Intervention de François-Noël Buffet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 1er décembre 2020 à 14h00
Audition de M. Le Général d'armée christian rodriguez directeur général de la gendarmerie nationale

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, président :

Nous auditionnons à présent le général d'armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale. Nous avons souhaité l'auditionner, comme nous en avons d'ailleurs l'habitude, pour évoquer les nombreuses actualités en matière de sécurité intérieure. Nous aurons à examiner prochainement la proposition de loi relative à la sécurité globale, dont nos rapporteurs sont Marc-Philippe Daubresse et Loïc Hervé. Le Livre blanc de la sécurité intérieure vient par ailleurs d'être rendu public, et nous nous réjouissons qu'il reprenne quelques préconisations formulées par le Sénat au cours des dernières années. En cette période de profondes mutations, nous souhaiterions avoir votre vision opérationnelle sur les évolutions, notamment législatives, qui sont aujourd'hui sur la table.

Cette audition prend toutefois un tour un peu particulier du fait de l'actualité. Partout, dans la presse, à la télévision, des discussions s'ouvrent sur l'action des forces de l'ordre : certains mettent en cause leurs manières de faire, d'autres leur apportent leur soutien. Dans ce contexte, je souhaiterais recueillir votre avis sur un sujet, celui de la formation des forces de l'ordre et son adéquation aux enjeux auxquelles elles sont aujourd'hui confrontées. Il me semble qu'il s'agit d'une des clés du débat.

Je salue aussi la présence de Mme Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, et de M. Rémy Pointereau et Mme Corinne Féret, qui étudient, pour le compte de la délégation, l'ancrage territorial de la sécurité intérieure.

Général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale. - Dans un contexte qui, depuis déjà un certain nombre d'années, voit se succéder des crises, une hausse de la violence et l'émergence de nouvelles menaces, la gendarmerie nationale a pour rôle de répondre présente, notamment par la mise en oeuvre au quotidien des priorités gouvernementales. Elle doit continuer à se transformer et à s'adapter à son environnement, et ce en lien et en confiance avec les élus, la population et les gendarmes eux-mêmes.

En outre, nous devons entretenir et développer, comme nous le faisons depuis la création de notre maison - qui a un peu plus de sept siècles d'histoire -, toutes les synergies possibles avec l'ensemble des acteurs de la sécurité : la police nationale, la police municipale, la sécurité privée et tous les acteurs qui concourent à la sécurité de la population ; c'est ce que nous appelons le continuum de sécurité. Pour ce faire, nous devons utiliser le levier des nouvelles technologies, dans un cadre juridique adapté, et ainsi gagner en efficacité.

Notre dynamique s'inscrit pleinement dans les dispositions de la proposition de loi relative à la sécurité globale.

Il s'agit d'abord de notre transformation, de notre adaptation à un nouvel environnement et du lien de confiance que nous devons tisser avec les élus, la population et les gendarmes. À ma nomination, voilà un peu plus d'un an, nous avons formalisé tout cela dans une stratégie intitulée Gend 20.24, que nous pouvons résumer par l'axiome suivant : pour la population et par le gendarme.

Notre ambition est d'offrir à la population une protection sur-mesure, qui doit se matérialiser par une priorité donnée au contact, à la proximité et à l'intelligence locale. Il convient par ailleurs de tenir compte des nouvelles frontières qui ont vu le jour, à savoir le numérique, le cyber, l'environnement, la biosécurité et une nouvelle mobilité, et des attentes fortes de l'ensemble de nos concitoyens, dans une société qui bouge en permanence. Nous devons également, bien entendu, assurer nos missions fondées sur le pacte républicain, et continuer notre lutte contre les violences familiales et la haine, pour ne citer qu'elles.

Cette protection sur-mesure, donc, ne sera efficace que si notre action est parfaitement ancrée dans la réalité des territoires, comprise et acceptée par la population. Cela impose que cette offre de sécurité soit locale et systématiquement construite en lien avec les élus et l'ensemble des acteurs locaux.

Nous devons également nous ouvrir vers l'extérieur, éviter d'être complètement ethno centrés, en proposant à nos officiers des référentiels différents et en acceptant dans nos rangs des personnes qui viennent d'autres horizons, pour nous obliger à nous remettre en question, à progresser.

