Intervention de Frédérique Vidal

Réunion du 20 novembre 2020 à 11h00
Programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 — Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Frédérique Vidal :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, cher Laurent Lafon, madame la rapporteure, chère Laure Darcos, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, il y a un peu moins de deux ans, le Premier ministre a lancé l’élaboration d’une programmation de la recherche qui donnerait à notre pays les moyens de demeurer une grande nation scientifique.

Un travail intense a permis de concrétiser cette ambition, au fil des rapports des trois groupes pluridisciplinaires mis en place au printemps 2019, du millier de contributions issues de la communauté scientifique, des dizaines de déplacements que j’ai effectués sur le terrain, des centaines d’heures de discussions avec les dix-sept instances que j’ai consultées, et à l’issue des trois mois de travaux parlementaires ayant permis l’examen de plusieurs centaines d’amendements.

En séance publique, au Sénat, près de soixante-dix amendements ont été adoptés et ont permis d’enrichir le texte sur le volet des libertés académiques, de l’intégrité scientifique, de la lutte contre les conflits d’intérêts, de la place des sciences humaines et sociales, de l’égalité des chances, du handicap, de l’accompagnement des vacataires, ou encore de la formation aux enjeux du développement durable.

Cela fait près de deux ans et, grâce à l’accord trouvé la semaine dernière par la commission mixte paritaire, ce travail de longue haleine est sur le point d’aboutir. Le projet de programmation de la recherche deviendra bientôt – je l’espère ! – une loi de la République.

Cette issue favorable, nous la devons d’abord et avant tout à la qualité des débats que nous avons conduits, ici, au Sénat, mais aussi à l’Assemblée nationale. L’argumentation, la controverse et, parfois même, la dispute sont l’essence de la science ; je pense que nos échanges constructifs, argumentés et respectueux ont fait honneur à leur objet.

C’est dans cet esprit de concorde et de progrès que s’est réunie, la semaine dernière, la commission mixte paritaire. Le texte qui résulte de ses travaux en porte le sceau : il est certes le fruit du consensus, mais d’un consensus exigeant, qui s’est noué sur fond d’enrichissements réciproques, plutôt que de renoncements. La recherche française méritait cet effort.

La présentation de ce texte au Parlement était l’occasion, pour la représentation nationale, de débattre de la science pour elle-même, de réfléchir à la place qu’elle doit avoir dans notre projet de société, de réaffirmer son rôle dans notre démocratie. Je tiens à vous remercier, très sincèrement, d’avoir saisi cette occasion avec autant d’énergie et de conviction. Vous avez ainsi contribué à faire de l’engagement la marque de fabrique de cette loi.

Cette empreinte, c’est le Gouvernement qui l’a apposée initialement, en décidant de consacrer à la science la troisième programmation du quinquennat. À l’heure du réchauffement climatique, des maladies émergentes et du creusement des inégalités, à l’heure du quantique, de l’intelligence artificielle et de la biologie moléculaire, à l’heure de la relance économique et de la course à l’innovation, à l’heure de la montée des populismes et des fanatismes, le Gouvernement a décidé de réaffirmer le pacte que notre pays a noué avec la science au cours de son histoire, pour relever les grands défis qui se présentent à nous et faire progresser la Nation.

Ce choix est plus qu’un choix de société : c’est un choix politique, philosophique et de civilisation, qui revient à confier les rênes de notre destinée collective à la connaissance, plutôt qu’à l’idéologie ou à la croyance. Ce parti pris n’a rien d’une évidence : il est plus facile de s’en remettre au prêt-à-penser, de balayer la complexité d’un revers de la main, d’éradiquer l’incertitude en construisant sur du sable des semblants de certitudes, que l’on martèlera comme des dogmes pour leur donner la force qui leur manque, plutôt que de chercher à savoir et de s’aventurer dans le labyrinthe de la connaissance, avec tous les tâtonnements, les doutes et les impasses que cela implique.

La science, soyons clairs, ne nous installe pas dans le confort. Mais elle constitue la seule démarche qui nous permette d’être dans le vrai, dans le monde et dans ses possibles.

Ce chemin de la lucidité, de la clairvoyance, des potentiels actualisés et des rêves réalisés, c’est celui que vous avez ouvert à notre pays au travers de ce projet de loi de programmation.

