La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Monique Papon.
La séance est reprise.
J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean Huchon, qui fut sénateur de Maine-et-Loire de 1983 à 2001.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias, présentée par M. David Assouline et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 590, 2008-2009).
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’initiative de notre collègue David Assouline doit être saluée pour au moins une raison : elle nous permet d’ouvrir un débat fondamental et salutaire dans une démocratie moderne. En effet, s’assurer de l’indépendance des médias, qui jouent un rôle déterminant dans la construction de l’opinion publique, c’est s’assurer d’un débat démocratique dynamique.
Ce texte me donne l’opportunité de réaffirmer l’attachement de l’ensemble des sénateurs du groupe de l’Union centriste à un secteur des médias indépendant, pluraliste et de qualité. Ces dernières années, nous n’avons cessé de rappeler ces exigences, à l’occasion de la loi sur l’audiovisuel public ou, avant cela, de la loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur.
Si la question posée par notre collègue est donc parfaitement légitime dans son principe, sa proposition est inappropriée dans les faits, et inopportune dans les circonstances de mutations profondes que nous vivons et de crise que nous traversons.
Cette proposition de loi concerne à la fois l’audiovisuel et les journaux d’information.
Nous avons déjà débattu au sein de cet hémicycle, le 17 mars dernier, du secteur de la presse écrite, qui traverse actuellement une crise aiguë. Il s’agissait alors d’évoquer les raisons de cette crise et de formuler des propositions. Nous avions notamment abordé la question de la concentration dans le secteur des médias.
Pour répondre à notre collègue, notre rapporteur a rappelé dans son exposé que les règles anti-concentration étaient déjà très nombreuses dans notre pays. Je vous renvoie aux conclusions des états généraux de la presse écrite, qui se sont tenus l’an passé, notamment aux conclusions du pôle « Presse et société » et du sous-pôle « Pluralisme, concentration et développement ».
J’ai eu l’honneur, pour le compte de notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication, de participer aux travaux de ce dernier. Je puis témoigner que les professionnels engagés dans la réflexion et l’analyse de ce sujet, dans toute leur diversité, ont jugé que le dispositif anti-concentration résultant des lois de 1986 – la loi portant réforme du régime juridique de la presse et la loi relative à la liberté de communication – n’appelait pas de modification substantielle par voie législative. En 2005, les préconisations du rapport de la commission Lancelot faisaient déjà le même constat.
Ils ont par ailleurs établi que la « concentration demeurait faible en France, malgré de récents regroupements dans la presse quotidienne régionale ». En effet, le secteur de la presse en France est un marché particulièrement éclaté, et ce en dépit des regroupements intervenus dans les années quatre-vingt-dix.
La question de l’indépendance de la presse et des journalistes à l’égard du pouvoir politique et du secteur économique a également été abordée lors des travaux du pôle « Presse et société ». Ce pôle a insisté sur la nécessité de lever ces soupçons et a conclu que « les efforts de rétablissement de la confiance devaient passer par une réflexion et une action propres au secteur de la presse et ne pas impliquer les pouvoirs publics ».
En revanche, nul doute qu’il est nécessaire, comme le préconise Patrick Eveno, qui a dirigé ces travaux, de mettre en place des moyens pour assurer la pleine transparence financière des entreprises de presse afin de clarifier d’éventuels liens économiques avec la puissance publique. Il a évoqué la création d’un observatoire du pluralisme et de la transparence dans les médias.
Sur le fond, les états généraux ont conclu que la clé du rétablissement d’une relation de confiance entre la presse et ses lecteurs était à trouver dans une publicité accrue de l’actionnariat des entreprises de presse.
La proposition de loi paraît donc inappropriée, parce qu’elle est en décalage complet avec tout le travail de fond réalisé dans les mois qui viennent de s’écouler.
Elle est également inopportune et présente des risques. Même si, dans le secteur des médias, on est souvent en présence de grands groupes, l’équilibre de ce secteur économique n’en est pas moins fragile : il a ses contraintes techniques et a besoin d’être encouragé pour que se constituent des groupes capables d’affronter la concurrence internationale.
En tant que législateur, notre rôle est de rechercher en permanence l’équilibre nécessaire entre le pluralisme et l’indépendance des médias, mais aussi leur stabilité économique. Au moment où le monde audiovisuel est confronté à des défis sans précédent, avec le passage au tout numérique, l’arrivée de la télévision numérique terrestre, la TNT, et du global media, au moment où la presse connaît une crise de mutation peut-être encore plus profonde, il est irréaliste de vouloir restreindre la propriété des groupes médiatiques.
Le dispositif que vous proposez, monsieur Assouline, est tellement contraignant que je ne vois pas comment les entreprises françaises de médias pourraient trouver les moyens de financer leur développement.
À coup sûr, ce dispositif appauvrirait un secteur aujourd’hui en pleine mutation. Qui viendrait cofinancer le passage au numérique ? Rappelons que les chaînes auxquelles vous faites lourdement allusion y participent de manière conséquente. Si l’on se contentait des chaînes nationales du service public et de quelques chaînes financées par les collectivités territoriales, l’indépendance serait-elle pour autant garantie ?
Pire, à travers les obligations des chaînes historiques privées en matière d’investissement dans la création, c’est tout un pan du secteur de la création audiovisuelle qui serait alors mis en péril ! Avez-vous conscience, monsieur Assouline, de mettre en danger les artistes ?
Encore une fois, tout cela apparaît en complet décalage avec une offre d’information qui n’a jamais été aussi large et diversifiée dans ses supports !
À cet égard, on soulignera le rôle grandissant – et le mot est faible – joué par internet : l’information est partout sur le réseau. Pour certains, on en arriverait même à une surinformation tant l’offre est foisonnante. Chaque mois, de nouveaux sites d’information et de nouveaux blogs, ouverts par des journalistes mais aussi par des intellectuels ou des politiques, témoignent d’une véritable vitalité démocratique.
En matière de pluralisme de l’information, l’offre papier est multiple et couvre le spectre des opinions. Le système des aides publiques y concourt. Nous venons de voter le budget de la mission « Médias » et nous avons pu noter l’effort conséquent du Gouvernement, les crédits concernant la presse ayant augmenté substantiellement.
L’effectivité de ce principe de valeur constitutionnelle, reconnu par les textes internationaux et européens, est donc mise en œuvre et protégée par la puissance publique.
Afin de garantir l’indépendance rédactionnelle des journaux, comme notre collègue rapporteur le suggère, il est indispensable de renforcer les exigences déontologiques de la profession. L’indépendance des rédactions, sur laquelle se fonde la proposition, doit certes être garantie, mais nous avons aussi parfois le sentiment, en tant qu’élus, que l’information manque de rigueur.
Le renforcement de la formation initiale et continue dans le secteur du journalisme est donc important. Lors des états généraux de la presse, il y a eu quasi-unanimité autour de l’idée d’une formation minimale obligatoire aux spécificités de la profession – notamment en termes de droit et d’éthique – dans les deux premières années d’exercice. Il est indispensable de la mettre en œuvre rapidement.
Il faut d’ailleurs saluer l’élaboration, à l’issue des états généraux, d’un code unique de déontologie des journalistes par un comité de sages réunissant une dizaine de personnalités représentant les journalistes et les éditeurs de presse.
Dans ce domaine, je voudrais insister sur le rôle qu’a exercé et que doit continuer à exercer le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, avec la plus grande vigilance. Cette instance de régulation – dont, je le rappelle au passage, Michel Thiollière et moi-même avons souhaité renforcer les pouvoirs de contrôle au sein de la loi sur l’audiovisuel public – effectue un remarquable travail et mérite de voir ses missions approfondies.
D’ailleurs, monsieur Assouline, ni vous ni le groupe socialiste n’avez soutenu ces amendements en commission mixte paritaire.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, si nous pensons que l’indépendance des médias est une priorité absolue, nous sommes très réservés sur la manière dont cette proposition de loi aborde la question, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer.
Par ailleurs, elle fait peser un soupçon sur les médias dont les propriétaires dépendent de contrats publics. J’ajoute que la tonalité hautement polémique de votre intervention, Monsieur Assouline, qui dresse un portrait caricatural de la situation, n’a pas contribué à nous convaincre.
Honnêtement, aujourd’hui, dans un monde où l’offre d’information est très diversifiée, où la compression du temps et de l’espace privilégie l’immédiateté de l’information plutôt que son analyse ou sa hiérarchisation, les enjeux sont ailleurs : ils sont dans l’éducation, le développement de l’esprit critique chez les plus jeunes de nos concitoyens.
En outre, lorsque l’on voit cette sphère informationnelle gonfler à la vitesse de la multiplication des réseaux et la frontière entre les amateurs et les professionnels se faire évanescente sur la Toile, d’autres questions s’imposent.
Je conclus, madame la présidente.
Je pense à la fiabilité de l’information, à la protection de la sphère privée, mais aussi au droit à l’oubli.
Il faudra réfléchir aux évolutions juridiques qui accompagneront inévitablement les mutations en cours.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’étonne du rejet pur et simple de notre proposition de loi prôné par le rapporteur, Michel Thiollière. Évacuer ainsi le débat sur un sujet aussi important pour le fonctionnement de notre démocratie est un peu rapide !
M. le rapporteur a fondé le rejet de ce texte sur deux arguments : d’une part, l’indépendance éditoriale, qui serait l’affaire des journalistes et des rédactions ; d’autre part, la non-conformité au droit communautaire d’une incompatibilité générale entre le secteur des médias et celui des marchés publics.
Sur le premier point, vous vous appuyez sur la non-demande d’intervention du législateur dans les propositions des états généraux de la presse. Je ne reviendrai pas sur les conditions d’organisation et de tenue de ces états généraux ni sur leur représentativité.
Mais c’est faire bien peu de cas de la mobilisation, depuis 2007, de la profession journalistique pour une loi favorisant l’indépendance des rédactions. Les sociétés de journalistes de vingt-sept médias ont ainsi interpelé le Président de la République en ce sens.
Plus récemment, le 5 novembre dernier, les syndicats de journalistes, dans une lettre ouverte à M. Nicolas Sarkozy, lui ont notamment demandé « d’accéder à leur demande d’une réforme législative qui viserait à reconnaître enfin l’indépendance juridique des équipes rédactionnelles quelles que soient la forme de presse et la taille de l’entreprise médiatique ».
Pourquoi demander une loi ? Parce que les efforts des journalistes pour intégrer à leur convention collective une charte déontologique sont restés sans effet, du fait même du refus des éditeurs. Parce que le code de déontologie qui vient d’être rendu public, en ne s’imposant qu’aux seuls journalistes sans engager l'ensemble des maillons de la chaîne éditoriale et de la hiérarchie rédactionnelle, n’aura aucun effet.
Écoutons les journalistes lorsqu’ils affirment : « Oui, les journalistes ont le devoir d’informer. Mais, pour ce faire, il faudrait leur reconnaître des droits et des conditions de travail compatibles avec un vrai travail d’investigation et de vérification. Une information de qualité se doit d’être libérée du poids des actionnaires, des fonds de pension, des publicitaires et des politiques. Qu’attend la France pour reconnaître par la loi l’indépendance des rédactions face aux groupes industriels qui contrôlent notre profession ? »
En tant que parlementaires, nous devrions tous nous sentir interpellés. M. le rapporteur ne peut se contenter de recommander à la Haute Assemblée de renvoyer les journalistes à un rapport de force avec leur rédaction, le propriétaire de leur média ou ses actionnaires. Tel ne peut pas être le message du Sénat à l’audiovisuel et à la presse !
Voilà pourquoi un rejet pur et simple de notre proposition de loi est un non-sens. La Haute Assemblée n’a-t-elle aucune proposition à formuler pour garantir l’indépendance de nos médias, de surcroît dans une période où l’interpénétration entre pouvoir politique, économique et médiatique ressurgit avec une acuité nouvelle, et où même la liberté d’expression de nos écrivains semble remise en cause ?
Concernant l’argument juridique, la commission se fonde sur un récent arrêt de la Cour de justice des communautés européennes portant sur une disposition législative grecque qui empêche la participation à un marché public de tout entrepreneur impliqué, directement ou par intermédiaires, dans les médias d’information. Cette décision appelle deux observations.
Premièrement, notre proposition de loi est construite sur un modèle inverse. Nous n’interdisons absolument pas de participer à des marchés publics, nous souhaitons, au contraire, interdire à toute personne détenant plus de 1 % du capital d’une entreprise privée vivant de la commande publique de se voir attribuer une autorisation d’édition d’un service de télévision ou de radio, ou de procéder à l’acquisition, à la prise de contrôle ou à la prise en location-gérance d’un titre de presse.
Deuxièmement, M. Thiollière le précise lui-même dans son rapport : « Dans le dispositif proposé, ces sociétés garderaient les autorisations dont elles ont déjà bénéficié, mais elles ne pourraient pas, par exemple, disposer d’une nouvelle autorisation pour un service de télévision mobile personnelle. » Nous ne nous situons donc pas dans le cadre d’une interdiction générale.
La législation grecque a été jugée disproportionnée au regard de l’objectif recherché, à savoir la garantie du respect du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires et de transparence des marchés publics. Pour notre part, nous entendons défendre un principe de valeur constitutionnelle, celui du pluralisme des courants d’expression : cela implique que les téléspectateurs, les auditeurs et les lecteurs soient à même d’exercer leur libre choix, sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions.
Dans ces conditions, dans la mesure où le dispositif proposé vise un objectif tout autre, rien ne permet d’affirmer a priori qu’il serait jugé comme disproportionné.
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aimerais insister sur un point : en opposant une fin de non-recevoir à notre texte, le Sénat signifierait que l’indépendance des médias est un non-sujet. Il me semble particulièrement dommageable que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication adresse un tel signal à ceux de plus en plus nombreux qui, dans le contexte actuel, doutent légitimement de l’indépendance de nos médias.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris à la position de M. le rapporteur, qui a démontré le caractère inadéquat de la proposition de loi que nous examinons.
Notre collègue David Assouline et le parti socialiste s’émeuvent d’une concentration croissante des médias français. Selon les termes de la proposition de loi, le « contrôle » économique de certains médias ferait « nécessairement naître des doutes sur [leur] degré réel de liberté et d’indépendance ». De ce fait, le pluralisme de l’information ne serait pas garanti, aussi bien pour la télévision et la radio que pour le secteur de la presse.
Ce jugement peut surprendre quand on sait que notre pays a adopté un dispositif particulièrement protecteur du pluralisme – d’ailleurs reconnu comme un principe à valeur constitutionnelle – et de l’indépendance des médias.
En ce qui concerne la télévision et la radio, de nombreux articles de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ont fixé des règles anti-concentration précises. Ainsi, la part qu’une même personne peut détenir dans le capital de sociétés de l’audiovisuel est limitée, le cumul d’autorisations de services de radio et de télévision réglementé et la concentration multimédia restreinte. Il faut également souligner que le CSA, in fine, est le garant du respect du pluralisme : il dispose, à cet effet, de pouvoirs d’enquête réels.
En ce qui concerne la presse, on trouve des restrictions à la concentration dans la loi du 30 septembre 1986 précitée, ainsi que dans la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.
Il existe actuellement une certaine crise de confiance à l’égard de ce secteur, ce qui nous invite à la réflexion. Et je partage le sentiment de M. le rapporteur quand il estime nécessaire de privilégier un renforcement de l’information accessible au grand public sur l’actionnariat des entreprises de presse, dans une démarche de transparence accrue s’accompagnant du respect par la profession de règles déontologiques fondamentales. Telles sont d’ailleurs les préconisations que les états généraux de la presse, réunis l’an dernier, ont formulées, la profession n’ayant pas jugé utile de proposer la modification du dispositif anti-concentration.
Après avoir présenté la réglementation française, je souhaiterais examiner la réalité du paysage médiatique de notre pays aujourd’hui.
En conclusion de son rapport remis en 2005, la commission Lancelot écrit ceci : « La commission n’a pas vu dans l’état actuel de la concentration dans les médias une menace directe pour le pluralisme et la diversité. » Elle relève ainsi que « la liberté de choix [pour le consommateur] a globalement progressé depuis une dizaine d’années ».
Dans le secteur de la télévision, l’offre, qui, comme chacun sait, se réduisait à trois chaînes publiques il y a vingt ans, a littéralement explosé à la suite du lancement de la TNT – dix-huit chaînes – et du développement du câble, du satellite et de l’ADSL. Les téléspectateurs ont aujourd’hui le choix entre plusieurs chaînes d’information en continu.
Ce qui est vrai pour la télévision l’est aussi pour la radio : le paysage radiophonique est également très varié. La moitié des opérateurs privés relèvent du secteur associatif, qui assure une mission de « communication sociale de proximité », pour reprendre les termes de la commission Lancelot, contribuant grandement à la diversité des programmes.
En ce qui concerne la presse, l’offre éditoriale s’est réduite, mais reste très diverse. Il faut souligner l’émergence d’une presse gratuite. Les éditions dominicales rencontrent également un succès grandissant, le nombre de titres de la presse quotidienne du septième jour étant passé de dix-neuf à trente-cinq en dix ans. La révolution technologique a créé un nouveau support, internet, qui donne accès à tout ou partie du contenu des grands journaux étrangers et diversifie considérablement les sources d’information disponibles. La multiplication des blogs contribue également à ce mouvement.
Il ressort de cette analyse que le public est bien en situation d’exercer un choix.
Certes, dans chaque segment, quatre ou cinq groupes se détachent des autres intervenants. Mais, toujours selon la commission Lancelot, « une telle configuration n’est pas nécessairement mauvaise en termes de pluralisme, les poids relatifs des uns et des autres s’y équilibrant davantage que lorsqu’un leader unique domine une concurrence émiettée ».
De plus, je tiens à souligner que M. Assouline semble occulter la réalité économique mondiale.
Ne l’oublions pas, les médias français ont du mal à s’imposer face à de grands groupes étrangers. Il faut penser les médias en termes non pas seulement politiques, mais également économiques, en raisonnant par rapport à la taille critique de l’entreprise et à sa rentabilité.
Nous devons, bien évidemment, rester vigilants sur la question de l’indépendance des médias. Ce débat est, me semble-t-il, l’occasion de le rappeler. C’est désormais chose faite.
Cependant, le groupe UMP n’adhère en aucune façon à la vision négative du parti socialiste et suivra donc l’avis de la commission en votant contre cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, puisque trois minutes seulement m’ont été octroyées, je ne pourrai livrer qu’un simple témoignage. Mais je ne voulais pas laisser passer ce débat sur la presse sans intervenir, ayant malheureusement manqué le débat budgétaire sur la mission « Médias ».
Notre collègue David Assouline, avec le talent qui est le sien et son objectivité toute personnelle
Sourires sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste
Monsieur le ministre, votre réponse, le 17 novembre dernier, était fort opportune, proportionnée dans la forme et parfaite quant au fond, eu égard au sujet qui nous préoccupe. Je l’avais écoutée avec beaucoup d’attention et j’ai même lu entre-temps le compte rendu qui en a été fait.
Il n’en demeure pas moins vrai que le débat sur la concentration des médias doit être posé, même si, sans doute, il convient d’éviter certains termes, tel celui de « bétonneur ».
Ne devrait-on pas sérieusement revoir le statut des patrons de presse lorsqu’ils occupent ou souhaitent occuper des mandats parlementaires, ou plus simplement les fonctions de simple conseiller général, demain conseiller territorial ? §Ce faisant, ils disposent ou disposeraient, au niveau local, d’un outil au service de leur mandat et, partant, d’un réel pouvoir de nuisance au détriment de concurrents éventuels.
La situation dans le sud-ouest de la France…
Mme Nathalie Goulet. … nous en offre un exemple parfait. Et que penser de ce grand quotidien national du matin, dont les éloges ne doivent pas être si flatteurs tant il est vrai que la liberté de blâmer l’action présidentielle et gouvernementale y est réduite à sa plus simple expression ?
M. Paul Blanc s’exclame.
Dans le grand Ouest, le groupe Ouest-France est propriétaire de plus de soixante hebdomadaires. Il s’agit, certes, d’un journal historique, dont la ligne éditoriale n’est pas sujette à critique, mais une telle quantité d’hebdomadaires laisse tout de même peu de place à la concurrence et à la diversité.
Internet n’est pas la réponse. Nous sommes nombreux ici à être originaires de départementaux ruraux. Le débat de ce matin sur la fracture numérique nous a encore donné un bel exemple des carences observées en la matière, puisque certains territoires n’ont toujours pas accès au très haut débit. De toute façon, les lecteurs ne sont pas tous habitués à lire la presse sur un écran.
Dans mon département, outre le quotidien Ouest-France, six hebdomadaires appartenant au même groupe et diffusant les mêmes articles se « partagent » 293 000 habitants.
Autre sujet de débat, l’intervention de l’État. À ce titre, les crédits budgétaires du programme 180 de la mission « Médias » relatif aux aides à la presse représentent au moins 180 millions d’euros, auxquels s’ajoutent les montants attribués au titre du plan de relance.
Nous l’avons vu, l’indépendance de la presse est évidemment un gage de sa neutralité.
Monsieur le ministre, je tiens également à vous parler de l’AFP, qui a récemment signé avec l’État un nouveau contrat d’objectifs et de moyens.
Il importe de vérifier l’utilisation des aides à la presse et de conditionner leur versement à la formulation d’objectifs et de moyens. La déontologie est l’une des conditions à respecter par l'ensemble des journalistes : un code de déontologie existe depuis 1939 et le syndicat des journalistes vient de proposer le sien. Point n’est donc besoin d’un autre Grenelle ou de nouveaux états généraux pour connaître les droits et obligations des journalistes, notamment en matière de protection de la presse et de diffamation.
Le droit de la presse n’étant pas un sujet tabou, je ne saurais terminer mon propos sans évoquer l’heureuse initiative de nos collègues Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne sur la protection de la vie privée sur internet. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que nous engagions, dans cet hémicycle, un vrai débat sur le droit de la presse et, notamment, le respect de la vie privée.
Mme Nathalie Goulet. Je sais qu’il a toutes les chances d’être d’une aussi bonne tenue que celui que nous avons eu récemment sur la numérisation des bibliothèques. C’était un parfait exemple de ce que cette maison est capable de faire, c'est-à-dire travailler sérieusement en évitant de tomber dans les excès !
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons touché juste, si j’en crois la dureté inhabituelle des mots de M. le rapporteur et le lyrisme hostile de M. le ministre, évoquant, pêle-mêle, un « procès d’intention », une « doctrine autoritaire », le « pavé de l’ours » ou la « démagogie ».
Pour couper démocratiquement le lien entre l’État et l’information, il avait été fait le choix – contestable – de la privatisation et du financement par de grands groupes industriels, sans prendre la précaution d’éviter les intérêts liés.
M. Thiollière a, dans sa réponse, fait l’amalgame entre le financement public, qui rend libre, et la dépendance de la commande publique, qui peut rendre obligé. Cela n’a rien à voir !
Désormais, ce n’est plus le savoir-faire, le métier qui comptent, c’est le capital.
Les vendeurs d’eau, d’armes, d’avions ou de bétons contrôlent des canaux audiovisuels ou des titres de presse. En contrôlent-ils les contenus ? Le rapporteur a estimé le débat « opportun » mais la « confiance » lui suffit. Pourtant, la confiance dans la mise en concurrence a bien été trahie par le nivellement par le bas des programmes, l’uniformisation de l’information dissimulée par la variété des titres.
Nous avons confiance dans la déontologie des journalistes, mais les conditions qui leur sont faites les mettent sous tension quand ils font preuve d’indépendance, ou même formulent des critiques ou des doutes quant aux choix du pouvoir. Ils sont vulnérabilisés. Faut-il vous rappeler le licenciement d’un cadre de TF1 ayant eu l’audace d’émettre des doutes auprès de sa députée UMP sur la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi HADOPI ?
Le code de déontologie que vous avez évoqué, monsieur le ministre, ne met pas en avant la responsabilité des éditeurs, et passe sous silence les conditions de travail et les pressions qui en découlent. Même en oubliant certaines proximités familiales et amicales avec le chef de l’État, nous ne pouvons faire nôtre la confiance que vous prônez avec les grands groupes.
Les principes de séparation des pouvoirs et des rôles sont les bases de la démocratie : la République a confiance dans ses médecins, mais elle limite leur mission à la prescription et leur interdit de vendre des médicaments. La France a confiance dans ses procureurs, mais elle est plus tranquille quand des juges d’instruction indépendants construisent le dossier.
Après les principes, il y a l’expérience. Souvenez-vous de TF1 écrivant dans son Livre blanc le brouillon de la loi sur l’audiovisuel. Souvenez-vous de Bouygues condamné à verser 42 millions d’euros pour entente de prix avec les autres opérateurs de téléphonie mobile. Souvenez-vous du rapport de la Cour des comptes, à l’été 2009, pointant les sondages d’opinion commandés par l’Élysée : la société des rédacteurs du Figaro a contesté qu’on les expurge avant publication.
Seules les règles peuvent éloigner le risque de dépendance des rédactions, les risques de comportements trop zélés ou d’autocensure.
Car elle peut venir vite, l’autocensure ! Quand les prisons de toute une nation vous sont confiées pour 48 millions d’euros par an, vous n’avez pas envie de parler de « politique répressive ». Quand de complaisants arbitrages publics sur les agrocarburants ou sur les véhicules électriques accompagnent vos 100 000 hectares de palmiers à huile ou vos batteries de deuxième génération, alors que vous possédez Direct matin, Direct soir, la chaîne Direct 8, la moitié de Metro et un tiers de 20 Minutes, nous n’y lisons pas que le Grenelle a été en partie trahi. Quand Le Figaro vante le Rafale comme étant « le meilleur avion du monde », ou qu’il insiste sur le futur contrat « historique », on cherche presque au bas de la page le bon de commande !
La fragilité financière de la presse écrite, la baisse des recettes bouleversent le paysage et appellent à rénover la loi anti-concentration de 1986. La position d’industriel-communicant obligé n’est pas déontologique. TF1 contrôlée par Bouygues, Lagardère – Europe 1, Paris Match – actionnaire d’EADS mais aussi administrateur de LVMH – La Tribune –, propriété du groupe Arnault, lui-même actionnaire de Bouygues : plus que de la concentration, c’est un carambolage !
M. Alain Gournac s’exclame.
C’est la démocratie qui vacille. Le peuple n’a plus confiance. Il faut des règles. La rupture avec les intérêts liés ouvrirait des opportunités.
Monsieur le ministre, dans vos critiques, vous avez employé un adjectif que nous ne récusons pas : « anachronique », avez-vous dit. Oui, nous préparons demain, nous sommes, à cet égard, anachroniques et nous remettons en cause les recettes spéculatives d’hier !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, est-il anachronique, comme vient de le dire à l’instant notre collègue Marie-Christine Blandin, de lutter contre la concentration des médias en défendant la démocratie ?
Personne ne songerait à s’insurger contre ce principe, mais quand il s’agit de le mettre en application, ce sujet semble véritablement poser problème, y compris au sein de notre assemblée.
Pourtant, à l’issue des états généraux de la presse, Nicolas Sarkozy avait, en janvier dernier, annoncé une batterie de mesures destinées à soutenir un secteur qu’il invitait alors fermement « à se réformer, tant dans ses contenus éditoriaux que dans ses méthodes de gestion ».
L’objectif, il est vrai, était séduisant sur le principe, les moyens d’y parvenir un peu plus douteux, surtout si l’on se fonde sur les trente-quatre recommandations formulées dans son rapport par la secrétaire nationale de l’UMP, Mme Giazzi. Dans ce rapport, remis le 11 septembre 2008 à Nicolas Sarkozy, elle prônait notamment une libéralisation tous azimuts du paysage médiatique avec, au passage – ce n’est pas le moindre des détails –, l’ouverture du capital de l’Agence France-Presse pour en faire une société anonyme et l’assouplissement des « verrous » anti-concentrations… Cela laisse pantois !