Le gendarme, c'est la vraie richesse de la gendarmerie. C'est lui que la population croise chaque jour sur notre territoire, et non le directeur général de la gendarmerie nationale. Je salue son engagement en tout temps et en tout lieu. Nous l'avons encore vu récemment dans les Alpes-Maritimes.

Cette volonté de placer le gendarme au centre de notre stratégie d'entreprise se matérialise par les éléments suivants : le sens donné à l'action, le recrutement, la formation initiale, la formation continue et la culture. Nous inculquons également aux jeunes qui nous rejoignent la notion d'éthique, une déontologie, ainsi que la valorisation de l'engagement, des compétences et du dialogue interne. Mais aussi la bienveillance et l'accompagnement dans la gestion des ressources humaines.

Je ne suis pas cynique de nature, mais je dirai qu'un gendarme ne peut se sentir bien au travail que s'il se sent bien chez lui. Nous devons donc tout faire pour que les conditions de vie et de travail du gendarme soient les meilleures possible. Cela passe notamment par un accompagnement dans leur parcours, afin qu'ils disposent d'une liberté totale dans leur choix de carrière ; nous devons leur ouvrir le champ des possibles, pour qu'ils puissent, avec leurs proches, comprendre et accepter les bons et les mauvais côtés de ce métier.

Par ailleurs, la valorisation de l'innovation nous oblige, d'une part, à nous transformer, à nous demander en permanence comment faire bouger les lignes. Le premier confinement nous a amenés à changer, de façon considérable, nos pratiques et notre façon de voir les choses. D'autre part, elle nous pousse à reconnaître notre droit à l'erreur dans les territoires. Pour répondre à ce besoin de sécurité, nous devons accepter que des décisions soient prises à l'échelon local, sans attendre une réponse de la direction générale. Cependant, j'attends des chefs sur le terrain que, quand ils se trompent, ils le reconnaissent et proposent d'autres solutions, toujours dans l'intérêt de nos concitoyens.

Je parlais également de la nécessité de placer le gendarme au coeur de la stratégie d'entreprise, afin d'assurer un équilibre entre les compensations et les suggestions. Cet équilibre n'existe que si nous protégeons ceux qui nous protègent. Un certain nombre de mesures ont déjà été prises, ces dernières années. Nous avons consacré, par exemple, 15 millions d'euros pour sécuriser les casernes de gendarmerie. Nous travaillons également sur l'amélioration des protections individuelles et de la protection fonctionnelle - attribuée dans 98 % des cas -, face à la hausse des violences perpétrées à l'encontre de nos gendarmes. La proposition de loi vise, elle aussi, à assurer une meilleure protection de nos personnels.

Pour répondre présente, la gendarmerie doit également entretenir et développer des synergies avec tous les acteurs de la sécurité, dans cette logique de continuum de sécurité. Cette logique de coopération et de partenariat - ou de coproduction de sécurité - n'est pas nouvelle, ces termes sont employés depuis quelque temps déjà.

Face à l'évolution des menaces, à l'augmentation de la violence, aux situations de crise, notre seul objectif doit être de garantir la sécurité de nos concitoyens. Nous devons sans cesse nous poser la question suivante : comment pouvons-nous améliorer durablement la sécurité de la population sur tel territoire ou dans tel domaine ?

Cette réflexion doit être conduite en toute transparence et en lien très étroit avec les élus. Les éléments doivent être objectivés afin de définir, de façon très fine, une offre de sécurité adaptée aux besoins et aux attentes locales.

La crise sanitaire nous a retardés dans ce projet, mais je souhaite que, dans un territoire donné, nous puissions rendre compte au maire de la situation en termes de criminalité, de délinquance et d'incivilités, et lui proposer des solutions adaptées. Les outils numériques nous permettent assez facilement de procéder ainsi. Nous souhaitons que le maire, après discussion, valide le projet établi, que nous le mettions en oeuvre pour, par exemple, deux mois, afin de l'expérimenter, de faire un bilan et de le modifier en fonction des besoins. Associer les élus est indispensable, la gendarmerie ayant vocation à leur rendre des comptes, ainsi qu'à la population. La gendarmerie est au service de la population, sinon elle n'a aucune raison d'exister. Nous expérimenterons ce procédé dans neuf départements que nous avons identifiés.