S’engager pour la science, c’était d’abord, et avant tout, s’engager envers ceux qui la font vivre. À l’aube de cette loi, nous avons fait des promesses à la communauté scientifique française : nous lui avons promis de la visibilité, des moyens et du temps. Grâce au travail que nous avons accompli ensemble autour de ce texte, ces attentes, en suspens depuis trop longtemps, seront enfin satisfaites.

En fixant un horizon et des jalons pour l’atteindre, la programmation donne à nos chercheurs une vision claire de l’évolution du budget de la recherche, a minima pour les dix prochaines années. Cette visibilité sur les 25 milliards d’euros progressivement injectés dans l’écosystème scientifique signifie deux choses importantes pour la communauté : l’assurance que les projets qu’elle engage aujourd’hui seront soutenus dans la durée ; la preuve que la page de la dévitalisation de la recherche française est enfin tournée.

Autrement dit, cette visibilité est le socle d’une confiance retrouvée, que les travaux parlementaires ont encore approfondie. Après des années de sous-investissements et de désillusions, nous devions à nos chercheurs une trajectoire à la fois ambitieuse et robuste, que les apports respectifs de l’Assemblée nationale et du Sénat ont conduit à renforcer.

L’articulation de la programmation avec le plan de relance, que vous avez permise, crédibilise la montée en charge des moyens de la recherche sur les premières années, tandis que la clause de revoyure permettra de l’ajuster à la réalité économique de notre pays, au minimum tous les trois ans.

Grâce à cet équilibre, la durée de la programmation sur dix ans, qui fait sens dans le monde de la science, permet une projection tant sur le plan intellectuel que sur le plan institutionnel.

Dix ans, c’est bien l’unité de temps d’un projet de recherche ; mais c’est aussi l’ambition du programme Horizon Europe : en effet, il est aujourd’hui impensable de construire une politique de recherche nationale pertinente en dehors du cadre européen.

Nous nous étions engagés à redonner à nos chercheurs des moyens. Grâce aux conclusions positives de la commission mixte paritaire, cette promesse sera tenue dès 2021, en matière de financements comme en matière de ressources humaines. Le budget de l’ANR amorcera sa montée en puissance à la rentrée prochaine avec une hausse de 428 millions d’euros sur deux ans dans le cadre du plan de relance, pour atteindre 1 milliard d’euros supplémentaires en 2030. Je me réjouis que la commission mixte paritaire ait intégré cet effort dans la trajectoire de la programmation. C’est, je crois, la reconnaissance justifiée de l’engagement de l’État envers la recherche et un gage supplémentaire de transparence offert aux chercheurs.

Derrière cette hausse du budget de l’ANR, il y a bien plus, vous le savez, que la consécration de notre agence nationale. Il y a aussi l’ouverture de ses financements à la diversité des disciplines, des équipes et des démarches, avec un taux de succès de ses appels à projets relevé à 30 %. Il y a une meilleure répartition des moyens, grâce aux 450 millions de crédits supplémentaires qui seront générés par le préciput et qui reviendront, non pas aux lauréats des appels à projets, mais à leurs collègues de laboratoire, d’établissement ou de site.

Bref, derrière cette hausse du budget de l’ANR, il y a tout autre chose que la construction d’un monopole ou l’exaltation de la concurrence, comme certains ont pu le prétendre. La programmation introduit, bien au contraire, de la solidarité dans la compétition, du métissage dans l’excellence, de l’ouverture dans la sélection, et du financement récurrent au cœur même du financement compétitif. L’équilibre entre ces deux canaux est encore renforcé par l’augmentation des crédits de base des laboratoires. Là encore, vos travaux ont été précieux puisqu’il est désormais inscrit dans le texte que les moyens des laboratoires augmenteront de 10 % dès 2021, avant d’atteindre 25 % en 2023.

La recherche ne vit pas que de subventions, elle se nourrit avant tout de curiosité, de ténacité, d’imagination, autrement dit de génie humain ; là aussi, nous avons tenu nos engagements. La programmation nous donne les moyens d’assurer l’avenir de la science française, en attirant à elle les talents les plus prometteurs et les plus diversifiés. Notre ambition était d’envoyer un signal de bienvenue aux jeunes générations : les travaux parlementaires en ont accru la portée. L’augmentation de la rémunération des contrats doctoraux et la systématisation de leur financement, ainsi que la sécurisation des parcours de thèse constituent un axe important de cette loi en faveur du doctorat. Les travaux parlementaires l’ont conforté, en apportant des précisions et des garanties supplémentaires au contrat doctoral et au contrat postdoctoral créés par la loi.

