opinions publiques avec un argument massue : la liberté d’expression.

Et malheureusement, cela marche souvent, comme on l’a vu lors du débat sur la loi Avia. Celle-ci ne prévoyait pas une privatisation de la censure, elle ne visait pas à confier aux plateformes ce qui relève du juge. C’est aujourd’hui que la censure existe, et elle est toute-puissante. La censure, ce sont les milliers d’internautes qui n’osent plus s’exprimer sur les réseaux sociaux, qui ont résilié leur abonnement pour ne plus s’exposer aux attaques racistes, antisémites, homophobes et sexistes, menées sous forme de raids en bandes organisées, ou de « fermes de trolls » submergeant les pages individuelles. C’est là qu’est le scandale, c’est là qu’est la censure !

Comment peut-on soutenir que le retrait des contenus haineux porte atteinte à la liberté d’expression ? La liberté d’expression, ce n’est pas la diffusion de la haine, de la violence, des appels au meurtre ou au viol ; ce n’est pas non plus empêcher les autres de s’exprimer par des attaques massives ou des menaces.

En confondant ces délits avec la liberté d’expression, ce ne sont pas les victimes que l’on défend, ce sont les agresseurs. Comment comprendre que l’on n’impose pas aux plateformes ce que l’on impose à la presse depuis 1881 : l’interdiction de livrer des contenus haineux, diffamatoires ou injurieux ? La presse s’y conforme évidemment, et personne n’a jamais dit qu’on lui confiait le rôle de juge.

Et bien sûr que plateformes et presse ont les mêmes responsabilités. Excusez-moi si mon raisonnement peut paraître un peu simpliste aux éminents juristes opposés à la loi Avia, mais le voici : il n’y a aucune raison que l’on puisse lire sur la toile ce qui est interdit dans un journal.

C’est dire à quel point j’ai été heureux de découvrir la récente interview dans Le Monde de Thierry Breton, commissaire européen au numérique, qui prépare le Digital Services Act de l’Union européenne. Il y déclare : « Ce qui est illégal offline doit être illégal online . » Pourquoi cette évidence est-elle si difficile à faire comprendre ?

Le projet de loi annoncé hier par le ministre de l’intérieur et le garde des sceaux est bienvenu, mais, d’une part, il ne traite qu’un aspect du problème et, d’autre part, il n’est que français, alors que la seule réponse efficace est européenne, comme le règlement général sur la protection des données (RGPD) l’a démontré. Nous avons désormais un commissaire européen et une présidente de la Commission qui veulent agir et frapper fort. Ne manquons pas cette occasion et soutenons-les.

Le Digital Services Act doit marcher sur deux jambes. Il doit imposer une obligation de moyens et une obligation de résultats.

L’obligation de moyens consiste, pour les plateformes, à faire en sorte que leurs algorithmes ne favorisent plus, mais au contraire empêchent, la viralité des propos indignés, colériques, haineux ou injurieux. Ces algorithmes doivent être transparents pour les régulateurs, et non dissimulés au nom de prétendus secrets de fabrication.

L’obligation de résultats consiste, pour les plateformes, à mettre enfin en place les moyens suffisants en personnel et en technologie pour une modération effective, réelle et efficace. « C’est très cher », nous disent-elles en gémissant. De tels propos sont indécents de la part des sociétés les plus riches du monde.

Le combat sera difficile puisqu’il s’agit d’une collision frontale avec le business model actuel des réseaux, mais il y va de la lutte contre les incendiaires du web, de la sécurité des victimes et, in fine, de la stabilité de nos démocraties.

Pour ceux qui penseraient que j’exagère, je citerai Barack Obama, qui a déclaré lors d’un entretien donné il y a quelques jours à The Atlantic : « L’internet et les réseaux sociaux sont devenus une des principales menaces contre la démocratie. »

C’est pourquoi nous comptons beaucoup sur le gouvernement français pour convaincre l’Europe de ne pas se satisfaire de demi-mesures. Jean Castex nous l’a promis ici même il y a quelques jours, et vous l’avez dit sur votre blog, monsieur le secrétaire d’État. Le but de ce débat est de contribuer à ce que cette promesse soit tenue.

Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Cédric O

Monsieur le président Malhuret, je commencerai, en m’écartant du discours que j’avais préparé, par partager quelques réflexions sur un sujet qui nous a déjà beaucoup occupés lors de l’examen de la proposition de loi Avia, tant il est absolument essentiel – je suis complètement d’accord avec vous sur ce point.

Ce qui est en jeu à travers la régulation d’internet, c’est ni plus ni moins la pertinence de l’action publique et la persistance de la foi de nos concitoyens en la réalité et en l’efficacité de l’action de l’État s’agissant de l’une de ses missions principales, la protection des individus.

Aujourd’hui, en théorie, ce qui est interdit hors ligne est interdit en ligne, mais, dans les faits, compte tenu des spécificités techniques du fonctionnement et de la régulation d’internet, ce n’est pas le cas.

Avant d’évoquer la régulation des grandes plateformes, enjeu absolument central dans ce débat, je voudrais que l’on n’oublie pas le plus important : aucune démocratie n’est capable aujourd’hui de contrôler et de réguler efficacement ce qui se passe sur internet, et ce en raison de trois facteurs inhérents à ses contenus : la viralité, la massification et la persistance.

Imaginons que les plateformes soient capables de réguler efficacement les contenus problématiques ou haineux. Ce serait bienvenu, mais combien d’infractions en ligne sont-elles commises chaque jour en France aujourd’hui ? Leur nombre est difficile à estimer, mais disons qu’on peut l’évaluer à plusieurs milliers, voire à plusieurs dizaines de milliers. Voilà ce qui se passe aujourd’hui en ligne en France.

L’ensemble de ces infractions sont commises quasiment en toute impunité. Tout le monde s’accorde sur ce point aujourd’hui : si vous insultez quelqu’un, si vous le menacez de mort, vous ne risquez quasiment rien, même si certaines situations peuvent permettre l’identification et l’appréhension des coupables.

Imaginons, disais-je, que nous soyons capables de réguler efficacement les contenus problématiques et haineux : comment faire ensuite pour juger rapidement et sanctionner efficacement plusieurs milliers, voire des dizaines de milliers de personnes par jour ?

Cette question continuera de se poser : demain, même si l’on parvient à réguler efficacement la haine en ligne, même si les plateformes suppriment réellement toutes les injures et les menaces de mort, cela signifiera simplement que l’on aura mis la poussière sous le tapis. On aura supprimé les contenus haineux et les menaces de mort sans pour autant avoir réglé le problème principal, c’est-à-dire l’impunité des contrevenants.

Le problème fondamental que nos démocraties doivent régler, pour que les Chinois et un certain nombre de régimes ayant un rapport un peu différent à la liberté, ne soient pas les seuls capables de réguler les contenus en ligne, c’est l’efficacité de la chaîne police – justice – sanctions.

Hélas, nous risquons de rester durablement confrontés à ce problème. On risque en effet de progresser en ce qui concerne le retrait des contenus problématiques – je reviendrai tout à l’heure sur les textes européens –, mais on aboutira à un paradoxe extrêmement intéressant d’un point de vue ontologique : les contenus les plus faciles à retirer sont les contenus terroristes – une vidéo de décapitation est en effet très bien détectée par les algorithmes –, alors que les contenus gris, c’est-à-dire les insultes et les menaces de mort, proférées avec une faute d’orthographe afin de les rendre indétectables de façon automatique, ou en tout cas plus difficilement détectables, resteront en ligne et feront l’objet d’une plainte.

On aboutira donc à une aberration : les personnes présentées devant un juge seront celles qui auront proféré des menaces de mort, tandis que les individus qui auront publié des photos de décapitation – et donc fait bien pire – y échapperont parce qu’il est beaucoup plus facile de détecter ce type de contenus.

Nous sommes donc au cœur du texte auquel travaillent actuellement Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti : comment faire pour que la sanction ait valeur d’exemple et pour qu’elle soit réellement appliquée ? Lorsqu’un individu contrevient en ligne à la loi, comment faire pour qu’il soit véritablement sanctionné ? C’est pour répondre à ces questions que nous proposons la spécialisation du parquet et que nous améliorons les procédures permettant de porter plainte en ligne. Il existe donc un certain nombre de sujets techniques sur lesquels nous devons avancer.

Je le disais, internet se caractérise par sa massification et sa viralité. Les plateformes ont une responsabilité en ce qu’elles accélèrent la diffusion des contenus et créent des effets de silo : ainsi, plus vous êtes complotiste, plus vous regardez des vidéos complotistes, plus vous aimez tel ou tel contenu, plus on vous propose des vidéos ayant un rapport avec ce contenu. C’est pourquoi on doit imposer aux plateformes un certain nombre d’obligations relatives à la viralité et à l’« éditorialisation » – je suis prudent en employant ce terme – des sujets.

Il n’empêche, nous continuerons de nous heurter à certaines difficultés : ainsi, les boucles WhatsApp relèvent de la correspondance privée parce qu’on n’y trouve aucun contenu éditorialisé. Pour faire un parallèle avec une autre époque, c’est comme si vous envoyiez des milliers de courriers à des personnes que vous connaissez, ou que vous ne connaissez pas d’ailleurs, tout en bénéficiant du secret de la correspondance privée. Personne n’a jamais demandé à La Poste d’ouvrir l’ensemble des courriers pour vérifier qu’ils ne posaient aucun problème. Voilà un autre sujet sur lequel il nous faudra nous pencher, car il soulève beaucoup d’interrogations.

En attendant et en tout état de cause, on doit imposer aux grandes plateformes des obligations de moyens. Il faut les obliger à respecter un niveau minimum de modération, évalué en fonction du nombre de modérateurs et de la transparence de la modération, et à améliorer leurs règles en la matière, sous la supervision de la puissance publique. Enfin, nous devons comprendre leur manière de fonctionner.

Cette question doit d’abord être réglée à l’échelon européen, parce qu’il s’agit du bon niveau de régulation : c’est du reste l’objet du prochain texte qui sera présenté par les commissaires européens Thierry Breton et Margrethe Vestager au début du mois de décembre.

La France et l’Allemagne ont été extrêmement actives sur ce dossier. Je pense que l’une des principales difficultés à surmonter tient aux différences de conception entre les États européens sur la question des contenus illégaux : une partie des pays nordiques et des pays de l’Est ont en effet une vision différente de la nôtre et de celle des pays méditerranéens sur l’endroit où placer le curseur entre liberté d’expression et protection des concitoyens.

Cela étant, je pense qu’un accord est possible si l’on parvient à un compromis européen sur l’obligation de moyens, tout en laissant la définition des contenus licites ou illicites à l’appréciation de chaque État, à l’échelon national. Cet équilibre permettrait de tenir compte de la différence de perception et de culture de chaque pays sur le sujet.