On connaît par ailleurs les rapports que le Président de la République entretient avec la presse, rapports qui allient alternativement la stigmatisation, l’intimidation et un mélange de complicité séductrice : jugements péremptoires, parfois méprisants sur les programmes de la télévision publique, attaques frontales contre le directeur d’un quotidien lors d’une conférence de presse, intervention auprès de l’actionnaire d’un hebdomadaire entraînant de facto le départ du patron de la rédaction…
À n’en pas douter, Nicolas Sarkozy veut que la presse se réforme. Le seul problème, c’est qu’il aimerait bien la réformer lui-même, à son idée et peut-être même à son bénéfice personnel, ou en tout cas au bénéfice de ses amis, propriétaires – on le sait – d’une grande partie des médias de notre pays.
C’est pourquoi nous défendons aujourd’hui cette proposition de loi qui vise à réguler la concentration dans le secteur des médias.
Si le Président de la République, en l’espèce, joue de son influence directe, de nombreuses entreprises d’édition, de presse écrite ou de télévision à forte audience sont économiquement contrôlées par des groupes financiers ou des industriels privés, non seulement proches du pouvoir mais également dépendants des commandes publiques.
Ces relations font naître des doutes sur le degré réel de liberté et d’indépendance des titres de presse ou des chaînes de radio ou de télévision concernés, d’autant que ces groupes sont eux-mêmes liés entre eux.
Je rappelle à mon tour que Lagardère détient une participation de 10 % dans la société européenne EADS, dont il a été l’un des cofondateurs.
Aussi avons-nous proposé de fixer des règles anti-concentration qui seraient de nature à garantir l’effectivité des principes de liberté, de pluralisme et d’indépendance des médias.
Cette proposition n’est pas sortie de nulle part. Elle vient optimiser l’existant et contrecarrer les velléités actuelles de ceux – ils sont nombreux – qui rêvent de médias « à la Murdoch ».
La volonté du Président de la République de voir émerger du « Grenelle » de la presse de grands groupes de médias français, de taille européenne, susceptibles de concurrencer les Anglo-Saxons est du reste révélatrice.
Bien au contraire, si l’on veut sauvegarder le pluralisme de l’information, il est capital de renforcer les dispositifs anti-concentration.
C’est avec les citoyens de ce pays, avec tous ceux qui entendent défendre la liberté de l’information et la démocratie, qu’au-delà des clivages politiques et syndicaux, le Syndicat national des journalistes avait appelé à la résistance contre les effets dévastateurs de la concentration dans les médias.
Contre-pouvoirs nécessaires, bien réels, les médias doivent exercer leur mission en toute indépendance, et il nous faut éviter ce que l’on pourrait appeler « les liaisons dangereuses ».
Mais le Président de la République, encore lui, n’aime pas les contre-pouvoirs, et les exemples sont nombreux. Voilà quelques semaines, monsieur le ministre, avant que vous soyez nommé, le Président de la République s’était donné les moyens de nommer lui-même le président de France Télévisions, ce qui est profondément révélateur.
Je l’ai déjà dit, nous assistons malheureusement à une grave dérive du quinquennat. En France, on a beaucoup stigmatisé le système clanique mis en place par Silvio Berlusconi pour contrôler l’opinion grâce à un dispositif qui est en passe de contaminer notre pays. Aussi est-il fondamental de sauvegarder l’indépendance des médias et, à cette fin, il nous faut contrecarrer leur financiarisation.
Cette proposition de loi a pour objet, comme l’a rappelé mon collègue David Assouline, d’interdire le cumul – avéré en France – de l’activité d’éditeur dans les médias avec celle d’entrepreneur agissant dans le cadre de la commande publique. Cela permettrait d’éviter les conflits d’intérêt entre ces deux types d’activités et, en même temps, de garantir le respect des principes de liberté, de pluralisme et d’indépendance des médias.
Oui, l’information est multifacettes mais internet, s’il constitue une nouvelle voie d’expression, ne saurait apporter, à lui seul, la solution à tout. C’est la raison pour laquelle j’invite notre assemblée à voter cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
À la suite de ce débat très intéressant qui s’est déroulé sur deux séances différentes, je voudrais remercier M. le président de la commission de la culture et M. le rapporteur, Michel Thiollière, pour la qualité de leur écoute et de leurs travaux, ainsi que M. David Assouline pour le grand intérêt de son intervention, où j’ai retrouvé, une fois de plus, l’acuité de jugement, le talent et la courtoisie qui le caractérisent.
La question posée par M. Assouline, qui est celle de la protection de l’objectivité et de la liberté à travers les médias, est assurément très intéressante. Mais la réponse apportée me semble erronée. C’est pourquoi, dans mon intervention liminaire, j’avais fermement rejeté la réponse qu’il apportait à une question judicieusement posée.
Peut-être mes propos ont-ils paru un peu vifs. Au fond, ils s’inscrivaient exactement dans la ligne de L’Ours et l’amateur des jardins, fable bien connue de La Fontaine, et je ne crois pas avoir outrepassé les limites de la courtoisie en sacrifiant au goût que nous avons tous pour la langue française.
Je tiens également à remercier Mme Catherine Morin-Desailly, qui, une fois de plus, a apporté une contribution tout à fait intéressante à ce débat, ainsi que MM. Serge Lagauche et Jean-Jacques Mirassou, Mmes Colette Mélot, Nathalie Goulet et Marie-Christine Blandin.
J’ai, une fois encore, été très frappé par la qualité et la vivacité des débats, qui témoignent de l’intérêt de débattre au sein de cette assemblée.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Mes chers collègues, la commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
CHAPITRE Ier:
DE LA RÉGULATION DE LA CONCENTRATION DANS LE SECTEUR DE LA COMMUNICATION AUDIOVISUELLE
Après l’article 41 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il est inséré un article 41-1 A ainsi rédigé :
« Art 41-1 A — Afin de prévenir les atteintes au pluralisme, aucune autorisation relative à un service de radio ou de télévision ne peut être délivrée à une personne appartenant à l’une des catégories suivantes :
« 1° les sociétés, entreprises ou établissements jouissant, sous forme de garanties d’intérêts, de subventions ou, sous forme équivalente, d’avantages assurés par l’État ou par une collectivité publique sauf dans le cas où ces avantages découlent de l’application automatique d’une législation générale ou d’une réglementation générale ;
« 2° les sociétés ou entreprises dont l’activité est significativement assurée par l’exécution de travaux, la prestation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l’État, d’une collectivité ou d’un établissement public ou d’une entreprise nationale ou d’un État étranger ;
« 3° les sociétés dont plus d’un pour cent du capital est constitué par des participations de sociétés, entreprises ou établissements visés aux 1° et 2° ci-dessus.
« De même, est interdite, à peine de nullité, l’acquisition, la prise de contrôle ou la prise en location-gérance d’une personne titulaire d’une autorisation relative à un service de radio ou de télévision par les sociétés, entreprises ou établissements visés aux 1°, 2° et 3° ci-dessus.
« La prise de contrôle mentionnée à l’alinéa précédent s’apprécie au regard des critères figurant à l’article L. 233-3 du code de commerce ou s’entend de toute situation dans laquelle une personne physique ou morale ou un groupement de personnes physiques ou morales aurait placé un service de radio ou de télévision sous son autorité ou sa dépendance. »
À ce moment du débat, je voudrais dire pourquoi la commission n’a pas élaboré de texte et a rejeté l’article 1er.
Elle s’est tout d’abord s’interrogée sur l’effectivité du dispositif. Il est en effet extrêmement difficile de déterminer quelles chaînes seront concernées. Pour la bonne application de la mesure, il faudrait un outil de suivi permanent non seulement de l’actionnariat de toutes les chaînes mais aussi de l’ensemble des contrats qu’elles passent avec des partenaires publics, ce qui est indéniablement compliqué.
Mais parviendrait-on à appliquer cette mesure qu’elle ne serait pas légitime pour autant, et c’est bien le fond du problème. Une bonne partie des Français a déjà accès à dix-huit chaînes de télévision, l’immense majorité d’entre eux en disposera à la fin de l’année 2011. Tout le monde s’accorde à considérer que le pluralisme à la télévision n’a jamais été si bien respecté en France.
Nous avons accès à plusieurs chaînes d’information, à des chaînes généralistes, à tous types de programmes gratuitement depuis chez nous et sur tout le territoire, sans compter la radio et l’utilisation massive d’internet. Les Français n’ont ainsi jamais eu autant de sources d’information disponibles.
Par ailleurs, rien ne prouve que la propriété de chaînes de télévision et de radio par des groupes liés à la commande publique est moins favorable au pluralisme que la propriété de ces chaînes par d’autres entreprises, certes indépendantes de la demande publique mais pas d’intérêts privés particuliers. Ou alors faut-il empêcher aussi ces derniers de posséder une chaîne ! Le pluralisme, c’est avant tout la pluralité des acteurs, et cette proposition de loi, en raréfiant les sources de financement, met en fait à mal cet objectif.
Au final, la commission a l’impression qu’on se trompe de combat. Je tiens à dire que, pour nous, cette question n’est pas un non-sujet, c’est au contraire une vraie question de fond, dont il est tout à fait normal que le Sénat débatte. Mais ne jetons pas une suspicion malvenue sur l’indépendance des journalistes de notre paysage médiatique, qui nous semble tout de même incontestable.
Nous vivons dans un régime de démocratie et de liberté : la presse en est un élément essentiel, et son indépendance et sa liberté peuvent être assurées sans recourir aux mesures extrêmes préconisées par M. Assouline.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
L'article 1 er n’est pas adopté.
CHAPITRE II :
DE LA RÉGULATION DE LA CONCENTRATION DANS LE SECTEUR DE LA PRESSE
Après l’article 11 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, il est inséré un article 11-1 ainsi rédigé :
« Art. 11-1 — Est interdite, à peine de nullité, l’acquisition, la prise de contrôle ou la prise en location-gérance d’une publication imprimée d’information politique et générale par toute personne appartenant à l’une des catégories suivantes :
« 1° les sociétés, entreprises ou établissements jouissant, sous forme de garanties d’intérêts, de subventions ou, sous forme équivalente, d’avantages assurés par l’État ou par une collectivité publique sauf dans le cas où ces avantages découlent de l’application automatique d’une législation générale ou d’une réglementation générale ;
« 2° les sociétés ou entreprises dont l’activité est significativement assurée par l’exécution de travaux, la prestation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l’État, d’une collectivité ou d’un établissement public ou d’une entreprise nationale ou d’un État étranger ;
« 3° les sociétés dont plus d’un pour cent du capital est constitué par des participations de sociétés, entreprises ou établissements visés aux 1° et 2° ci-dessus.
« La prise de contrôle mentionnée à l’alinéa précédent s’apprécie au regard des critères figurant à l’article L. 233-3 du code de commerce ou s’entend de toute situation dans laquelle une personne physique ou morale ou un groupement de personnes physiques ou morales aurait placé une publication sous son autorité ou sa dépendance. »
L'article 2 n’est pas adopté.
Mes chers collègues, l’ensemble des articles ayant été repoussés, la proposition de loi est rejetée.
Je demande la parole pour une explication de vote, madame la présidente.
Mon cher collègue, ce n’est pas possible, la proposition de loi ayant été rejetée.
Par lettre en date de ce jour, M. le ministre chargé des relations avec le Parlement a inscrit à l’ordre du jour de la séance du jeudi 17 décembre, à la reprise du soir, les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2010.
Acte est donné de cette communication et l’ordre du jour de la séance du jeudi 17 décembre s’établira donc comme suit :
À 9 heures 30 :
- Projet de loi de finances rectificative pour 2009 ;
À 15 heures :
- Questions d’actualité au Gouvernement ;
- Suite du projet de loi de finances rectificative ;
Le soir :
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2010 ;
- Suite du projet de loi de finances rectificative.
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne, présentée en application de l’article 73 quinquies du règlement par M. Richard Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, et portant sur le respect du droit à l’action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement des travailleurs (nos 66, 127 et 117).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Richard Yung, auteur de la proposition de résolution.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes donc réunis aujourd'hui pour parler d’Europe sociale, et plus particulièrement de la question des travailleurs communautaires soumis au statut du détachement, c'est-à-dire travaillant dans un autre pays que dans leur État d’origine. Le sujet est d’importance, puisque l’on estime leur nombre à environ un million. Ils sont l’un des signes les plus tangibles de la communautarisation du marché du travail.
Certains événements qui ont fait l’actualité cette année sont liés à cette question du détachement des travailleurs.
Au mois de février, une série de grèves sauvages ont éclaté dans le secteur de l’énergie au Royaume-Uni. Des milliers de travailleurs intérimaires ont protesté contre l’embauche, à des conditions différentes de celles qui étaient stipulées dans la convention collective du secteur, de travailleurs italiens et portugais par une entreprise sous-traitante chargée de l’agrandissement d’une raffinerie appartenant au groupe pétrolier Total. Cette affaire a fait l’objet d’une exploitation à caractère nationaliste de la part du Parti national britannique, qui appartient à l’extrême droite.
Les problèmes liés à l’application des règles touchant au détachement des travailleurs dans l’Union ne datent pas d’aujourd’hui. Ils ont surgi dès les années quatre-vingt, au moment de l’adhésion de l’Espagne et du Portugal, et ont d’abord concerné le secteur de la construction. Plusieurs affaires ont suscité des craintes de dumping social.
Il y a près de vingt ans, en 1990, la Cour de justice des communautés européennes, la CJCE, a rendu un arrêt relatif à une entreprise portugaise, Rush Portuguesa, en France qui a poussé la Commission européenne, alors dirigée par Jacques Delors, à présenter l’année suivante une proposition de directive sur le détachement des travailleurs. C’est ce texte, adopté en 1996, qui fait l’objet de la proposition de résolution européenne que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui.
Cette directive est censée offrir aux travailleurs et aux employeurs une plus grande sécurité juridique en conciliant, d’une part, l’exercice par les entreprises établies dans un État membre de leur liberté de fournir des services dans toute l’Union européenne, qui est un droit fondamental, et, d’autre part, la protection des droits et des conditions de travail des travailleurs détachés dans un autre État membre pour fournir ces services.
L’entrée en vigueur de la directive sur le détachement des travailleurs n’a pas dissipé les craintes de dumping social. J’en veux pour preuve le débat sur le fameux projet de directive Bolkestein et le mythe du « plombier polonais », qui ont beaucoup pesé sur le résultat du référendum de 2005.
Ces craintes ont été relancées par la jurisprudence récente de la CJCE. Dans trois arrêts – Viking, Laval, Rüffert –, la Cour a reconnu le droit de mener une action collective comme un droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire. Ce faisant, la Cour a anticipé l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, lequel rend juridiquement contraignante la Charte des droits fondamentaux, qui fait partie intégrante du traité, et reconnaît l’importance du dialogue social et de la négociation collective.
Mais, dans le même temps, la Cour a aussi limité la définition des règles impératives de protection minimale fixées par la directive, en rappelant que les travailleurs détachés sont soumis aux normes sociales minimales, légales ou contractuelles, « d’application générale » du lieu de travail et non à l’ensemble des accords collectifs.
Ce faisant, elle a placé les grandes libertés économiques que sont la liberté d’établissement et la libre prestation de services au-dessus des droits sociaux. Elle a, en particulier, soumis l’exercice du droit à l’action collective à un contrôle de proportionnalité, selon l’expression employée dans le jargon communautaire, ce qui revient en fait à le limiter.
Je citerai l’exemple de l’arrêt Viking, une société finnoise qui a décidé de faire passer son navire sous pavillon letton, imposant à ses braves marins, qui affrontent avec courage la mer Baltique, des contrats, des salaires et des conditions de travail lettons. Les marins se sont mis en grève, ont organisé un blocus, bref se sont défendus. La CJCE a estimé que les travailleurs pouvaient certes appliquer le principe général du droit de grève pour défendre leurs intérêts, mais que, en l’occurrence, ils avaient limité la liberté d’établissement et de prestation de services de l’entreprise en question. En application du principe de proportionnalité, elle a donc déclaré leur action illégale. Si ce n’est pas une remise en cause d’un droit fondamental, je me demande bien ce que c’est !
La CJCE laisse entendre que la directive a prévu une harmonisation maximale, les salariés détachés ne pouvant pas obtenir plus que les minima légaux. En d’autres termes, elle donne du grain à moudre à ceux qui remettent en cause la coordination des politiques sociales au niveau communautaire.
Cette jurisprudence a mis en exergue les difficultés liées à l’application de la directive, notamment dans les pays ayant recours à des conventions collectives non nationales. En Europe du Nord et en Allemagne, les conventions collectives ou les accords sont signés, selon une tradition ancienne, par branche professionnelle, donc verticalement, et par Land ou par région, c’est-à-dire horizontalement. Il est vrai que nous sommes loin du modèle de la convention collective qui s’applique à tous, comme dans notre belle République unitaire.
La position de la CJCE, qu’il faudrait creuser, est la suivante : soit la convention collective est d’application nationale, et elle considère qu’il n’y a pas de problème ; soit elle est d’application verticale ou horizontale, donc limitée, et la Cour considère alors qu’il n’y a pas de convention collective.
Il me semble que, derrière cette jurisprudence quelque peu provocante, la CJCE cherche à « renvoyer la balle » au législateur européen. Elle estime que le travail n’a pas été achevé. Les lacunes observées dans la législation laissant des possibilités de s’y soustraire, elle voudrait donc que le législateur la complète pour ne pas être obligée de l’interpréter.
La Commission européenne a, elle aussi, mis en évidence les difficultés liées à la mise en œuvre de la directive. Le 13 juin 2007, il y a donc plus de deux ans, elle a souligné que les principaux problèmes résidaient dans le manque d’information des travailleurs détachés sur leurs droits, dans la faiblesse des contrôles qui diffèrent d’un État à un autre et, partant, dans la difficulté générale d’imposer des sanctions pourtant prévues dans la directive.
En conséquence, la Commission a appelé les États membres à améliorer leur coopération en la matière, mais cela est resté pour l’instant un vœu pieux. Si un cadre juridique n’est pas développé au niveau communautaire, les États continueront ainsi. Nous connaissons la faiblesse des effectifs de l’inspection du travail en France : je n’ai pas le chiffre en tête, mais il est en tout cas insuffisant. Vous comprendrez que le suivi et le contrôle des contrats de travailleurs détachés ne soient pas sa priorité.
En dépit de ce constat, rien n’a été fait ces dernières années pour clarifier et préciser la directive ni par la Commission, ni par le Conseil, ni même par le Parlement européen. Et pourtant nombreux sont ceux qui reconnaissent que cela est nécessaire.
Lors de son audition devant le Parlement européen en septembre dernier, M. Barroso n’a pas proposé de révision de la directive, mais il a suggéré d’adopter un règlement d’application qui préciserait son interprétation.
Cette solution nous a laissés quelque peu perplexes. Qu’apportera de plus un tel outil juridique, que nous ne connaissons pas, par rapport à une modification de la directive ? À notre avis, rien !
À l’instar du Parlement européen et de la Confédération européenne des syndicats, nous pensons que la résolution des problèmes que je viens d’indiquer passe par une révision de la directive de 1996 ou, le cas échéant, si cet outil est plus facile à manipuler, par l’adoption d’un règlement communautaire.
Dans sa résolution sur les défis pour les conventions collectives dans l’Union européenne du 22 octobre 2008, le Parlement européen demande lui-même une révision de la directive afin que « l’équilibre entre les droits fondamentaux et les libertés économiques soit réaffirmé dans le droit primaire pour contribuer à prévenir un nivellement par le bas des normes sociales ». Cette position a été soutenue par le groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen ainsi que par le parti socialiste européen.
Nous pensons donc qu’il est nécessaire d’apporter une réponse politique afin de ne pas laisser un tel sujet à la seule appréciation des juges au cas par cas.
Concrètement, nous proposons d’introduire dans la directive une délimitation temporelle dans la définition du travailleur détaché – celle donnée par le règlement communautaire de 1971 ne nous paraissant pas suffisamment claire –, de garantir une information correcte des salariés sur les droits dont ils disposent lorsqu’ils sont détachés dans un autre État membre et de renforcer les contrôles ainsi que les moyens de sanction en cas de non-respect des dispositions de la directive. Comme chacun peut le constater, le dispositif que nous proposons est somme toute assez modeste.
L’adoption d’un texte plus protecteur pour les salariés est non seulement souhaitable, mais également possible. La coordination des politiques sociales à l’échelon communautaire est certes difficile, mais les pays d’Europe centrale ont beaucoup évolué sur cette question. Traditionnellement hostiles ou réservés, ils sont maintenant eux-mêmes victimes de dumping social de la part d’autres pays des Balkans. Les Bulgares, par exemple, prennent le travail des Hongrois. Ainsi va l’histoire.
Outre la révision la directive concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, nous proposons d’introduire dans les traités une clause de progrès social affirmant la primauté des droits sociaux fondamentaux sur les libertés fondamentales du marché intérieur. Nous reprenons là ni plus ni moins la clause Monti, du nom du fameux commissaire européen responsable du secteur « marché intérieur », qui était pourtant un libéral.
M. Richard Yung. Telles sont les raisons qui militent en faveur de notre proposition de résolution, que je vous invite, mes chers collègues, à adopter.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, sous des aspects techniques, comme vient de le rappeler fort justement M. Yung, la proposition de résolution déposée par le groupe socialiste aborde en réalité une question politique majeure, celle de la protection des droits des salariés et de leurs organisations syndicales dans le cadre du marché unique européen. Ce sujet est pleinement d’actualité.
Historiquement, la Communauté européenne s’est attachée à supprimer les obstacles aux échanges à l’intérieur du marché unique. À cette fin, elle a consacré quatre libertés économiques fondamentales : la liberté de circulation pour les travailleurs, la liberté d’établissement pour les entreprises, la liberté de circulation des marchandises et la libre prestation de services. Cette politique d’ouverture des marchés a pour objectif de stimuler la croissance, et donc les créations d’emplois sur son territoire.
Cependant, dans une Union élargie à vingt-sept États, dont les niveaux de développement sont très inégaux, la libéralisation des échanges pourrait conduire, si elle n’était pas soigneusement encadrée, à une mise en concurrence des systèmes économiques et sociaux préjudiciable aux salariés.
Lorsqu’une entreprise détache des salariés dans un autre État européen pour y exécuter une prestation de services, un chantier de construction par exemple, les salariés sont soumis, en application d’une directive de 1996, aux règles protectrices de l’État d’accueil, notamment en matière salariale. Ainsi, un salarié polonais ou lituanien détaché en France bénéficie au moins du SMIC ou du salaire minimum conventionnel s’il lui est supérieur.
Dans la plupart des cas, la directive a atteint son objectif et a permis d’écarter le risque de dumping social. La jurisprudence récente de la Cour de justice des Communautés européennes, qui en a interprété les termes de manière restrictive, a cependant suscité de légitimes inquiétudes. Elle a en effet donné l’impression qu’une primauté était donnée aux libertés économiques au détriment de la protection des salariés et du droit à l’action collective reconnu aux syndicats.
La Cour de justice a tout d’abord fait valoir que la directive garantit seulement le respect des normes sociales d’application générale, ce qui pose un problème dans les pays où la négociation est très décentralisée et où les conventions collectives s’appliquent seulement dans une entreprise ou dans une localité. Elle a ensuite jugé qu’une action collective menée par un syndicat, un mouvement de grève par exemple, pouvait être contraire, dans certaines circonstances, à la liberté d’établissement ou à la libre prestation de services reconnue aux entreprises. Elle a enfin décidé que le droit à l’action collective des syndicats devait être conforme au principe de proportionnalité.
Dans sa proposition de résolution, le groupe socialiste vise à revenir sur cette jurisprudence. Pour cela, il recommande de réviser la directive de 1996.
M. Richard Yung opine.
Il insiste aussi sur la nécessité de mieux informer les salariés détachés sur leurs droits et de renforcer les moyens de contrôle afin de sanctionner plus efficacement les entreprises en infraction.
Il préconise en outre d’insérer dans le traité de Lisbonne une clause de progrès social – préoccupation tout à fait légitime –, qui affirmerait la supériorité des droits sociaux sur les libertés économiques.
En application du règlement du Sénat, la proposition de résolution a d’abord été instruite par la commission des affaires européennes, dont je salue le travail – notre collègue Denis Badré nous en dira un mot dans quelques instants –, puis par la commission des affaires sociales, compétente au fond, dont je remercie les membres, qui ont activement participé à ses travaux.
Les analyses de nos deux commissions sont largement convergentes.
En premier lieu, nous ne sommes pas convaincus qu’une révision de la directive soit le meilleur moyen de parvenir à une remise en cause de la jurisprudence de la Cour de justice. En effet, les différences de niveau de vie au sein de l’Union européenne sont plus importantes qu’elles ne l’étaient au moment où la directive a été négociée, de sorte que les États membres ont aujourd’hui des intérêts très divergents. Dans ces conditions, sommes-nous certains que l’ouverture de négociations aboutirait obligatoirement à un compromis plus favorable aux salariés ?
En deuxième lieu, les États membres les plus concernés par la jurisprudence européenne, en l’occurrence l’Allemagne et les pays scandinaves, dont notre collègue a beaucoup parlé, ne réclament pas une révision de la directive. Ils ont plutôt choisi d’adapter leurs règles de droit interne pour tirer les conséquences de la jurisprudence communautaire.
La France, pour sa part, est peu affectée par cette jurisprudence, …
… car la plupart de nos normes sociales, qu’elles figurent dans le code du travail ou dans une convention collective étendue, sont d’application générale.
Sur la question du droit à l’action collective des syndicats, nous ne partageons pas non plus entièrement l’analyse du groupe socialiste. La. Cour de justice n’a pas consacré la primauté des libertés économiques sur le droit syndical. Elle s’est seulement efforcée de concilier ces différents droits et libertés selon une démarche qui n’est pas sans rappeler celle du Conseil constitutionnel. En droit français comme en droit communautaire, le droit de grève n’est pas un droit absolu et son exercice peut donc être encadré.
En ce qui concerne le principe de proportionnalité, il reste à apprécier quelle application il trouvera en droit français. S’il consiste simplement à sanctionner l’abus du droit de grève ou le comportement fautif des grévistes, il est compatible avec notre droit national.
J’en viens à l’éventuelle inclusion d’une clause de progrès social dans le traité de Lisbonne. Je rappelle que ce traité est finalement entré en vigueur le 1er décembre de cette année, au terme d’un long processus de ratification. Il est donc peu probable que sa modification soit envisagée par les Vingt-sept avant plusieurs années.
II n’est pas sûr non plus qu’elle soit juridiquement indispensable dans la mesure où l’article 3 du traité sur l’Union européenne consacre déjà avec force la finalité sociale de la construction européenne : l’Union « combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant. Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres ».
Ce fondement juridique devrait suffire à assurer un équilibre entre les libertés économiques et la protection des droits sociaux.
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne reconnaît par ailleurs sans ambiguïté le droit des travailleurs à l’action collective, y compris la grève, pour défendre leurs intérêts.
Conformément à l’accord politique passé entre les groupes, la commission des affaires sociales n’a adopté aucun texte lors de sa réunion du 2 décembre dernier afin que nous puissions débattre cet après-midi de la proposition de résolution dans la rédaction voulue par ses auteurs. Ceux-ci m’ont fait savoir qu’une version modifiée de la proposition de résolution, tenant compte des remarques de la commission, ne recueillerait pas leur agrément. Le groupe socialiste est en effet tout particulièrement attaché à la demande de révision de la directive, qui, en revanche, ne nous paraît pas opportune, comme je l’ai indiqué. Si nous approuvons l’objectif de protéger les salariés contre le risque de dumping social – c’est l’objectif –, nous divergeons sur la méthode à suivre.