Dans ce contexte, l'action des polices municipales et de la sécurité privée doit également être valorisée, mais aussi coordonnée et encadrée. C'est indispensable et la proposition de loi présente des solutions.

S'agissant des polices municipales, l'offre de sécurité de proximité qu'elles proposent est désormais incontournable. Elles sont légitimées par les prérogatives et la connaissance du terrain des maires. Cette offre doit être renforcée et catalysée par des actions de partenariat que nous pouvons initier entre nos services réciproques. Déjà, 2 000 conventions de coordination ont été élaborées.

Concrètement, nous travaillons ensemble au développement de bonnes pratiques et sur des sujets d'interopérabilité radio, avec la mise en place notamment d'un centre opérationnel qui dirige les patrouilles vers les endroits où les besoins sont réels. Des patrouilles mixtes, policiers municipaux et gendarmes, ont également été constituées, et dans certaines communes, nous nous sommes engagés à dispenser des formations techniques aux policiers municipaux.

Les polices municipales reflètent toutefois des réalités très différentes. Je rappelle que moins d'une commune sur dix bénéficie, en zone gendarmerie, d'une police municipale. En outre, certaines polices ne disposent que d'un agent, quand d'autres en comptent un grand nombre. Par ailleurs, seulement le tiers des policiers municipaux sont en zone gendarmerie, alors que celle-ci représente 52 % de la population et 95 % du territoire.

Les dispositions contenues dans la proposition de loi vont dans le bon sens, car elles incitent les communes et les établissements publics de coopération communale (EPCI) à se doter d'une police municipale et leur offrent de nouveaux modes d'action, dans une logique de respect des prérogatives régaliennes.

Lorsque j'étais en fonction en Haute-Savoie, nous avons beaucoup travaillé avec la police municipale d'une ville qui fait maintenant partie du Grand Annecy. Cette police ne doit pas être considérée comme la force qui effectue les tâches que les forces de l'ordre régaliennes n'ont pas envie ou n'ont pas le temps de faire. Non, nous devons collaborer, utiliser les compétences des uns et des autres.

De même, la sécurité privée apporte un appui précieux aux gendarmes. D'ailleurs, un certain nombre de nos missions, telles que les gardes statiques, pourraient être effectuées par celle-ci. La sécurité privée, ce sont 200 000 agents. C'est un secteur hétérogène, certes, mais qui doit poursuivre sa structuration afin de contribuer pleinement au continuum de sécurité.

Nous avons mené en région parisienne une expérimentation baptisée Griffon - calquée sur ce qui se fait en Angleterre -, pour laquelle la sécurité privée avait été placée en relais, comme une source d'information au profit des forces régaliennes. D'autres exemples étrangers sont très intéressants et nous permettraient d'être plus performants.

Enfin, je terminerai mon propos liminaire par le levier que représentent les nouvelles technologies, qui, bien entendu, doivent être encadrées juridiquement.

Les missions quotidiennes de nos gendarmes sont de plus en plus complexes et prennent du temps. D'ailleurs, nous ne voyons pas autant de gendarmes sur le terrain qu'il y a trente ans. Un peu par la force de l'habitude, les gendarmes peuvent passer un nombre d'heures important sur des procédures dont nous savons qu'elles ont peu de chance d'aboutir.

En outre, il est important que les gendarmes qui sont sur le terrain patrouillent au bon endroit, au bon moment. Pour cela, nous disposons de nouveaux outils qui nous permettent d'être plus performants.

Je prendrai l'exemple de deux algorithmes que nous expérimentons. Le premier nous permet d'établir des statistiques sur les lieux des cambriolages, afin que nous puissions anticiper et patrouiller sur les lieux potentiels, soit pour éviter un cambriolage, soit pour intervenir plus vite.

Nous avons expérimenté cet algorithme dans onze départements. Les forces de gendarmerie ont amélioré leurs statistiques de trois points, alors même qu'il n'est pas parfait. Nous continuons donc à le développer.

Le second algorithme vise à optimiser la présence des gendarmes la nuit. En effet, nous envoyons de trop nombreuses patrouilles, à de trop nombreux endroits, alors que l'activité ne le justifie pas. Et ce pour une raison simple : une réglementation interne indique que chaque gendarme doit effectuer une patrouille de nuit hebdomadaire.