Je ne serai pas beaucoup plus long. Ce débat est extrêmement intéressant, et je viens de partager avec vous un certain nombre d’idées fortes ou, en tout cas, d’interrogations que la puissance publique se pose elle-même. Cela ne l’empêche pas d’avancer, en se tenant parfois sur une ligne de crête afin d’éviter la censure du juge constitutionnel, comme vous l’avez constaté dernièrement.

Quoi qu’il en soit, je crois profondément qu’il faut considérer que ces questions sont très principielles si l’on veut que les démocraties libérales et les pays qui ont une conception un peu différente du contrôle ne soient pas les seuls capables de réguler efficacement internet.

Il ne faut pas se tromper, si l’on n’est pas capable de réguler efficacement internet et de protéger nos concitoyens, ces derniers finiront par opter pour des solutions plus radicales.

Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Julien Bargeton applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nathalie Goulet.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

La loi doit-elle être la même en ligne et hors ligne ? La réponse est : oui !

Monsieur le secrétaire d’État, le temps presse. Aujourd’hui, les chasses en meute, que le président Malhuret et vous-même avez décrites, perturbent et poussent certains à commettre des actes d’une violence inouïe – on l’a encore vu récemment.

Réguler, c’est bien ; interdire ou supprimer des contenus, c’est bien aussi. Mais il existe aujourd’hui des entités identifiées comme propageant la haine. Je pense aux associations ou aux mouvements comme les Frères musulmans, qui multiplient les applications. Ceux-là, on les connaît, et ils sont faciles à identifier.

Ne pourrait-on pas déjà surveiller ab initio ces personnes parfaitement identifiées, qui portent des discours véritablement antisémites, et tenter de faire interdire les applications qui diffusent des discours de haine, monsieur le secrétaire d’État ? J’ai saisi le Gouvernement de ce sujet à propos de l’application Euro Fatwa, que l’on n’a pourtant absolument pas tenté de réguler ni même d’interdire.

Alors, je sais bien qu’interdire internet, c’est comme arrêter le vent : c’est extrêmement compliqué. Mais il faut agir contre ce type d’organisations, comme Islamic Relief Worldwide ou tous les satellites des Frères musulmans qui, je le répète, chassent en meute et propagent des discours antisémites aujourd’hui.

Debut de section - Permalien
Cédric O

Madame la sénatrice, vous abordez deux sujets un peu différents.

D’une part, vous évoquez la violence grand public et une certaine dérive de notre société, laquelle se caractérise par davantage de violence. C’est l’exemple du quidam, du citoyen lambda qui, parce qu’il est sur internet et qu’il agit en partie anonymement, insulte son voisin. On sait à peu près gérer cette problématique, du moins, on espère que l’on saura la gérer grâce à l’amélioration incrémentale des régulations.

En revanche, ce que la démocratie a du mal à gérer, pas parce que c’est internet, mais parce que cela touche au problème plus profond de la liberté d’expression, ou plus exactement de l’équilibre entre régulation et liberté d’expression, ce sont les « professionnels de la haine », comme je les appelle.

Vous venez d’en citer quelques-uns, issus d’une tendance bien particulière, mais si l’on prend les déclarations d’Alain Soral ou celles qu’on lit sur le site « Démocratie participative », on constate que tous ces individus sont des spécialistes de ce qui peut être diffusé légalement et de ce qui ne peut pas l’être.

Ce n’est pas sans lien avec la problématique de la désinformation et des fausses informations. Si l’on prend à la lettre nombre de ces déclarations, en faisant abstraction de l’imaginaire et des contiguïtés qu’elles permettent d’établir, on s’aperçoit qu’elles sont parfaitement légales.

Il faudra parvenir à gérer ces spécialistes de la haine, car, on le voit bien malheureusement, même la multiplication des condamnations ne les empêche pas de nuire.

Cela étant, un certain nombre de décisions ont tout de même été prises dernièrement par le ministre de l’intérieur à l’égard d’un certain radicalisme ou extrémisme musulman. On verra d’ailleurs jusqu’où celles-ci iront en termes de légalité.

En réalité, le défi posé par les professionnels de la haine dépasse largement internet et n’est pas propre au numérique : il fait écho à la capacité de nos démocraties à trouver le bon équilibre entre la liberté d’expression et l’interdiction d’un certain nombre de pratiques et de déclarations.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Il n’y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté, qu’il s’agisse d’extrémistes de droite ou de gauche, de suprémacistes blancs ou d’islamistes radicaux.

Je sais bien que le Gouvernement prépare un texte sur les séparatismes – je ne sais pas exactement quel sera son intitulé final –, monsieur le secrétaire d’État, mais il faut agir dès à présent contre les collectes de fonds en ligne permettant de financer des actions dont on sait qu’elles seront violentes ou antisémites, qu’elles provoqueront encore plus de haine. Islamic Relief Worldwide, par exemple, ce sont 60 millions de livres sterling collectées !

On dispose de moyens, alors traquons les collectes en ligne et la haine en ligne. Et il faut les traquer ab initio, car une fois que les messages ont été envoyés, c’est trop tard – vous le savez très bien. Aujourd’hui, nous jouons au football en suivant les règles du basket. Selon moi, il faut faire plus et faire mieux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Monsieur le secrétaire d’État, vous me permettrez de vous interroger sur ce qui s’apparente, selon moi, à un angle mort de nos discussions à propos de la haine en ligne. Ce que j’évoque est sans doute un peu à côté du sujet, mais on parle beaucoup des réseaux sociaux comme lieux de diffusion de cette haine. Quand j’entends nos collègues parler des réseaux sociaux, je crois comprendre qu’il s’agit de Twitter, Facebook, éventuellement de Snapchat et de TikTok.

Pour ma part, je trouve que nous devrions regarder de façon plus attentive d’autres lieux où se diffuse la haine en ligne. Je pense, par exemple, aux plateformes de diffusion de vidéos, comme YouTube ou Twitch, notamment parce qu’elles diffusent des contenus en direct.

On voit de tout sur Twitch, le meilleur, comme ces streamers qui se mobilisent pour recueillir des dons en faveur d’œuvres caritatives, et le pire, comme les campagnes de harcèlement pour lesquelles je ne ferai pas de publicité. En réalité, ces plateformes ont leurs propres standards de modération, comme Twitter et Facebook : stricts sur certains points, moins sur d’autres, suivant en cela les standards culturels américains.

Quelle est la politique du Gouvernement concernant ces médias spécifiques ? Quelle est l’ambition du Gouvernement les concertant ?

Il existe en effet plusieurs possibilités.

Certains éditeurs japonais, comme Nintendo, ont empêché toute communication libre entre joueurs. Cela peut paraître dommage, car nombreux sont les joueurs – on l’a vu pendant le confinement – qui viennent chercher le contact et le réconfort lors de parties de jeux vidéo en ligne.

Au contraire, faut-il être permissif, comme les éditeurs qui laissent tout passer et prospérer des pseudonymes nazis et des insultes raciales ? Évidemment non !

Ces questions me semblent appeler une réaction du Gouvernement, car l’enjeu, c’est la jeunesse et le rapport qu’entretient cette population particulière avec la haine en ligne.

Debut de section - Permalien
Cédric O

Monsieur le sénateur, je tiens d’abord à vous rassurer sur un point : le Digital Services Act, qui doit être présenté par la Commission début décembre et qui s’inscrit dans la lignée de la deuxième partie de la loi Avia – celle-ci n’a pas été censurée sur le fond, mais par voie de conséquence, compte tenu des difficultés que nous avons rencontrées avec l’article 1er, lequel a d’ailleurs fait l’objet d’un débat ici même –, n’est pas limité aux réseaux sociaux.

Le Digital Services Act cible tous les sites : réseaux sociaux, plateformes de vidéos en ligne diffusant ou accélérant la diffusion de contenus. La seule limite concerne les empreintes : on veut se concentrer sur les très grosses plateformes sur lesquelles il y a beaucoup de monde parce que c’est là que le danger est le plus grand, qu’il y a le plus de viralité et qu’il convient d’intervenir.

On verra la version finale de ce texte européen, mais il est censé, en tout cas au vu des premières présentations qui en ont été faites, être complètement transversal. Il n’y aura pas d’angle mort.

Ensuite, ma conviction profonde est que la solution au problème, c’est la peur du gendarme, pardonnez-moi de le dire ainsi. Il faut certes supprimer les contenus haineux, et c’est urgent, mais la réalité, c’est que ce qui retient les gens d’en insulter d’autres ou de leur taper dessus dans la rue, c’est de savoir que, s’ils exagèrent, ils finiront au commissariat. Si, pour une partie d’entre eux, ils ne fraudent pas dans le métro, c’est parce qu’ils ont peur de se faire attraper par les contrôleurs.

Aujourd’hui, cette peur n’existe pas sur internet : vous savez que vous n’avez quasiment aucun risque de vous faire attraper. On en revient à la première partie de mon intervention, c’est-à-dire la réponse à la question sur laquelle on devra travailler, sachant que les solutions ne sont pas simples à trouver : comment faire pour que les gens aient un peu peur non pas de voir leur contenu supprimé – ils savent que rien ne peut leur arriver –, mais du gendarme, de la police et de la justice ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Monsieur le secrétaire d’État, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous s’agissant de la peur du gendarme.

Je ne blâme pas les contenus diffusés sur Twitch en tant que tels. L’outil n’est pas en cause. Ayant moi-même participé hier à une émission diffusée sur cette plateforme, je peux témoigner que tout s’y passe très bien et que les contenus y sont bien régulés. Il reste que, au-delà des rapports qu’entretient la jeunesse avec ces plateformes de jeux vidéo, se pose la question de l’éducation, de l’acculturation et des codes.

On voit que nos référentiels institutionnels ont du mal à passer le cap de ces plateformes et que l’on ne parle pas la même langue. L’éducation de la jeunesse, les pratiques, les régulations, la dimension pédagogique sont importantes : il faut certes le gendarme, mais il faut aussi l’instituteur, l’enseignant et le philosophe.

M. le secrétaire d ’ État marque son approbation.

Debut de section - PermalienPhoto de Christophe-André Frassa

Monsieur le secrétaire d’État, oui, il faut lutter contre la haine sur internet, de la même manière qu’on lutte contre la haine dans l’espace public physique. C’est d’ailleurs ce que nous avons tenté de faire dans la proposition de loi Avia, dont nous avons eu l’occasion de débattre avec vous, monsieur le secrétaire d’État, et dont j’étais le rapporteur ici au Sénat.

Cependant, et vous en conviendrez, je l’espère, ce n’est pas tant aux plateformes qu’il faut s’en prendre qu’aux auteurs de propos haineux, à ceux qui sont à la source des discours de haine.

