Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 10 décembre 2009 à 15h00
Concentration dans le secteur des médias — Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’initiative de notre collègue David Assouline doit être saluée pour au moins une raison : elle nous permet d’ouvrir un débat fondamental et salutaire dans une démocratie moderne. En effet, s’assurer de l’indépendance des médias, qui jouent un rôle déterminant dans la construction de l’opinion publique, c’est s’assurer d’un débat démocratique dynamique.

Ce texte me donne l’opportunité de réaffirmer l’attachement de l’ensemble des sénateurs du groupe de l’Union centriste à un secteur des médias indépendant, pluraliste et de qualité. Ces dernières années, nous n’avons cessé de rappeler ces exigences, à l’occasion de la loi sur l’audiovisuel public ou, avant cela, de la loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur.

Si la question posée par notre collègue est donc parfaitement légitime dans son principe, sa proposition est inappropriée dans les faits, et inopportune dans les circonstances de mutations profondes que nous vivons et de crise que nous traversons.

Cette proposition de loi concerne à la fois l’audiovisuel et les journaux d’information.

Nous avons déjà débattu au sein de cet hémicycle, le 17 mars dernier, du secteur de la presse écrite, qui traverse actuellement une crise aiguë. Il s’agissait alors d’évoquer les raisons de cette crise et de formuler des propositions. Nous avions notamment abordé la question de la concentration dans le secteur des médias.

Pour répondre à notre collègue, notre rapporteur a rappelé dans son exposé que les règles anti-concentration étaient déjà très nombreuses dans notre pays. Je vous renvoie aux conclusions des états généraux de la presse écrite, qui se sont tenus l’an passé, notamment aux conclusions du pôle « Presse et société » et du sous-pôle « Pluralisme, concentration et développement ».

J’ai eu l’honneur, pour le compte de notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication, de participer aux travaux de ce dernier. Je puis témoigner que les professionnels engagés dans la réflexion et l’analyse de ce sujet, dans toute leur diversité, ont jugé que le dispositif anti-concentration résultant des lois de 1986 – la loi portant réforme du régime juridique de la presse et la loi relative à la liberté de communication – n’appelait pas de modification substantielle par voie législative. En 2005, les préconisations du rapport de la commission Lancelot faisaient déjà le même constat.

Ils ont par ailleurs établi que la « concentration demeurait faible en France, malgré de récents regroupements dans la presse quotidienne régionale ». En effet, le secteur de la presse en France est un marché particulièrement éclaté, et ce en dépit des regroupements intervenus dans les années quatre-vingt-dix.

La question de l’indépendance de la presse et des journalistes à l’égard du pouvoir politique et du secteur économique a également été abordée lors des travaux du pôle « Presse et société ». Ce pôle a insisté sur la nécessité de lever ces soupçons et a conclu que « les efforts de rétablissement de la confiance devaient passer par une réflexion et une action propres au secteur de la presse et ne pas impliquer les pouvoirs publics ».

En revanche, nul doute qu’il est nécessaire, comme le préconise Patrick Eveno, qui a dirigé ces travaux, de mettre en place des moyens pour assurer la pleine transparence financière des entreprises de presse afin de clarifier d’éventuels liens économiques avec la puissance publique. Il a évoqué la création d’un observatoire du pluralisme et de la transparence dans les médias.

Sur le fond, les états généraux ont conclu que la clé du rétablissement d’une relation de confiance entre la presse et ses lecteurs était à trouver dans une publicité accrue de l’actionnariat des entreprises de presse.

La proposition de loi paraît donc inappropriée, parce qu’elle est en décalage complet avec tout le travail de fond réalisé dans les mois qui viennent de s’écouler.

Elle est également inopportune et présente des risques. Même si, dans le secteur des médias, on est souvent en présence de grands groupes, l’équilibre de ce secteur économique n’en est pas moins fragile : il a ses contraintes techniques et a besoin d’être encouragé pour que se constituent des groupes capables d’affronter la concurrence internationale.