Il n’est pas non plus certain que le moment choisi soit le bon. En effet, la Commission européenne a lancé deux missions d’étude pour vérifier si la transposition de la directive de 1996 a été effectuée de manière satisfaisante et pour évaluer son impact socio-économique. Il serait sans doute utile que la Haute Assemblée ait connaissance des conclusions de ces travaux, attendues pour le premier semestre de 2010, avant de prendre position.
Enfin, je l’ai dit, la France n’étant pas véritablement affectée par la jurisprudence de la Cour de justice, elle n’est pas l’État le plus légitime pour demander une révision de la directive que ses partenaires, plus directement concernés, ne souhaitent pas nécessairement.
Pour ces différentes raisons, je vous propose le rejet de la proposition de résolution qui nous est soumise, tout en soulignant l’intérêt de ce débat qui devrait permettre à tous les orateurs et à tous les groupes d’exprimer largement leur point de vue sur une question qui n’est pas simple – il s’agit d’une question très technique, au carrefour du droit social, du droit du travail et du droit européen – et dont nous comprenons l’importance.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales – je note que la parité progresse au-delà de toutes espérances ! –, mes chers collègues, après les interventions très claires de Richard Yung, au nom des auteurs de la proposition de résolution européenne, et de Marc Laménie, au nom de la commission des affaires sociales, je ferai simplement ici quelques observations à la suite des débats ouverts et très intéressants que nous avons eus au sein de la commission des affaires européennes, observations qui prolongent le rapport que j’ai eu l’honneur de présenter au nom de cette commission.
Sur les points essentiels, ces observations rejoignent assez largement l’analyse que vient de nous présenter Marc Laménie. Richard Yung, Marc Laménie et moi avons d’ailleurs veillé à coordonner toutes nos investigations afin d’avoir comme base un référentiel commun. Cela mérite d’être souligné.
Je souligne également, avec force, que les inquiétudes exprimées par les auteurs de la proposition de résolution européenne me paraissent parfaitement compréhensibles et totalement légitimes. Le droit communautaire ne doit en aucun cas favoriser ou encourager le dumping social ou remettre en cause le droit de grève. Les débats sur la directive « services » l’ont d’ailleurs bien montré.
Cela étant dit, il me semble que les auteurs de la proposition font une lecture un peu pessimiste de la jurisprudence de la Cour de justice en matière de détachement de travailleurs et des solutions qui sont ouvertes aujourd'hui pour progresser. Je pense donc que nous devrions essentiellement nous interroger sur le point de savoir quelle est la meilleure voie à emprunter pour progresser sur ce sujet essentiel.
La proposition de résolution est axée sur trois points de niveau et de nature assez différents, constat sur lequel nous sommes assez largement d’accord. Tout d’abord, elle met en cause la jurisprudence de la Cour de justice, qui reléguerait la protection des droits sociaux fondamentaux au second rang par rapport aux libertés économiques fondamentales. Ensuite, elle demande la révision de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs. Enfin, elle propose une clause de progrès social pour renverser la jurisprudence de la Cour de justice.
Sur le premier point, il me semble important, comme aux auteurs de la proposition de résolution, que nous affichions clairement notre vigilance concernant la jurisprudence de la Cour et ses éventuels décalages par rapport à l’esprit de la directive de 1996. Cela me paraît d’autant plus justifié que le traité de Lisbonne engage un nouvel équilibre entre l’impératif du développement du marché intérieur et la prise en compte du progrès social.
Sur la remise en chantier de la directive, je suis plus circonspect. Oui, il faut regretter l’interprétation trop stricte à mon goût faite par la Cour de la notion de règles impératives minimales. Cette interprétation donne l’impression que l’on est en présence d’une directive d’harmonisation maximale, les salariés détachés ne pouvant obtenir mieux que le minimum légal.
Pour autant, la révision de la directive ne s’impose pas de manière évidente. Ne négligeons pas le principe de réalité qui est bien au cœur de la méthode Schuman pour construire l’Europe. Ne perdons jamais de vue les véritables objectifs que nous cherchons à atteindre.
Au demeurant, aucun État membre ne demande aujourd'hui la révision de la directive, pas même ceux qui sont directement concernés, c'est-à-dire les États touchés par les arrêts de la Cour. Au contraire, ils réfléchissent à l’aménagement de leur modèle de relations sociales pour le rendre compatible avec la jurisprudence de la Cour. Ainsi des mesures ont-elles été annoncées en Suède en octobre dernier. En Allemagne, une loi a été adoptée en avril 2009.
Je rappelle également que la directive de 1996 a été négociée dans une Europe qui comptait quinze États membres dont les niveaux de développement étaient assez voisins. Dans l’Europe des Vingt-sept d’aujourd'hui subsistent des disparités économiques et sociales assez marquées, même si elles tendent à se réduire progressivement. Le contexte n’est donc pas du tout le même. Dans ce nouveau contexte, une révision de la directive pourrait aller à l’encontre du résultat souhaité par les auteurs de la proposition de résolution.
Ainsi, la liste des matières relevant du noyau dur serait sérieusement rabotée. Or nous savons que le noyau dur de la directive recouvre environ la moitié du code du travail, sans compter les dispositions dites d’ « ordre public ». Soyons intelligents, mais pas trop ! Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain…
D’un point de vue strictement juridique, la révision ne serait pas nécessairement la solution. Il faut rappeler le contexte de ces arrêts. Ils portaient sur des États membres dont le modèle social est très différent du nôtre. Comprenons que l’Europe est constituée d’États très différents.
Le modèle nordique ou rhénan repose sur des négociations collectives très décentralisées aboutissant à la conclusion de conventions ad hoc non étendues. Ce modèle est loin de prendre en compte des notions qui nous sont très familières comme celles de « salaire minimum » ou de « règles impératives minimales prévues par la loi ou des conventions collectives d’application générale », lesquelles sont très intégrées dans notre modèle de relations sociales. Il y a autant de pays que de référentiels. Veillons donc à ne pas vouloir imposer le nôtre en considérant qu’il est le meilleur. Faisons avec respect l’analyse des autres modèles et essayons de progresser avec les autres pays dans le contexte général de l’Union.
J’ajoute que, même si la directive était révisée pour soumettre les entreprises prestataires à des normes sociales allant au-delà des règles impératives de protection minimale, il n’est pas sûr que cela suffise à changer la jurisprudence de la Cour. Celle-ci se réfère en effet d’abord au texte lui-même du Traité.
J’en viens enfin au troisième point de la résolution : la proposition d’introduire une clause de progrès social dans les traités pour infléchir la jurisprudence de la Cour de justice dans un sens moins favorable aux impératifs du marché intérieur. Nous dépassons ici la seule question du détachement des travailleurs. On aborde la question beaucoup plus large de l’équilibre de la construction européenne. L’idée d’une clause ou d’un protocole de progrès social s’inspire directement du précédent de la clause Monti, dont Richard Yung parlait à l’instant.
Je rappelle que cette clause a été insérée dans le règlement de 1998 sur la libre circulation des marchandises. Il s’agissait déjà d’une clause de progrès social dans un contexte économique et libéral, comme dirait Richard Yung. À cette époque, les traités ne comportaient pas de dispositions permettant d’assurer une juste balance entre les droits sociaux fondamentaux et les libertés économiques fondamentales des Communautés. Le sujet de fond est toujours le même.
Or, et c’est l’élément complètement nouveau aujourd'hui, le traité de Lisbonne rééquilibre désormais le système en conférant à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, cela a été dit, mais j’y insiste parce qu’on ne le dira jamais assez, une valeur juridique équivalente à celle des traités. On n’a pas assez souligné cette réalité, que les détracteurs du traité ont d’ailleurs toujours refusé de reconnaître. Maintenant que le traité est en vigueur, misons sur cet élément nouveau, ô combien fondamental, pour progresser. Ne faisons pas la fine bouche !
Passons donc sur le fait que l’introduction dans les traités d’une clause de progrès social ne pourrait plus être aujourd'hui annexée au traité de Lisbonne puisque celui-ci est entré en vigueur. Passons aussi sur le fait qu’il est peu probable que les États s’engagent en faveur d’une nouvelle révision des traités sur un sujet aussi sensible. À cet égard, l’expérience douloureuse du traité de Lisbonne est évidemment très peu encourageante.
Sur le fond, une telle clause n’est pas vraiment indispensable pour infléchir la jurisprudence de la Cour de justice. Le nouveau traité comporte déjà des dispositions de nature à la faire évoluer dans un sens moins favorable aux impératifs du marché intérieur. Le dialogue des juges, en particulier avec la Cour européenne des droits de l’homme – permettez au représentant de la Haute Assemblée auprès de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe que je suis de souligner cet élément avec force –, pourrait lui aussi être fécond. Appuyons-nous donc régulièrement sur la Cour européenne des droits de l’homme et sur l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Enfin, il ne faut pas occulter les points positifs – il y en a ! – des récents arrêts de la Cour de justice. Le droit à l’action collective est consacré comme un droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect. Par ailleurs, elle y affirme que l’Union a « non seulement une finalité économique, mais également une finalité sociale ». Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant, surtout en matière juridique. Les prémices d’un infléchissement sont bien là. Je suggère d’avancer dans cette direction. Un compromis devrait pouvoir être trouvé dans ce sens.
Bref, il convient, je pense, de conforter la directive de 1996 plutôt que de s’engager sur la voie difficile, aléatoire et dangereuse, de sa remise en chantier. Le mieux peut être l’ennemi du bien !
Une piste a été ouverte par José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, dans son discours d’investiture devant le Parlement européen. Il a alors évoqué la solution d’un règlement d’interprétation et d’application de la directive de 1996, ce qui permettrait de clarifier la directive, voire de la compléter, sans la fragiliser. C’est dire combien ce point important est reconnu comme tel par le président de la Commission et l’ensemble des autorités européennes, qui sont décidés à aller de l’avant sur cette question.
Je suis également totalement d’accord avec les suggestions des auteurs de la résolution en faveur d’une meilleure information des travailleurs et d’une meilleure effectivité des sanctions. Sur ces points, ils ont mille fois raison. Certains amendements déposés par le groupe CRC-SPG vont d’ailleurs dans ce sens et me paraissent parfaitement recevables.
Le Gouvernement doit porter son effort avant tout sur une meilleure application de la directive en matière d’information ou de coopération administrative entre les États membres. La lecture des arrêts de la Cour nous invite également à rendre plus lisibles et accessibles nos conventions collectives, notamment, puisqu’il s’agit du détachement de travailleurs, en traduisant leurs principales dispositions dans les langues de l’Union.
Au bénéfice de ces observations, la commission des affaires européennes, conformément à l’accord passé entre les groupes politiques sur l’examen des textes inscrits à l’ordre du jour réservé aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires, a choisi de ne pas apporter de modifications à la proposition de résolution européenne et de la transmettre telle quelle pour examen à la commission des affaires sociales, examen dont Marc Laménie vient de vous rendre compte à l’instant.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne déposée par nos collègues du groupe socialiste et qui vise à réviser la directive de 1996 sur le détachement des salariés a été accueillie favorablement par les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche, mais également avec des sentiments partagés.
Bien entendu, nous sommes favorables à toute initiative législative ayant pour objectif une amélioration des droits individuels et collectifs des travailleurs ; aussi cette proposition de résolution, qui vise le respect du droit à l’action collective et plus généralement des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement des travailleurs ne nous est-elle pas indifférente. Nous en partageons pleinement les constats et soutenons notamment la demande d’introduction d’une clause de progrès social donnant la primauté aux droits sociaux sur ceux du marché intérieur.
Cependant, et c’est la raison de l’accueil mitigé que cette proposition a reçu de mon groupe, la démarche de nos collègues socialistes ne manque pas de susciter des interrogations, notamment concernant leur position à l’égard de l’Union européenne, qui contient selon nous de très grandes contradictions, voire constitue une véritable tentative de concilier l’inconciliable.
En effet, la dérive libérale et la remise en question des droits sociaux au sein de l’Union européenne, constatées et dénoncées avec justesse dans cette résolution, ne sont que les résultats de choix politiques approuvés par le Parlement européen avec les voix socialistes, le Parti socialiste européen ayant voté la plupart des textes européens dont la conjonction aboutit à la situation déplorée aujourd’hui.
Nos positions respectives sur l’Union européenne et le traité constitutionnel européen ont été longuement exposées au sein même de cet hémicycle. Nous avons été le seul groupe à voter et à appeler à voter « non » lors du référendum sur ce texte en 2005.
Non pas que nous soyons contre l’idée d’Union européenne ; et vous le savez bien, nos précédents votes et prises de position sont assez clairs sur ce point. Mais nous avions appelé à voter contre cette Europe-là, celle du marché et de la concurrence libre et non faussée, la même dont on déplore aujourd’hui les abus, et qui menace les droits des salariés, …
Mon cher collègue Denis Badré, je vous ai laissé parler, bien que n’étant pas en accord avec vos propos ; je vous remercie de faire de même.
… cette Europe, disais-je, dont nous redoutions le risque qu’elle conduise à un abaissement des exigences sociales et à un nivellement par le bas des droits des citoyennes et citoyens de l’Union européenne. Non, cette Europe-là, nous ne la cautionnons pas et ne la cautionnerons jamais.
Nous pensons que les risques sociaux contenus aujourd’hui dans l’Union européenne vont bien au-delà des craintes que suscitent les jurisprudences récentes de la Cour de justice des communautés européennes, la CJCE.
Ces jurisprudences ne sont que le révélateur d’une construction européenne qui prétend concilier développement économique et promotion des droits sociaux mais qui, en dernière analyse, a sciemment décidé de faire primer le premier sur la seconde.
Cependant, une fois rappelée notre volonté de construire une Europe des peuples, une Europe solidaire et fraternelle, plutôt que de nous abstenir, nous avons décidé de soutenir ce texte et de saisir cette occasion pour tenter de changer ce qui peut l’être. Nous ferons donc des propositions pour renforcer encore les exigences de ce texte quant aux droits à l’action collective des travailleurs, même si nous sommes bien conscients que notre marge de manœuvre est pour le moins réduite.
Ainsi, dans quatre arrêts qui illustrent cette question, et je vous proposerai dans un instant un amendement qui ajoute ce quatrième arrêt dans la résolution, les droits du marché ont-ils primé sur les droits des salariés à exercer une action collective.
Aujourd’hui, si le droit de mener une action collective est considéré par la CJCE comme « un droit fondamental », son exercice est soumis à des restrictions qui l’obligent à s’effacer devant un autre principe jugé plus fondamental encore, celui du libre exercice des prestations de service. Notre collègue Richard Yung a d’ailleurs mentionné tout à l’heure le cas de ces marins finlandais à qui on voulait imposer le droit letton, et dont le mouvement de grève a été déclaré illicite.
L’adoption de la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services a certes présenté un progrès par rapport à la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, qui aboutissait souvent à appliquer au contrat de travail la loi du lieu de résidence habituelle du travailleur détaché, c’est-à-dire la loi la « moins-disante », avec tous les risques de violation des droits des travailleurs et de dumping social que cela pouvait comporter.
La directive de décembre 1996 impose au contraire le droit du travail du pays d’accueil pour les travailleurs détachés. Ainsi, elle donne corps au vieil adage selon lequel « À Rome, il faut vivre comme les Romains ! ».
Cependant, l’interprétation faite par la CJCE de l’article 49 du traité instituant la Communauté européenne fait que cette directive se retrouve aujourd’hui presque entièrement vidée de sa substance.
Le noyau dur de règles impératives qu’elle contient se réduit et toutes les actions que les salariés mettent en place pour en faire assurer le respect sont condamnées comme étant contraires au principe de libre exercice des prestations de service.
Aujourd’hui, malgré toutes les déclarations d’intention des textes fondateurs, les droits économiques priment sur les droits sociaux. Il faut d’urgence changer le curseur de place. Si un juste équilibre de ces intérêts peut être atteint, nous l’appelons de nos vœux. Mais s’il doit y avoir hiérarchie des normes, nous pensons que celle-ci doit se faire en faveur des salariés.
Pour conclure, après avoir rappelé notre souhait de construire une Europe des peuples et notre entente sur les constats formulés, nous vous proposerons de compléter cette résolution par l’inscription d’une série de droits pour les salariés qui s’articuleront autour de trois axes.
Tout d’abord, nous souhaitons améliorer l’information dont vont pouvoir disposer les travailleurs détachés au sein de l’Union.
Nous souhaitons ensuite développer la coordination entre les administrations des États membres et renforcer l’effectivité des sanctions qui pourront être prononcées en cas de violation des obligations découlant de textes communautaires.
Enfin, devant la remise en question du droit à l’action collective - et notamment du droit de grève -, nous proposerons également que celui-ci soit intégré dans le noyau dur des droits que tout État doit accorder à un salarié détaché.
Certes, nous avons bien conscience qu’au sein des 27 États membres, ces droits n’ont pas le même contenu et n’offrent pas le même niveau de protection juridique. Cependant, et c’est là l’objectif de la construction européenne, nous estimons qu’il faut tendre à améliorer les conditions de vie et de travail de chacune et chacun de nos concitoyens européens et mettre en œuvre, en quelque sorte, l’Europe du mieux-disant social !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne soumise au débat de notre assemblée s’inscrit dans notre volonté de conjuguer la lutte contre le dumping social et la promotion de l’harmonisation sociale entre les pays de l’Union.
Sa discussion intervient deux semaines après la présentation de la Commission Barroso II, qui prépare actuellement son programme législatif.
C’est dans ce contexte que nous avons souhaité, par le dépôt de cette proposition de résolution, aborder les problématiques relatives aux droits des travailleurs détachés, dont on évalue le nombre à un million, notamment dans le domaine du bâtiment et des travaux publics.
La directive sur le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, adoptée en 1996, est aujourd’hui remise en cause par plusieurs arrêts de la CJCE. Notre résolution en propose la révision, afin que les objectifs qui lui étaient initialement assignés soient réaffirmés et respectés.
La directive sur le détachement des travailleurs établit un ensemble de règles minimum obligatoires qui doivent s’appliquer aux travailleurs détachés dans le pays d’accueil : durée maximale du travail, salaire minimum, conditions de mise à disposition des travailleurs. Elle consacre, par l’instauration d’un noyau dur de règles, un principe d’égalité de traitement entre travailleurs sur un même lieu, quels que soient leur statut et l’État d’établissement de l’entreprise.
Elle affirme clairement un objectif : la lutte contre le dumping social.
La directive se trouve confrontée à des obstacles dans sa mise en œuvre. Elle pâtit du défaut d’information des travailleurs détachés sur leurs droits et de l’insuffisance des contrôles, rendant plus difficile l’emploi des sanctions pourtant prévues par la directive en cas de manquement au respect des règles minimum obligatoires.
Soucieux de lever ces difficultés, les États ont considéré que la meilleure voie à suivre était sans doute la recherche d’une meilleure coopération administrative entre les États. Au regard des développements récents, on peut douter que ceux-ci y soient véritablement incités.
Par trois arrêts récents, la CJCE opère une forte remise en cause de la directive : de son objet, de son contenu et de son champ d’application.
Ces trois arrêts subordonnent l’exercice du droit de grève à la liberté d’établissement s’agissant de l’arrêt « Viking », à la négociation collective s’agissant de l’arrêt « Laval », et à l’existence d’un salaire minimum pour l’arrêt « Rüffert ».
Ils opèrent tous les trois, par une interprétation très restrictive de la directive, une hiérarchie entre, d’une part, la libre prestation des services et, d’autre part, les droits sociaux, notamment les droits à l’action collective.
La CJCE, par ces arrêts, oppose des droits que la directive s’attache à concilier. De fait, c’est l’objectif d’égalité de traitement entre travailleurs et, par conséquent, l’esprit même de la directive qui sont contredits.
L’objet de la directive est de garantir aux travailleurs détachés un niveau de protection minimale en termes de rémunération et de conditions de travail. Le législateur européen n’a pas souhaité faire de cette directive un outil contribuant principalement à faciliter la prestation transnationale de service.
Constatant que la volonté du législateur a été contredite par ces arrêts, il importe de la réaffirmer.
Il y a urgence à préciser le champ d’application de la directive, devenu incertain : est-ce une directive d’harmonisation minimale laissant les États libres de hausser par la loi et les conventions collectives le niveau de protection des salariés, ou est-ce une directive dont le noyau dur serait un plafond, préfigurant un nivellement par le bas ?
La CJCE remet en question les systèmes de conventions collectives négociées entreprise par entreprise, car celles-ci ne définiraient pas un droit « d’application générale » ainsi que l’exige le paragraphe 8 de l’article 3 de la directive. De fait, ce qui est mis en cause, c’est le modèle scandinave d’autorégulation et de négociation sociale qui s’est construit sur des syndicats forts.
Des clarifications paraissent nécessaires. Elles témoigneraient de la volonté de mettre un terme aux incertitudes nées des arrêts de la CJCE. Celles-ci appellent une révision de la directive, seule à même de soustraire les droits des travailleurs détachés aux aléas de la jurisprudence et de garantir une sécurité juridique suffisante.
Ce n’est pas la Cour qui est défaillante, c’est la législation.
Je me réjouis qu’en commission des affaires européennes nous soyons parvenus à une analyse partagée sur la réalité des remises en cause de la directive et leurs conséquences sur son effectivité.
Néanmoins, certains continuent à s’opposer à sa révision. Je souhaiterais répondre aux principales objections formulées.
D’abord, on prétend que les remises en cause opérées par la jurisprudence de la Cour auraient des effets limités, circonscrits aux pays nordiques. Elles restent dans tous les cas contraires au considérant 12 de la directive, qui met à égalité législation et conventions collectives de travail conclues par les partenaires sociaux. Au-delà, plusieurs développements récents invalident l’hypothèse selon laquelle ces arrêts n’auraient d’influence que sur le droit conventionnel des pays nordiques.
Au Royaume-Uni, début 2009, des grèves ont été déclenchées dans une raffinerie contre l’emploi de travailleurs portugais et italiens à des conditions de travail et de rémunération différentes de celles offertes aux ouvriers locaux. L’Allemagne connaît les mêmes phénomènes. Remettre en cause le traitement à égalité de la loi et des conventions collectives ouvre à l’évidence une brèche dans le dispositif global et cohérent porté par la directive.
Ensuite, on dit craindre que la révision de la directive ne soit pas sans risque ; certains pays pourraient profiter de celle-ci pour opérer son détricotage.
La mise en garde est légitime, mais reste floue quant à l’origine de ces attaques possibles. De qui parle-t-on ? Pas du Parlement européen qui, dans une résolution du 22 octobre 2008, a demandé que « l’équilibre entre les droits fondamentaux et les libertés économiques soit réaffirmé dans le droit primaire pour contribuer à prévenir un nivellement par le bas des normes sociales ». Il ne s’agit pas non plus de la Confédération européenne des syndicats, la CES, qui a fait savoir son soutien à une révision de la directive. Quant aux vingt-sept partis socialistes et sociaux démocrates, ou au PSE, ils portent dans leurs parlements nationaux, et au Parlement européen, une demande de révision de la directive.
S’il y a risque de détricotage dans le cadre d’une révision de la directive, il vient principalement du groupe du parti populaire européen, le groupe PPE, au Parlement européen. Je ne doute pas - je m’adresse à nos collègues de la majorité - que vous saurez conjurer ce risque et convaincre vos homologues d’opérer une révision non pas dans le sens du nivellement par le bas, mais dans celui d’une consolidation juridique.
Enfin, José Manuel Barroso aurait pris des engagements rendant caduque la révision que nous demandons dans notre proposition de résolution.
Lors de son audition par le Parlement européen, José Manuel Barroso a présenté les orientations politiques de la prochaine commission. Il a déclaré ne pas tolérer que « des droits sociaux fondamentaux, tels que le droit d’association ou le droit de grève, qui sont essentiels pour le modèle de société européen, soient menacés » et juger nécessaire de « faire en sorte que nos valeurs d’intégration, d’équité et de justice sociale soient reprises dans une nouvelle approche ».
En réalité, l’approche nouvelle prônée par José Manuel Barroso reprend la voie déjà empruntée par la précédente commission de normes interprétatives, avec les limites que nous connaissons s’agissant de leur portée juridique. Surtout, le choix d’une norme interprétative de la Commission européenne met de côté le Parlement européen et le Conseil des ministres.
À nos yeux, la révision de la directive, qui est à la fois opportune au regard du calendrier et nécessaire en termes de lutte contre le dumping social, s’impose. S’en tenir au simple rappel des normes portées par la directive témoignerait d’une volonté de freiner toute consolidation juridique. En adoptant cette résolution, notre assemblée enverrait un signal fort à la Commission au moment où celle-ci travaille à son programme législatif. Elle donnerait surtout aux travailleurs des Vingt-sept un espoir réel dans la construction de l’Europe sociale.
C’est pourquoi le groupe socialiste vous demande, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de résolution européenne.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je me réjouis de la tenue de ce débat, qui permet d’ouvrir une réflexion approfondie sur le respect du droit à l’action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement des travailleurs et de réfléchir aux remèdes pouvant être apportés pour fixer des règles plus protectrices des salariés.
La directive européenne du 16 décembre 1996 a pour objectif d’instaurer un climat de concurrence loyale et de respect des droits des travailleurs sur le marché européen dans lequel la libre circulation des personnes et des services puisse se développer.
Il est de plus en plus fréquent que des salariés travaillant habituellement dans un État membre de l’Union européenne se voient confier une mission dans un autre État membre. En 2006, on pouvait estimer le nombre de travailleurs détachés à environ 1 million de personnes.
Alors que les prestations de services transnationales augmentent et que la libre circulation des travailleurs est de plus en plus importante, la directive doit jouer un rôle essentiel dans la protection des travailleurs concernés.
L’objectif de cette directive, qui est d’offrir un environnement concurrentiel équitable et des mesures garantissant le respect des droits des travailleurs dans des situations de services transfrontaliers, est plus important que jamais. Il faut instaurer la confiance des travailleurs sur le marché du travail européen et, surtout, combattre le dumping social.
L’ouverture accrue du marché de l’emploi en Europe exige des règles strictes et équitables, combinant des frontières ouvertes et une protection adéquate, où le travailleur occupe une place centrale. Elle doit s’accompagner de mesures pour combattre l’exploitation et la concurrence déloyale en matière de salaires et de conditions de travail qui existent malheureusement trop souvent lorsqu’il y a mobilité transfrontalière de travailleurs ou de services.
Pourtant, plusieurs arrêts récents de la Cour de justice des Communautés européennes ont mis en exergue les faiblesses du cadre juridique actuel de l’Union européenne applicable aux droits sociaux fondamentaux et à la libre circulation des travailleurs et des services.
La Cour a ainsi confirmé une hiérarchie des normes, les libertés de marché occupant le sommet de cette hiérarchie au détriment des droits sociaux fondamentaux.
Par ailleurs, elle a choisi d’interpréter la directive sur le détachement de manière très restrictive. En effet, elle limite la capacité des syndicats à prendre des mesures contre le dumping social et à garantir un traitement égal aux travailleurs locaux et migrants dans le pays d’accueil. Elle empêche également les États membres d’appliquer les dispositions en matière d’ordre public dans des situations de détachement pour prévenir une concurrence déloyale entre des entreprises de service locales et étrangères, ce qui porte préjudice aux travailleurs et aux petites entreprises locales.
Il est donc impératif de pallier les faiblesses du cadre juridique européen, notamment en le clarifiant, de réviser profondément la directive du 16 décembre 1996, afin de défendre au mieux les travailleurs européens contre la concurrence déloyale sur les salaires et les conditions de travail, de lutter pour l’égalité de traitement entre travailleurs migrants et locaux et de prendre les mesures nécessaires pour améliorer les conditions de vie et de travail sur le marché européen.