Or, un an après l’examen de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, les moyens ne sont à l’évidence pas là. Comment comprendre, monsieur le secrétaire d’État, qu’aujourd’hui encore, seul un nombre extrêmement réduit de services d’enquête et de poursuite, tous situés à Paris, soient effectivement en mesure de lutter contre la haine en ligne ? Comment comprendre que la plateforme Pharos – plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements –, dont l’actualité la plus tragique nous a rappelé l’existence, soit à ce point sous-dotée ?

Si nous peinons à lutter contre les contenus à caractère terroriste, comment imaginer pouvoir lutter efficacement contre les contenus antisémites et homophobes ? Nous avions fait un certain nombre de propositions constructives, au premier rang desquelles une meilleure régulation des plateformes par l’instauration d’obligations de moyens, sous la supervision d’un régulateur.

Quoi qu’il en soit, le Conseil constitutionnel a eu raison de la loi de Mme Avia.

Au-delà de l’incrimination pénale qui est annoncée, monsieur le secrétaire d’État, que comptez-vous proposer dans le futur projet de loi de lutte contre le séparatisme pour renforcer la lutte contre la haine en ligne ?

Debut de section - Permalien
Cédric O

Monsieur le sénateur, nous débattons en effet d’un sujet sur lequel nous avons eu l’occasion de travailler, vous et moi, pendant de longues heures.

D’abord, je rappelle que c’est justement cette obligation de moyens, sur laquelle – je crois – nous étions d’accord, qui a été censurée par le Conseil constitutionnel, non au fond, mais par voie de conséquence. C’est cette question qui au cœur des discussions européennes dans le cadre du futur Digital Services Act.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire publiquement, la volonté du Gouvernement est de pouvoir, probablement dans le cadre du prochain projet de loi visant à lutter contre le séparatisme, traduire un peu par anticipation le champ de la régulation qui figurera dans la proposition européenne, compte tenu de l’urgence qu’il y a à agir et à définir cette obligation de moyens. Je me montre prudent sur le sujet, car je ne sais pas exactement à quoi aboutira cette régulation européenne du numérique, mais je ne doute pas que nous aurons de nouveaux débats à ce sujet.

Concernant les moyens mis sur la table pour la justice, on ne peut pas dire que rien n’a changé.

Je rappelle que la plateforme Pharos ou qu’une meilleure régulation d’internet n’aurait malheureusement pas pu empêcher le crime de Conflans-Sainte-Honorine : en effet, tout ce qu’a fait le père de la jeune fille qui s’estimait offensée est légal. On peut lui reprocher ses actes sur un plan moral, mais le fait est qu’il n’a rien fait d’illégal. De plus, compte tenu de la chronologie, le crime aurait tout de même eu lieu. §En revanche, le déferlement de haine qui a suivi le crime aurait pu être signalé grâce à Pharos.

Le Gouvernement agit. Tout d’abord, nous augmentons les moyens dédiés à Pharos ; ensuite, Éric Dupond-Moretti a prévu d’engager une spécialisation du parquet parce qu’on a besoin de magistrats spécialistes du sujet ; enfin, un nouvel outil de recueil des plaintes en ligne doit, sauf erreur de ma part, entrer en service l’année prochaine : un tel instrument est absolument indispensable…

Debut de section - Permalien
Cédric O

… afin d’assurer l’opérationnalité de la réponse judiciaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La parole est à M. Christophe-André Frassa, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Christophe-André Frassa

Monsieur le secrétaire d’État, je comprends bien votre réponse, mais je pense que les deux choses doivent aller de pair.

On doit certes renforcer les moyens de Pharos, surtout en province, car on ne peut pas avoir uniquement un service centralisé à Paris. Il faut augmenter les moyens de la gendarmerie dans les territoires, partout en France.

Mais la réponse ne peut pas non plus être uniquement pénale : il faut aussi responsabiliser les plateformes et renforcer le rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour qu’il ait les moyens de vérifier que la réglementation est appliquée et que la régulation est effective.

Debut de section - PermalienPhoto de Vanina Paoli-Gagin

Monsieur le secrétaire d’État, comme il y a un bon usage du monde, il doit y avoir un bon usage de la liberté d’expression en démocratie, tant celle-ci nous est précieuse et tant nous y sommes attachés.

Cette liberté, cependant, ne doit pas être absolue, et les abus doivent être sanctionnés. On a parlé de responsabilisation des plateformes, du rôle de l’État, mais peut-être convient-il de responsabiliser en premier lieu les usagers ? Si les réseaux sociaux sont des espaces propices à l’exercice de la liberté d’expression, ils ne sont heureusement pas les seuls.

Ces plateformes sont, je le rappelle, des espaces régis par des acteurs privés qui ont, comme le disait le président Malhuret, des business models, qui font des usagers leurs produits et qui ont leur propre vision de la liberté d’expression. Je vous rappelle que celle-ci n’est pas nécessairement la même que celle de la loi, comme l’a illustré la publication du tableau L ’ Origine du monde, qui a été censurée par Facebook, puritanisme américain oblige.

D’autres contenus, comme les menaces ou les injures, vont, eux, au-delà des limites fixées. Ils ne sont pourtant pas censurés efficacement. Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que ces abus doivent être punis, quel que soit le moyen par lequel ils ont été commis.

À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, ne serait-il pas judicieux, à titre préventif et à des fins d’autorégulation, de ne permettre aux usagers d’accéder aux réseaux qu’une fois leur identité enregistrée, d’une part, et d’ajouter aux sanctions déjà prévues par la loi des interdictions temporaires d’accéder à ces réseaux, d’autre part ?

Un tel système existe bien pour les hooligans et les supporters interdits de stade, ainsi que pour les personnes « addicts » aux jeux dans les casinos et pour les casinos en ligne. On comprend donc mal pourquoi on ne pourrait pas transposer ce système à ce qui nous préoccupe aujourd’hui.

Sans empêcher le pseudonymat, une telle levée de l’anonymat, couplée à ce type de sanctions, pourrait avoir selon nous un fort pouvoir pédagogique : elle permettrait de responsabiliser les individus, qui ne doivent plus impunément se comporter comme des chauffards sur ces autoroutes de l’information.

Pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, que la mise en place d’un tel dispositif d’obligations et de sanctions s’appliquant aux infractions commises sur les réseaux sociaux soit possible et pertinente ?

Debut de section - Permalien
Cédric O

Je n’aurai pas assez de deux minutes pour répondre à toutes ces questions…

J’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises, de me prononcer contre la fin du pseudonymat et l’obligation d’identification sur internet, et ce pour différentes raisons.

Premièrement, je ne suis pas enthousiaste à l’idée qu’il faille donner sa véritable identité aux réseaux sociaux. On ne peut pas, d’un côté, évoquer des problèmes de respect de la vie privée et, de l’autre, obliger les internautes à donner leur véritable identité, ainsi qu’un certain nombre d’informations personnelles – et c’est bien ce dont on parle in fine.

Deuxièmement, au-delà de la question du caractère désirable d’un tel dispositif d’identification et de ses effets de bord, il me semble illusoire de penser que le Conseil constitutionnel ou la Cour de justice de l’Union européenne nous laisseraient un jour imposer une telle obligation. Nous pouvons en débattre durant des heures, nous ne ferions que démontrer notre incapacité législative à mettre en place un tel système.

Troisièmement, un tel dispositif est techniquement infaisable. Il me faudrait deux secondes pour me localiser en Allemagne – je pourrais vous montrer comme le faire sur mon téléphone, madame la sénatrice Paoli-Gagin –, puis vous insulter ou vous injurier sur Facebook sans avoir besoin de m’identifier, ce pays n’ayant pas instauré d’obligation à cet égard. Donc, même sur un plan technique, un tel dispositif ne fonctionne pas.

En résumé, je ne vois pas en quoi ce système pourrait être désirable. Il ne fonctionne ni techniquement ni juridiquement.

Au fond, aujourd’hui, 99 % des personnes qui commettent des infractions sur internet ne sont pas anonymes : elles utilisent un pseudonyme et on sait les retrouver. Le problème – je reviens à un point que j’ai déjà évoqué –, c’est que nous sommes dans l’incapacité de gérer la massification et la viralité.

La question est donc bien de faire en sorte que nous sachions retrouver et sanctionner toute personne contrevenant à la loi, où qu’elle soit, éventuellement en lui appliquant des peines comme celles que vous avez évoquées – sur le fond, je ne vois pas beaucoup de raison d’y être opposé, même si ce débat mériterait probablement qu’on lui consacre plus que quelques minutes.

Au-delà de l’identification, il s’agit d’être efficace dans la chaîne police-justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Thomas Dossus

Ce débat sur les propos haineux est d’une importance capitale dans les temps que nous vivons. La nouvelle campagne de harcèlement que la jeune Mila a récemment vécue doit nous conduire à nous interroger sur notre capacité à juguler ces vagues massives de haine qui s’expriment en ligne, avec un sentiment d’impunité insupportable.

Comment est-on passé de l’internet émancipateur des origines à ces réseaux d’oppression organisée et au harcèlement de masse ?

On doit s’interroger sur les mécanismes principalement économiques qui ont conduit au succès des discours haineux sur certaines plateformes. On doit se demander à qui profite la haine. Si l’on s’affranchit de ce regard économique, on ne parviendra pas à apporter de réponse judiciaire adaptée et, cela a été dit, on ne fera qu’écoper la mer à la petite cuillère.

Si la loi doit être la même pour sanctionner l’expression des propos haineux en ligne ou hors ligne, on doit nécessairement s’interroger sur la massification de ce type de propos sur les grandes plateformes commerciales et sur la réponse judiciaire qu’il convient d’y apporter, tant leur nombre est démultiplié.

Aujourd’hui, les grandes plateformes, qui disposent d’une masse croissante d’utilisateurs et d’utilisatrices, se livrent à une compétition économique autour de la captation de notre attention. Pour cela, elles emploient chacune des mécaniques commerciales qui privilégient la diffusion des publications suscitant le plus d’engagement et enferment les utilisateurs dans des réseaux de plus en plus polarisés. Les propagateurs de haine l’ont bien compris et s’appuient sur ces mécaniques pour diffuser leurs messages.

Face à ces plateformes, qui comptent des milliards d’utilisateurs et dont les modèles économiques valorisent les discours choquants, l’enjeu pour nos sociétés de liberté est d’être capables à la fois de réguler fortement ces mécaniques économiques favorisant les campagnes haineuses et de nous donner les moyens de briser le sentiment d’impunité.

L’accélération des phénomènes de viralité, encouragés par les algorithmes des grandes plateformes, provoque des drames. Envisagez-vous d’exiger de la transparence sur ces algorithmes, afin de réguler ces modèles économiques toxiques ? Quelle est la contribution de la France aux discussions européennes sur le sujet ?

Debut de section - Permalien
Cédric O

La contribution de la France a été absolument essentielle, que ce soit sur la partie relative au contenu ou sur la partie relative à la concurrence, qui sera présentée au début du mois de décembre.