J'ai commandé la gendarmerie de Corse pendant deux ans et demi, et je puis vous affirmer qu'en hiver, il ne se passe pas grand-chose la nuit. Contrairement à l'été. Et un gendarme qui patrouille la nuit dort le jour. Cet algorithme permet donc de déterminer combien de patrouilles sont nécessaires, à quel endroit et à quel moment.

Prenons l'exemple du département de l'Isère, qui est un grand département, où sont présents 1 400 gendarmes. Grâce à cet algorithme, non seulement moins de gendarmes patrouillent la nuit, mais ils ont amélioré leur performance en réactivité - ils ont pu effectuer des flagrants délits la nuit. Par ailleurs, quarante gendarmes ont pu être dégagés des patrouilles de nuit - ce qui fait plus de monde le jour. Les élus nous ont signalé que, depuis, ils voyaient plus de « bleus », ce qui a certainement évité la commission d'infractions ou de délits. Tout s'est bien aligné : le ressenti des élus, une baisse des cambriolages, des conducteurs qui roulaient moins vite...

Nous expérimentons cet algorithme dans cinquante-cinq départements. L'année prochaine, nous l'utiliserons sur tout le territoire.

Toutes ces mesures visent à renforcer notre présence sur le terrain, afin d'être plus efficaces. En effet, la mission de la gendarmerie n'est pas de courir après les voleurs, mais de faire en sorte qu'il n'y en ait pas. Il n'y a des voleurs que si nous avons échoué dans la prévention de la délinquance. Or la prévention n'est possible qu'avec des gendarmes qui patrouillent.

La gendarmerie fait vivre un maillage de 3 100 brigades et, dès l'avènement de l'informatique, nous avons utilisé des technologies pour que les gens puissent communiquer entre eux. Avant même internet, nous étions capables, à partir d'une Renault 4L équipé d'un terminal, d'envoyer un message depuis la Haute-Savoie vers la Nouvelle-Calédonie de manière instantanée.

Nous continuons à développer notre culture informatique. En 2020, 40 % des officiers recrutés étaient ingénieurs. Et nous souhaitons augmenter cette jauge pour disposer de davantage de scientifiques.

Mais bien évidemment, ces nouvelles technologies doivent être encadrées juridiquement, notamment pour préserver les libertés individuelles.

S'agissant des caméras-piétons, nous les testons depuis quelques années déjà. De l'avis de tous, elles permettent d'apaiser des situations compliquées. Cependant, nous avons eu jusqu'à présent un problème de qualité. Celles dont nous allons doter nos gendarmes l'année prochaine sont plus performantes que les premières que nous avons expérimentées.

La proposition de loi prévoit des dispositions qui non seulement vont sécuriser l'utilisation des caméras-piétons, mais qui vont également permettre aux gendarmes d'exploiter les images captées en temps réel. Exploiter et non modifier.

Le sujet des drones est aussi important. Ils sont un peu les yeux déportés des gendarmes. Ils permettent de renseigner efficacement et rapidement en limitant les risques, et donc d'optimiser la présence des gendarmes au bon endroit, au bon moment.

La richesse de la gendarmerie, c'est le gendarme. Mais la valeur étalon, c'est le temps du gendarme. Notre objectif est de faire en sorte que le temps des gendarmes soit le mieux employé possible pour sécuriser la population.

Nous disposons également d'hélicoptères dotés de caméras, mais le drone est moins cher. Pour les nouveaux modèles d'hélicoptères, l'idée est de changer de capacité ; demain, l'hélicoptère H160 doit nous permettre de projeter des capacités, pour le Groupe d'intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN), le Groupe de recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) de la police nationale et pour les compagnies républicaines de sécurité (CRS). Nous ne souhaitons plus disposer d'hélicoptères capables de filmer.

Concernant les drones, nous avons instauré une doctrine et dispensons une formation de pilote, qui est très encadrée. Le commandement des forces aériennes de la gendarmerie dispose d'une expertise aéronautique. Nous disposons, depuis 2018, de quelque 600 personnels formés et de près 300 drones.

La décision du Conseil d'État du 18 mai 2020 nous a questionnés et a démontré que le cadre d'emploi des drones devait être précisé et sécurisé.

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