Nos collègues socialistes ont bien expliqué la problématique des différences d’interprétation des divers arrêts de la Cour de justice des communautés européennes. Notre inquiétude quant au non-respect du droit à l’action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement des travailleurs incitera la majorité du groupe RDSE à voter en faveur de cette résolution.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat est important, car il concerne 1 million de salariés en situation de détachement, c’est-à-dire travaillant temporairement dans un autre État membre. Il nous permet de relayer l’inquiétude de la Confédération européenne des syndicats à la suite de l’interprétation par la Cour de justice des communautés européennes de la directive du 16 décembre 1996 sur le détachement des travailleurs.
Comme l’ont souligné M. le rapporteur et M. le rapporteur pour avis, la jurisprudence récente de la Cour a pu susciter des interrogations auxquelles il est intéressant de répondre aujourd’hui.
En lui-même, le texte de la directive de 1996 est protecteur. Répondant à la question de savoir quel droit est applicable à la situation de détachement, la directive définit un noyau dur des règles du pays d’accueil s’appliquant impérativement aux travailleurs détachés.
Ces règles sont notamment celles qui régissent les périodes maximales et minimales de repos, la durée des congés annuels, les taux de salaires minimum, la sécurité des travailleurs ou l’égalité entre les hommes et les femmes… Elles sont évidemment impératives, à condition que les règles en vigueur dans le pays d’origine ne soient pas plus favorables, auquel cas celles-ci s’appliqueraient.
Les garanties apportées par la directive sont essentielles pour éviter un dumping salarial généralisé en Europe et des distorsions de concurrence inacceptables entre les entreprises. En effet, on comprend l’intérêt que pourraient trouver des entreprises roumaines ou polonaises à entrer sur nos marchés si elles pouvaient octroyer de faibles rémunérations à leurs salariés.
Comme l’a relevé la commission des affaires européennes, la directive offre une grande sécurité juridique. En effet, d’un côté, les entreprises prestataires connaissent les règles du travail du pays d’accueil qu’elles sont tenues d’appliquer et, de l’autre, les salariés peuvent faire valoir leurs droits aisément.
Détail important, les règles doivent être fixées par la législation du pays d’accueil ou par des conventions collectives déclarées d’application générale. Cela assure leur lisibilité pour une entreprise étrangère. Mais cette disposition va créer des difficultés. La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes l’appliquera strictement, ce qui peut susciter des difficultés pour certains pays, comme la Suède, où l’État est très en retrait et où la négociation collective est décentralisée. Il n’existe pas d’équivalent à nos conventions collectives, car les salaires sont négociés dans chaque entreprise et les négociations se font au cas par cas.
Dès lors, et c’est la conclusion de la Cour dans les arrêts Rüffert et Laval, si les obligations prévues par le pays d’accueil ne sont pas contenues dans des conventions d’application générale s’appliquant sur tout le territoire ou dans un secteur déterminé, elles peuvent être jugées contraires à la liberté de prestation de service.
Dans les deux affaires, les conventions conclues ne s’appliquaient qu’à certaines entreprises du secteur de la construction. La Cour a donc pu constater que les syndicats, qui cherchaient pourtant à faire respecter des règles sociales, avaient tenté d’imposer aux entreprises des obligations allant au-delà des dispositions prévues par la directive, affectant de ce fait la liberté de prestation de services.
Nous le voyons donc, c’est vis-à-vis de certains États que l’application de la directive peut susciter des difficultés. Ce n’est absolument pas le cas pour la France, dont les règles sociales sont très protectrices et figurent dans des textes ayant la dimension juridique nécessaire.
On peut alors se demander pourquoi la France remettrait en cause la directive et signalerait les difficultés d’application de celle-ci dans d’autres États membres, alors que ces derniers n’en font pas la demande. Dans les affaires Viking, Laval et Rüffert, les États concernés, en l’occurrence la Suède et l’Allemagne, n’ont pas réclamé de révision de la directive. Ils ont plutôt choisi d’adapter leurs règles de droit interne pour tirer les conséquences de la jurisprudence communautaire. Il serait donc malvenu que la France intervienne à leur place.
Le droit à l’action collective est reconnu comme un droit fondamental par la Cour. La liberté de prestation de service étant également un principe fondamental, la Cour s’est livrée à une mise en balance de ces droits. On ne peut cependant pas en déduire, comme le font les auteurs de la proposition de résolution, qu’elle ait établi une hiérarchie entre eux.
C’est à bon droit que la Cour relève qu’une restriction à la liberté de prestation de services doit viser un objectif légitime et se justifier par des raisons impérieuses d’intérêt général. Elle doit également être proportionnée. Concrètement, dans l’arrêt Viking, la Cour a pu très logiquement vérifier que les syndicats ne disposaient pas de moyens autres que la grève pour faire aboutir les négociations.
Comme l’a souligné mon collègue et ami Marc Laménie en commission, la Cour de justice des communautés européennes invite à opérer une conciliation entre ces différents droits et libertés, selon une démarche qui n’est pas sans rappeler celle du Conseil constitutionnel. Le droit de grève n’est pas un droit absolu, que ce soit en droit français ou en droit communautaire, et son exercice peut donc être encadré.
À la demande du groupe socialiste, la proposition de résolution a été inscrite à l’ordre du jour réservé aux groupes d’opposition et aux groupes minoritaires. Cette procédure a permis d’avoir un débat au sein de la commission des affaires européennes, au sein de la commission des affaires sociales et au sein de cet hémicycle aujourd’hui. Le groupe UMP n’a pas souhaité rejeter ou modifier la proposition de résolution initiale en commission, afin de lui permettre d’être examinée en l’état en séance publique, et ce conformément aux accords entre les groupes politiques.
Le débat a donc eu lieu et les arguments pour une révision de la directive ont été entendus. Finalement, que peut-on répondre aux auteurs de la proposition de résolution ?
Sourires.
Notre groupe attache beaucoup d’importance à la protection des salariés et à la place des règles sociales, mais n’estime pas nécessaire de modifier la directive de 1996.
Le rapport de la commission des affaires européennes note qu’une révision d’un texte voté à quinze risquerait de ne pas aboutir au résultat escompté s’il était adopté par vingt-sept États membres. On peut affirmer que la liste des matières relevant du noyau dur serait au contraire raccourcie.
Par ailleurs, l’adoption d’une clause de progrès social est difficilement envisageable alors que le traité de Lisbonne vient d’être définitivement ratifié. Et, comme l’a souligné Marc Laménie, l’article 3 du traité sur l’Union européenne consacre déjà avec force la finalité sociale de la construction européenne.
Il faut ajouter qu’à l’image de la Commission européenne nos deux rapporteurs ont surtout pointé les insuffisances de la coopération administrative entre États membres et de l’information des travailleurs sur leurs droits dans l’État membre d’accueil. Il existe également des difficultés de contrôle et d’exécution des sanctions dans l’État d’origine.
Par conséquent, le groupe UMP souscrit à l’idée des rapporteurs d’envisager la voie d’un règlement pour améliorer cette situation, afin de préciser l’interprétation de la directive et de renforcer les moyens de contrôle. Le débat devra donc être suivi d’échanges avec la Commission européenne. Il n’est pas nécessaire de revoir l’ensemble de la directive, qui atteint parfaitement ses objectifs.
Je tiens à féliciter nos rapporteurs, et particulièrement notre collègue et ami Marc Laménie, …
… qui se livrait à cet exercice pour la première fois. Il a fait preuve d’une grande qualité d’écoute et a mené un travail approfondi sur un sujet très technique.
Le groupe UMP suivra l’avis des deux rapporteurs et votera contre la proposition de résolution.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, après les interventions de nos collègues, notamment celles de Richard Yung et de Catherine Tasca, il ne me semble pas nécessaire de revenir en détail sur cette proposition de résolution européenne.
En revanche, j’entends insister sur un point, qui est, pour l’ensemble des signataires de ce texte, non seulement central, mais surtout non négociable. Je veux parler de « la primauté des droits sociaux fondamentaux sur les libertés fondamentales du marché intérieur ».
En effet, dans un contexte grave de crise économique et sociale, avec une explosion du taux de chômage européen de 80 % en un an et un nombre de travailleurs européens détachés qui ne cesse de croître à grande vitesse – ils sont plus de 1 million aujourd’hui –, l’objet principal de cette proposition de résolution n’est pas uniquement de réaffirmer une énième fois de façon incantatoire l’importance des droits sociaux fondamentaux, mais bien d’aider à instaurer une véritable hiérarchie des normes faisant passer les droits sociaux fondamentaux avant les droits économiques.
Il ne s’agit en aucun cas de revenir sur les droits économiques et de nier les libertés fondamentales dont ils découlent. Il s’agit de ne plus se tromper sur leurs places respectives dans l’ordre juridique communautaire, et par là même national.
Pour cela, à la suite des arrêts « Laval », « Viking » et « Rüffert » de la Cour de justice des Communautés européennes, il nous faut procéder à une révision de la directive.
Sur ce point, les enjeux sont tels que nous ne pourrons nous contenter d’un simple règlement d’interprétation et d’application, de lignes directrices, ou encore d’une norme, comme certains l’évoquent.
C’est essentiel, tout d’abord, en raison d’un double souci de démocratie.
Quelle que soit la qualité du travail effectué par les juges européens, il n’est pas acceptable qu’ils aient une marge d’interprétation si grande qu’elle leur permette, in fine, de mettre en place une jurisprudence de toute évidence contraire à l’esprit de la construction européenne et à la lettre du traité de Lisbonne.
Il est primordial de redonner la main au législateur européen. C’est exactement ce que nous entendons faire avec cette proposition de résolution. Si les juges ont leur rôle à jouer, c’est le législateur qui doit définir la hiérarchie des normes. En tant que garante de l’intérêt général, c’est à la Commission européenne qu’il revient de combler les lacunes du texte. En tant que représentants directs des citoyens européens, c’est au Parlement européen et au Conseil des ministres d’en décider. Cela ne dépend que de la volonté politique.
Pour que le législateur européen puisse faire son boulot, il faut que les Parlements nationaux fassent le leur en interpellant leurs gouvernements dans ce sens, mais également la Commission européenne, soutenue par ces mêmes gouvernements.
J’attire votre attention sur le fait que ce dysfonctionnement grave est précisément de ceux qui contribuent régulièrement à éloigner l’Europe de ses citoyens. Nous avons là l’occasion d’agir.
Par ailleurs, la révision de la directive est essentielle parce que la relance de l’Europe sociale passe précisément par là.
Il est surprenant de le constater, rares sont ceux à faire le lien entre l’augmentation des troubles sociaux dans l’Union et la panne de l’Europe sociale, comme si la construction du libre-échange européen pouvait se passer du progrès social.
Le désenchantement des citoyens à l’égard de l’Europe va croissant, et pour cause ! Comment convaincre de l’intérêt de l’Europe lorsque celle-ci met en concurrence les travailleurs sur les seules bases de leurs conditions de travail, en encourageant donc le dumping social ?
La droite, majoritaire en Europe, a une responsabilité toute particulière. Nous savons bien que Barroso et la droite européenne, dans son ensemble, sont contre la révision de cette directive, car ils sont fondamentalement contre l’avancée de l’Europe sociale. Nous le savons sans l’ombre d’un doute parce que nous avons trop souvent vu à l’œuvre le procédé qu’ils utilisent.
Ils commencent tous leurs discours en rappelant toute l’importance des droits sociaux et en soulignant à quel point il est important de les protéger. En réalité, ils refusent de mettre en œuvre leurs paroles, ce qui revient finalement à « casser » purement et simplement les droits sociaux en les subordonnant aux droits économiques.
Combien de fois avons-nous vu à l’œuvre, dans cet hémicycle, avec ce gouvernement, le procédé qui consiste à faussement célébrer ce que l’on s’apprête à détruire ?
Quand le juge européen en vient à conditionner le droit de grève à la liberté d’installation et à la liberté de circulation, ce n’est pas une petite régression : c’est une tentative de déconstruction massive des valeurs qui fondent tout le projet européen !
Parce que l’Europe n’a jamais été un projet de marché économique et ne peut se contenter de l’être, l’heure n’est plus à la simple réaffirmation des droits sociaux : il faut les imposer au sommet de la hiérarchie des normes.
Enfin, j’attire votre attention sur le fait qu’en subordonnant le droit de grève au respect des principes du marché intérieur, le juge européen se retrouve avec un pouvoir d’interdiction de la grève que même le juge national ne possède pas.
Dans les nombreux pays de l’Union où le droit de grève à valeur constitutionnelle, comme c’est le cas en France, aucun juge n’a le pouvoir d’interdire la grève ; il a seulement le pouvoir de l’encadrer dans certains cas.
Mes chers collègues, avec cette proposition de résolution, le groupe socialiste vous invite à redonner le pouvoir au législateur européen, à jouer pleinement votre rôle d’élus nationaux d’un pays membre de l’Union, à relancer l’Europe sociale en imposant ses acquis et donc à tirer vers le haut le projet européen appelant à l’instauration d’une « clause de progrès social ».
Pour finir, je tiens à vous informer que notre démarche ne sera pas isolée. Ce sujet sera l’un des thèmes principaux de l’audition du nouveau commissaire européen à l’emploi devant le Parlement.
Puisque le PSE encourage à faire déposer le texte de cette proposition de résolution dans tous les Parlements nationaux des États membres de l’Union, mes chers collègues, saisissez l’occasion de passer pour la droite la plus progressiste d’Europe et votez cette proposition de résolution !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de résolution européenne qui est aujourd’hui en discussion pose au fond trois questions, chacune ayant son importance.
Quelles conclusions concrètes doit-on tirer des décisions rendues par la Cour de justice des Communautés européennes dans ces affaires « Viking Line », « Laval » et « Rüffert » ? Faut-il réviser la directive 96/71/CE ? Faut-il affirmer la primauté des droits sociaux sur les autres droits au niveau communautaire ?
À chacune de ces questions, je souhaite, au nom du Gouvernement, et plus spécifiquement de Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, apporter des éléments de réponses précis, qui viendront compléter et conforter ce qui vient d’être dit par MM. Badré et Laménie.
Je ne referai pas ici une analyse juridique des décisions rendues par la Cour de justice des Communautés européennes, la CJCE, que chacun d’entre vous connaît, mais je soulignerai trois points.
Premièrement, dans les différentes décisions, la CJCE, en réalité, défend la directive 96/71/CE. Elle affirme aussi le caractère fondamental des droits sociaux. Dans l’arrêt « Viking Line », la CJCE indique que « le droit de mener une action collective, y compris le droit de grève, doit donc être reconnu en tant que droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect ».Voilà qui est clair !
Deuxièmement, sur le fond de ces affaires, la difficulté n’est pas de dessiner une je-ne-sais quelle hiérarchie des normes, mais bien de concilier l’exercice de deux libertés reconnues chacune comme fondamentales : celle de librement travailler au sein de l’Union et celle d’y faire librement grève.
À cette question, la CJCE apporte une réponse simple et constante. Elle invite le juge national à se référer au respect du double principe de nécessité, d’une part, et de proportionnalité, d’autre part. Ce double principe est classique dès lors que l’on cherche à concilier l’exercice de deux libertés, y compris dans le droit du travail interne. Je rappelle qu’il figure depuis 1992 à l’article L. 1121-1 du code du travail. Là encore, la jurisprudence de la CJCE se doit d’être comprise plutôt que critiquée.
Enfin, troisièmement, la France ne fait pas partie des États membres mis en difficulté par les jurisprudences « Laval » et « Rüffert ». Les choses doivent être clairement dites ! En France, les employeurs détachant temporairement des salariés sur le territoire national sont soumis aux dispositions légales, mais aussi aux dispositions conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d’activité.
C’est la règle posée par l’article L. 1262-4 du code du travail. Et c’est tout le bénéfice du mécanisme d’extension des conventions collectives de branche pour tous les accords de branche, que les salariés soient détachés ou non.
Venons-en à l’essentiel des motivations de cette proposition de résolution, car ce n’est pas tant la CJCE qui est en cause que la révision de la directive qui est demandée ainsi que l’ajout d’une « clause de primauté » des droits sociaux.
Je commencerai par ce dernier point.
Faut-il inscrire dans le traité une clause de primauté des droits sociaux ?
Permettez-moi, monsieur Yung, de citer votre rapport sur l’Europe sociale : « Alors qu’elle était relativement absente du traité de Rome, la dimension sociale du projet européen a peu à peu émergé […]. Elle est aujourd’hui à l’origine d’un important acquis communautaire, composé de plus de deux cents textes ».
Vous avez raison, monsieur le sénateur : la dimension sociale du projet communautaire est maintenant une évidence et un acquis.
Cet acquis vient d’être amplifié et conforté par l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Je ne vous rappellerai pas le rôle essentiel de la France et du Président de la République dans la création des conditions d’entrée en vigueur de ce traité.
Je ne vous rappellerai pas, non plus, les atermoiements du parti socialiste qui dit « oui » au traité, en tout cas pour une partie du PS, mais dit « non » à la révision constitutionnelle autorisant sa signature !
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
En revanche, je veux insister sur la consécration des droits sociaux que réalise ce traité sur le plan communautaire.
Premièrement, il ouvre la possibilité pour tous les citoyens européens d’invoquer directement, devant leurs juridictions nationales, les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Deuxièmement, il donne désormais à la Charte des droits sociaux fondamentaux la même valeur que les dispositions des traités.
Vous demandiez que ces droits sociaux soient reconnus et affirmés comme « essentiels » sur le plan communautaire. C’est le cas. Nous l’avons fait !
Ce traité élève au plus haut degré la liberté syndicale par l’article 12, le droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise par l’article 27, le droit de négociation et d’actions collectives par l’article 28. Très concrètement, l’article 28, par exemple, affirme le droit des salariés de recourir, en cas de conflits d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris à la grève.
On ne saurait être plus clair. On ne saurait donner une valeur juridique à ce droit plus haute qu’en en faisant une disposition du traité. Votre demande, sur ce point, est donc déjà satisfaite. J’ajoute, en guise de clin d’œil, que ce traité promeut la solidarité intergénérationnelle, thème qui est au cœur de ma mission. Il m’est donc très cher !
Reste la dernière question essentielle que pose cette proposition de résolution, à savoir faut-il, oui ou non, réviser la directive 96/71/CE ?
Personnellement, je remarque que ni l’Allemagne ni la Suède, pays pourtant directement concernés par les décisions de la CJCE, n’ont demandé cette révision de la directive. Elles ont préféré faire évoluer leurs législations nationales : par la loi du 24 avril 2009 en Allemagne ou encore par les mesures présentées le 8 octobre dernier en Suède.
Dans ces conditions, vous comprendrez bien qu’il serait surprenant que l’un des pays les moins concernés par ces décisions – en raison, notamment, du mécanisme d’extension des conventions collectives de branche que j’évoquais tout à l’heure – soit le seul pays à demander la révision de la directive. D’ailleurs, j’attire votre attention sur le fait que deux de ces trois décisions se fondent, non pas sur la directive, mais sur des articles du traité lui-même, de sorte que la révision de la directive ne changerait rien.
Il importe, avant tout, que les États membres procèdent à une bonne transposition et, surtout, à une bonne application de cette directive.
Sur ce point, je voudrais souligner les initiatives et les actions de la France. Au niveau communautaire, nous avons activement soutenu la recommandation interprétative de la Commission européenne, en date du 31 mars 2008, relative à l’amélioration de la coopération administrative dans le contexte du détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services. Nous participons aussi directement aux deux missions d’étude lancées par la Commission, dont les résultats devraient être connus dans les prochains mois.
Au niveau national, c’est essentiel, nous continuons chaque jour à mieux équiper les services de contrôles, les employeurs et les salariés détachés, par la mise à disposition d’informations dans leur langue, par la dématérialisation des déclarations préalables de détachement via l’application « France migration détachement » ou FRAMIDE, qui sera déployée dès 2010. Enfin, nous renforçons la coopération entre les services de contrôle, au niveau tant national que communautaire, grâce à l’action du bureau de liaison, comme l’a souligné le ministre du travail lors de la présentation de son plan national de lutte contre le travail illégal, voici quelques jours.
Vous comprendrez donc que le Gouvernement émette un avis défavorable sur cette proposition de résolution européenne, qu’il considère comme inopportune.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion du texte de la proposition de résolution européenne initiale.
Le Sénat,
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vus l’article 39 du traité CE sur la liberté de circulation des travailleurs d’une part, et l’article 49 du traité CE sur la liberté de prestation de services d’autre part,
Vu les articles 136, 137, 138, 140 du traité CE,
Vu l’article 152 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui reconnaît le rôle des partenaires sociaux et l’importance du dialogue social et de la négociation collective,
Vu les articles 27, 28 et 34 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
Vu la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, et notamment ses considérants (5), (12), et (22), ci-après nommée « la directive sur le détachement des travailleurs »,
Vu la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, et en particulier ses articles 3 et 16(3),
Vu la « clause Monti » inscrite dans le règlement CE n° 2679/98 du Conseil du 7 décembre 1998 relatif au fonctionnement du marché intérieur en ce qui concerne la libre circulation des marchandises entre les États membres,
Vu la communication de la Commission COM (2008) 304 final du 13 juin 2007 au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur « le détachement de travailleurs dans le cadre de la prestation de services : en tirer les avantages et les potentialités maximum tout en garantissant la protection des travailleurs »,
Vus l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) du 11 décembre 2007 dans l’affaire C-438/05, International Transport Workers’ Federation and Finish Seamen’s Union/Viking Line ABP, l’arrêt de la CJCE du 18 décembre 2007 dans l’affaire C-341/05, Laval un Partneri Ltd, l’arrêt de la CJCE du 3 avril 2008 dans l’affaire C-346/06, Rüffert, ci-après nommés «Viking », « Laval », et « Rüffert »,
Vu la résolution du Parlement européen du 26 octobre 2006 sur l’application de la directive 96/71/CE concernant le détachement des travailleurs,
Vu la résolution du Parlement européen du 22 octobre 2008 sur les défis pour les conventions collectives dans l’UE,
Considérant que la liberté de circulation des travailleurs dans l’Union européenne implique l’abolition de toute forme de discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs ressortissants d’un État membre en ce qui concerne les conditions d’emploi, de travail et de rémunération,
Considérant que le principe de l’égalité de traitement entre travailleurs pour un même travail sur un même lieu de travail est remis en cause par les récents arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes dans les affaires « Laval », « Viking » et « Rüffert »,
Considérant que le droit de grève et le droit à l’action collective sont des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire,
Considérant le dialogue social entre partenaires sociaux comme un élément essentiel du modèle social et économique européen,
Déclare inacceptable que le droit fondamental des partenaires sociaux de recourir à des actions collectives passe après les droits économiques dans un ordre hiérarchisé des libertés fondamentales,
Estime que cette hiérarchisation des normes en droit communautaire pourrait poser des problèmes de cohérence avec d’autres systèmes juridiques, tels celui de l’Organisation Internationale du Travail et celui du Conseil de l’Europe,
Rappelle que le droit de grève est de nature constitutionnelle dans nombre d’États membres, dont la France, et qu’il est à ce titre protégé dans le cadre du marché intérieur par la « clause Monti »,
Estime essentiel dans un contexte de crise économique et sociale extrêmement grave de garantir un niveau élevé de protection aux travailleurs et de lutter contre ce qui pourrait s’apparenter à du « dumping social »,
Estime que la concurrence sur la seule base de conditions salariales et de travail différentes entre travailleurs européens dans le cadre transnational d’une prestation de services sape la confiance des citoyens envers la construction européenne,
Condamne l’instrumentalisation politique à visée nationaliste qui est faite de certains conflits sociaux impliquant des travailleurs européens de nationalité différente,
Condamne l’introduction d’un principe de proportionnalité pour juger des actions menées à l’encontre d’entreprises utilisant la liberté de prestation de services dans le marché intérieur pour remettre en cause les conditions d’emploi et de traitement des travailleurs détachés dans l’État membre d’accueil,
Estime que la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes ne saurait suffire à clarifier l’état du droit en matière de travailleurs détachés,
Estime que la nouvelle Commission européenne devra orienter son mandat en faveur d’une véritable politique de l’emploi centrée sur la qualité du travail et le progrès social,
Estime qu’il en va de la responsabilité du législateur européen de procéder à un éclaircissement juridique des dispositions de la directive par le législateur européen, notamment quant à la valeur juridique des conventions et accords collectifs au regard de l’article 3 de la directive sur le détachement des travailleurs,
Estime urgent de procéder à la révision de la directive sur le détachement des travailleurs en consultation avec les partenaires sociaux européens,
Demande l’introduction d’une clause de progrès social donnant la primauté aux droits sociaux fondamentaux sur les libertés fondamentales du marché intérieur sur la base de l’article 3 (3) sous paragraphe 3 du traité de Lisbonne (sous réserve de sa ratification),
Souhaite un large champ d’application de ce qui peut être considéré comme des « dispositions d’ordre public » que les États membres peuvent appliquer en plus du noyau de normes minimales énoncées par la directive sur le détachement des travailleurs,
Demande que la directive introduise une délimitation temporelle dans la définition d’un travailleur détaché afin d’éviter toute utilisation abusive du détachement,
Souhaite que des dispositions contraignantes soient prises vis-à-vis des États membres comme des employeurs, permettant de garantir une information correcte des travailleurs détachés sur les droits dont ils disposent,
Souhaite le renforcement des contrôles et des moyens de sanction en cas de non-respect des dispositions de la directive,
Demande au Gouvernement de rendre compte à la Représentation nationale de l’application de cette directive en France,
Demande à la Commission européenne sur la base de ces orientations d’insérer dans son prochain programme de travail pour l’année 2010 une proposition de révision de la directive sur le détachement des travailleurs,
Demande au Gouvernement d’agir dans le sens de cette résolution.
L’amendement n° 1, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Compléter cet alinéa par les mots :
Commission c/ Luxembourg
La parole est à Mme Annie David.
Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, madame la présidente, je présenterai en même temps l’amendement n° 2, puisqu’il a le même objet que l’amendement n° 1, à savoir, compléter la liste des arrêts de la Cour de justice des communautés européennes visés par la présente proposition de résolution.
J’appelle donc en discussion l’amendement n° 2, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 15
Compléter cet alinéa par les mots :
et l’arrêt Commission contre Luxembourg
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
L’arrêt Commission contre Grand Duché du Luxembourg, rendu par la Cour de justice des communautés européennes le 19 juin 2008, se prononce sur un des aspects de cette résolution : la portée de la notion de « dispositions d’ordre public », au sens de la directive du 16 décembre 1996.
Par cet arrêt, la Cour de justice des communautés européennes a condamné le Luxembourg pour manquement à ses obligations en vertu de l’article 3, paragraphes 1 et 10, de la directive précitée, ainsi que des articles 49 et 50 du traité instituant la Communauté européenne. Je vous ferai grâce de la lecture de ces dispositions, qui précisent que les entreprises employant des salariés détachés doivent appliquer un certain nombre de mesures, nommées « noyau dur », mais peuvent y ajouter d’autres conditions d’ordre public, pour les inclure au contrat de travail qu’ils signent.
Avant cet arrêt, tous les juristes pensaient que chaque État membre était libre de déterminer ce qui, selon ses critères juridiques et ses valeurs, ressortait ou non des dispositions d’ordre public, au sens de la présente directive.
Or, dans cet arrêt, la Cour de justice des communautés européennes estime que le contenu des dispositions d’ordre public ne peut pas être déterminé unilatéralement par chaque État membre sans porter atteinte au principe fondamental de la libre prestation de service. Nous en revenons donc à la hiérarchie des normes que nous évoquions lors de la discussion générale et que contestent nos deux rapporteurs, ainsi que Mme la secrétaire d’État. Pourtant, nous voyons bien que la hiérarchie des normes adoptée par la Cour fait prévaloir l’intérêt du marché sur celui des salariés.