Moi-même, l’ensemble du gouvernement français, mais aussi de l’administration française – des groupes de travail inter-administrations ont été organisés – avons travaillé étroitement avec nos partenaires de l’Union européenne, notamment les Pays-Bas sur la concurrence ou l’Allemagne sur les contenus. Et nous avons vraiment fait partie de ceux qui ont poussé à la régulation des contenus et des grandes plateformes. Nous verrons quel en sera le résultat, mais nous avons été extrêmement actifs.

Parmi les sujets que nous poussons en vue de l’établissement du Digital Services Act, il y a bien sûr les obligations de moyens concernant la modération, mais aussi, et c’est d’après moi l’élément premier, la transparence.

À l’heure actuelle, en tant que secrétaire d’État au numérique, je ne sais pas combien Twitter compte de modérateurs en langue française, ou encore comment ses algorithmes mettent en avant un certain nombre de contenus ou pas. Certaines plateformes, comme Facebook, sont plus transparentes, mais je ne suis pas en mesure de vérifier la réalité de leurs dires. Cela pose un réel problème démocratique. La question de la transparence m’apparaît donc comme un préalable à celle de la régulation.

Je veux par ailleurs revenir sur un sujet qu’a évoqué le sénateur Jérôme Durain, car je ne l’ai pas fait moi-même alors qu’il est absolument essentiel : il s’agit de l’éducation et de la formation.

J’en profite pour rappeler l’annonce que j’ai faite, voilà deux jours, du déploiement de 4 000 conseillers numériques sur tout le territoire, pour donner plus d’autonomie aux Français dans leur utilisation des outils numériques.

En effet, tous ces problèmes trouvent leur origine dans le fait que les gens ne comprennent pas bien ce qui se passe sur internet, ne serait-ce que parce qu’un Français sur six n’utilise jamais un ordinateur et qu’un sur trois manque de compétences de base.

Certes, il faut apprendre aux gens à déclarer leurs impôts en ligne, à garder le contact avec leurs proches sur un réseau social, à rédiger un curriculum vitae. Mais très vite derrière, en matière de médiation numérique, on en arrive aux questions des données, des fausses informations, de la haine en ligne ou encore de la parentalité à l’heure des écrans.

Jérôme Durain a donc eu parfaitement raison de le souligner : l’éducation et la formation à la grammaire du numérique sont des sujets importants.

Debut de section - PermalienPhoto de Thomas Dossus

M. Thomas Dossus . Il est un peu étrange, monsieur le secrétaire d’État, de vous entendre dire que vous ignorez tout des algorithmes utilisés par les grandes plateformes ou que vous n’y avez pas accès. Si vous voulez une régulation, vous ne pourrez pas vous dispenser d’exiger l’ouverture de ces boîtes noires.

Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. David Assouline applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Je tiens tout d’abord à remercier le groupe Les Indépendants – République et Territoires d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de nos travaux, notamment son président, Claude Malhuret, qui est engagé depuis longtemps dans la lutte contre la haine en ligne.

L’intitulé de ce débat est révélateur à lui seul de la complexité du sujet.

Nous nous accorderons tous sur l’idée que notre pacte social ne peut souffrir d’atteintes sur internet, lesquelles seraient tolérées au motif qu’elles sont virtuelles. Les conditions dans lesquelles vit aujourd’hui l’adolescente Mila, que nous devons tous entourer de notre protection, montrent bien, si cela était encore nécessaire, que la menace n’est pas seulement en puissance, pour reprendre le sens étymologique du mot « virtuel ». Les conséquences de la haine en ligne sur les vies de nos concitoyens sont concrètes et souvent destructrices.

Partant de ce constat nécessaire, la tâche n’est pas aisée, justement parce qu’internet a ses mécanismes propres, qui ne sont pas réductibles aux échanges hors ligne et qui sont assortis de régimes juridiques complexes. Je pense notamment à la dichotomie, qui pose parfois question, entre éditeurs de contenus et hébergeurs, ces derniers répondant d’une responsabilité allégée.

Ainsi l’enjeu est non pas tant d’appliquer les mêmes lois en ligne et hors ligne que de bien adapter notre législation à l’espace numérique, afin d’y garantir le respect de nos droits et la même protection pour tous les citoyens.

À cet égard, la Commission européenne doit présenter d’ici à la fin de l’année son Digital Services Act afin, notamment, de renforcer la régulation des plateformes. La nécessité d’instaurer un axe de lutte contre les contenus haineux a d’ailleurs été rappelée par la France et l’Autriche dans une déclaration commune.

Plusieurs pistes ont pu être utilement évoquées sur le sujet au cours des dernières semaines. Je pense au renforcement de la diligence et des obligations de moyens des plateformes, ou encore à la transparence sur la modération des contenus, s’agissant plus particulièrement des algorithmes utilisés parfois par les opérateurs. Vous venez d’ailleurs d’évoquer cette transparence, monsieur le secrétaire d’État. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Pouvez-vous également nous dire quelles solutions doivent être privilégiées pour renforcer la régulation des grandes plateformes, sans leur abandonner les modalités de protection de notre bien le plus précieux, à savoir le lien social ?

Debut de section - Permalien
Cédric O

Pour vous expliquer ce que nous cherchons à faire, mesdames, messieurs les sénateurs, je ferai un parallèle avec le secteur bancaire.

Aujourd’hui, si vous effectuez un virement frauduleux depuis votre compte en banque à une personne physique ou à une entreprise, votre banque ne peut pas en être tenue pour responsable. En revanche, il est de sa responsabilité de se doter en interne de moyens efficaces de détecter ce type de virements et de les signaler aux autorités pour lutter contre les phénomènes de corruption. Si la banque n’est pas efficace, le régulateur tape extrêmement fort.

Considérons à cet égard le travail de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR, ou des équipes de contrôle interne. La première, je le dis de mémoire, doit compter entre 800 et 1 000 agents. Quant au contrôle interne d’une banque, il fait intervenir plusieurs milliers de salariés. Sur la place de Paris, ce sont donc plusieurs dizaines de milliers de personnes qui participent à ce contrôle interne. Je précise que l’ACPR a pour rôle de contrôler non pas les virements individuels, mais le contrôle interne. Si la banque ne joue pas le jeu, elle risque une sanction très importante, le montant des amendes pouvant atteindre plusieurs milliards.

C’est exactement cette logique que nous voulons appliquer aux réseaux sociaux.

Nous voulons comprendre combien de personnes assurent le contrôle, selon quels mécanismes, comment la partie algorithmique fonctionne, en parfaite transparence vis-à-vis du régulateur. S’il est avéré – souvent, d’ailleurs, dans le cadre d’un débat contradictoire devant la justice – que tel réseau ne remplit pas correctement ses obligations, en tout cas pas à la hauteur de ce qu’il représente en termes d’enjeux pour la démocratie et la société française ou européenne, il faut pouvoir lui appliquer des sanctions extrêmement fortes.

Cette logique existe dans d’autres secteurs, comme celui des télécommunications. C’est celle que nous voulons mettre en œuvre, car, à mes yeux, c’est la seule manière de poser une limite par le biais d’un dispositif pleinement opérationnel.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

L’élection américaine est une illustration des profondes fractures que connaissent les démocraties, fractures permettant au populisme de prospérer : rôle croissant des réseaux sociaux et multiplication des fake news, affaiblissement du lien collectif au profit d’une forme d’individualisme, voire de communautarisme. Ces défis concernent également l’Europe, qui subit, elle aussi, une perte collective de repères et de confiance, sapant les fondements démocratiques.

En France, la même démagogie, le même complotisme et le même cynisme se répandent. Les réseaux sociaux en sont un formidable vecteur, avec leur lot toujours plus important de menaces et d’intimidations, lancées derrière un écran, sous couvert d’anonymat et avec un fort sentiment d’impunité.

C’est ainsi que l’on retrouve jetés en pâture tous les amalgames possibles, sans le moindre discernement et le moindre contrôle. Les petits paysans sont comparés à des assassins qui empoisonnent, les migrants à des terroristes, et toutes les règles élémentaires sont systématiquement remises en cause.

Le projet de loi confortant les principes républicains, présenté cette semaine, contient certaines dispositions relatives à la haine en ligne permettant d’élargir le champ d’action de la justice.

Mais aucune loi n’empêchera jamais ces discussions de comptoir sur internet, qui peuvent mener à la violence, sans le filtre de la conversation et du débat éclairé. Seule l’éducation en limitera les effets. C’est pourquoi l’investissement de l’État dans la lutte contre l’illectronisme pourrait être l’occasion de renforcer la sensibilisation des plus jeunes à ces sujets, conformément aux recommandations de la mission d’information créée, à la demande de mon groupe du RDSE, sur la lutte contre l’illectronisme.

Cela ne doit surtout pas nous faire oublier la responsabilité des réseaux sociaux et leur modération à géométrie très variable. Comment l’État peut-il agir pour que ces réseaux sociaux et les forums renforcent l’efficacité de leur modération ? Entend-il investir davantage dans l’intelligence artificielle pour une modération plus opérationnelle dans ce domaine, mais aussi pour repérer efficacement les auteurs de discours appelant une sanction ?

Debut de section - Permalien
Cédric O

Ayant eu l’occasion d’expliciter de quelle manière nous souhaitons aborder la régulation de la modération, peut-être puis-je profiter de votre question, monsieur le sénateur Gold, pour évoquer un autre sujet, qui est central pour moi : la compétence et la capacité de l’État.

Aujourd’hui, les développeurs et les spécialistes de l’intelligence artificielle des GAFA sont les meilleurs du monde et sont payés plusieurs millions d’euros par an. La compétence disponible au sein de l’État pour ouvrir ou contrôler les boîtes noires, bien qu’elle ne soit pas nulle et que nous la développions, est, elle, relativement limitée.

Par conséquent, se pose la question de la capacité de l’État à se doter de moyens, pas seulement législatifs, et à proposer des conditions attractives aux gens de même niveau que les spécialistes des GAFA afin d’être en mesure de les recruter. Sans cela, tout ce dont nous discuterons ou que nous voterons sera complètement vain.

Nous avons commencé à travailler sur ce sujet en créant le pôle d’expertise de la régulation numérique.

Cette structure rassemble des spécialistes du big data et de l’intelligence artificielle au sein de l’administration. Elle est à la disposition de toutes les autorités indépendantes et de toutes les entités administratives, car la compréhension des algorithmes est un problème que rencontrent toutes les administrations – que ce soit la Direction de la législation et de la codification, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou encore la Direction générale des entreprises. Ces compétences sont rares et chères.