Une large part de la revalorisation des métiers scientifiques s’est par ailleurs jouée dans le protocole sur les rémunérations et les carrières, conclu entre le Gouvernement et les partenaires sociaux le 12 octobre dernier. L’équilibre, la cohérence et l’ambition de cet accord doivent beaucoup au débat parlementaire et au dialogue social, qui ont avancé en parallèle.

La convergence indemnitaire et les mouvements de repyramidage qu’il engage se traduiront concrètement, dès l’an prochain, par de meilleurs salaires et de nouvelles perspectives de promotion pour tous les corps et tous les grades. C’est la première fois qu’un tel effort est fait à l’égard de la communauté scientifique. En consacrant cet accord dans la programmation, vous avez associé l’ensemble de la Nation à cette reconnaissance portée par le Gouvernement – je vous en remercie.

Ce protocole prend acte de l’engagement que j’avais pris l’an dernier à l’égard des jeunes chercheurs. Ces derniers ne seront plus recrutés au-dessous de 2 SMIC et bénéficieront, par ailleurs, d’un accompagnement de 10 000 euros en moyenne pour débuter leurs travaux. Nous le savons, notre capacité à attirer les meilleurs vers la recherche dépend autant du salaire que de l’environnement global que nous sommes en mesure de leur proposer.

C’est pourquoi ce projet de loi a aussi pour ambition d’améliorer les conditions d’exercice de la recherche, de même que la vie des laboratoires. Nous nous étions engagés à redonner à nos chercheurs le temps que les formalités administratives et la course aux personnels techniques leur avaient confisqué au fil des réformes de structures, parce que le temps est, avec le talent, le premier combustible de la recherche.

Cet engagement se traduit : par des simplifications concrètes du quotidien de la recherche, notamment via le regroupement des appels à projets sous un portail unique ou la clarification du fonctionnement des unités mixtes de recherche (UMR) ; par davantage de possibilités offertes aux enseignants-chercheurs de consacrer des périodes définies de leur carrière exclusivement à leurs travaux de recherche ; par la création de 5 200 emplois supplémentaires, y compris des emplois d’ingénieurs et de techniciens, dont le manque se fait cruellement sentir dans les laboratoires.

C’est donc bien un nouveau quotidien que nous sommes en train de construire pour la recherche, avec des moyens inédits, des équipes consolidées et du temps pour travailler.

Mais nous sommes allés plus loin : nous avons aussi donné à la recherche de nouveaux outils pour qu’elle puisse elle-même prendre en main son destin : l’engagement de l’État à l’égard de la communauté scientifique passe aussi par la reconnaissance et l’approfondissement de son autonomie.

La programmation met ainsi à la disposition des établissements d’enseignement supérieur et de recherche trois nouveaux dispositifs, dont ils seront libres de se saisir pour bâtir leur stratégie scientifique. Je pense notamment aux contrats à durée indéterminée (CDI) de mission scientifique, qui permettront de recruter ingénieurs et techniciens pour mener à bien un projet aussi longtemps que celui-ci l’exigera. S’ajoutent à cela les chaires de professeurs juniors, qui permettront d’attirer des profils très disputés à l’international ou dont le parcours est très atypique.

Là encore, les travaux parlementaires ont permis à ces nouveaux dispositifs de trouver leur juste place aux côtés des voies traditionnelles de recrutement. Introduire l’exception signifie, non pas que l’on renonce à la règle, mais bien que l’on ne s’interdit pas d’expérimenter et d’innover. C’est cette même philosophie qui a guidé notre réflexion sur les modalités de recrutement des enseignants-chercheurs.

Ouvrir la possibilité pour les universités d’admettre des candidats à concourir à des fonctions de maître de conférences ou de professeur des universités, sans avoir été au préalable qualifiés par le CNU, ce n’est pas attenter à l’existence de cette instance nationale, dont 80 % de l’activité est ailleurs. C’est plutôt franchir une nouvelle étape dans la marche des établissements vers l’autonomie, c’est faire confiance à nos universités et à l’ensemble de nos universitaires pour prendre leurs responsabilités et constituer leurs équipes avec intelligence, transparence et ouverture.

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