C’est pourquoi nous proposons d’inclure cet arrêt dans le texte de la résolution, par souci d’exhaustivité, car il s’inscrit au cœur de la problématique abordée.
Par cohérence avec ma position sur l’ensemble de la proposition de résolution, j’avais proposé à la commission des affaires sociales d’émettre un avis défavorable sur ces deux amendements. Cependant, l’ajout de cette mention dans les visas de la proposition de résolution ne poserait pas de problème sur le fond, ce qui a conduit la commission à émettre finalement un avis favorable à l’adoption de ces deux amendements.
J’ai eu l’occasion d’indiquer dans mon propos liminaire que l’essentiel des difficultés soulevées par la directive n° 96/71 n’était pas lié à sa rédaction, mais à sa transposition dans les différents droits nationaux. Cet amendement me donne l’occasion d’illustrer mon propos, j’en remercie donc ses auteurs.
En effet, la raison pour laquelle la Commission a intenté une procédure en manquement contre le Luxembourg – qu’elle a gagnée, comme en témoigne la décision que vous citez – tient au fait que le Luxembourg n’avait pas joué le jeu de la directive. Celle-ci dispose en effet qu’en plus du « noyau dur » des règles du pays où se réalise la prestation, chaque État peut prévoir d’ajouter, pour des motifs d’ordre public, des dispositions additionnelles spécifiques. C’est notamment ce qu’a fait la France pour rendre applicables aux salariés en situation de détachement et à leurs employeurs les règles relatives au travail illégal.
Pour sa part, le Luxembourg, dans l’article 1er de la loi du 20 décembre 2002, avait eu la main un peu lourde, en considérant que l’essentiel de la législation en matière de relations de travail avait vocation à s’appliquer, quelle que soit sa source.
Mais la Commission a indiqué pendant plus de deux ans au Luxembourg – et sa position a donc été confirmée par la Cour de justice des communautés européennes – que l’exception d’ordre public doit demeurer une exception, et non servir de prétexte pour dénaturer les principes énoncés par la directive 96/71.
Vous comprendrez donc que le Gouvernement émette un avis défavorable.
Je me réjouis que la commission des affaires sociales ait émis un avis favorable, j’espère qu’elle continuera à faire de même par la suite !
Le complément apporté par ces amendements me paraît utile, puisqu’il ajoute un texte à ceux qui sont visés par notre proposition de résolution. Chaque État membre doit assumer la responsabilité de prendre ses décisions en la matière. Nous sommes donc favorables à ces deux amendements.
Les socialistes d’Europe travaillent à ce que l’Europe sociale se construise « par le haut ». La proposition de résolution européenne de notre collègue Richard Yung œuvre en ce sens, en tentant de rendre la main au législateur européen, pour qu’il mette un terme aux attaques portées contre les droits sociaux fondamentaux, notamment par des arrêts récents de la Cour de justice de l’Union européenne.
Nous avons également insisté sur l’urgence qu’il y avait à réagir et, selon notre point de vue, cette nécessité se confirme. Ainsi, les sociaux-démocrates suédois se sont battus hier contre un projet de loi de leur gouvernement conservateur réformant le droit du travail en s’inspirant des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne qui limitent le champ d’application des conventions collectives. Or, vous le savez, le modèle social suédois est fondé sur la négociation et sur la portée de ces conventions collectives. Un des modèles sociaux les plus avancés et les plus efficaces d’Europe est donc remis en cause en tirant prétexte de la jurisprudence européenne.
L’enjeu n’est donc plus seulement de faire l’Europe sociale « par le haut », mais d’éviter que l’Europe sociale « par le bas » déconstruise les modèles nationaux avancés. À ce titre, la France pourrait se retrouver dans la même situation que la Suède, par les temps qui courent.
Les socialistes européens ont dénoncé cette instrumentalisation et demandent, au plus vite, une révision de la directive 96/71. La vice-présidente suédoise du groupe des sociaux-démocrates au Parlement européen s’est d’ailleurs déclarée très contente de savoir que le sujet était discuté dans d’autres Parlements. Mes chers collègues, ces propos confirment que notre discussion est suivie de très près par nos collègues européens !
Si les amendements n° 1 et 2 de notre collègue Annie David peuvent, de quelque façon, aller dans le sens d’une plus grande protection des travailleurs européens, c’est sans hésitation qu’il faut les voter !
L’amendement n’est pas adopté.
L’amendement n’est pas adopté.
L’amendement n° 3, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 30
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
Souhaite par conséquent que le droit à action collective et notamment l’exercice du droit de grève soit inclus soit dans le noyau des « normes minimales » que chaque pays doit garantir au salarié détaché soit dans les « dispositions d’ordre public », au sens de la Directive sur le détachement, quand dans le pays considéré ce droit à action collective incluant le droit de grève existe et est juridiquement garanti,
Souhaite que ce droit à action collective soit attaché à la personne du salarié détaché et que si ces droits existent dans son pays d’origine, il puisse, dans la mesure du possible, les exercer dans le pays où il effectue une prestation de service,
La parole est à M. Michel Billout.
Il est assez rare de voir la majorité désavouer la commission des affaires sociales…
… mais tout peut arriver, effectivement !
Cet amendement complète l’alinéa 30 de la résolution et vise à faire entrer le droit à action collective, notamment l’exercice du droit de grève, dans la catégorie « des dispositions d’ordre public » ou encore dans celle que la directive n° 96/71 considère comme « le noyau dur » des règles du droit du travail à appliquer obligatoirement.
Il convient en effet de faire en sorte que le droit à action collective, et notamment le droit de grève, puisse être « attaché à la personne », c’est-à-dire au travailleur détaché et qu’il puisse l’exercer dans tous les États membres de l’Union européenne.
L’action collective des salariés est, dans la plupart des pays, une réponse naturelle et universelle pour contrebalancer l’inégalité juridique, appelée aussi « subordination juridique », qui existe entre salarié et employeur. Ce droit à action collective est plus vaste que le droit de grève et peut recouvrir de nombreux cas de figure : manifestations, blocus, etc.
Bien entendu nous savons que les vingt-sept États membres de l’Union européenne n’offrent pas tous un contenu homogène à ces droits à action collective et que, selon les pays, le droit de grève est plus ou moins fortement garanti juridiquement.
Pour cette raison, notre amendement distingue plusieurs cas de figure.
Premièrement, un salarié dont le pays ne reconnaît pas ou peu le droit de grève et qui vient travailler dans un pays qui reconnaît le droit de grève, doit pouvoir en bénéficier, au même titre que les salariés de ce pays.
Deuxièmement, la situation inverse est plus complexe : un salarié, issu d’un pays lui garantissant ses droits fondamentaux de salarié, détaché dans un pays accordant moins de droits au salarié, devrait pouvoir exercer, dans le pays où il effectue une prestation de service, les droits qu’il détient dans son pays d’origine. Nous savons que cette solution est beaucoup plus problématique et qu’il est difficile d’imposer à un État membre de faire évoluer si vite sa législation du travail.
Cependant nous pensons que l’Union européenne devrait précisément parvenir à une harmonisation « par le haut » des différents systèmes juridiques et dégager un ensemble de règles unifiées et impératives, dont le droit à action collective et le droit de grève devraient faire partie.
Il est donc urgent que la Cour de justice de l’Union européenne abandonne la jurisprudence Commission c/Luxembourg, citée auparavant dans ce débat.
Je suis plutôt défavorable à cet amendement.
Premièrement, il n’apparaît pas juridiquement indispensable. Le problème abordé est effectivement celui du droit de grève, droit fondamental reconnu dans l’ensemble des vingt-sept États membres de l’Union européenne.
Deuxièmement, il tend à proposer que chaque État puisse faire bénéficier les salariés détachés sur son territoire des dispositions de son droit national relatives au droit de grève et que chaque salarié détaché puisse se prévaloir des dispositions relatives au droit de grève en vigueur dans son pays d’origine. Un même salarié pourrait donc, d’après cet amendement, être soumis à deux législations relatives au droit de grève, sans que l’on comprenne vraiment comment la conciliation entre ces droits pourrait être opérée.
Au demeurant, la commission, quant à elle, s’est prononcée pour un avis favorable sur cet amendement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous rappeler que la charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs répond déjà à la demande exprimée par cet amendement. C’est précisément l’objet de son article 28.
Nous pouvons même considérer que la charte va au-delà de ce qui est demandé par cet amendement, puisque, au lieu d’imaginer une « portabilité » du droit de grève d’un pays à l’autre en fonction des règles du pays d’origine ou de prestation du salarié, la charte affirme le caractère licite du droit de grève, pour tous les salariés et citoyens de l’Union européenne, dans tous les États membres. Elle garantit la possibilité pour tous d’invoquer le droit de grève directement devant toutes les juridictions nationales.
De nouveau, je vous invite à constater que l’Europe sociale est en marche et que la France et son président ont joué un rôle moteur dans ces avancées que vous appelez de vos vœux.
Je vous suggère donc, monsieur Billout, de retirer votre amendement.
Le premier alinéa de cet amendement est clair et va tout à fait dans le sens des idées mises en avant dans la proposition de résolution, notamment l’idée selon laquelle chaque pays devrait garantir un certain nombre de normes minimales, surtout en matière sociale. Nous voterions donc bien volontiers ce premier alinéa.
En revanche, nous avons un doute sur le deuxième alinéa. Outre son caractère juridiquement discutable, nous avons surtout du mal à voir comment un droit à l’action collective peut être attaché à un individu, qui l’emmènerait avec lui dans différents pays.
Par définition, l’action de grève est collective. On n’imagine pas qu’un travailleur, se rendant dans un pays dans lequel le droit de grève est moins garanti que dans son pays d’origine, se mette, tout seul, à appliquer ce droit et à faire grève.
Par conséquent, cette disposition ne nous paraissant pas très réaliste, nous nous abstiendrons.
J’ai bien entendu les réserves de notre collègue Richard Yung. Je veux bien prendre note que ce dispositif n’est peut-être pas complètement « ficelé » d’un point de vue juridique.
Pour autant, il me semble important que cette « portabilité » du droit de grève soit accordée aux salariés qui se déplacent au sein de l’ensemble des États membres et qu’ils puissent faire valoir, si ce n’est un droit de grève, au moins un droit de retrait en cas de danger. Même si le droit de grève n’existe pas dans le pays où il se trouve ou s’il ne peut pas l’exercer seul, le salarié doit pouvoir refuser de travailler s’il se rend compte que ce qu’on lui demande de faire présente un danger.
Telle est l’idée que sous-tendait cette « portabilité » du droit à l’action collective : la possibilité pour le salarié de pouvoir se défendre s’il juge qu’il est soumis à des conditions inacceptables.
J’ai entendu la remarque de Mme la secrétaire d’État quant à l’inscription de ce droit dans la charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs. Il apparaît également dans les différents codes du travail. Notre proposition consistait à ajouter, dans la directive et, plus particulièrement, dans ce que l’on peut appeler le noyau dur de règles impératives, ce droit de grève et d’action collective.
Des sujets tels que la sécurité, la santé et l’hygiène au travail, l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes, l’interdiction des discriminations apparaissent déjà dans ce noyau dur. Ils sont pourtant inscrits dans la charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs et dans l’ensemble des législations des États membres.
C’est pourquoi nous souhaitions cette inscription, dans le noyau dur de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, du droit à action collective.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 4, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 32
Insérer sept alinéas ainsi rédigés :
À cet effet, des dispositions devraient être adoptées pour permette aux salariés détachés d'accéder à une meilleure information sur le droit du travail applicable dans le pays de détachement et sur l'étendue de leurs droits en tant que salariés détachés.
Notamment pourraient être déclarées comme des conditions préalables à tout détachement :
- l'inscription ou la déclaration et la tenue de documents sociaux concernant le salarié détaché, dans l'entreprise détachante comme dans une structure ad hoc du pays de détachement,
- l'existence d'un représentant permanant du salarié détaché dans le pays de détachement, parlant la même langue que lui. Ce représentant pourrait être un membre de la direction de l'entreprise détachant un salarié et être sur le lieu de détachement au moins lors de la mise en route de la mission. Ou bien, chaque pays membre de l'Union européenne pourrait mettre en place dans son pays des représentants permanents locaux, des salariés européens détachés,
- la remise de documents écrits au salarié détaché lors de son arrivée dans le pays de détachement, dans une langue qu'il comprend et l'informant sur le droit du travail en vigueur dans le pays de l'exécution de la prestation et de ses droits en tant que salariés détachés,
- la création d'une structure européenne permanente de coordination dont le but serait d'améliorer l'échange d'informations et de données entre les administrations des pays membres et notamment entre les différentes inspections du travail ou leur équivalent dans les États membres.
Ces obligations doivent devenir effectives et leur méconnaissance juridiquement sanctionnée.
La parole est à M. Michel Billout.
Cet amendement a pour objet de compléter l’alinéa 32 de la résolution, relatif aux dispositions contraignantes qui pourraient être prises vis-à-vis des États membres et des employeurs pour garantir une information correcte des travailleurs détachés sur les droits dont ils disposent.
En effet, dans la majorité des cas, les travailleurs détachés, mais aussi leurs entreprises, souffrent d’un accès difficile et très partiel aux informations relatives à la législation applicable dans le pays de détachement. La circulation des informations entre les différents acteurs du détachement – États membres, entreprises et salariés – suit des circuits trop hétérogènes et lacunaires.
C’est la raison pour laquelle nous proposons différentes démarches : la généralisation de l’inscription ou de la déclaration du travailleur détaché par l’entreprise qui le détache comme condition préalable ; la tenue de documents sociaux comme, par exemple, le registre du personnel ou les documents relatifs à l’organisation de visites médicales, auprès d’une structure ad hoc identifiable et harmonisée dans chaque pays membre ; la présence d’un représentant du salarié détaché sur le lieu d’exécution de la prestation, pour l’informer et l’accompagner lors son arrivée, comme le propose la Confédération européenne des syndicats.
Ce représentant pourrait appartenir à l’entreprise qui détache un travailleur ou, autre solution, chaque État membre pourrait nommer dans son pays des représentants permanents des salariés détachés, chargés de l’accueil et de l’information.
Cette mesure est en discussion, notamment avec la Commission européenne, car son aspect contraignant, coûteux et difficile à réaliser pour les très courtes missions a été pointé du doigt.
Pourtant les avantages qu’elle apporterait sont également très nombreux.
Elle serait de nature à faire disparaître un certain nombre de fraudes, permettrait de vérifier que l’entreprise à l’origine du détachement a bien une existence réelle et qu’il s’agit bien d’une entreprise européenne. Il s’agirait ainsi de lutter contre les entreprises « boites aux lettres ».
Elle obligerait les entreprises qui détachent des salariés à prendre la mesure de la prestation en venant sur place et à véritablement informer leurs collaborateurs.
Le salarié détaché devrait systématiquement se voir remis, lors de son arrivée, des documents écrits dans sa langue natale, l’informant du droit du travail en vigueur et de ses droits en tant que salarié détaché.
Enfin, suivant en cela la Confédération européenne des syndicats, nous appelons à la création d’une structure européenne permanente de coordination et d’information qu’Annie David évoquera à l’occasion de la présentation du prochain amendement.
Monsieur Billout, j’ai bien compris le sens de votre amendement. Je sais que vous êtes très attaché aux droits des travailleurs. Les membres de la commission le sont également !
Sur cet amendement, qui tend à proposer un certain nombre de mesures destinées à améliorer l’information des salariés sur leurs droits, je ferai une réponse similaire à celle que j’ai donnée lors de l’examen de l’amendement précédent.
En effet, j’avais proposé à la commission d’émettre un avis défavorable, car, par sa précision, cet amendement ne m’était pas apparu tout à fait conforme à l’esprit du droit communautaire.
Nombre d’intervenants ont rappelé cette notion de droit communautaire. En principe, les directives fixent les objectifs à atteindre et laissent aux États membres le soin d’adopter les mesures nécessaires. En outre, la multiplication des formalités et des contraintes applicables en cas de détachement de travailleurs – nous en avons également beaucoup parlé –risquerait d’être considérée par la Cour de justice de l’Union européenne comme une atteinte excessive à la libre prestation de services.
Néanmoins, lors du vote en commission, un avis favorable sur cet amendement a été émis.
La France a soutenu la démarche initiée en 2008 par la Commission européenne et plusieurs États membres, qui a conduit à l’adoption de la recommandation de la Commission du 31 mars 2008 relative à l’amélioration de la coopération administrative dans le contexte du détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.
Ce texte répond à vos attentes, monsieur Billout, puisque, dans son premier chapitre de recommandations, il enjoint à tous les États membres de développer une coopération administrative, fondée notamment sur un système d’information électronique.
Il prévoit également, dans son deuxième chapitre de recommandations, que les États membres accroissent leurs efforts pour améliorer l’accès à l’information et s’assurent que leurs bureaux de liaison sont en mesure de mener à bien leur mission. À cet égard, la France a beaucoup progressé, comme je l’ai indiqué précédemment.
Enfin, cette recommandation invite aussi à identifier et échanger systématiquement les bonnes pratiques. Sans doute la France aura-t-elle, sur ce chapitre et en toute modestie, quelques informations à partager.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Est évoqué ici un des points importants soulevés par notre proposition de résolution. Je crois d’ailleurs qu’il a été reconnu par toutes les institutions qui se sont penchées sur le dossier, qu’il s’agisse de la Commission européenne ou du Parlement européen.
Il y a un manque drastique d’informations sur ces questions de détachement et ce manque affecte autant les travailleurs détachés – Quels sont leurs droits ? Quels sont leurs devoirs ? À qui doivent-ils d’adresser ? – qu’un certain nombre d’employeurs et les États chargés de suivre le détachement.
Par conséquent, la mise en place d’un système aussi souple et léger que possible de suivi des détachements est un des progrès importants qui doivent être faits dans un avenir proche. Ainsi, par exemple, l’inspection du travail, l’organe de suivi pour la France, pourra savoir qu’un chantier donné accueille un groupe de trente Lettons. Elle connaîtra la durée du séjour, passé et à venir, de ces salariés et les circonstances dans lesquelles ils travaillent. Ces informations permettront d’agir si nécessaire.
C’est donc bien un des points importants et, sous l’angle de la philosophie générale, je comprends l’amendement.
Cela étant dit, j’émettrai deux importantes réserves.
La première porte sur « l’existence d’un représentant permanent du salarié détaché dans le pays de détachement, parlant la même langue que lui ». S’il s’agit d’un représentant syndical, c’est concevable. Mais, s’il s’agit d’un membre de la direction, bien que je ne sois pas un adepte forcené de la lutte des classes, …
… je dois avouer que cela m’étonne !
Ma seconde réserve a trait à la « création d’une structure européenne permanente de coordination dont le but serait d’améliorer l’échange d’informations et de données entre les administrations des pays membres ».
D’abord, une structure supplémentaire serait d’une grande lourdeur.
Ensuite, j’estime que l’on doit s’appuyer sur l’existant, c'est-à-dire sur l’inspection du travail et les administrations équivalentes dont, sans bien connaître les législations de tous les pays membres, je présume que chacun de nos partenaires dispose, et développer – ce qui implique sans doute le recours à un système informatique – la mise en réseau de ces différentes administrations.
Il ne faut en effet pas créer une instance européenne qui, outre qu’elle serait lourde et coûteuse, dédouanerait les États membres de leur responsabilité.
Pour ces deux raisons, qui valent d’ailleurs également pour l’amendement suivant, nous nous abstiendrons sur l’amendement n° 4.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 5, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 33
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
Ce renforcement des contrôles pourrait être obtenu par la création d'une structure européenne permanente de coordination dont le but serait d'améliorer l'échange d'informations et de données notamment entre les différentes inspections du travail ou leur équivalent des États membres.
Cette structure pourrait être dotée d'un droit de communication de documents, d'un droit de visite sur place et d'un droit de sanctions en cas de violation des obligations pesants sur les différents acteurs du détachement.
La parole est à Mme Annie David.
Ce dernier amendement est inspiré par le même esprit que l’amendement précédent : il nous semble que la circulation des informations entre les différents acteurs du détachement parcourt des circuits trop hétérogènes et lacunaires, ce qu’a rappelé, malgré les réserves qu’il a émises, Richard Yung.
Les lacunes et les complexités du système ont été constatées non pas seulement par les travailleurs en détachement ou par les membres de la Confédération européenne des syndicats, mais aussi par les entreprises, dans toute l’Union européenne, et tous ces acteurs de terrain ont proposé des solutions.
L’une des solutions qui émergent au fil des ans est la création d’une structure européenne permanente, chargée d’assurer la centralisation, la coordination et la circulation de cette information parmi les différents acteurs.
Cette structure serait en quelque sorte un observatoire des pratiques doté de compétences propres. Son rôle serait majeur pour améliorer l’information et faciliter le travail des milliers d’inspecteurs du travail et de leurs équivalents en Europe, conformément bien sûr aux législations en vigueur dans chaque pays.
Actuellement, les États membres doivent négocier l’échange d’information et de données, concernant les entreprises et les législations du travail, par le biais d’accords bilatéraux : chacun des vingt-sept États membres devant donc signer un accord bilatéral avec ses vingt-six partenaires, cela représente au total 682 accords bilatéraux !
Cet observatoire pourrait apporter un peu de clarté dans ce maquis juridique en assurant une uniformisation progressive des textes et la mise à jour des traductions des documents.
Centralisant le maximum d’informations sur les entreprises européennes et sur les législations en cours, il veillerait à ce que chaque salarié détaché soit bien informé à son arrivée et dans sa langue de la législation en vigueur dans son pays d’arrivée et de ses droits.
Pour qu’il puisse correctement accomplir cette mission, l’observatoire serait doté de compétences propres.
Il pourrait, dans un premier temps, demander à se faire communiquer des documents, par les États membres, bien entendu, mais surtout par les entreprises qui détachent des personnels, ce droit de communication étant, on l’a vu, primordial.
En cas de difficultés ou de résistance de la part d’une entreprise, il pourrait envoyer un de ses représentants sur place pour encourager cette dernière à respecter ses obligations et pour vérifier les aspects juridiques.
Nos collègues du groupe CRC-SPG souhaitent la création d’une structure européenne dont la mission serait d’améliorer l’échange d’informations entre États membres.
Vous avez évoqué un « maquis juridique », madame David, et chacun connaît votre attachement au droit du travail, mais il n’est pas sûr cependant que la création d’une telle structure, par laquelle transiteraient les informations, améliorerait la communication entre États membres. Il est à craindre, au contraire, qu’elle ne la ralentisse !
Par ailleurs, cette structure aurait le pouvoir de se substituer aux administrations nationales pour contrôler, sur place, le respect de la législation du travail. Elle empiéterait ainsi sur les compétences des États membres d’une manière qui serait tout à fait contraire au principe de subsidiarité.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Alors que votre assemblée va prochainement examiner, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi de simplification et d’amélioration du droit déposée par M. Warsmann, …
… je ne suis pas sûre que la création d’un corps paneuropéen de contrôle du travail détaché, doté de droits spécifiques de visite et de pouvoirs particuliers de sanction, doive être envisagée.
Je veux au contraire saluer le travail réalisé par les inspecteurs du travail et l’ensemble des corps de contrôle intervenant sur ces sujets, pourtant éminemment complexes, d’un point de vue tant technique que linguistique.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
L'amendement n'est pas adopté.
Avant de mettre aux voix la proposition de résolution, je donne la parole à M. le rapporteur pour avis.
J’aimerais qu’au moment où nous arrivons au terme de ce débat, nous ne restions pas sur un goût d’inachevé. Nous avons beaucoup, et bien, travaillé : d’abord vous, les auteurs de la proposition de résolution ; nous, au sein de la commission des affaires européennes ; vous, au sein de la commission des affaires sociales.
Nous sommes très près d’un consensus, lequel donnerait tellement de poids à une prise de position de notre assemblée ! Nous sommes en effet d’accord sur le fond, mais nous divergeons sur les moyens…
Nous parlons, depuis le début de ce débat, de hiérarchies, certains voulant hiérarchiser les objectifs sociaux et économiques. Pour ma part, j’estime qu’une hiérarchie s’impose, toujours et partout : la hiérarchie entre la fin et les moyens.
À cet égard, modifier la directive est un moyen. Ne subordonnons donc pas les chances de succès sur le fond à la satisfaction d’avoir tenté de faire adopter par tous les Parlements nationaux de l’Union européenne la même résolution en vue de la révision de la directive, alors que nous devons pouvoir nous retrouver sur l’idée qu’un règlement d’interprétation et d’application de la directive est une voie praticable, rapide, sûre et qui expose le moins notre système social.
Mes chers collègues auteurs de la proposition de résolution, ne pouvez-vous pas mobiliser votre énergie et votre détermination, que nous savons grandes, pour obtenir du PSE qu’il sollicite de l’ensemble des Parlements nationaux sur qu’ils s’engagent sur cette voie de la mise en place d’un règlement plutôt que sur celle de la modification de la directive ?
Là, nous aurions vraiment fait œuvre utile, là, tout le travail qui a été fait au cours des derniers jours et des dernières semaines serait un bon investissement !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Il a porté sur des questions que je crois importantes. Deux commissions ont examiné la proposition de résolution, ce qui démontre que la prise de conscience quant à la nécessité de fixer les choses a progressé.
Je regrette cependant que, sur des questions aussi importantes et directes, nous n’ayons pas pu avancer plus loin avec la majorité : cette dernière, et c’est regrettable, s’est réfugiée dans le silence et n’a pas voulu faire face au débat.
On voit, chers collègues de la majorité, que votre engagement est réel, mais il l’est dans la voie, je ne dirai pas de l’ultralibéralisme puisque je sais que c’est un mot qu’il ne faut pas employer, …
… mais de la défense du capitalisme européen.
Pour vous, rien ne doit entraver l’activité des entreprises et, si par hasard des normes sociales venaient brider leur liberté, alors ces normes devraient être rabaissées !
Sur le fond politique, j’estime que vous vous apprêtez à commettre une mauvaise action, car l’idée européenne se heurte à de plus en plus de réticences, de doute, de méfiance de la part des salariés, notamment parce qu’ils assistent jour après jour au démantèlement des services publics. Or, si notre assemblée vote comme annoncé, son vote renforcera cette tendance au lieu d’aller dans le sens d’une réconciliation des travailleurs, en particulier des salariés, avec l’idée européenne.
M. Badré a considéré que nous étions pessimistes, mais, avouez, mon cher collègue, que nous avons des raisons d’être pessimistes !
La politique sociale européenne a été progressivement démantelée au cours des dernières années : plus rien n’est inscrit sur l’agenda social européen, les partenaires sociaux ne négocient plus à l’échelle de l’Union, d’où notre pessimisme !
Et pessimisme aussi, monsieur Badré, à cause du vote que la majorité de notre assemblée s’apprête à émettre. Ce n’est pas le bon message que nous allons ainsi envoyer !
Vous demandiez pourquoi la France devrait conduire cette action alors qu’elle n’est pas le pays le plus concerné puisqu’elle a – ce qui est vrai – des normes de protection sociale relativement élevées.
Mais n’avons-nous pas d’abord une certaine idée de la France ? Notre pays a toujours joué un rôle moteur dans la construction européenne, en particulier dans la partie sociale de cette construction, et elle pouvait encore jouer ce rôle aujourd'hui.
La France a vocation à pousser un certain nombre d’autres pays qui, pour diverses raisons, manquent d’allant dans le domaine social.
Certes, l’entrée en vigueur de la charte est un grand progrès, et nous nous en félicitons, mais je vous rappelle que plusieurs pays ont obtenu le l’opt outI…
… et qu’ils n’appliqueront donc pas la charte. Très commodément, et pour raisons sociales et pour raisons fiscales, il suffit de passer en Angleterre pour se dispenser d’appliquer les normes de protection sociales !