À l’heure actuelle, le pôle compte une petite dizaine de personnes, mais il va monter en compétences. Notre idée consiste bien à en faire un pôle d’expertise, dans lequel les différentes institutions pourront venir piocher. Nous avons besoin de lois, mais aussi des capacités de les appliquer réellement, sur le terrain et en ligne.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, le rôle des modérateurs est surtout de mettre les horreurs sous le tapis, il n’est pas d’agir contre leurs auteurs. Certes, il faut faire de la formation, mais l’intelligence artificielle doit aussi permettre de repérer, à la source, les causes de départ de discours haineux, qui donneront lieu, ensuite, à tous les abus sanctionnables.

Enfin, je prends note avec enthousiasme de la création du pôle d’expertise.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérémy Bacchi

Le sordide assassinat de Samuel Paty, le mois dernier, a relancé le débat sur la régulation des contenus en ligne. Le Gouvernement travaillerait d’ailleurs sur un dispositif juridique de lutte contre la haine sur les réseaux sociaux, à la suite de la censure de l’essentiel des dispositions de la loi Avia par le Conseil constitutionnel.

Nous considérons, pour notre part, que la loi ne peut pas être la même hors ligne et en ligne. Même si, de toute évidence, ses grands principes doivent partout prévaloir, elle doit être adaptée à ce support immatériel et protéiforme. En effet, internet, qui est aujourd’hui dominé par les grandes plateformes, les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), dont le modèle repose sur l’économie de l’attention ou, plus communément, sur le « buzz », tend à valoriser la diffusion des contenus les plus clivants.

Aussi, nous considérons que l’interopérabilité donnerait aux victimes de contenus haineux la possibilité de se réfugier sur d’autres plateformes, ayant des politiques de modération différentes, tout en continuant à échanger avec les contacts qu’elles avaient noués jusqu’alors.

Bien sûr, internet n’est autre que la continuité du monde qui nous entoure. Les propos haineux ne naissent pas sur internet, mais les géants de la toile, par leur modèle économique, favorisent leur diffusion et leur viralité. Il est donc nécessaire de penser un autre modèle d’interaction pour s’extirper de ces plateformes toutes-puissantes.

C’est pourquoi, en décembre dernier, notre groupe proposait, dans un amendement à la proposition de loi Avia, d’obliger les opérateurs – et non de les encourager – à mettre en œuvre des standards techniques communs d’interopérabilité. Nous sommes convaincus que cela permettrait d’enrayer la diffusion de contenus haineux sur internet, ou tout au moins de les limiter fortement.

Monsieur le secrétaire d’État, quelle est votre position sur ce sujet précis et que pensez-vous de cette proposition ?

Debut de section - Permalien
Cédric O

Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder ce sujet, monsieur le sénateur Bacchi, notamment avec votre collègue Pierre Ouzoulias, et je veux, sans esprit polémique, préciser clairement notre position.

L’interopérabilité est une solution à la domination économique des plateformes. Elle fait partie des remèdes qui pourront être envisagés en cas de situation de monopole ou d’oligopole d’une plateforme. Dans un tel cas, celle-ci étant devenue une infrastructure essentielle, il faudra faire en sorte de réinsuffler de la compétition en desserrant son empreinte sur le secteur qu’elle domine.

Sur la question des contenus haineux, je ne suis pas d’accord, sur le principe, avec votre proposition.

Concrètement, vous envisagez, pour régler le problème, de dire à une personne ayant été insultée ou menacée de mort sur Facebook : « Attendez, on va mettre en place l’interopérabilité entre Facebook et un autre réseau social et vous pourrez quitter l’un pour aller sur l’autre. »

D’une part, si une personne entend en harceler une autre, elle pourra la suivre sur l’autre réseau social sans problème. On ne fera donc que déplacer le problème. D’autre part, c’est contestable sur le principe : la réponse à la haine en ligne ne peut être de permettre à la victime de quitter le réseau social.

Mettre en œuvre l’interopérabilité pour répondre aux problèmes que pose la haine en ligne, c’est dire à la victime qu’on ne sait pas régler son problème, qu’on ne peut pas s’en prendre à ceux qui l’offensent, mais qu’on va lui permettre d’aller sur un autre réseau. Ce ne peut pas être la réponse de l’État ; sinon, c’est la pertinence même de son action qui sera remise en question par nos concitoyens.

Je le dis sans aucun esprit polémique, vraiment, l’interopérabilité, dans ce cas, pose une difficulté de principe.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérémy Bacchi

Peut-être me suis-je mal fait comprendre, auquel cas je m’en excuse.

Nous ne considérons pas l’interopérabilité comme l’unique moyen à mettre en œuvre, mais nous estimons qu’il faut permettre aux victimes de harcèlement, si elles le souhaitent, de changer de plateforme. Mais, évidemment, l’interopérabilité ne viendrait pas en substitution de tout l’arsenal à déployer pour limiter et condamner les harcèlements en ligne.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Mme Catherine Morin-Desailly . Oui, en ligne et hors ligne, la réponse doit être la même. Encore faut-il que la justice ait les moyens de lutter contre ce qui relève de la cybercriminalité. Aujourd’hui, elle ne dispose que de trois personnes pour cela.

M. le secrétaire d ’ État fait un signe de dénégation.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Cela étant, force est de constater l’inefficacité des dispositions issues de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information ou encore de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, texte copieusement censuré par le Conseil constitutionnel. Je n’en suis pas étonnée, le Sénat avait indiqué à plusieurs reprises que les dispositions proposées, au mieux, faisaient le jeu des plateformes et, au pire, portaient atteinte à nos libertés fondamentales.

Au-delà du bon vouloir des plateformes, internet exige une véritable régulation et, donc, une réponse globale, structurelle et européenne. Le scandale Cambridge Analytica nous avait déjà avertis sur la perméabilité et la vulnérabilité des démocraties face aux Gafam.

La multiplication des appels à la haine et surtout leur viralité nous imposent d’ouvrir les yeux sur leurs conséquences dramatiques pour notre sécurité nationale : l’influence des algorithmes utilisés par YouTube ou Facebook sur la radicalisation en ligne n’est plus un secret, le modèle de l’économie de l’attention favorisant toujours plus les contenus violents, extrémistes et haineux.

Dans son ouvrage L ’ Â ge du capitalisme de surveillance, l’universitaire américaine Shoshana Zuboff dénonce le détournement de nos données personnelles à des fins de manipulation des comportements et de radicalisation des opinions publiques.

Avec le Digital Services Act, la Commission européenne a enfin prévu la révision de la directive e-commerce, révision en passe d’aboutir, je l’espère, à de véritables statuts des plateformes, ainsi qu’à leur redevabilité, comme je le préconise depuis deux ans.

Monsieur le secrétaire d’État, aujourd’hui, face à ces sociétés oligopolistiques qui refusent de faire évoluer leur modèle contesté, que ferez-vous pour favoriser le développement d’acteurs européens, dont le modèle, lui, sera conforme à nos valeurs ?

Debut de section - Permalien
Cédric O

Les travaux de Shoshana Zuboff, avec qui j’ai eu l’occasion de discuter plusieurs heures cet été, sont extrêmement intéressants. Ils ne portent pas directement le sujet de la haine en ligne ; ce sont des travaux de fond sur la puissance de certaines grandes plateformes sur internet, liée au phénomène de gratuité – auquel, en tant que consommateurs en tout cas, nous sommes assez « addicts », pour utiliser ce mot bien français –, et sur leurs modèles d’affaires reposant sur une publicité ciblée, grâce à la connaissance extrêmement fine de la personnalité de chacun.

Cette question est particulièrement complexe à résoudre sur un plan légal et ces pratiques difficiles à contrer. La preuve en est qu’aucune démocratie, qu’aucun pays européen n’a encore trouvé la parade. Au début du mois de décembre, l’Europe va proposer une régulation, dont j’espère qu’elle sera la plus innovante possible, pour desserrer l’empreinte oligopolistique de ces acteurs. Mais, compte tenu de sa complexité juridique et de son caractère essentiel, c’est un sujet dont nous allons discuter encore pendant longtemps.

Par ailleurs, madame la sénatrice Morin-Desailly, je vous rejoins sur la nécessité de faire émerger nos propres champions.

À cet égard, nos résultats sont parlants. D’ailleurs, si vous interrogez les patrons des start-up françaises pour savoir ce qu’ils pensent de l’action du Gouvernement – je vous invite évidemment à le faire en dehors de la présence du secrétaire d’État ! –, ils seront unanimes à saluer cette action ou, en tout cas, à considérer que les choses évoluent dans le bon sens. Ainsi, je le rappelle, les montants investis dans les start-up françaises ont doublé en deux ans et, pour la première fois de l’histoire, la France devrait se placer devant l’Allemagne cette année, au regard de la taille de son écosystème.

Si nous réalisons autant d’efforts en faveur des start-up, ce qui nous vaut quelques moqueries, c’est justement parce que nous voulons avoir nos propres géants du numérique, dont les valeurs seront, en effet, plus proches des nôtres.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Je vous pose cette question, monsieur le secrétaire d’État, car j’ai été surprise de constater dans vos tweets ce que j’appellerai une « continuité de complaisance » un peu surprenante à l’égard des géants du numérique. C’est le cas quand vous dites faire confiance au PDG de Microsoft pour régler nos questions de souveraineté ou encore quand vous accusez les Français de fantasmer sur le pouvoir d’Amazon dans la crise sanitaire que nous traversons.

Je remarque tout de même, et j’aurais aimé vous entendre sur ce point, que les Américains parlent désormais de démanteler ces plateformes, tant leur pouvoir est contesté aujourd’hui. Thierry Breton a le courage de le faire aussi. Google a d’ailleurs été obligé de lui présenter des excuses pour avoir, dans un document interne, envisagé de l’attaquer afin de contrer la stratégie de la Commission européenne. Vous avouerez, monsieur le secrétaire d’État, que c’est assez troublant.

J’aurais donc aimé vous entendre sur ces questions, mais nous aurons l’occasion d’en reparler…

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez commencé par décrire l’énormité de ce qui est face à nous, concluant sur notre impuissance. Il y a tant de contenus haineux, de contenus qui contreviennent à la loi que la question est politique, avez-vous indiqué. Il s’agit de trouver un équilibre entre les sanctions possibles et la préservation de la liberté d’expression.

Justement, internet est un reflet et un accélérateur de la haine actuellement vendue dans la société. Ainsi l’on a pu voir l’audimat d’une chaîne de télévision devenue confidentielle – soit un secteur régulé par le CSA – remonter de manière très importante grâce à la présence de M. Éric Zemmour, …

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

… qui propage la haine tous les soirs, et c’est vendeur. Dès lors, oui, il y a un problème !

Ce qu’il faudrait, c’est créer des consensus contre la haine et contre tous ceux qui en font commerce. Et pour créer des consensus, il faut arrêter d’utiliser la lutte contre la haine, contre le racisme, contre l’incitation à la violence ou au terrorisme – précisément ce qui pourrait faire consensus – pour proposer des solutions limitant nos libertés.

Qu’en pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État ?

