Intervention de Laure Darcos

Réunion du 20 novembre 2020 à 11h00
Programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 — Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Photo de Laure DarcosLaure Darcos :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le vote que nous allons exprimer aujourd’hui marque la dernière étape du travail dense et intense que nous avons mené jusqu’alors sur le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030.

La commission mixte paritaire, qui s’est réunie le mardi 9 novembre dernier, est parvenue à l’accord que nous vous soumettons aujourd’hui.

L’examen du projet de loi a été réalisé dans des délais très courts, et je tiens à souligner la qualité du travail effectué dans notre assemblée par l’ensemble des groupes, qui ont tous contribué à l’élaboration du texte, signe que, sur certains sujets, nous pouvons dépasser nos appartenances partisanes. Les débats ont été riches, constructifs et ont démontré l’attachement du Sénat à la pérennité de notre recherche.

Je souhaite également saluer le travail des rapporteurs de l’Assemblée nationale, qui se sont montrés ouverts aux propositions du Sénat, ainsi que le Gouvernement, qui a su écouter et, parfois, se laisser convaincre. Je vous remercie donc, madame la ministre, pour la qualité de nos échanges.

Je crois que le texte proposé aujourd’hui est meilleur que lorsque nous en avons entamé l’examen. Cependant, il nous faut reconnaître et accepter que cet accord repose sur un compromis. Les apports du Sénat n’ont donc pas tous été conservés dans le texte final ; je le regrette, bien entendu.

Je pense tout particulièrement à la durée de programmation. Avec le soutien et l’expertise de notre collègue Jean-François Rapin de la commission des finances, nous avons tenu un discours de vérité, fondé sur des arguments comptables incontestables, relativisant par là même l’effort sur dix ans proposé par le Gouvernement, en présentant une programmation plus courte et plus efficace.

Jusqu’à la dernière minute – je dois bien le dire –, nous avons plaidé pour adresser ce signal fort et rassurant à la communauté de la recherche. Hélas, il nous a fallu nous rallier à la position des députés lors de la commission mixte paritaire. Pour autant, le Sénat a obtenu une amélioration notable de la trajectoire budgétaire par l’intégration de crédits issus du plan de relance : 428 millions d’euros sont attribués à l’Agence nationale de la recherche (ANR) sur deux ans ; 100 millions d’euros seront affectés, dès 2021, à la préservation de l’emploi dans le secteur privé de la recherche et du développement.

Soyons clairs : si l’enveloppe attribuée sur dix ans à la recherche est loin d’être négligeable, elle vaudra en réalité plus pour la stabilité et la visibilité qu’elle offre à la recherche que par l’ampleur de l’effort, sous réserve que les gouvernements successifs en respectent le cadre ; cela n’est pas acquis ! Cette loi offrira donc une garantie, que l’on hésite à qualifier malgré tout de modeste, mais le choc budgétaire que le monde de la recherche était en droit d’attendre n’est pas là.

En conséquence, et pour conclure le débat sur ce point, nous serons, comme vous l’imaginez, très attentifs lors des prochains exercices budgétaires ; nous ne nous interdirons pas de rêver à des gestes plus significatifs encore !

La programmation budgétaire ne résume cependant pas l’ensemble du texte, qui comporte un grand nombre de dispositions utiles et pertinentes traduisant le travail d’écoute mené par Mme la ministre et les parlementaires.

Sans me lancer dans une liste à la Prévert, nous sommes fiers d’avoir pu inscrire plusieurs dispositions essentielles dans le projet de loi. Je souhaite, à ce titre, évoquer la reconnaissance au niveau législatif du respect de l’intégrité scientifique. En cette période si particulière où la science a littéralement débordé des laboratoires et devenir un sujet médiatique, il s’agit là d’un apport essentiel, qui permettra de mieux garantir l’impartialité et l’objectivité des travaux de recherche.

Nous faisons aussi le constat d’une réelle avancée sur la date de mise en œuvre de la mensualisation de la rémunération des vacataires, avant 2022. Ces derniers méritent, en effet, toute notre attention, car ils sont essentiels au fonctionnement de notre système d’enseignement supérieur et de recherche.

Je note également l’inscription, parmi les missions du service public de l’enseignement supérieur, de la sensibilisation et de la formation aux enjeux de la transition écologique et du développement durable, de même que la définition des conditions pour devenir chef d’un établissement de recherche, qui permettent de mieux tenir compte des travaux dont il peut se prévaloir.

Je souhaite, par ailleurs, évoquer ce que j’estime être une erreur d’appréciation de la volonté du Sénat, sur trois sujets précis : les libertés académiques, le délit d’entrave et l’expérimentation du recrutement hors Conseil national des universités (CNU).

Je tiens à réaffirmer le profond attachement du Sénat aux libertés académiques et à l’indépendance intellectuelle de l’université française, telles que garanties par la Constitution. C’est pourquoi nous avons proposé en commission mixte paritaire de retenir la définition suivante, votée à l’unanimité : « Les libertés académiques sont le gage de l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s’exercent conformément aux principes à caractère constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs. »

Au sujet du délit d’entrave, notre intention n’est pas de porter atteinte à la liberté de débattre ou de contester. Nous la garantissons, bien au contraire, en donnant à l’université les moyens de se protéger contre ceux qui refusent le libre exercice des opinions, parfois par des moyens violents. Ce faisant, nous prémunissons l’université contre les tentatives de censure et les pressions inacceptables exercées depuis l’extérieur. C’est la condition sine qua non du progrès intellectuel !

Enfin, sur la question du recrutement hors CNU, nous sommes parfaitement clairs : non, le Sénat n’a pas cherché à supprimer le CNU, qui garde sa pleine compétence s’agissant des maîtres de conférences et du suivi des carrières. Dans le cadre d’une expérimentation, la majeure partie d’entre nous estime simplement que le système actuel de recrutement des maîtres de conférences peut évoluer, avec prudence, et dans le respect du dialogue et de la concertation que j’ai appelé de mes vœux, avec force, à la suite de la lecture du texte au Sénat.

Vous vous êtes d’ores et déjà engagée, madame la ministre, à cette consultation élargie de l’ensemble des acteurs concernés, dont des membres du CNU, et à veiller à encadrer la nouvelle procédure de recrutement de toutes les garanties pour en permettre l’acceptabilité. Nous examinerons avec la plus grande attention les conclusions de cette expérimentation et en tirerons toutes les conséquences.

Je veux formuler une dernière remarque pour conclure. Le processus d’examen et d’adoption d’un projet de loi emprunte beaucoup à la méthode scientifique. Le monde de la recherche vit actuellement une « révolution », pour reprendre l’analyse du philosophe des sciences Thomas Kuhn : à l’évidence, les paradigmes sur lesquels sont fondés notre système ne suffisent plus ; les chercheurs nous l’ont clairement fait comprendre.

Il nous appartient, dès lors, de tirer profit de cette période de crise pour élaborer un nouveau modèle de science. Nous avons mené un travail approfondi et honnête, à l’issue duquel – cela n’est jamais simple ! – il nous est revenu de trancher.

Je n’ai aucune certitude mais j’espère que les solutions proposées par ce texte constitueront les prémices d’une nouvelle science. À l’instar des chercheurs et des enseignants-chercheurs, auxquels je veux rendre hommage, nous serons à l’écoute de la réalité pour amender, améliorer et, en définitive, mieux accompagner notre recherche.

Mes chers collègues, je vous propose donc d’adopter les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de programmation de la recherche des années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur.

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