En outre, on a pu constater que, même quand les normes sociales sont bien affirmées, la Cour de justice des Communautés européennes prend des décisions qui vont dans un autre sens, et c’est la encore une cause de pessimisme, monsieur Badré.
Vous dites, chers collègues de la majorité, que ce n’est pas le bon moment. Cet argument, nous l’avons beaucoup entendu, mais je ne crois pas que ce soit le plus fort, d’autant que je pense que c’est le meilleur moment, …
… précisément parce que la nouvelle Commission qui se met en place va devoir établir son agenda social, puisqu’il n’y a plus rien sur celui-ci, et notre message aurait dû avoir pour objet de lui demander d’inscrire ces questions en haut de cet agenda pour qu’elle ait de quoi réalimenter la « machine » à négocier.
Le vote que notre assemblée va exprimer va exactement dans le sens contraire ; nous avons donc manqué des occasions de dialoguer avec la Commission et de faire enfin jouer notre nouvelle responsabilité de parlement européen dans le domaine du contrôle et d’user de notre pouvoir de proposition en matière de politique européenne à l’égard de la Commission européenne. Sur tous ces points, cela aura été la soirée des dupes…
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.- Mme Annie David applaudit également.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la proposition de résolution européenne.
Je suis saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin a lieu.
Il est procédé au comptage des votes.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 103 :
Le Sénat n’a pas adopté.
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l’amélioration des qualités urbaines, architecturales et paysagères des entrées de villes, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (nos 64, 128, 136).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les entrées de villes sont l’un des grands sinistres urbanistiques des cinquante dernières années.
Toutes nos villes sont belles. Malheureusement, avant d’y pénétrer, et qu’elles soient implantées au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, ou au centre de notre pays, il faut en général franchir une zone appelée « entrée de ville », où, de part et d’autre d’une route nationale, en tout cas d’une voie à grande circulation, c’est le même alignement de cubes, de parallélépipèdes, de boîtes à chaussures en tôle ondulée, le tout agrémenté d’un pullulement de panneaux et d’enseignes, jusqu’à une trentaine parfois sur à peine soixante-quinze mètres !
Quelle image donne-t-on de notre pays à travers ces espaces si particuliers ?
On dit en général que nos villes sont belles parce qu’elles ont une « âme ». On parle même du « cœur » des villes. Ces mots ne sont pas anodins. Dès que l’on quitte le cœur des villes, le mot « âme » apparaît tout à fait hors de propos.
Le laisser-faire, les évolutions spontanées, la loi de la marchandise ont transformé ces espaces en collections d’objets qui prolifèrent sans structure, dans le désordre. On est passé de l’architecture à l’architecture-enseigne ; tel bâtiment correspondant à telle enseigne, quel que soit l’endroit où il sera « posé », devra avoir un toit vert et en pente. Pourquoi cela ? Parce qu’il faut qu’on le reconnaisse de loin ! Les constructeurs et les promoteurs ne se soucient pas de ce qu’il y a à gauche, à droite, devant ou derrière. Ils posent un objet à côté d’un autre : c’est la négation de l’architecture et de l’urbanisme.
Je voudrais citer ici un auteur parfois oublié : Karl Marx. Celui-ci avait prédit qu’un jour viendrait où la loi de la marchandise s’inscrirait dans l’espace réel concret. Eh bien, avec les entrées de villes, nous y sommes ! Nous avons le sentiment que la loi de la marchandise a colonisé l’espace, a envahi le paysage, au détriment de la beauté.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Cette évolution est l’aboutissement d’une longue histoire. La ville qui nous est léguée par le xxe siècle est le fruit de la grande industrie, laquelle a conduit à créer les grands ensembles, parce qu’il fallait loger ceux qui travaillaient dans les usines. Les grands ensembles ont ensuite entraîné la création des grandes surfaces, car il fallait bien que leurs habitants puissent acheter de quoi se nourrir et se procurer divers produits de première nécessité.
La ville du xxe siècle s’est ainsi peu à peu constituée comme un ensemble d’espaces souvent unifonctionnels : le centre-ville ancien, patrimonial, qui relève du ministère de la culture ; les faubourgs ; la périphérie verticale, constituée de barres et de tours essentiellement d’habitation ; la périphérie horizontale, caractérisée par l’étalement pavillonnaire, où l’on ne trouve pas grand-chose d’autre que des pavillons ; les campus universitaires, où il n’y a que l’université ; les parcs d’activité, dédiés exclusivement aux activités économiques ; les technopoles, pour les centres de recherche, les parcs de loisirs, pour les loisirs, etc. Et puis, il y a les entrées de villes, où l’on ne trouve que des espaces commerciaux.
Avec cette proposition de loi, j’entends poser la question suivante : quelle ville voulons-nous pour le futur ? Cette question, très rarement soulevée dans le débat politique, y compris lors des campagnes électorales, est pourtant décisive ! Et elle en entraîne une autre : que faisons-nous pour construire la ville à laquelle nous aspirons ?
Or, selon moi, nous devons, pour l’avenir, penser une ville dont les différents espaces seraient plurifonctionnels, et non plus spécialisés dans le commerce, l’habitat, l’université, le patrimoine… Dans cette ville du futur, tous les espaces auraient un cœur, une âme, le même droit à la beauté, à la dignité, au partage, et tous les habitants seraient des citoyens à part entière.
Cela suppose de créer les conditions non seulement d’une mixité fonctionnelle, que je viens d’évoquer, mais aussi d’une mixité sociale : nous devons inventer un véritable droit à la ville permettant à tous les citoyens d’occuper et de s’approprier l’ensemble des espaces urbains. Tel est l’enjeu de ce texte.
La situation actuelle est-elle inéluctable ? Je ne le pense pas.
En 1998, j’avais présenté au gouvernement de l’époque un rapport intitulé Demain la ville etqui comportait – de même que le livre publié en 1999 qui en est issu, Changer la ville – de nombreuses propositions. Je me suis aperçu, en les relisant, que l’une d’elles au moins avait concrètement abouti : celle qui concernait la taxe professionnelle unique. À l’époque, lorsque nous évoquions cette mesure, nous avions l’impression de prêcher dans le désert. Aujourd’hui, elle est devenue une réalité. Il a fallu une décennie – et aussi les lois de 1992 et de 1999 – pour y parvenir. C’est une avancée parce que la perception de la taxe professionnelle commune par commune était un facteur important de dégradation des entrées de villes : chacun voyait alors midi à sa porte, tandis qu’aujourd’hui il est possible d’envisager un plan d’ensemble.
À l’époque, j’avais même évoqué une loi Malraux pour les entrées de villes, comme il existe une loi Malraux pour les centres anciens.
C’est Malraux qui aurait été content d’être associé à des cubes de tôle ondulée !
Mais, monsieur le rapporteur, si la loi Malraux a constitué une avancée considérable pour la préservation des centres anciens, pour le patrimoine, la reconquête des périphéries et les entrées de villes exige des efforts de même ampleur, sauf à considérer que certains espaces sont pour toujours voués à la laideur, à la médiocrité et à la disharmonie.
Je veux aussi signaler l’avancée que nous devons à notre collègue Ambroise Dupont sur deux points particuliers.
Tout à fait !
Tout d’abord, mon cher collègue, pour ce qui concerne les enseignes, vous avez présenté encore récemment des amendements importants.
Par ailleurs, je veux souligner le rôle que vous avez joué pour l’instauration d’une « bande » qui fut de cinquante mètres, puis de cent mètres et de soixante-quinze mètres. J’ai constaté avec plaisir que vous saisissiez l’occasion de l’examen de la présente proposition de loi pour poursuivre votre travail. Vos propositions ont été utiles, mais je pense qu’elles ne sont pas suffisantes. En effet, on ne peut se contenter de proscrire la construction sur certains espaces le long des voies routières. Il faut proposer des plans positifs d’aménagement du paysage, d’urbanisme et d’environnement. Tel est d’ailleurs l’objet de la présente proposition de loi.
En la matière, nous préconisons un véritable volontarisme.
Ainsi, nous proposons que, dans les documents d’urbanisme, il soit fait mention de la nécessaire qualité urbaine, architecturale, paysagère, environnementale des entrées de villes.
Nous proposons en outre que, d’ici à 2012, dans toutes les agglomérations françaises, soit élaboré un plan d’aménagement de l’ensemble des entrées de villes. Par conséquent, devront d’abord être définis des périmètres, de manière qu’un plan d’avenir pour ces espaces soit mis en œuvre. Il convient en effet de cesser de les laisser proliférer, puis se dégrader, car c’est malheureusement encore le cas en dépit des efforts que j’ai précédemment soulignés.
Nous proposons également, non pas de retenir une date butoir à laquelle certaines exigences devraient être remplies – ce serait utopique –, mais de faire en sorte que soient respectées les prescriptions du plan d’aménagement chaque fois qu’une réaffectation de l’espace sera envisagée.
Cette démarche, volontariste, je le répète, n’est est pas moins pragmatique puisqu’il s’agit de favoriser la pluralité fonctionnelle au fur et à mesure que des espaces seront libérés. Cela prendra donc inéluctablement du temps. Raison de plus pour commencer dès maintenant ! En tout cas, il est important d’avoir d’ores et déjà une perspective.
Nous envisageons aussi des proportions.
Nous voudrions que les plans d’aménagement précisent qu’un tiers des surfaces constructibles sera occupé, à terme, par des bâtiments à vocation culturelle, universitaire, sportive ou associative. Il faut instaurer une pluralité là où prévaut aujourd'hui l’unifonctionnalité.
De même, nous prévoyons de consacrer au moins 20 % de la surface des entrées de villes aux espaces verts. De fait, actuellement, lorsque vous franchissez ces zones, vous êtes frappé par leur aspect minéral ou métallique et par la grande rareté, voire l’absence totale de végétaux.
Nous proposons de limiter à 60 % des surfaces commerciales situées aux entrées de villes les surfaces de parking, ce qui est très volontariste. Nous pensons en effet qu’il faut rompre avec ces immenses « nappes » bitumées qui sont en totale contradiction avec les principes prônés actuellement au sommet de Copenhague. Car il est très bien de parler d’environnement et d’écologie, mais alors il faut cesser d’étendre toujours plus les surfaces vouées au stationnement des automobiles.
Il faut d’ailleurs prévoir parallèlement la desserte de ces espaces par les transports en commun. Il est paradoxal de constater que, actuellement, les entrées de villes sont très peu desservies par ce type de transports ; c’est tout simplement qu’elles ont été conçues en vertu du « tout-automobile ». Et c’est une autre incohérence par rapport à nos projets actuels, notamment par rapport aux conclusions du Grenelle de l’environnement.
Préalablement à la construction d’édifices d’une certaine ampleur, des concours d’architecture devront être organisés, de façon que ces édifices s’inscrivent dans le cadre d’un plan urbanistique et paysager, qui pourra lui-même donner lieu à concours. Et les concepteurs, les architectes, les urbanistes sont riches d’idées !
S’agissant de la voirie, monsieur Dupont, il faut non plus se contenter de prendre seulement en considération les espaces situés de part et d’autre des voies, mais se préoccuper de la voirie elle-même.
Comme vous le savez, la voirie est souvent traumatisante. Il est très difficile aux piétons de traverser les routes nationales, les voies express qui desservent les entrées de villes. Nous proposons de les transformer en « voies urbaines », c'est-à-dire en avenues, de manière à y retrouver l’urbanité au sens fort, à rendre ces zones agréables, conviviales. Bien entendu, il faudra envisager les conditions de leur franchissement par les piétons – c’est un des aspects de la question du partage de la voirie –, leur insertion urbaine, leur végétalisation, leur éclairage, etc.
Mes chers collègues, toutes ces questions méritent débat. Je remercie M. Dominique Braye, rapporteur de la commission de l’économie, et M. Ambroise Dupont, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’intérêt qu’ils ont bien voulu porter à cette proposition de loi. Celle-ci, me semble-t-il, répond à un véritable besoin et je présume que les défenseurs du statu quo seront fort peu nombreux. Dès lors, il faut aller de l’avant.
Le débat que nous allons avoir est simple : peut-on se cantonner à des principes généraux ? Nous n’avons rien contre les principes généraux, mais la présente proposition de loi n’aura de sens que si elle va au-delà de l’énoncé de principes et pose des règles afin que les choses changent.
Mes chers collègues, par le biais de ce texte, nous plaidons pour le volontarisme. Il faut reconquérir les espaces dégradés. Les portes des villes, très souvent magnifiées dans le passé, doivent retrouver leur dignité, leur beauté, dans un souci d’harmonie, d’urbanité.
Beaucoup de visiteurs étrangers se demandent pourquoi, dans un pays recelant tant de beautés, les abords immédiats des villes sont ainsi enlaidis. Eh bien, nous pensons que cette situation n’est pas inéluctable. Il s’agit aussi, pour nous, de défendre une certaine idée de notre pays.
Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi visant à améliorer les qualités « urbaines, architecturales et paysagères des entrées de villes ».
La commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire ne peut que souscrire au constat établi par notre collègue Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste sur les entrées de villes, comme par tous les Français et aussi par beaucoup de visiteurs étrangers, ainsi que cela vient d’être dit.
Je rappelle toutefois que ce constat avait été dressé dès 1994 par notre collègue Ambroise Dupont dans un rapport remarqué.
Depuis trente ans, les entrées de villes ont subi une logique d’occupation et non d’aménagement, occupation très souvent caractérisée par un développement à outrance de surfaces commerciales de piètre qualité architecturale, comme l’a rappelé Jean-Pierre Sueur. À l’inverse des centres anciens, relativement bien préservés, ces périmètres intermédiaires situés le long des voies publiques, entre les zones urbaines et les espaces ruraux, ont trop rarement fait l’objet de prescriptions urbanistiques ou architecturales.
Les causes de la suroccupation commerciale de ces zones sont connues : la présence d’un foncier abondant à un coût abordable, un effet vitrine lié à la proximité des voies à grande circulation rendant facile l’accès de ces zones aux consommateurs, des créations d’emplois et des rentrées fiscales pour les communes.
Malheureusement, la protection de ces zones n’a été que trop peu prise en compte par le législateur à l’occasion de l’élaboration des lois relatives à l’urbanisme commercial, dans lesquelles il a plus été question de commerce que d’urbanisme, il faut bien le reconnaître.
Nous pouvons nous féliciter qu’une partie du problème ait été récemment traitée, dans le cadre du Grenelle II, sur l’initiative, encore et toujours, de notre collègue Ambroise Dupont : nous avons apporté d’importantes modifications relatives à la publicité et aux enseignes, qui permettront aux élus locaux de mieux contrôler le paysage visuel de leurs entrées de villes.
Il faut également rappeler que les communes qui souhaitent intervenir en la matière disposent aujourd’hui d’au moins deux outils.
D’une part, si elles veulent échapper à la règle d’inconstructibilité dans la bande de soixante-quinze ou cent mètres située de part et d’autre des routes aux entrées de villes, elles doivent réaliser une étude prenant en compte les nuisances, la sécurité et la qualité architecturale, urbaine et paysagère : il s’agit du dispositif plus connu sous le nom d’« amendement Dupont » de 1995.
D’autre part, les plans locaux d’urbanisme peuvent comporter des orientations d’aménagement sur les entrées de villes qui sont opposables aux tiers.
Autrement dit, les communes disposent déjà de nombreux outils. Encore faut-il que les élus aient la volonté de s’en emparer et de les utiliser…
Le texte qui nous est soumis va beaucoup plus loin et même beaucoup trop loin dans la contrainte, en imposant un plan préétabli à toutes les entrées de villes de France, sans que l’on sache d’ailleurs selon quels critères les communes délimiteraient leurs entrées de villes.
En outre, ce texte privilégie une logique réglementaire, fondée sur des pourcentages d’occupation des sols applicables quel que soit le territoire considéré. Or, comme l’ont souligné de nombreuses personnes auditionnées par notre commission, il faut abandonner l’urbanisme réglementaire et le quantitatif, au bénéfice de l’urbanisme de projet et du qualitatif.
De plus, en proposant une solution uniforme pour les quelque 17 000 communes couvertes par un plan local d’urbanisme et les 4 200 communes dotées d’une carte communale, le texte va à l’encontre de notre philosophie selon laquelle il ne peut y avoir de modèle unique pour toutes les entrées de villes. Enfin, il ne s’inscrit pas non plus dans l’esprit de l’amendement adopté en 1995 sur l’initiative de notre collègue Ambroise Dupont et qui visait à obliger les communes à mener une réflexion, sans préjuger le contenu de celle-ci.
La commission de l’économie donne toutefois acte à M. Sueur de ce qu’il soulève un vrai problème. Elle a jugé en conséquence inopportun de rejeter purement et simplement le présent texte. Au demeurant, le très récent dépôt d’une proposition de loi sur les entrées de villes par nos collègues députés atteste la nécessité de s’attaquer à ce problème.
La commission de l’économie proposera en conséquence un dispositif, qui sera utilement complété par celui que nous présentera, à l’article 2, M. le rapporteur pour avis de la culture. Dans notre esprit, ces propositions ont vocation à être intégrées dans une réflexion plus globale qu’il est indispensable de mener dans le cadre de la prochaine réforme de l’urbanisme commercial. Il faudra, à cette occasion, définir des solutions pour traiter les entrées de villes existantes, comme le préconise le rapport remis par notre ancien collègue député Jean-Paul Charié.
À l’article 1er, notre commission proposera de conserver le I, qui ajoute une référence utile à la qualité urbaine, architecturale et paysagère des entrées de villes dans les objectifs généraux des documents d’urbanisme. Cette mention vise aujourd’hui uniquement les SCOT. Il est plus cohérent de la faire figurer dans l’article concernant tous documents d’urbanisme.
Elle vous soumettra ensuite un amendement visant à remplacer les paragraphes II, III et IV par un dispositif incitant les communes à mener une véritable réflexion sur l’aménagement de leurs entrées de villes.
S’agissant de l’article 2, qui tend à transformer toutes les routes nationales situées dans les entrées de villes en voies urbaines, je rappellerai plusieurs éléments aux auteurs du texte.
Tout d’abord, de très nombreuses routes sont désormais non plus nationales, mais départementales.
Ensuite, les communes qui le souhaitent peuvent déjà, aujourd’hui, passer des conventions avec les départements ou avec l’État pour exercer tout ou partie des compétences de voirie sur une portion de route nationale ou départementale.
Aller plus loin en imposant ce dispositif partout, comme le prévoit l’article 2 de la présente proposition de loi, ne me paraît pas opportun et pose même de véritables problèmes de constitutionnalité puisque les moyens correspondant aux nouvelles charges qui seraient transférées ne sont pas inscrits dans ce texte. Or je sais, cher collègue Sueur, pour vous l’avoir entendu dire à plusieurs reprises, que vous tenez particulièrement à ce que les transferts de charges aux communes soient compensés…
Ensuite, l’article 3 semble en grande partie satisfait par les dispositions du Grenelle II relatives aux SCOT. En effet, ceux-ci devront désormais préciser « les conditions permettant le désenclavement par transport collectif des secteurs habités qui le nécessitent ».
Monsieur le secrétaire d'État, je dois reconnaître qu’il pourrait être utile, à l’occasion de l’examen du Grenelle II à l’Assemblée nationale ou en commission mixte paritaire, de remplacer le terme « habités » par le mot « urbanisés », ce qui correspondrait plus directement à l’objectif visé par l’article 3.
En conclusion, je souhaiterais insister sur deux points.
Premièrement, le rétablissement d’une véritable qualité des zones périurbaines suppose la constitution d’équipes pluridisciplinaires, composées d’architectes, de paysagistes et d’urbanistes-conseils.
De ce point de vue, monsieur le secrétaire d'État, il est indispensable que la réflexion intercommunale se développe très largement en matière de documents d’urbanisme : comme vient de le montrer l’auteur de la présente proposition de loi, c’est bien à cette échelle qu’il faut réfléchir.
Deuxièmement, monsieur le secrétaire d'État, je souhaiterais que vous nous éclairiez sur les modalités et le contenu de la réforme à venir de l’urbanisme commercial. Dans son rapport, Jean-Paul Charié énonçait un certain nombre de pistes, visant notamment à replacer l’urbanisme commercial dans le droit commun en la matière. Pouvez-vous nous préciser quelles suites vous comptez donner à ce rapport ?
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne puis que souscrire à l’ambition affichée par les auteurs de la présente proposition de loi, qui se fixent pour objectif de déterminer « un projet pour la ville du futur », cette dernière devant être caractérisée par une mixité à la fois sociale et fonctionnelle.
La même ambition m’avait animée lorsque j’avais été chargé, en 1994, de la rédaction d’un rapport sur les entrées de villes, que j’avais intitulé : « Les entrées de villes ou redonner le goût de l’urbanisme ». Il s’agissait d’éclairer l’État sur les actions à entreprendre, en partenariat avec les collectivités territoriales, afin de revaloriser les abords des villes et d’éviter que ne se reproduisent à l’entrée de nos bourgs les méfaits que nous déplorons.
La prise de conscience de la détérioration des entrées de villes n’est pas récente : elle occupe le champ de la réflexion depuis près de vingt ans. Initialement concentré aux abords des grandes agglomérations, ce problème s’est déplacé et il concerne aujourd’hui l’ensemble de notre territoire, y compris les villes moyennes et les zones rurales.
En effet, cette urbanisation anarchique s’est réalisée aux dépens de l’espace rural et sans aucune réflexion préalable. La confusion dans l’occupation de l’espace fait qu’il est parfois difficile de percevoir la délimitation entre la campagne et la ville.
Or les entrées de villes sont le reflet de nos cités, car elles participent de l’image que nous en donnons à voir, en tant qu’élus et en tant que citoyens. Tout comme vous, monsieur Sueur, je suis frappé du contraste qui s’est accentué entre des centres-villes de mieux en mieux restaurés et mis en valeur et des abords de villes qui sont marqués par une forme de déshérence architecturale et urbanistique.
Les entrées de villes constituent donc un enjeu essentiel de la qualité des paysages et du cadre de vie de nos concitoyens ; elles exercent une influence sur le développement du secteur touristique dans notre pays.
Je ne puis donc que saluer l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Sueur, qui partage depuis longtemps les mêmes préoccupations que moi en ce qui concerne les entrées de ville.
Cependant, je n’adhère pas à la démarche qu’il propose, qui fixe de strictes prescriptions en matière d’élaboration des documents d’urbanisme. En effet, selon moi, la mise au point d’un dispositif visant à améliorer la qualité des entrées de villes doit privilégier des procédures de réflexion et de collaboration plutôt que des dispositions contraignantes purement législatives ou réglementaires, comme l’a très bien souligné M. le rapporteur.
J’ai pu constater, moi aussi, que le règlement ne réglait rien, ou du moins qu’il ne faisait pas disparaître tous les problèmes.
Je voudrais saisir l’occasion de l’examen de cette proposition de loi pour rappeler l’esprit de l’amendement que j’avais déposé lors du débat sur la future loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement.
Cette disposition, devenue depuis lors l’article L. 111-1-4 du code de l’urbanisme, n’a pas toujours été bien comprise. Elle s’inscrivait dans la suite donnée à la proposition phare de mon rapport sur les entrées de villes, qui préconisait d’édifier une zone d’insertion paysagère aux abords immédiats des grandes infrastructures routières, dans une stratégie de restauration de la prérogative publique.
Afin de freiner l’urbanisation désordonnée des principaux axes routiers, avait été votée alors une mesure d’interdiction des constructions et installations nouvelles en dehors des espaces déjà urbanisés, sur une bande de cent mètres de part et d’autre de l’axe des autoroutes, des routes express et des déviations, et de soixante-quinze mètres de part et d’autre de l’axe des autres routes classées à grande circulation. Ces distances n’avaient pas grand sens par elles-mêmes : elles étaient une « obligation à réfléchir », qui pouvait être levée quand la réflexion pluridisciplinaire préalable avait été menée.
Cette mesure avait donc pour principale ambition de susciter une véritable réflexion urbanistique et d’amorcer une démarche plus vaste en faveur des entrées de villes. Les communes peuvent ainsi modifier ce dispositif dans le cadre de leur compétence en matière d’urbanisme et réglementer de façon spécifique les conditions d’aménagement des zones concernées. C’est la grandeur de la loi de décentralisation de 1982, qui a confié au maire la responsabilité de l’urbanisme.
Par ailleurs, l’affichage publicitaire contribuant également à la dégradation du paysage, lors de l’examen du projet de loi dit « Grenelle II », le Sénat a adopté à l’unanimité – j’y ai été très sensible –, sur l’initiative de notre commission, des dispositions visant à améliorer l’insertion paysagère des dispositifs publicitaires qui seraient autorisés dans les entrées de villes.
Certes, l’effet d’une telle mesure ne devrait être visible qu’à moyen terme, mais il me semble indispensable de faire naître des dynamiques de ce type, afin que la réflexion urbanistique et paysagère devienne une habitude, notamment pour les entrées de ville.
En outre, la réflexion sur les entrées de villes impliquant généralement plusieurs communes limitrophes, comme l’a rappelé M. Sueur, la concertation peut s’envisager dans le cadre de plans locaux d’urbanisme intercommunaux, conformément aux dispositions votées par le Sénat dans ce même projet de loi.
Je précise que j’approuve la position retenue par la commission de l’économie sur cette proposition de loi, ainsi que l’amendement qu’elle a adopté, car celui-ci tend à s’inscrire dans la dynamique que j’ai décrite.
Par ailleurs, mes chers collègues, je vous proposerai tout à l’heure, au nom de la commission de la culture, un amendement visant à renforcer l’article L. 111-1-4 du code de l’urbanisme par l’élargissement de son champ d’application.
En effet, il me semble que les schémas de cohérence territoriale seraient tout à fait appropriés pour définir, le cas échéant, les routes devant faire l’objet d’une réflexion relative à la constructibilité.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, monsieur Sueur, mesdames, messieurs les sénateurs, les entrées de ville constituent un véritable enjeu, qui dépasse bien entendu les clivages politiques.
Il est temps de réinvestir des zones qui étaient clairement laissées à l’abandon, car le constat est net : ces territoires en manque de considération ont été aménagés sans réelle vue d’ensemble. Mal organisées, mal agencées, les entrées de villes sont dédiées à la voiture, les espaces verts y étant largement résiduels. Leur aménagement s’est fait selon une logique économique, instantanée : le terrain foncier avait la caractéristique d’être suffisamment abordable pour y faire pousser de façon anarchique les installations commerciales et publicitaires.
Sans vision esthétique, sans vision environnementale et durable, la périphérie n’intéressait ni les habitants, ni les élus, ni l’État. Toutefois, je tiens à saluer la contribution d’Ambroise Dupont, ce « Malraux moderne »
Sourires
Monsieur le sénateur, votre engagement n’a jamais faibli depuis le rapport que vous avez remis au Gouvernement en 1994 et l’amendement qui a été voté en 1995. Je tiens aussi à souligner vos nombreux travaux au sein du Conseil national du paysage et, plus récemment, dans le cadre du Grenelle II, sur la question de la publicité dans ces zones.
Une nécessité s’impose aujourd’hui : nous devons réinvestir ces territoires. Ils sont à l’opposé de la ville que nous voulons promouvoir, celle de la mixité urbaine et de la proximité, privilégiant les moyens de transport sont sobres en émissions de carbone.
Pour toutes ces raisons, ces territoires peuvent constituer la « nouvelle frontière » de nos urbanistes. Le défi n’est pas de défricher des territoires encore vierges, mais bien de réinventer ces espaces sans qualité en définissant de véritables projets urbains.
Je crois, monsieur Sueur, que nous dressons tout à fait le même constat, qui est sans appel. Cependant, une partie des réponses que vous apportez ne peut nous convenir.