Debut de section - Permalien
Cédric O

Comme vous l’aurez constaté depuis le début de ce débat, et pour rebondir sur ce que vous venez de dire, monsieur le sénateur Assouline, j’essaie de répondre de la manière la plus claire, la plus honnête, la moins polémique, peut-être la moins politique possible aux différentes questions, tant il est difficile de trouver une ligne de crête sur un sujet tel que celui qui nous occupe.

Je voudrais juste corriger un point : je n’ai pas dit que nous ne pouvions pas lutter contre tous les contenus haineux ; j’ai dit que nous ne pouvions pas le faire tel que nous fonctionnons aujourd’hui. S’il faut traiter des milliers de contenus par jour, ce ne peut être dans la temporalité qui est la nôtre aujourd’hui et avec les équipes dont nous disposons.

Saura-t-on trouver des solutions, dont certaines, d’ailleurs, pourront être automatiques ou semi-automatiques ? Ce sont des questions que doivent se poser les justices des pays développés, et elles sont très sensibles en termes de préservation des droits. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, on n’y est pas.

Par ailleurs, les questions que vous évoquez relèvent plutôt du droit de la presse et de la loi de 1881 sur la liberté de la presse – je dois toujours veiller à être extrêmement précis et prudent sur ces sujets tant ils sont sensibles, particulièrement dans la période actuelle, marquée par des débats sur lesquels je ne reviendrai pas.

Je reconnais que le fait de traiter des cas de haine en ligne comme des cas de diffamation au sens de la loi de 1881 peut poser question. Comment fait-on pour distinguer clairement ce qui, de toute évidence, ne relève pas du journalisme de ce qui est de cet ordre ? Je n’ai pas la réponse à cette question complexe, qui dépasse néanmoins quelque peu le sujet des plateformes.

Ce sur quoi je peux vous rejoindre, monsieur le sénateur, c’est sur le fait qu’il très difficile de traiter tous ces sujets dans une atmosphère de tensions extrêmes, que celles-ci soient liées à des campagnes politiques ou qu’elles soient présentes dans la société. Mais il faut absolument essayer d’y arriver, faute de quoi je n’ai pas de doute sur la fin de l’histoire…

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Il faut des moyens, monsieur le secrétaire d’État. Je ne pense pas non plus que l’on ne puisse rien faire. On ne peut pas tout régler, certes, mais on apprend en avançant. En revanche, ce n’est pas possible de continuer avec aussi peu de moyens pour Pharos ou pour la justice – Catherine Morin-Desailly l’a dit, il y a trois magistrats pour traiter toute la cybercriminalité, même pas uniquement la haine en ligne. Si les signalements à Pharos n’ont aucune suite judiciaire, cela ne peut pas fonctionner.

Il faut des moyens, monsieur le secrétaire d’État, et appliquer dans le monde numérique la loi qui existe dans le monde physique.

Debut de section - PermalienPhoto de Laure Darcos

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, internet est un formidable vecteur de communication, mais le rôle des réseaux sociaux, en particulier, fait débat : on y côtoie le meilleur comme le pire.

Il faut se réjouir quand ils permettent de donner corps à des initiatives solidaires ; en revanche, il faut les dénoncer et agir lorsqu’ils sont utilisés pour dégrader l’image d’un élu, d’un journaliste ou bien d’une personnalité, ou encore pour véhiculer certaines idéologies ou les thèses les plus abjectes.

Il ne s’agit – hélas ! – que de la partie émergée de l’iceberg. Tous les jours, des utilisateurs sont victimes d’un harcèlement devenu ordinaire qui expose leur vie, leurs photos, leur identité, leur adresse ou leur profession à la connaissance de tous. L’ignominie du meurtre de Samuel Paty doit nous faire réfléchir sur les dérives inacceptables d’internet et sur la nécessité de le réguler.

Des solutions existent, mais une prise de conscience et une action collective à l’échelle européenne sont nécessaires, comme le souligne très justement mon ami Geoffroy Didier, député au Parlement européen.

Cela peut consister à imposer aux futurs utilisateurs des réseaux sociaux la présentation du scan d’une pièce d’identité lors de la création du compte. La fin de l’anonymat complet sur internet ne doit pas être un sujet tabou, et cela n’a rien à voir avec une quelconque remise en cause du droit à la vie privée.

Pourquoi ne pas contraindre également chaque réseau social à afficher sur sa page d’accueil un lien vers le site gouvernemental de pré-plainte en ligne, afin de permettre aux victimes de harcèlement, d’insultes ou de menaces d’exercer pleinement leurs droits ? Simplifions les démarches pour une efficacité accrue contre les violences illégitimes !

Enfin, il serait judicieux de faire évoluer la nature juridique des plateformes, qui ne doivent plus s’abriter derrière leur statut d’hébergeur pour s’exonérer de toute responsabilité lorsqu’elles assurent la diffusion de messages contraires aux valeurs et à la dignité humaine. Utilisons le levier du droit !

Ma question est la suivante, monsieur le secrétaire d’État : êtes-vous prêt à vous engager sur ces mesures de bon sens, qui ne restreignent pas la liberté d’expression, mais permettent d’en limiter les excès ? Êtes-vous prêt à mener ce combat avec nos partenaires européens ?

Notre réponse n’a que trop tardé ; il nous faut protéger les victimes et mettre un terme avec la plus grande énergie aux dérives d’internet.

Je remercie le président Malhuret d’avoir suscité ce débat.

Debut de section - Permalien
Cédric O

M. Cédric O, secrétaire d ’ État auprès du ministre de l ’ économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice Darcos, ayant eu l’occasion de répondre sur la question de l’anonymat, je propose de me livrer devant vous à une courte démonstration.

M. le secrétaire d ’ État se saisit de son téléphone portable en exposant à la vue de tous son écran.

Debut de section - Permalien
Cédric O

J’ouvre une certaine application – qui ne coûte rien – et choisis d’être localisé en Allemagne – peu importe le serveur. Voilà ! Cela m’a pris trois secondes ! Je veux vous montrer ainsi que jamais vous ne pourrez m’obliger à m’identifier parce que les Allemands ne demandent pas d’identification sur Facebook.

Cet outil s’appelle un VPN, et son utilisation requiert quelques secondes.

Debut de section - PermalienPhoto de Laure Darcos

C’est pourquoi il faut agir au niveau européen !

Debut de section - Permalien
Cédric O

L’Europe ne demandera jamais l’identification obligatoire ! Jamais !

Debut de section - Permalien
Cédric O

Monsieur le sénateur, la plupart du temps, les gens ne s’identifient pas et, de toute façon, il est toujours possible de les retrouver ! Par conséquent, la question n’est pas de savoir s’il faut rendre obligatoire cette identification : non seulement cela ne marchera pas, mais encore il faudrait passer des heures à se battre avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Je ne vous dirai même pas si j’estime que, sur le fond, c’est bien ou non : je vous dis simplement que cela ne servirait à rien !

On va s’engueuler pendant des heures pour en débattre, inutilement, car tous ceux qui voudront contourner l’obligation le pourront.

Le fond du sujet, c’est d’être capable de traiter la massification. J’entendais le propos de la présidente Morin-Desailly sur Pharos : ce sont non pas trois personnes qui y sont affectées, mais quarante au total.

Debut de section - Permalien
Cédric O

Il en est de même, monsieur le sénateur : dans les juridictions, ce ne sont pas seulement trois personnes !

Le fond du sujet – et, là, vous avez raison –, c’est de faire en sorte qu’on sache traiter les choses dans leur viralité. Même si tout le monde devait s’identifier, le problème subsisterait. Parce que, quand des policiers débarquent chez quelqu’un qui, sous son vrai nom, son vrai prénom, a insulté ou menacé de mort les enfants de M. Untel ou de Mme Unetelle et lui expliquent qu’il n’a pas le droit de faire ce qu’il a fait, cette personne ne comprend pas, tombe de sa chaise en expliquant que ce n’est pas grave, puisque ces propos sont circonscrits à internet.

Debut de section - Permalien
Cédric O

Le fond du sujet, c’est de faire en sorte que la chaîne police-justice fonctionne. Et ce n’est pas seulement une question de moyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi confortant les principes républicains va donc nous permettre de reprendre la loi Avia.

Tout d’abord, je voudrais exprimer un point d’incompréhension ou d’incohérence.

Sur la haine en ligne, vous voulez agir sans attendre l’Europe, ou, plus précisément, dans l’attente de sa première copie, qui sera présentée par la Commission européenne le 9 décembre prochain. Mais, sur l’encadrement économique, qui est au cœur du modèle numérique, vous vous êtes opposé aux propositions du Sénat. Pouvez-vous nous expliquer cette volte-face doctrinale ?

S’agissant du sujet qui nous occupe aujourd’hui, je m’interroge sur plusieurs points quant à la méthode suivie.

Je comprends que vous souhaitez réintroduire, par amendements, les dispositions de la loi Avia dans un second temps. Pourquoi en passer par cette voie, alors qu’un réexamen par le Conseil d’État n’aurait sans doute pas fait de mal, au regard de l’histoire légistique problématique de ce texte ?

Deuxième question : vous engagez-vous à reprendre les avancées votées par le Sénat lors de l’examen de la loi ? Notre Haute Assemblée avait attiré l’attention sur le fait qu’il n’y avait pas que l’outil du retrait pour lutter contre les contenus haineux et qu’il convenait que les plateformes proportionnent leur action aux risques encourus.

Le Sénat avait notamment insisté, à juste titre, sur le fait que la réduction de la visibilité d’un contenu et de sa viralité peut être un moyen tout aussi pertinent et davantage proportionné. Ces avancées figureront-elles dans votre projet ?

Dernière question : le texte européen sur le retrait de contenus terroristes en une heure semble enlisé. Pensez-vous légiférer également sur ce point à cette occasion ?

Debut de section - Permalien
Cédric O

Monsieur le sénateur Montaugé, nous avons eu l’occasion, avant-hier, d’évoquer dans cet hémicycle la proposition de loi de Sophie Primas : entre la Haute Assemblée et le Gouvernement subsiste une divergence quant au timing. Car, sur le fond, nous sommes d’accord – je n’entrerai pas une nouvelle fois dans le détail de ce débat qui nous a beaucoup occupés. En revanche, le Gouvernement estime qu’il est nécessaire d’attendre que le texte européen en la matière soit rendu public, au début du mois de décembre. Ce texte, nous l’espérons, prendra la forme d’un règlement, de telle sorte qu’il puisse être appliqué rapidement et uniformément sur l’ensemble du territoire européen. Le niveau européen est le bon niveau pour réguler.

S’agissant de la loi Avia, nous sommes confrontés à la même difficulté, et pour la même raison. Conformément, d’ailleurs, à ce que le Sénat nous avait alors demandé, nous attendons la présentation du Digital Services Act, le texte européen qui doit traiter la question des contenus haineux, pour l’introduire ensuite par voie d’amendement dans la loi française.