En tant que législateur, notre rôle est de rechercher en permanence l’équilibre nécessaire entre le pluralisme et l’indépendance des médias, mais aussi leur stabilité économique. Au moment où le monde audiovisuel est confronté à des défis sans précédent, avec le passage au tout numérique, l’arrivée de la télévision numérique terrestre, la TNT, et du global media, au moment où la presse connaît une crise de mutation peut-être encore plus profonde, il est irréaliste de vouloir restreindre la propriété des groupes médiatiques.

Le dispositif que vous proposez, monsieur Assouline, est tellement contraignant que je ne vois pas comment les entreprises françaises de médias pourraient trouver les moyens de financer leur développement.

À coup sûr, ce dispositif appauvrirait un secteur aujourd’hui en pleine mutation. Qui viendrait cofinancer le passage au numérique ? Rappelons que les chaînes auxquelles vous faites lourdement allusion y participent de manière conséquente. Si l’on se contentait des chaînes nationales du service public et de quelques chaînes financées par les collectivités territoriales, l’indépendance serait-elle pour autant garantie ?

Pire, à travers les obligations des chaînes historiques privées en matière d’investissement dans la création, c’est tout un pan du secteur de la création audiovisuelle qui serait alors mis en péril ! Avez-vous conscience, monsieur Assouline, de mettre en danger les artistes ?

Encore une fois, tout cela apparaît en complet décalage avec une offre d’information qui n’a jamais été aussi large et diversifiée dans ses supports !

À cet égard, on soulignera le rôle grandissant – et le mot est faible – joué par internet : l’information est partout sur le réseau. Pour certains, on en arriverait même à une surinformation tant l’offre est foisonnante. Chaque mois, de nouveaux sites d’information et de nouveaux blogs, ouverts par des journalistes mais aussi par des intellectuels ou des politiques, témoignent d’une véritable vitalité démocratique.

En matière de pluralisme de l’information, l’offre papier est multiple et couvre le spectre des opinions. Le système des aides publiques y concourt. Nous venons de voter le budget de la mission « Médias » et nous avons pu noter l’effort conséquent du Gouvernement, les crédits concernant la presse ayant augmenté substantiellement.

L’effectivité de ce principe de valeur constitutionnelle, reconnu par les textes internationaux et européens, est donc mise en œuvre et protégée par la puissance publique.

Afin de garantir l’indépendance rédactionnelle des journaux, comme notre collègue rapporteur le suggère, il est indispensable de renforcer les exigences déontologiques de la profession. L’indépendance des rédactions, sur laquelle se fonde la proposition, doit certes être garantie, mais nous avons aussi parfois le sentiment, en tant qu’élus, que l’information manque de rigueur.

Le renforcement de la formation initiale et continue dans le secteur du journalisme est donc important. Lors des états généraux de la presse, il y a eu quasi-unanimité autour de l’idée d’une formation minimale obligatoire aux spécificités de la profession – notamment en termes de droit et d’éthique – dans les deux premières années d’exercice. Il est indispensable de la mettre en œuvre rapidement.

Il faut d’ailleurs saluer l’élaboration, à l’issue des états généraux, d’un code unique de déontologie des journalistes par un comité de sages réunissant une dizaine de personnalités représentant les journalistes et les éditeurs de presse.

Dans ce domaine, je voudrais insister sur le rôle qu’a exercé et que doit continuer à exercer le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, avec la plus grande vigilance. Cette instance de régulation – dont, je le rappelle au passage, Michel Thiollière et moi-même avons souhaité renforcer les pouvoirs de contrôle au sein de la loi sur l’audiovisuel public – effectue un remarquable travail et mérite de voir ses missions approfondies.

D’ailleurs, monsieur Assouline, ni vous ni le groupe socialiste n’avez soutenu ces amendements en commission mixte paritaire.

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