C’est d’abord une question de méthode : la philosophie générale de ce texte est fondamentalement éloignée de celle que Jean-Louis Borloo et moi-même avons souhaité mettre en œuvre dans le cadre du Grenelle de l’environnement.
Globalement, vous voulez imposer une série de règles systématiques, totalement uniformes, …
… là où le Grenelle propose de raisonner par objectifs et par outils.
Là où vous développez des réponses réglementées, qui seront les mêmes partout, …
… nous apportons une réponse en termes de projet.
Tel est le sens du plan « Ville durable » et des appels à projets lancés par Jean-Louis Borloo.
En particulier, le défi d’un projet d’éco-cité a été brillamment relevé à Montpellier : il permettra de réinvestir les emprises commerciales situées le long de la route de la mer, qui présente des densités faibles et des paysages de qualité, pour inventer des lieux de vie et de mixité urbaine le long de la ligne de tramway. Voilà un exemple de ce que nous souhaitons développer, à savoir un urbanisme de projet, et non une norme unique pour tous, imposée depuis Paris !
Tel est aussi l’esprit de propositions intéressantes formulées notamment dans le cadre du Grand Paris, à travers le travail proposé sur les lisières et plus généralement sur les seuils et axes d’entrée dans l’agglomération parisienne.
Tel est enfin le sens du projet de loi Grenelle II, déjà adopté au Sénat, dont plusieurs mesures traitent de cette question. C’est ainsi le cas de la réforme de la réglementation de l’affichage publicitaire, sur la base des propositions formulées par M. Ambroise Dupont, ou encore, plus globalement, de celle des documents d’urbanisme, dans une logique de développement durable, de lutte contre l’étalement urbain et d’essor des transports collectifs, comme M. Braye vient de le rappeler.
Je souhaite d’ailleurs, avant de conclure, répondre aux interrogations que celui-ci m’a adressées.
Monsieur Braye, j’ai été très attentif à votre rapport et à vos conclusions, et je tiens à vous en remercier parce que vous avez mis l’accent sur deux questions essentielles.
Tout d’abord, les entrées de villes sont des territoires situés à cheval sur plusieurs communes. Vous avez donc raison de souligner qu’une approche urbanistique nouvelle de ces zones nécessitera l’élaboration de documents de niveau intercommunal. Cet aspect important de la question, nous l’avons abordée ici même lors de l’examen du projet de loi Grenelle II. Je sais que vos collègues députés souhaitent y revenir et poser clairement la question du PLU, ou plan local d’urbanisme, intercommunal.
Je souhaite que, dans les semaines à venir, nous discutions avec le Sénat et les commissions que vous représentez, messieurs les rapporteurs, pour étudier la façon dont nous pourrions avancer dans cette direction, qui me paraît très intéressante.
De même, l’intégration de l’urbanisme commercial au droit commun en la matière est un sujet qui mérite qu’on s’y attache. Les zones dont nous parlons sont généralement dédiées au commerce, ce qui pose donc un problème de cadre de référence. Cette intégration pourrait permettre, à terme, de ne plus traiter les secteurs commerciaux comme des territoires particuliers, obéissant à d’autres lois et d’autres logiques.
Si nous souhaitons promouvoir une approche décloisonnée, les zones commerciales pourraient être considérées comme des morceaux de ville banalisés, appelés à respecter les règles du jeu urbain dans le cadre de projets de qualité.
Là encore, je sais que des réflexions sont menées, ici même comme à l’Assemblée nationale. Le Gouvernement est prêt, bien entendu, à examiner comment, par exemple dans le cadre d’une proposition de loi, l’attente justifiée des députés et des sénateurs pourrait être satisfaite.
Le Gouvernement avait d'ailleurs pris l’engagement, à l'occasion de la LME, la loi de modernisation de l’économie, d’intégrer rapidement l’urbanisme commercial dans le droit commun en la matière. Nous avions pris l’engagement de le faire dans les six mois suivant la promulgation de la loi ; cela fera donc bientôt deux ans… Il était temps pour le Gouvernement de tenir cet engagement auprès du Parlement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà de cette proposition de loi, il convient de mettre en lumière toute notre détermination à ne plus laisser ce dossier en friche.
Je partage la philosophie qui sous-tend votre texte, monsieur Sueur, mais pas les moyens qu’il prévoit. C’est pourquoi le Gouvernement n’est pas favorable à son adoption. En revanche, il est favorable aux amendements présentés par les deux commissions saisies.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà quinze ans, notre collègue Ambroise Dupont, en charge d’une mission de réflexion et de proposition sur les entrées de ville, avait dressé un bilan alarmant.
Afin de reconquérir ces espaces périurbains, que nous préférerions appeler « portes de ville », car les entrées sont aussi des sorties de ville, le législateur avait enrichi le code de l’urbanisme d’un article L. 111-1-4, qui prévoyait notamment, sous réserve de quelques exceptions, qu’« en dehors des espaces urbanisés des communes, les constructions ou installations sont interdites dans une bande de cent mètres de part et d’autre de l’axe des autoroutes, des routes express et des déviations au sens du code de la voirie routière et de soixante-quinze mètres de part et d’autre de l’axe des autres routes classées à grande circulation ».
Aujourd’hui, nous examinons la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur relative à l’amélioration des qualités urbaines, architecturales et paysagères des entrées de ville. Ce texte s’inscrit dans un double contexte.
D’une part, nous constatons que ce souci esthétique est partagé par l’ensemble des parlementaires. Nous l’avons vérifié, dans le cadre du Grenelle II, à l’occasion de l’adoption d’un amendement déposé par notre collègue Ambroise Dupont, qui visait à modifier l’article L. 581-19 du code de l’environnement afin de fixer une date butoir au-delà de laquelle les préenseignes dites « dérogatoires » devraient être supprimées et remplacées à l’entrée des villes.
Cependant, un tel consensus ne doit pas faire écran à une réalité qui est tout autre quand il s’agit du contenu des politiques de la ville.
D’autre part, un bilan catastrophique de la réglementation en vigueur est unanimement dressé pour dénoncer son inefficacité. En effet, la réglementation issue du code de l’urbanisme reste très permissive à l’égard de la construction dans ces zones périurbaines. Le rapport de simple compatibilité des documents d’urbanisme entre eux en constitue un élément parmi d’autres.
Là encore, si le constat est unanime, les solutions sont diverses.
Ainsi, les alinéas 1 et 2 de l’article 1er de la proposition de loi, qui échappent aux larges coups de ciseaux du rapporteur, complètent l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme, qui pose les principes généraux du droit de l’urbanisme avec lesquels doivent être compatibles les SCOT, les PLU et les documents en tenant lieu, les cartes communales et les directives territoriales d’aménagement, ou DTA. Il est proposé d’y ajouter le principe suivant : assurer « la qualité urbaine, architecturale et paysagère des entrées de villes ».
L’intention est louable. Cependant, il faut bien avoir à l’esprit que, les objectifs assignés aux documents d’urbanisme ayant tous la même valeur juridique, une obligation de conformité à chacun de ces objectifs n’est pas requise.
C’est seulement le non-respect manifeste de l’un des principes qui peut être sanctionné.
L’opposabilité individuelle des principes doit donc être relativisée. Il faut souligner que cette disposition du code de l’urbanisme, qui vise à assurer un équilibre, prend en compte tellement d’éléments différents qu’une grande marge de manœuvre est laissée aux collectivités locales.
Par votre amendement, monsieur le rapporteur, vous souhaitez, dans l’esprit de l’amendement d’Ambroise Dupont, « que les communes soient davantage incitées à réfléchir à l’aménagement de leurs entrées de ville », pour reprendre les termes mêmes du rapport. Il s’agit de compléter l’article L. 123-12 de l’urbanisme et d’offrir au préfet la possibilité, et non l’obligation, de proposer à la commune les modifications nécessaires si le plan local d’urbanisme entre en contradiction avec un certain nombre de réglementations énumérées par l’article.
Je formulerai deux remarques sur cet amendement.
D’une part, si les modifications proposées par les alinéas 1 et 2 de l'article 1er de la proposition de loi sont adoptées, le préfet aura la faculté de demander des modifications dans l’hypothèse où le plan local d’urbanisme compromettrait gravement les principes de qualité urbaine, architecturale et paysagère. Il est vrai que l’amendement ne fait pas mention d’une infraction manifeste à ces principes, mais, sur le fond, il s’agit, à deux exceptions près, de la méconnaissance des mêmes principes. On peut d’ailleurs se demander, au regard du rapport de compatibilité exigé, si le juge, en cas de litige, traiterait différemment les alinéas 3 et 4 de cet article tels qu’ils résulteraient de l’adoption de l’amendement.
D’autre part, cet amendement fait mention, comme l’article L. 111-1-4 du code de l’urbanisme, de la « prise en compte des nuisances » et « de la sécurité ». Cela nous semble un peu large. Ne risque-t-on pas de créer ainsi une trop grande insécurité juridique pour les communes ?
Enfin, nous avons des doutes sur l’opportunité d’instaurer certaines procédures – enquêtes publiques, concours d’architectes –, non seulement en raison de la rigidité qu’elles présentent, laquelle n’est pas forcément utile, mais également au regard du coût induit pour les collectivités locales.
Nous ne sommes pas non plus favorables à l’article 2 de la proposition de loi, qui risque d’alourdir les charges des collectivités locales, déjà mises en difficultés par les politiques du Gouvernement. En réalité, nous considérons que la proposition de loi, comme l’amendement du rapporteur, ne saurait régler le problème immense de la dégradation architecturale et paysagère des entrées de villes.
Car, en toile de fond, il y a la politique de la ville menée par le Gouvernement. Chers collègues de la majorité, dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie, n’avez-vous pas voté la réforme de l’urbanisme commercial ? Vous vous souciez de l’urbanisation hideuse des entrées de villes, mais vous avez relevé le seuil de déclenchement de l’autorisation préalable imposée aux grandes surfaces pour toute nouvelle implantation ou extension !
Voilà de quoi accroître le nombre de cubes de béton ou de plaques de tôle ondulées dressés à l’entrée de nos villes !
Jean-Pierre Sueur a raison de souligner dans l’exposé des motifs que la ville du futur devrait être celle de la mixité sociale et fonctionnelle. Nous partageons son avis.
Hélas ! les politiques mises en œuvre, qu’il s’agisse de la loi Boutin et du surloyer qui accentue un peu plus les ségrégations sociales ou du recul des dépenses en faveur du transport collectif, sont aux antipodes du « vivre ensemble » !
Quand on fait travailler les gens le dimanche, on privilégie une société avec des parkings et des cubes de béton à l’entrée de ses villes et non des parcs verdoyants !
Des millions de Français travaillent déjà le dimanche !
Mme Odette Terrade. Les images d’Épinal qui, sous la plume de certains de nos collègues, décrivent le « parcours qui menait de la campagne au cœur de la cité, [qui] se voulait initiatique et représentatif des splendeurs de la ville » sont séduisantes, mais elles resteront sans réalité aucune si l’on ne rompt pas complètement avec la politique de la ville menée actuellement.
Marques d’ironie sur le banc des commissions.
On ne peut pas dans le même temps légiférer sur les entrées de ville et autoriser l’extension des supermarchés en favorisant une société complètement éclatée ! En déconnectant l’urbanisme des inégalités sociales, on confère une fois de plus un caractère strictement incantatoire au principe de mixité sociale.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe CRC-SPG s’abstiendront sur cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’urbanisation des territoires a provoqué ce que le précurseur de l’écologie politique, Bernard Charbonneau, a appelé « la fin du paysage ». Gardons-nous de tout fatalisme, même si nous constatons que la prolifération des enseignes publicitaires et préenseignes, la multiplication désordonnée des grands magasins unifonctionnels menacent la qualité de nos « entrées de villes ».
Je ne dresserai pas ici un inventaire à la Prévert des enseignes qui ont quitté nos centres-villes ou de celles qui s’y sont installées et dont les affichages publicitaires et les préenseignes bordent nos rocades. Force est de constater toutefois, avec l’architecte et journaliste Francis Rambert, qu’ils constituent une « horreur absolue » pour la qualité paysagère de nos agglomérations. Je crois que nous sommes tous de cet avis.
Pour ma part, je pense que la verdure ou les allées piétonnes pourraient avoir leur place aux côtés des bâtiments que Jean-Pierre Sueur a évoqués dans son intervention.
D’ailleurs, la prise de conscience n’est pas nouvelle. En 1994 déjà, Ambroise Dupont peignait un tableau sombre de nos entrées de villes, en soulignant leur piètre qualité paysagère, cette qualité étant sacrifiée au profit de considérations financières, la spécialisation à outrance de ces zones, la violation impunie de la réglementation, notamment en matière d’affichage.
On peut arguer que ce dernier grief résulte de la difficulté d’application de la loi du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes. Entrée en vigueur avant les lois de décentralisation, cette loi demeure largement sous la responsabilité des services de l’État. Je note, pour le déplorer, que plusieurs recours en carence contre des préfets ont donné raison aux associations militantes : c’est bien la preuve que l’application de la réglementation concernant l’affichage est lacunaire !
De leur côté, les collectivités locales sont confrontées à un choix cornélien : elles sont en charge des règlements locaux d’urbanisme et de la politique de la ville. Par ailleurs, elles sont bénéficiaires de la taxe unique sur les emplacements fixes, dont l’assiette a été élargie depuis 2008 aux préenseignes. Elles sont donc loin d’être incitées à limiter l’affichage publicitaire !
Il faut par ailleurs souligner la carence législative en la matière. Ainsi, sur les vingt mesures recommandées par Ambroise Dupont dans son rapport en 1994, une seule a trouvé sa traduction dans le code l’urbanisme, celle qui interdit toute construction à moins de cent mètres des autoroutes et à moins de soixante-quinze mètres des voies à grande circulation, sauf à les intégrer dans un schéma d’ordonnancement global et raisonné. Il s’agissait en fait d’une « obligation à réfléchir », mais la réflexion se limitait parfois à la chaîne d’arpenteur et, à vingt centimètres près, on n’avait pas le droit de construire. Je peux en témoigner, car j’ai failli le vivre dans ma propre commune.
Aujourd'hui, il ne s’agit ni de distribuer les mauvais points ni d’attribuer à l’un ou à l’autre la responsabilité de la dégradation des entrées de ville. Il s’agit plutôt de regarder le présent, avant de se tourner vers l’avenir.
Le Grenelle de l’environnement, que nous avons voté récemment, constitue une avancée majeure en la matière : limitation de l’étalement urbain, trame verte et écologique, réglementation de l’affichage avec l’interdiction de l’affichage publicitaire hors agglomération, strict encadrement des dispositifs publicitaires lumineux, etc.
De même, en votant aujourd’hui la suppression de la taxe professionnelle, on contourne l’attrait de la manne fiscale qui avait pu guider, pendant de nombreuses années, la prolifération, sur des zones délimitées, d’enseignes fortement pourvoyeuses de taxe professionnelle. La nouvelle donne fiscale amène à bâtir un nouvel équilibre.
Dans ces conditions, comment cadrer le débat pour l’avenir ?
Certes, le problème des entrées de villes concerne d’abord la ville, mais il concerne en fait surtout l’agglomération.
En effet, les villes délocalisent volontiers les commerces fortement consommateurs d’espace aux portes de la ville, mais les zones concernées restent dans le giron de l’agglomération.
La solution ne passera que par une responsabilité accrue des agglomérations sur ce sujet – elles seules pourront à l’avenir freiner la prolifération de l’affichage – et par des efforts particuliers pour améliorer l’existant, même si le mal est déjà partiellement fait.
Si cette responsabilité peut être encadrée par des prescriptions légales, pour que la qualité urbanistique des entrées de ville soit au moins égale à celle des centres-villes, nous soutenons l’initiative de cette proposition de loi.
Il existe certainement une voie médiane qui permette aux élus locaux de prendre leurs responsabilités en tenant compte des contingences locales, ...
... tout en assurant un encadrement légal ou un contrôle efficace de la part du préfet, afin d’améliorer l’aménagement des entrées de ville.
Les élus des communautés urbaines, des communautés d’agglomération ou des communautés de communes doivent être impliqués, interrogés et écoutés. On a trop tendance à considérer que c’est aux villes-centres d’exercer cette responsabilité, et elles le font d’ailleurs souvent. Pourtant, les collectivités périphériques des villes sont également très concernées et, à ce titre, elles doivent pouvoir contribuer, par leur expérience, par l’exercice de leurs responsabilités, par le fruit de leur réflexion, à une opération d’intérêt collectif, qui intéresse l’intercommunalité tout entière.
Tels sont, madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les points que je tenais à développer, en espérant que la volonté qui se manifeste sur toutes les travées se traduira par l’efficacité redoublée que nous appelons tous de nos vœux.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste, de l ’ UMP.
M. Jean-Jacques Mirassou. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier notre collègue Jean-Pierre Sueur, qui est à l’origine de cette proposition de loi fort intéressante, mais dont l’examen, ce soir, est apparemment réservé à quelques initiés.
Sourires
Cette proposition de loi a pour objet promouvoir une démarche d’aménagement replaçant dans une perspective beaucoup plus positive les dimensions économique, sociale, environnementale et culturelle des territoires constituant ce qu’il est convenu d’appeler les « entrées de villes ».
Pour de multiples raisons, ces dernières sont coupées du reste du territoire urbain et tournent résolument le dos à la mixité fonctionnelle, principe qui devrait pourtant s’appliquer sur l’ensemble du territoire de la cité.
Ces surfaces généralement dédiées aux activités commerciales font passer en quelques minutes l’individu du statut de citadin à celui de simple consommateur. Il en résulte que les entrées de ville s’apparentent trop souvent à des espaces sans identité, saturés de messages publicitaires et caractérisés par des bâtiments commerciaux à l’aspect architectural terriblement standardisé, et c’est un euphémisme !
Si les entrées de villes sont devenues des lieux de consommation accessibles et pratiques, dans le même temps, elles ont perdu leur fonction de « carte de visite », en banalisant l’identité des villes dont elles signalent l’approche, alors qu’elles devraient concourir à mettre en avant leurs particularités, voire leur histoire. Aujourd'hui, ces paramètres sont exclusivement dévolus aux centres historiques de nos cités, et ce n’est pas une bonne chose !
Dans le Sud-Ouest, par exemple, une région que je connais plus particulièrement – mais il en va de même dans d’autres –, à s’en tenir aux entrées de villes, il devient de plus en plus difficile de savoir si l’on est à Agen, à Albi, à Tarbes, à Pau, à Mont-de-Marsan ou ailleurs.
Alors que chaque collectivité se doit de faire valoir ses atouts auprès des habitants de la cité et des visiteurs, mais aussi des acteurs économiques, socioculturels ou sportifs, cette situation nous semble parfaitement contre-productive et singulièrement éloignée de la valorisation de l’identité d’un territoire, qui constitue pourtant un enjeu majeur.
Cette proposition de loi met l’accent sur cet aspect de la problématique urbaine et permet surtout de définir un projet impliquant tous les acteurs locaux.
Chacun peut le constater, l’aménagement du territoire a évolué ces dernières années vers une approche globale du territoire et des usages qui se développent. Plus rien ne justifie donc le statut quasiment d’exception dont pâtissent aujourd’hui les entrées de villes, frappées par une sorte de fatalité qui les entraîne dans une dérive urbanistique, plus ou moins bien acceptée, du reste, par la population qui les traverse, y consomme ou y travaille.
La loi de modernisation de l’économie a tenté de bousculer les règles d’implantation des grandes surfaces au sein et à proximité de nos communautés urbaines. Mais il reste extrêmement difficile de définir les critères applicables aux dossiers déposés par des promoteurs en vue de nouvelles ouvertures. L’imprécision règne, alors que l’impact de ces entreprises est déterminant sur la physionomie des entrées de villes et sur la qualité de vie des personnes amenées à y résider, à y travailler et, tout simplement, à y vivre.
Dans le cadre du Grenelle II, nous avons été un certain nombre à essayer de mettre en forme les principes évoqués à l’occasion de l’examen du Grenelle I. Ainsi, un certain nombre de dispositions ont été adoptées qui devraient, dans le meilleur des cas, inciter les acteurs politiques locaux et nationaux à repenser ces espaces urbains.
Je mentionnerai, par exemple, la réforme du régime de la publicité extérieure, qui prend en compte, entre autres, les sources de pollution visuelle, notamment de pollution lumineuse, dont ces espaces sont abondamment pourvus faute d’instruments législatifs et réglementaires adaptés pour y faire face, ce qui est regrettable.
Je pense également à la disposition adoptée sur l’initiative de notre collègue Ambroise Dupont et qui vise à étendre les dispositions du code de l’urbanisme relatives aux entrées de villes à d’autres routes que celles qui sont actuellement concernées. Dans le cadre des SCOT, une telle mesure constituerait une avancée permettant d’engager une mutation intéressante.
Pour autant, si l’on juxtapose l’apport des SCOT, des PLU, des cartes communales, des compétences des uns et des autres, force est de constater que la multiplicité des intervenants est susceptible de nuire à l’efficacité du dispositif.
Il est donc important, c’est le sens de cette proposition de loi, de capitaliser les impulsions du Grenelle et d’aller au-delà en les confortant par un texte spécifiquement dédié à la problématique des entrées de villes. Ce texte devrait constituer une référence et un outil pertinent permettant une évolution positive, même si certains d’entre vous ont regretté a priori qu’il soit trop directif.
Puisque les textes de loi en vigueur de portée générale applicables à la ville ne permettent pas de limiter les dégâts s’agissant des entrées de villes, …
… il semble de bon sens de mettre en place une législation qui prenne vraiment en compte la spécificité de ces dernières.
Son objet serait de permettre des améliorations progressives – un étalement sur une, voire deux décennies a été proposé –, mais significatives et spécifiques à ces périphéries urbaines qui ont, reconnaissons-le, un statut bâtard.
Nous bénéficions aujourd’hui d’une « fenêtre de tir » pour mettre en place une telle législation, du fait de la suppression de la taxe sur les surfaces commerciales et de la taxe professionnelle. On le sait, cette dernière a justifié pendant des décennies des tentations inflationnistes quant au nombre de surfaces commerciales.
On peut et l’on doit maintenant changer de braquet, en quelque sorte, et amorcer l’aménagement d’entrées de villes favorisant ce qu’on a appelé tout à l’heure le « vivre ensemble ».
La proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur relative à l’amélioration des qualités urbaines, architecturales et paysagères des entrées de villes va dans ce sens.
L’article 1er vise à modifier le code de l’urbanisme afin que les documents d’urbanisme relatifs aux entrées de villes soient conçus en fonction de critères plus exigeants en matière, notamment, de qualité architecturale et paysagère.
Les plans locaux d’urbanisme et les cartes communales seraient ainsi enrichis de manière à réserver une partie des surfaces constructibles à des bâtiments à vocation culturelle, universitaire, sportive ou associative, et la liste n’est pas limitative.
De plus, en cohérence avec les préoccupations environnementales affichées, maintenant plus que jamais, un pourcentage significatif du périmètre des entrées de villes serait dévolu à des espaces verts, essentiels pour le maintien d’une certaine qualité de vie dont les citadins sont extrêmement demandeurs.
Enfin, la création d’un concours d’architecture est destinée à mettre fin à la standardisation des bâtiments à destination commerciale, qui uniformise les territoires urbains. La conception des centres commerciaux constitue jusqu’à présent, par elle-même, une forme de publicité pour chaque enseigne, du fait de son caractère éminemment reconnaissable.
La physionomie des paysages urbains est trop souvent façonnée en fonction de l’individu consommateur et fait passer au second plan le statut d’espace public destiné aux multiples facettes de la vie citadine.
Il est temps d’afficher de l’ambition dans ce domaine.
Dans un autre registre, la proposition de loi tend à favoriser opportunément la promotion des modes de transport alternatifs doux, pour éviter le spectacle affligeant qu’offrent, notamment en fin de semaine, à proximité des surfaces commerciales, des files ininterrompues de voitures attendant de s’agglutiner sur d’immenses surfaces de stationnement. De ce point de vue, une meilleure insertion des voies de circulation dans le paysage urbain ainsi qu’une modification du code de la voirie routière seraient les bienvenues.
Cette modification viserait à assurer le changement de statut des routes nationales traversant les entrées de villes, de façon qu’elles deviennent des voies urbaines, dans tous les sens du terme, sur lesquelles les collectivités territoriales concernées auraient compétence. Je suis prudent, car nous ne savons pas grand-chose au sujet des voies départementales, qui sont liées au devenir des conseils généraux !
Ces activités pourraient définir leur politique d’aménagement dans un sens plus respectueux des exigences environnementales de nos concitoyens. Il leur serait possible de s’attaquer résolument à la problématique des encombrements aux entrées de villes, qui empoisonnent le quotidien de nombre de nos concitoyens.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi relative à l’amélioration des qualités urbaines, architecturales et paysagères des entrées de villes répond, nous le savons tous, à de fortes attentes au sein de la population, en même temps qu’elle offre l’opportunité à la majorité et au Gouvernement de faire la preuve de son attachement à l’esprit du Grenelle de l’environnement.
C’est pour toutes ces raisons que je plaide en faveur de son adoption.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les entrées de villes sont l’image de la cité, de l’accueil qu’elle réserve aux arrivants.
C’est un sujet particulièrement sensible qui mérite toute notre attention.
Notre collègue Jean-Pierre Sueur, dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi, fait le constat d’un véritable désastre urbanistique, constat que nous partageons naturellement tous.
En une quarantaine d’années, des constructions que je qualifierais de « spartiates » si je ne craignais d’insulter la mémoire des antiques Lacédémoniens ont envahi peu à peu les terrains aux abords des villes, et ce sans aucun égard pour l’environnement.
Comme l’a excellemment remarqué notre rapporteur, Dominique Braye, ces espaces convoités, car traversés par d’importants flux de circulation, ont subi une logique d’occupation qui s’est malheureusement imposée au détriment d’une logique d’aménagement.
Les premiers supermarchés ont jailli de terre, au milieu des champs, participant ainsi de l’extension physique de la ville et lui donnant une morphologie tentaculaire. Les surfaces marchandes des entrées de villes sont devenues l’affirmation d’un commerce conquérant. Et cette éclosion de nouvelles surfaces marchandes a complètement modifié nos pratiques culturelles de consommation.
La concurrence accrue entre les différentes surfaces commerciales, pour accroître tant leurs marges que leurs bénéfices, a suscité des pratiques de réclame totalement débridées, ce qui a conduit à la défiguration de nos entrées urbaines, progressivement transformées en une suite anarchique de placards et autres enseignes, aux couleurs généralement les plus criardes.
Les espaces de vente se sont multipliés dans des locaux d’une absolue stérilité architecturale, mais en recourant, pour assurer leur autopromotion, à toute la panoplie des supports publicitaires les plus accrocheurs.
Notre collègue Ambroise Dupont a été le premier à se pencher sur ce problème, et nous tenons à lui rendre hommage, car il a réalisé beaucoup de travaux de grande qualité sur ce sujet. Il a remis en 1994, à la demande du ministre de l’environnement et du ministre de l’équipement, des transports et du tourisme un rapport particulièrement intéressant, mais déjà alarmant, où il constatait la transformation d’entrées de villes en véritables couloirs de chalandise, se développant en concurrence directe avec les commerces de centre-ville. Il y dénonçait un laisser-faire très largement répandu, la construction de surfaces commerciales et de bâtiments industriels sans aucune prescription urbanistique ou architecturale, la prolifération de zones faussement créatrices d’emplois – du fait des transferts d’emplois –, une dévitalisation des centres-villes, un excès d’affichage publicitaire et une dégradation des paysages.