La difficulté à laquelle nous sommes confrontés, c’est que ces dispositions mériteraient en effet d’être préalablement soumises au Conseil d’État. Nous espérons donc avoir le temps d’opérer une saisine rectificative, le cas échéant, mais le problème, c’est que nous sommes dépendants du calendrier européen.

Nous sommes bien conscients qu’il s’agit là d’un sujet sensible sur les plans juridique et politique, quand bien même ces dispositions seraient totalement conformes au futur texte européen. Bien sûr, il serait préférable d’avoir l’avis du Conseil d’État, même si, je le rappelle s’agissant de la loi Avia, celui-ci s’est fait déjuger par le Conseil constitutionnel, y compris sur l’article 1er.

J’aurai l’occasion de répondre à votre dernière question ultérieurement, au sein de cet hémicycle ou bien lors d’un entretien en particulier.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de ces éléments de réponse. Il était en effet difficile de répondre, dans le temps imparti, à toutes les questions que je vous ai posées.

Je partage votre souhait d’agir vite et d’agir efficacement sur ce sujet majeur. Il s’agit là d’un véritable fléau, que facilite le « pseudonymat » généralisé, qui permet aux malfaiteurs de se réfugier derrière leurs écrans.

Je partage aussi votre constat selon lequel la solution passe par une plus grande responsabilisation des plateformes, attendue depuis si longtemps. C’est ainsi qu’a été évoquée notamment la possible évolution de leur statut vers un statut d’éditeur.

Les réseaux sociaux ont affecté profondément notre vie sociale et démocratique. Je souhaite que la lutte contre la haine en ligne participe d’un renforcement du pacte républicain, largement fragilisé aujourd’hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Grand

Les contenus haineux diffusés sur internet visent de plus en plus les membres des forces de l’ordre, qu’ils soient fonctionnaires de police nationale, gendarmes ou encore policiers municipaux.

Ces appels à la haine ont souvent comme support des images de ces agents filmés dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre. Nombre d’entre elles sont diffusées sur les réseaux sociaux, rendant ces agents facilement identifiables, les transformant, ainsi que leurs familles, en cibles potentielles.

Ils ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l’image lorsqu’ils agissent dans le cadre d’une opération de police : la liberté de l’information, qu’elle soit le fait de la presse ou d’un particulier, prime le respect du droit à l’image ou à la vie privée.

Ils ne peuvent donc s’opposer à l’enregistrement de leur image et, surtout, à son éventuelle diffusion malveillante. Aucune contrainte légale ne permet aux policiers de demander le floutage de leur visage avant la diffusion des images afin de garantir leur anonymat, floutage gage de leur efficacité, mais aussi de leur sécurité.

Monsieur le secrétaire d’État, ce sujet me tient à cœur, je suis intervenu à plusieurs reprises ici même pour l’évoquer et ai déposé un amendement. L’Assemblée nationale examine en ce moment un texte, dont l’article 24, particulièrement commenté, prévoit enfin des mesures tant attendues par les membres de nos forces de l’ordre, visant à sanctionner la diffusion de leur image, en l’absence de leur accord et dans le but de porter atteinte à leur intégrité physique et psychique.

Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple : l’Assemblée nationale achèvera bientôt l’examen de ce texte ; le Gouvernement va-t-il tenir le cap et compte-t-il réellement inscrire à l’ordre du jour de nos débats l’examen de ce projet de loi au cours du mois de janvier afin que nous puissions en débattre et, surtout, le voter, en particulier son article 24, qui nous plaît bien.

Debut de section - Permalien
Cédric O

Monsieur le sénateur, votre question s’adressant plutôt à Gérald Darmanin, je ne suis pas capable de vous indiquer la date à laquelle ce texte sera inscrit à l’ordre du jour des travaux du Sénat. Quand le Gouvernement soumet à l’examen des députés un texte, en particulier un texte qui porte sur un sujet certes polémique, mais important sur le plan politique, sa volonté, c’est bien d’aller au bout. Il ne le fait probablement pas pour la galerie !

Je vous confirme donc que, en toute logique, le Gouvernement agira aussi vite que possible.

J’en profite pour évoquer un élément qui fait débat, à savoir la question de l’intentionnalité. On le voit, une partie des problèmes que l’on rencontre sur internet sont le fait de personnes « spécialisées » dans la haine en ligne ou malintentionnées et qui « jouent » avec les règles en vigueur.

Cette remarque me permet de faire le lien avec la question de la divulgation des identités personnelles qu’a évoquée le Premier ministre, non sans faire l’objet de quelques moqueries sur les réseaux sociaux : il est déjà possible de sanctionner quelqu’un qui aurait diffusé, avec de mauvaises intentions, l’identité ou l’adresse d’un tiers ; mais on ne peut comparer ce type de comportement avec celui d’un hacker qui volerait les bases de données d’une entreprise pour les publier sur internet ou qui révélerait l’identité et l’adresse d’Untel ou d’Unetelle, donnerait le nom de l’école de ses enfants, en disant que cette personne s’est exprimée contre telle religion, contre telle personne ou qu’elle a émis telle opinion politique, dans l’intention de lui nuire.

C’est aussi ce qui est au cœur du débat sur la diffusion d’images montrant des policiers.

Sans entrer dans le débat, je peux quand même indiquer qu’il faut trouver un équilibre entre contrôle, liberté de la presse et capacité à protéger ceux que nous voulons précisément protéger. Je comprends, sinon l’opposition, du moins les réticences d’une partie de la population ou d’une partie des tenants du débat public face à cette disposition. Il n’en demeure pas moins que la question reste entière. Il leur faut donc proposer d’autres solutions.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

Tout d’abord, je remercie le groupe Les Indépendants – République et Territoires et son président Claude Malhuret d’avoir inscrit à l’ordre du jour ces sujets de société particulièrement sensibles dont je ne suis pas du tout un spécialiste, n’étant pas présent sur les réseaux sociaux : je possède simplement un tout petit téléphone portable. Je peux donc témoigner avec une autre vision des choses.

Malheureusement, comme l’ont indiqué les collègues qui sont intervenus avant moi, nombre de personnes sont victimes de ces agissements problématiques, notamment les forces de sécurité, les sapeurs-pompiers, les policiers, les militaires, les gendarmes, sans oublier les personnes fragiles, en particulier les jeunes.

Nous avons également évoqué ce sujet au sein de la délégation aux droits des femmes.

Monsieur le secrétaire d’État, comment lutter contre ce phénomène et protéger ceux qui en sont victimes ? Même si la justice doit agir, je pense plutôt aux actions de sensibilisation et de prévention que doit mener l’éducation nationale.

Debut de section - Permalien
Cédric O

Monsieur le sénateur, avec votre question, vous êtes loin d’être hors sujet ; vous y êtes pleinement !

Votre situation est celle de nombre de Françaises et de Français qui ne sont pas forcément des adeptes des réseaux sociaux, …

Debut de section - Permalien
Cédric O

… qui les utilisent plus ou moins et qui se demandent comment une telle folie a pu arriver.

D’abord, et nous devons tous en avoir conscience et l’accepter – ce qui est difficile sur le plan politique – : il n’existe pas de solution simple dans ce domaine ni de solution « packagée ». Autrement dit, il va falloir continuer à mener des expérimentations qui fonctionneront plus ou moins bien.

Le fond du sujet, pour rebondir sur votre propos, c’est bien la formation des gens, leur éducation. Une partie de la population ne comprend plus le monde dans lequel elle évolue, ne comprend plus la manière dont ce monde fonctionne. Oui, il faut mettre le paquet sur l’éducation !

En la matière, nous sommes un peu en retard, même si tout dépend de la façon dont on voit les choses. En effet, la France est le premier pays de l’OCDE à avoir généralisé la formation au numérique, aux codes et à l’ensemble de l’environnement numérique dès la seconde, et ce à hauteur d’une heure et demie par semaine.

Par ailleurs – et je le dis à dessein devant le Sénat –, il appartient aux collectivités de demander à pouvoir disposer de médiateurs numériques, qui seront déployés partout en France et financés à 100 % sur deux ans ou à 70 % sur trois ans. Passez le message, mesdames, messieurs les sénateurs ! L’objectif est d’en déployer 4 000 sur tout le territoire, ce qui n’est pas négligeable.

Vous avez raison, monsieur le sénateur, nous ne nous pourrons faire l’économie d’un effort afin que la population française progresse dans sa compréhension d’internet, du numérique, de son mode de fonctionnement. D’ailleurs, cela ne concerne pas uniquement les personnes âgées : on croise beaucoup de jeunes dans les sessions de formation sur au numérique, qui, s’ils sont très forts pour se servir de leur téléphone portable, le sont largement moins quand il s’agit de rédiger un CV ou d’actualiser leur situation sur le site de Pôle emploi.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

M. François Bonhomme. On va s’inscrire, alors !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie beaucoup de vos explications. Vous êtes très compétent dans ce domaine, et c’est important. Les actions à mener dans ce domaine sont nombreuses. Il faut privilégier les fondamentaux que sont la lecture et l’écrit.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Monsieur le secrétaire d’État, si les divergences d’opinions sont nécessaires pour faire vivre notre démocratie, les discours de haine, l’expression de propos discriminatoires ou les appels à la violence doivent naturellement être sanctionnés. De tels propos nuisent en effet à l’essence même de notre État de droit et au débat républicain.

Certains, dans l’hémicycle ou sur les bancs des ministres, en ont déjà été la cible.

J’ai eu l’occasion de travailler avec l’association Point de contact, reconnue pour son expertise dans la lutte contre les contenus pédopornographiques et terroristes. Cette association avait été présentée par le général de gendarmerie Watin-Augouard, fondateur du forum international de cybercriminalité, qui se tient tous les ans à Lille. Créée en 1998, Point de contact est une plateforme de signalement de contenus illicites et haineux à destination du grand public.

Après avoir trié et qualifié juridiquement les contenus signalés, cette association permet de transmettre à la plateforme Pharos du ministère de l’intérieur les alertes repérées pour que les autorités puissent ouvrir des enquêtes et engager d’éventuelles poursuites judiciaires.

Les membres de structures comme celles-ci sont durement exposés, physiquement et psychologiquement, à la haine et à la violence qui se déchaînent sans filtre sur internet – sans parler des images insoutenables qu’elles sont parfois amenées à visionner.

Ces organismes mettent notamment à la disposition de leurs employés des psychologues pour les suivre. D’ailleurs, de nombreux professionnels de la modération de contenus demandent que leur profession soit reconnue par la médecine du travail comme étant de grande pénibilité.

Monsieur le secrétaire d’État, que pensez-vous de cette demande légitime ? Il faut aider ces structures, surchargées et en sous-effectifs, qui manquent de moyens. Car elles peuvent faire beaucoup dans cette lutte contre la haine.

Debut de section - Permalien
Cédric O

Madame la sénatrice, puisque vous la citez, je vous indique que l’association Point de contact fait partie du groupe de contact permanent où siègent le ministère de l’intérieur, les plateformes et un certain nombre d’associations, d’ONG ou d’intervenants œuvrant dans ce domaine.

Nous sommes là face à un sujet de société, qui ne concerne pas seulement le Gouvernement et les institutions. Si nous voulons faire progresser notre société, réussir à faire reculer la haine en ligne, expliquer aux jeunes et aux moins jeunes ce qu’il est possible de faire sur internet et ce qu’il n’est pas possible d’y faire – ce qui n’est pas tout à fait évident –, nous avons besoin de tout le monde : les associations, les éducateurs de terrain, les professeurs, les policiers, les juges, etc. Les médias ont également un rôle indispensable à jouer.

Vous évoquez le rôle des modérateurs, qui font un travail extrêmement pénible. Vous avez raison : il faut réaliser ce en quoi consiste la journée de travail d’un modérateur, qu’il exerce dans les médias ou qu’il soit chargé d’expurger les contenus haineux.

Pour ma part, j’ai vu et revu, pour des raisons professionnelles, les images des attentats survenus au Niger ou celles de la décapitation de Samuel Paty. À mon humble niveau, ces images sont difficiles à voir, mais j’y étais obligé, devant rapidement alerter le patron de Twitter et celui de Facebook pour qu’ils les fassent retirer.

Ces images, je les ai vues une fois au cours de ma journée – sauf celles des attentats du Niger, que j’ai dû visionner à plusieurs reprises, étant en vacances à ce moment-là. Ces modérateurs, eux, ont le nez en permanence sur ces poubelles de notre société qu’ils sont chargés de vider.

Oui, c’est un métier extrêmement pénible. Pour autant, je serai très honnête avec vous : je ne sais que répondre spécifiquement à la question que vous me posez d’une reconnaissance de la pénibilité de leur travail, ne connaissant pas exactement le cadre juridique dans lequel il s’exerce. Mais il serait logique, en effet, de reconnaître son caractère difficile et pénible.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La parole est à Mme Brigitte Lherbier, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Monsieur le secrétaire d’État, c’était pour moi l’occasion de mettre en avant le travail très important que font ces associations au regard du sujet dont nous débattons aujourd’hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

Je salue l’initiative qui a été prise d’organiser ce débat intitulé : « Contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même. »

En effet, préserver la liberté d’expression, lutter contre les contenus haineux sans censurer : il est bien difficile de cerner cette limite par la loi dans un monde complexe, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État.

Nous devons protéger à tout prix cette liberté d’expression qui est garantie par la Constitution et qui pourtant recule partout en France.

Je le dis fermement : notre liberté d’expression n’est pas négociable. Mais la liberté d’expression n’est pas la seule valeur de notre société : il y a aussi le respect, la décence, le bien commun.

Nous devons aussi refuser et combattre cette augmentation et cette banalisation de la violence, décuplées par la puissance des réseaux sociaux qui, parfois, attisent et prêchent la haine.

Nous devons aussi nous pencher sur les raisons de cette augmentation de la violence. Il y a aujourd’hui un problème d’éducation à cette liberté d’expression, à ses excès, mais aussi un vrai problème moral.

Cette liberté d’expression n’est pas toujours bien comprise et bascule parfois dans la calomnie, l’injure, et produit ainsi de la violence.

La liberté d’expression, c’est la contradiction, le débat, la recherche de la vérité. À l’époque des attentats de 2015, le philosophe Régis Debray avait une formule que je trouve intéressante : « Le désert des valeurs fait sortir les couteaux. »

Dans un monde si relativiste, où l’on déconstruit les notions d’autorité, de respect et où il n’y a plus de vérité, mais des vérités, comment s’étonner de cette montée de la violence ?

Je suis également frappé que, aujourd’hui, en France, pays démocratique, on ne puisse plus dire certaines choses ni engager certains débats.

La censure n’est pas la solution, et je suis opposé à ce que les GAFA régulent notre liberté d’expression. Ne créons pas une police de la pensée. J’ajoute que la notion de « contenu haineux » n’est pas définissable et ne peut faire l’objet d’aucune définition juridique. Néanmoins, il me semble qu’il y a un vrai travail à faire en amont pour éduquer à l’esprit critique, à la raison, au débat dans le respect : on combat un adversaire non pas en le bâillonnement juridiquement, mais avec des arguments.

Il faudrait pouvoir faire davantage de prévention et d’éducation sur une utilisation civique et responsable des réseaux sociaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

Monsieur le secrétaire d’État, comment créer, selon vous, les conditions d’un débat serein en France ?

Debut de section - Permalien
Cédric O

Monsieur le sénateur, puisque je réponds à la dernière question, je veux remercier le groupe Les Indépendants et l’ensemble du Sénat d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat intéressant qui, je le pense, nous a permis d’avancer, hors de toute polémique politique. Nous avons besoin de davantage d’échanges de ce type, dans un cadre apaisé, pour que nous puissions trouver des solutions.

Monsieur le sénateur, vous évoquez un sujet encore plus complexe que la haine en ligne : celui de la désinformation et de sa propagation. Car ces contenus ne sont pas illégaux, ou presque jamais. Par exemple, il est difficile de dire du film Hold- up, dont j’ai demandé une analyse juridique, qu’il se situe dans l’illégalité. Tout au plus pourrait-on envisager la qualification de mise en danger de la vie d’autrui. Et encore, ce serait compliqué à prouver.

Pourtant, on mesure l’impact désastreux que peuvent avoir de tels films, vus et crus par nombre de nos concitoyens, sur le débat public, sur notre démocratie et sur la sécurité sanitaire d’une partie de nos concitoyens, à tout le moins.

Il y a là un indispensable travail d’éducation à l’esprit critique et à la pensée critique à mener, ce dont Jean-Michel Blanquer est parfaitement conscient.

Ce n’est pas en dénonçant une affirmation comme fausse et en proclamant la vérité que l’on réussira mener ce combat. Je vous renvoie notamment aux écrits du sociologue Gérald Bronner, dont je considère les travaux sur la désinformation comme étant les plus intéressants – ce n’est d’ailleurs pas sans lien avec la déradicalisation.

Il faut éduquer les gens à exercer leur esprit critique, ce qui ne peut se faire en une session d’une heure ou deux. Ce travail de long terme est la seule solution pérenne et durable dont disposent les démocraties pour combattre cette désinformation.

Nous ne sommes pas au bout du chemin, et c’est une question extrêmement importante.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

En conclusion de ce débat, la parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, pour le groupe auteur de la demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Jean Verzelen

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, je remercie le Gouvernement et l’ensemble de nos collègues de leurs contributions, de leurs analyses et de leurs propositions sur un sujet qui nourrit, à juste titre, beaucoup de débats en France, en Europe et dans le monde.

Facebook en 2004, YouTube en 2005, Twitter en 2006, puis Instagram, Snapchat et, plus récemment, TikTok, tous rencontrent un succès assez phénoménal auprès de ceux qui ont accès à internet et aux smartphones.

Si ces publications, ces stories, ces hashtags rencontrent un grand succès, c’est qu’ils répondent à des aspirations profondes : s’exprimer, communiquer, partager.

Les réseaux sociaux ont bouleversé nos vies, le journal de vingt heures a été remplacé pour beaucoup par un fil d’actualité, l’article de presse, l’éditorial a été balayé par un post, le coup de fil à un ami s’est transformé en une accumulation de notifications et d’échanges de messages. On peut le regretter, on peut l’approuver, on peut le critiquer, mais, aussi vrai que le soleil se lève à l’est et qu’il se couche à l’ouest, c’est un fait qui fait partie de nos vies et nous ne reviendrons pas en arrière.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Jean Verzelen

Si – et nous sommes d’accord pour l’affirmer – une écrasante majorité utilise les réseaux sociaux de manière bienveillante, certains s’en servent pour développer des théories fumeuses pour déverser leur haine et pour insulter l’intelligence collective.

Sous couvert de la liberté d’expression, ils mettent en danger la liberté, la vraie, celle des idées, celle des arguments, du débat, celle qui permet à une société de s’additionner et de progresser.

Au final, ils nous interrogent et nous mettent devant nos responsabilités sur un enjeu essentiel, celui du vivre ensemble.

La question qui nous est posée est celle-ci : comment trouver les moyens de réguler les réseaux sociaux ?

Chaque Française, chaque Français, dans sa vie publique, doit, partout et chaque fois, prouver qui il est, assumer son identité, justifier de sa situation, d’un lieu d’habitation, montrer son visage. Partout et chaque fois, sauf sur internet et sur les réseaux sociaux !

Les Facebook, Google et Twitter sont trop contents d’accumuler, sans aucun contrôle, les profils, synonymes pour eux d’autant de pub’ et de données à revendre. Il faut en finir avec le règne du pseudo-anonymat !

C’est la responsabilité individuelle qui crée les conditions du vivre ensemble. C’est l’anonymat qui crée l’irresponsabilité qui engendre, pour beaucoup, les débordements, les mises en cause et les insultes qui gangrènent les réseaux sociaux.

La presse, la télévision, l’ensemble des médias sont responsables devant la loi des contenus qu’ils publient. Pourquoi en irait-il autrement des réseaux sociaux ? La même loi doit s’appliquer à tous les éditeurs de contenu.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Jean Verzelen

Les algorithmes de Google et de Facebook sont assez puissants pour connaître la marque des chaussures que nous portons, les lieux que nous fréquentons et les personnes que nous avons croisées récemment. Mais les mêmes algorithmes ne sont pas en mesure de bloquer les profils suspects, d’empêcher les appels à la haine et de casser les groupes de farfelus ou de dangereux qui se réunissent : mensonge, triple mensonge !

La vérité, c’est que ces plateformes ont une obsession, une priorité : le nombre d’utilisateurs, donc la valorisation du cours en Bourse et l’optimisation fiscale – ou plutôt l’évasion fiscale.

Nous ne devons pas rester impuissants. Plusieurs orateurs l’ont rappelé : certains pays d’Europe ont pris des mesures, qui ont en partie donné des résultats. En France, un pas avait été fait avec la loi Avia, dont les principaux articles ont été censurés par le Conseil constitutionnel.

Le législateur, le Gouvernement et les instances européennes doivent être à l’initiative d’un nouveau cadre qui contraindra les réseaux sociaux à lever l’anonymat et leur fera assumer leur responsabilité devant la loi. Le Conseil constitutionnel doit l’entendre : au nom d’une fausse liberté d’expression, on risque de laisser une minorité prendre le pas sur la majorité.

Mes chers collègues, ne jamais laisser mettre en cause les fondements de la démocratie et de la République : telle est notre responsabilité !

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat intitulé : « Contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même. »

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.