Notre collègue avait alors formulé de nombreuses propositions, dont la principale fut traduite par l’adoption de l’article L 111-1-4 du code de l’urbanisme lors du vote de la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement. Comme notre collègue Mme Terrade l’a rappelé, le principe de ce dispositif est d’obliger les communes, qui souhaitent développer l’urbanisation dans leurs entrées de villes, à mener au préalable une réflexion sur la qualité urbaine, paysagère et architecturale de l’aménagement, dans leurs documents d’urbanisme.
Force est de le constater, un bilan complet de l’application de l’article L 111-1-4 du code de l’urbanisme reste aujourd’hui à effectuer.
Des questions demeurent posées. Combien de communes ont réalisé une étude pour lever la règle d’inconstructibilité ? Quelle est la qualité de ces études ? L’urbanisation a-t-elle été mieux contrôlée ?
Ce bilan pourrait être utile pour avancer sur ce dossier.
Récemment encore, en juin 2009, notre collègue Ambroise Dupont a remis à la secrétaire d’État à l’écologie et au secrétaire d’État à l’aménagement du territoire un autre rapport sur l’impact de la publicité sur les paysages, dans lequel il prône la réaffirmation de la compétence des communes dotées d’une réglementation spéciale pour, notamment, limiter la pollution publicitaire aux entrées de villes.
Certaines des mesures préconisées dans ce rapport ont été introduites par le Sénat dans le Grenelle II, en septembre dernier, avec un avis favorable du Gouvernement. Nous nous en félicitons. Ces importantes mesures vont, en effet, permettre aux élus locaux de mieux contrôler le paysage visuel de leurs entrées de villes.
Elles s’articulent autour de deux objectifs principaux : la simplification des règlements locaux de publicité ; une meilleure maîtrise de la pression publicitaire, en vue de protéger nos paysages et notre cadre de vie.
En outre, la suppression, dans un délai de cinq ans, des préenseignes, dites dérogatoires, qui se multiplient parfois de façon anarchique aux entrées de villes pour signaler les stations-services, les hôtels ou les restaurants, pourront être remplacées par des panneaux d’informations locales.
Tout cela montre que, dans ce dossier des entrées de villes, nous avançons. Notre collègue Jean-Pierre Sueur a souhaité apporter sa contribution en nous soumettant un certain nombre de propositions de réglementation pour permettre de prolonger notre réflexion.
Toutefois, le problème reste très complexe. C’est la raison pour laquelle, mes collègues du groupe UMP et moi-même suivrons les conclusions du rapporteur de la commission de l'économie, qui correspondent mieux aux solutions que nous souhaitons mettre en œuvre, dans la continuité de ce qu’a proposé notre collègue Ambroise Dupont.
La commission de l’économie propose en effet de conserver le paragraphe Ide l’article 1er de la proposition de loi et de remplacer ses paragraphes II et III par un dispositif donnant au préfet un pouvoir supplémentaire pour obliger les communes qui ouvrent de nouvelles zones à l’urbanisation dans leurs entrées de villes à mener une réflexion préalable.
En conséquence, le groupe UMP adoptera le texte de la proposition de loi modifié par l’amendement de la commission de l’économie et par celui de la commission de la culture, saisie pour avis.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
Le code de l’urbanisme est ainsi modifié :
I. – Au 2° de l’article L. 121-1, après les mots : « des commerces de détail et de proximité » sont ajoutés les mots : «, de la qualité urbaine, architecturale et paysagère des entrées de villes ».
II. – 1° Après le deuxième alinéa de l’article L. 123-1, est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Ils comportent également la définition du périmètre des entrées de villes et un plan d’aménagement de celles-ci qui doit être approuvé dans les conditions fixées à l’article L. 123-10 avant le 1er janvier 2012. ».
2° Dans la deuxième phrase du troisième alinéa de l’article L. 123-1 les mots : «, les entrées de villes » sont supprimés.
III. – Après l’article L. 123-4, est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. 123-4-1. – Dans les entrées de villes, le plan d’aménagement :
« 1° Précise l’affectation des sols selon les usages principaux qui peuvent en être faits ou la nature des activités qui peuvent y être exercées, en réservant au moins un tiers des surfaces constructibles à des bâtiments à vocation culturelle, universitaire, sportive ou associative ;
« 2° Définit la proportion des emplacements réservés aux espaces verts, qui ne peut être inférieure à 20 % de la zone ;
« 3° Définit la surface des emplacements réservés au stationnement, qui ne peut être supérieure à 60 % des surfaces commerciales incluses dans le périmètre des entrées de villes ;
« 4° Détermine les conditions dans lesquelles la reconstruction ou l’aménagement des bâtiments commerciaux existants et des aires de stationnement peuvent n’être autorisés que sous réserve d’un changement de destination, visant à atteindre les objectifs fixés aux 1°, 2° et 3° ci-dessus, et fixe la destination principale des zones ou parties de zones à restaurer ou à réhabiliter ;
« 5° Détermine les règles concernant l’aspect extérieur des constructions, leurs dimensions et l’aménagement de leurs abords, afin de contribuer à la qualité architecturale et à l’insertion harmonieuse des constructions dans le milieu environnant, et soumet les constructions nouvelles ou les reconstructions à un concours d’architecture dont l’organisation est confiée à un jury dont la composition est fixée par décret ;
« 6° Précise les caractéristiques des voies incluses dans le périmètre des entrées de villes, dénommées voies urbaines, en matière de configuration, d’insertion urbaine, de partage de la voirie entre les différents usagers, de franchissement par les piétons, de végétalisation et d’éclairage. »
IV. – Après le deuxième alinéa de l’article L. 124-2, est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Elles comportent également, en annexe, la définition du périmètre des entrées de villes et un plan d’aménagement de celles-ci, tel que prévu par l’article L. 123-4-1. »
L'amendement n° 1, présenté par M. Braye, au nom de la commission de l'économie, est ainsi libellé :
Alinéas 3 à 15 :
Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :
II- Après le cinquième alinéa de l'article L. 123-12, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« ...) Comprennent des dispositions applicables aux entrées de villes incompatibles avec la prise en compte des nuisances, de la sécurité, de la qualité urbaine, architecturale et paysagère ; »
La parole est à M. le rapporteur.
Toutes les personnes que nous avons auditionnées, architectes, élus ou professionnels de l’urbanisme, ont considéré que cette proposition de loi soulevait un vrai problème, mais que, selon eux, la bonne solution ne résidait pas dans l’édiction d’obligations.
Mes propos ne seront pas différents de ceux du secrétaire d'État ni de ceux que j’ai tenus lors de la discussion générale. Il ne nous semble pas du tout adapté d’imposer des normes identiques sur tout le territoire, appelées à s’appliquer partout de façon uniforme. Cela serait contraire à l’évolution de l’urbanisme préconisée par le Grenelle II et même à l’évolution que l’on peut observer depuis une dizaine d’années.
Nous souhaitons en effet que les élus, en prenant en compte la diversité des territoires et la spécificité de celui sur lequel ils exercent des responsabilités, se penchent sur les problèmes d’urbanisme notamment en ce qui concerne leurs entrées de villes. Il s’agit de privilégier l’urbanisme de projet et non l’urbanisme enserré dans des normes.
Comme se plaît à le dire notre collègue Ambroise Dupont depuis longtemps, le règlement ne règle rien, l’étude et le projet règlent tout
Pour toutes ces raisons, nous proposons cet amendement, dont les dispositions sont conformes à ce que nous considérons comme l’urbanisme d’aujourd'hui et de demain. Nous l’avons dit, cet urbanisme doit faire appel à la réflexion des élus, en association avec tous les professionnels compétents, en particulier les urbanistes et les paysagistes, pour régler les problèmes d’entrées de villes, extrêmement complexes pour celles qui existent déjà.
Le sous-amendement n° 3, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Amendement n° 1, alinéas 1 et 2
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Nous sommes d’accord, chacun l’aura compris, sur le diagnostic, mais pas du tout sur les préconisations, monsieur Braye.
Je ne suis pas opposé sur le fond aux dispositions prévues par l’amendement n° 1. L’objet de mon sous-amendement est précisément de souscrire à ces dispositions permettant aux préfets de faire part de leurs observations lors de l’élaboration des plans locaux d’urbanisme. Je suis donc d’accord pour que ces dispositions s’ajoutent à ce que prévoit déjà notre proposition de loi, mais pas pour qu’elles s’y substituent.
On a beaucoup parlé de la disposition adoptée sur la proposition de M. Ambroise Dupont. À vous entendre, monsieur Braye, il suffirait de laisser les choses se faire et d’avoir confiance pour qu’elles aillent dans le bon sens. C’était déjà la tonalité du rapport de M. Dupont de 1994, selon lequel il n’était pas forcément nécessaire de fixer des orientations fortes dans la loi. Ce rapport a toutefois proposé une mesure législative qui a été votée, comme on l’a rappelé, en 1995. Je connais bien cette disposition : elle interdit de construire sur les espaces situés de part et d’autre des voies à moins de soixante-quinze ou de cent mètres, selon les cas, sauf si une dérogation est accordée et sauf si une étude est réalisée.
Je n’ai rien contre ces mesures ni contre l’amendement que présentera M. Dupont tout à l’heure. Mais, depuis quinze ans, aucun changement n’a eu lieu ; le plus souvent, la situation s’est même dégradée. Les entrées de villes affichant toujours la même laideur, le même bric-à-brac, ont continué à proliférer !
S’il suffisait d’énoncer un principe pour tout régler, depuis quinze ans, on en aurait constaté les effets bénéfiques ! Or il n’en est rien !
Comme il s’agit d’un problème national, ces zones se retrouvant partout à l’identique, nous proposons que la loi intervienne. Du reste, dans une République, la loi n’est pas une contrainte extraordinaire ; c’est simplement la règle commune, dont le respect s’impose à tous.
Ainsi, dans chaque agglomération, on définira un périmètre et on fixera un plan d’aménagement. On pourra de cette manière s’orienter vers des propositions pour supprimer cette monotonie fonctionnelle et stopper cette dégradation.
Nous sommes en désaccord sur la méthode, monsieur Braye.
Si nous pensons que la loi doit intervenir, c’est parce que nous avons l’expérience des quinze dernières années. Car on ne peut pas prétendre que tout va bien désormais ! Au-delà des principes, il faut se doter des moyens pour les appliquer.
Le sous-amendement n° 5, présenté par M. Biwer, est ainsi libellé :
Amendement n° 1
Compléter cet amendement par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Au deuxième alinéa de cet article, après les mots : « à la commune » sont insérés les mots : « ou à l'établissement public de coopération intercommunale ».
La parole est à M. Claude Biwer.
Ce sous-amendement a un objet presque inverse à celui de M. Sueur.
Pour ma part, je mets l’accent surtout sur la concertation. Les communes limitrophes doivent être concernées par le dispositif et pouvoir être consultées.
Compte tenu de ce que j’ai entendu et de la manière dont le rapporteur a présenté son amendement, mon sous-amendement ne s’impose peut-être pas ici.
En conséquence, je le retire, madame la présidente.
M. Dominique Braye, rapporteur. Disons-le, il s’agit d’un sous-amendement de poids puisqu’il vise, ni plus ni moins, à réintroduire dans l’amendement de la commission l’intégralité des dispositions de la proposition de loi que cet amendement tendait à supprimer !
Sourires
Votre proposition est contradictoire avec notre propre vision, monsieur Sueur. Nous voulons promouvoir un urbanisme où les communes sont obligées d’élaborer des projets si elles souhaitent urbaniser. Pour autant, il ne s’agit pas de leur imposer un carcan qui serait le même pour toutes les entrées de villes de France et de Navarre !
Nous faisons confiance aux élus et, contrairement à ce que vous dites, depuis 1995 – j’espère que vous avez lu mon rapport avec attention –, une amélioration, attestée par deux études, s’est produite. Certes, il n’est pas possible d’effacer d’un seul coup le mal qui a été fait auparavant, mais on ne peut pas dire que rien n’a changé !
Par ailleurs, notre amendement vise à donner un rôle important au préfet. En effet, il prévoit un contrôle spécifique exercé par le préfet sur l’aménagement des entrées de villes. Il pourra ainsi demander à une commune qui ouvrirait de nouvelles zones à l’urbanisation en entrée de ville de réaliser une étude préalable et, à défaut, elle ne pourra pas délivrer de permis de construire.
Nous ne sommes pas contentés d’incantations ! Depuis 1995, nous avons essayé de stimuler les élus pour qu’ils réalisent ces études et élaborent des projets dignes d’intérêt urbanistique.
Pour toutes ces raisons, je ne peux qu’être défavorable à ce sous-amendement.
Le Gouvernement est défavorable au sous-amendement n° 3 et favorable à l’amendement n° 1.
Nous sommes tous d’accord, ici, pour juger que la qualité architecturale et urbanistique des entrées de ville ne répond pas à notre attente. Face à ce constat, il y a deux façons de procéder.
Le rapporteur propose, quant à lui, d’énoncer un principe : la qualité architecturale et urbanistique des entrées de ville doit être prise en compte dans l’ensemble des documents d’urbanisme. Ce faisant, monsieur Sueur, il rejoint la première de vos préconisations. Mais il ajoute une précision : le préfet sera tenu de contrôler la bonne application de ce principe, à défaut de laquelle il sera en droit de refuser les documents d’urbanisme en question.
Cela correspond à l’urbanisme de projet que nous appelons de nos vœux.
En revanche, votre sous-amendement ne nous convient pas puisqu’il consiste à en revenir à votre texte initial et que, par conséquent, il tend à définir une norme applicable pour tout et partout.
M. Jean-Pierre Sueur fait un signe de dénégation.
Que l’agglomération compte 20 000 ou 100 000 habitants, que le centre commercial d’entrée de ville occupe 100 000, 200 000 ou 800 000 mètres carrés, les pourcentages seraient les mêmes partout !
Cela ne correspond pas à nos souhaits ni à ceux de beaucoup de sénateurs, si j’en crois la teneur des interventions qu’on entend régulièrement dans cet hémicycle. Il faut laisser aux élus locaux la liberté de décision, mais en les incitant à tenir compte de la qualité urbanistique des entrées de villes.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 3.
Je souhaite apporter un certain nombre de précisions.
Je suis bien sûr ravi, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d'État, que vous approuviez les premier et deuxième alinéas de l’article 1er de ma proposition de loi. Mais, rappelons-le, ceux-ci se bornent à inscrire dans la loi le principe de la prise en compte de la qualité urbaine architecturale et paysagère des entrées de villes.
À mon sens, il faut aller au-delà, faute de quoi nous risquons, dans quinze ans, de constater à nouveau que rien n’a changé. C’est pourquoi il convient d’adjoindre à ce principe un certain nombre de règles.
Monsieur le rapporteur, je regrette notamment que vous proposiez, au travers de l’amendement n° 1, de supprimer l’alinéa 4 de l’article 1er, aux termes duquel les plans locaux d’urbanisme « comportent la définition du périmètre des entrées de villes et un plan d’aménagement de celles-ci qui doit être approuvé dans les conditions fixées à l’article L. 123-10 avant le 1er janvier 2012 ».
Que je sache, cette double définition ressortira bien de la compétence des élus. Et, si nous avons prévu une échéance, c’est pour avoir l’assurance que, à cette date, toutes les entrées de villes auront fait l’objet d’un plan d’aménagement approuvé en bonne et due forme. Il est somme toute normal qu’un tel document prévoie un certain nombre de règles. En quoi le fait de fixer des pourcentages minimaux serait-il contraignant ? Il est toujours possible d’aller plus loin.
Mes chers collègues, le seuil de 60 % que je vous propose pour les parkings est, je vous le rappelle, inférieur aux préconisations formulées par la France dans le cadre du Grenelle de l’environnement et du sommet de Copenhague. De même, en ce qui concerne la place des espaces verts dans le paysage, chacun s’est accordé pour dire qu’un seuil de 20 % était vraiment un minimum.
Par conséquent, si l’on veut limiter les nappes de parkings et encourager la végétalisation, il ne faut pas en rester aux « paroles verbales », se contenter d’aligner des mots. Il en va de même si l’on souhaite vraiment aller vers ce pluralisme fonctionnel dont tout le monde parle.
Clairement, ce qui nous sépare, c’est le rôle que nous entendons faire jouer à la loi : de notre point de vue, la loi doit dépasser la simple déclaration d’intention pour produire des effets tangibles.
C'est la raison pour laquelle nous voterons le sous-amendement n° 3. S’il n’était pas adopté, nous ne voterions pas l’amendement n° 1, car, comme vous l’avez expliqué, monsieur le rapporteur, il vise à supprimer les alinéas 3 à 15, auxquels nous tenons.
Disons-le, dans l’amendement de la commission, tout n’est pas négatif. Il est en effet utile de permettre aux préfets de notifier leurs remarques sur la qualité des entrées de villes avant l’adoption du PLU. Mais, monsieur Braye, permettez-moi de vous faire remarquer ceci : l’article L.123-12 du code de l’urbanisme que vous proposez de compléter ne concerne que les communes non couvertes par un SCOT ; c’est uniquement dans ce cadre que les préfets auront la possibilité d’intervenir. Votre proposition, pour positive qu’elle soit, a tout de même une portée réduite ; il ne faut donc pas la surestimer.
En tout état de cause, nous ne pouvons être favorables à la suppression de l’essentiel du dispositif prévu à l’article 1er.S’il est important d’affirmer un principe, cela ne suffit pas.
Le sous-amendement n’est pas adopté.
L’amendement est adopté.
L’article 1 er est adopté.
Mme la présidente. J’ai le plaisir de saluer, au nom du Sénat, la présence dans notre tribune officielle d’une délégation de la Chambre des conseillers du Japon, conduite par Mme Akiko Santo, vice-présidente de cette chambre, accompagnée par trois de ses collègues sénateurs.
M. le secrétaire d’État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.
À l’occasion de son bref passage à Paris, cette délégation est invitée au Sénat par le groupe sénatorial France-Japon, présidé par notre collègue David Assouline.
Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt et à la sympathie que nos collègues japonais manifestent pour notre institution.
Je me réjouis des liens étroits qui se sont tissés entre nos groupes parlementaires d’amitié au fil des années ; ils ne peuvent que contribuer au renforcement des relations bilatérales entre la France et le Japon.
Je souhaite à Mme Santo et à ses collègues un excellent séjour dans notre pays !
Nouveaux applaudissements.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi relative à l’amélioration des qualités urbaines, architecturales et paysagères des entrées de villes.
L’article L. 123-1 du code de la voirie routière est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les routes nationales deviennent des voies urbaines dans le périmètre des entrées de villes. »
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par M. A. Dupont, au nom de la commission de la culture, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Le code de l’urbanisme est ainsi modifié :
I- Après le septième alinéa de l’article L. 122-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Ils peuvent étendre l’application de l’article L. 111-1-4 du présent code à d’autres routes que celles mentionnées au premier alinéa dudit article ».
II- Le deuxième alinéa de l’article L. 111-1-4 est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Cette interdiction s’applique également dans une bande de soixante-quinze mètres de part et d’autre des routes visées au huitième alinéa de l’article L. 122-1 du présent code.
« Elle ne s’applique pas :
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
Sans revenir en détail sur le dispositif prévu à l’article L. 111-1-4 du code de l’urbanisme, je tiens tout de même à rappeler la philosophie qui a présidé à son élaboration.
On a mis en avant la fixation d’une certaine distance par rapport à l’axe routier, mais, ne l’oublions pas, l’objet était surtout de provoquer la réflexion, la sanction n’étant prévue que dans un second temps, pour inciter l’État ou la municipalité à réaliser un aménagement urbain de qualité.
Le présent amendement tend à étendre l’application de l’article L. 111-1-4 à une classification de routes élargie, en intégrant le réseau routier retenu dans le cadre des SCOT.
Monsieur le secrétaire d’État, une telle disposition présente un double intérêt.
D’une part, les PLU devront être compatibles avec le SCOT dans lequel ils s’inscrivent. D’autre part, à partir du moment où, aux termes du SCOT, le réseau en question méritera une attention particulière, compte tenu des grands principes d’accessibilité, de sécurité et de qualité architecturale énoncés à l'article L. 111-1-4, nous pourrons assurer une certaine continuité paysagère des entrées de villes, propre à conforter l’image architecturale de notre pays.
Les schémas de cohérence territoriale constituent le niveau pertinent pour définir les routes qui devraient faire l’objet d’une réflexion relative à la constructibilité. Ils permettent, sur un territoire étendu, de disposer d’une vision d’ensemble, y compris en ce qui concerne les axes de circulation.
La disposition que nous proposons est de nature à pallier les carences observées aujourd’hui, notamment pour des raisons liées au déclassement de certaines voies, sujet qui, je le sais, fait débat. En outre, elle ne fera que renforcer la prise en compte du paysage et du cadre de vie dans les règles d’urbanisme.
L’esprit de cette mesure est d’inciter les différents partenaires à approfondir leur réflexion sur l’aménagement des entrées de villes et le réseau routier. Cette concertation sera, me semble-t-il, facilitée par la mise en œuvre de plans locaux d’urbanisme intercommunaux, rendus possibles par les dispositions votées en première lecture par le Sénat dans le cadre de l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement. Pour ma part, c’est ce à quoi je me suis déjà employé dans ma communauté de communes.
Le sous-amendement n° 4, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Amendement n° 2 rect., alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
Compléter cet article par six alinéas ainsi rédigés :
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Ce sous-amendement procède exactement du même esprit que le précédent.
Monsieur le rapporteur pour avis, si l’amendement n° 2 rectifié présente un côté positif, nous regrettons qu’il vise simplement à se substituer aux dispositions de notre texte initial. Ce sous-amendement a donc pour objet de le compléter afin de joindre les deux rédactions.
Vous l’avez vous-même fait remarquer, le dispositif dont vous êtes l’un des promoteurs est largement incitatif : l’interdiction de construction ne prend effet qu’en l’absence d’étude et de réflexion préalables. Or j’ai la faiblesse de croire qu’une simple incitation en ce sens est insuffisante pour faire avancer substantiellement les choses.
Cela dit, votre proposition n’est pas négative. D’une certaine façon, vous poursuivez votre idée.
Grâce à cette proposition de loi, le dispositif concernerait désormais toutes les voiries des entrées de villes. Voilà, si j’ose dire, la porte d’entrée franchie. Mais, nous en sommes intimement convaincus, cela ne suffit pas.
Il faut dépasser le stade de l’incitation, car le désastre actuel ne peut perdurer ! La mise en œuvre de projets positifs suppose la fixation d’un certain nombre de normes. Il faut que ça change : tel est le rôle que nous assignons à la loi.
Sans cela, il est inutile de légiférer sur ce genre de sujets. En l’espèce, il s’agit tout de même du paysage de la France, de l’image que nous renvoyons, de ce que voient nos concitoyens tous les jours. L’enjeu n’est pas mince : le législateur se doit d’être insistant et de fixer des règles, faute de quoi, tout le monde le sait, c’est l’anarchie, c’est la loi de la marchandise qui s’impose dans l'ensemble de l’espace concerné.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de la discussion générale, la commission est naturellement défavorable au sous-amendement n° 4, qui est, d’abord et avant tout, totalement inopérant
Monsieur Sueur, manifestement, il vous a échappé que, depuis quelque temps, le statut des routes de notre pays avait évolué et que la plupart des entrées de villes étaient traversées non plus par des routes nationales, mais par des routes départementales. Au vu des propositions que vous formulez, le moins que l’on puisse dire est que votre réflexion date. Sur ce genre de sujets, mieux vaut tout de même s’efforcer de suivre les évolutions en cours dans notre pays.
Par conséquent, pourquoi adopter un sous-amendement qui serait totalement inopérant ?
Ce qui nous sépare, c’est que vous ne faites pas confiance aux élus locaux. Vous préférez les contraindre.
Nous, nous ne souhaitons pas contraindre les élus, imposer à tous les mêmes dispositions sur l’ensemble du territoire national. Vous nous proposez d’ajouter de l’uniformité à l’uniformité ! Nous voulons, à l’inverse, de la diversité dans ces entrées de villes aujourd'hui si uniformes.
Je rappellerai aussi que, conformément à la Constitution, tout transfert de charge aux communes impose de transférer des moyens équivalents, ce qui semble vous avoir échappé. Donc, du point de vue constitutionnel aussi, le dispositif que vous proposez présente une véritable fragilité.
Sur le fond, la commission adhère à l’objectif qui est de donner aux communes les moyens d’aménager les routes situées dans les entrées de ville. Mais n’oublions pas que les communes ont déjà la possibilité de le faire en passant une convention soit avec l’État soit avec le département, et je ne vois pas pourquoi on imposerait ce transfert aux communes si elles ne le souhaitent pas. En effet, toutes les entrées de ville ne se prêtent pas nécessairement à une modification de la voirie qui les traverse.
La commission est donc défavorable à ce sous-amendement n° 4, qui ne fait que consacrer la différence qui nous oppose en termes d’urbanisme. Nous sommes pour un urbanisme de projet, vous êtes pour un urbanisme très réglementé, complètement enserré, sans souplesse, qui ne vise qu’à rajouter de l’uniformité.
Sourires
Je le pensais profondément sans oser le dire, mais puisque vous le reconnaissez vous-même, je ne vous contredirai pas !
Sur l’amendement n° 2 rectifié, la commission a émis un avis tout à fait favorable.
La proposition de M. Ambroise Dupont permet de renforcer les dispositifs de l’article L.111–1–4 du code de l’urbanisme, en s’appuyant sur les SCOT. M. Ambroise Dupont, qui étudie ce problème depuis très longtemps et suit les évolutions de la législation pratiquement au jour le jour, a, lui, complètement intégré le fait que beaucoup de routes nationales étaient devenues départementales, que certaines entrées de ville n’étaient pas traversées par des voies à grande circulation et que c’étaient donc les élus, parce qu’ils vivent au quotidien la réalité de leurs entrées de ville, qui étaient le mieux à même, à travers le SCOT, de déterminer quelles voies doivent être prises en compte.
Je suis très satisfait de ce débat parce qu’il redonne de l’actualité à une réflexion qui est engagée depuis longtemps.
Monsieur Sueur, j’ai pour principe de faire confiance aux élus. C’est que nous avons déjà fait dans le cadre de la loi réglementant la publicité extérieure et les enseignes. Aucun élu n’a envie de voir son territoire massacré lorsqu’il fait appel à des professionnels, et il y en a d’excellents. L’administration a maintenant intégré le fait qu’il s’agissait non pas d’un règlement mais d’une « obligation à réfléchir » et que celle-ci nous aiderait à obtenir le résultat que nous cherchons.
Vous considérez que l’amendement n° 2 est insuffisant ; je ne suis pas d’accord avec vous, car j’ai des exemples qui prouvent que ce système produit des effets tout à fait positifs.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage l’avis la commission, exprimé par le rapporteur avec la nuance qui le caractérise
Sourires
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 4.
M. Jean-Pierre Sueur. Je remercie M. le secrétaire d’État d’insister sur le sens de la nuance qui caractérise les propos de notre rapporteur.
Nouveaux sourires
Si fixer des règles en matière d’urbanisme dans une loi, c’est être uniformisateur, normalisateur, contraignant, …
…alors, franchement, autant abroger toutes les lois sur les SCOT, les PLU, etc. Le code de l’urbanisme, mes chers collègues, est le résultat de beaucoup de lois qui s’imposent aux élus et personne ne dit, monsieur le secrétaire d'État, qu’il s’agit d’atteintes à la liberté. Dans une République, la loi est au contraire, souvent, le moyen de la liberté.
Il est tout à fait vrai, monsieur Dupont, que des exemples sont là pour témoigner d’une certaine évolution. Malheureusement, le plus souvent, ce n’est pas le cas, et j’en parle, moi aussi, en connaissance de cause. J’ai eu l’occasion de faire beaucoup d’efforts en certains endroits pour faire évoluer les choses, je sais combien c’est difficile et c’est pourquoi je fais le pari que, sans volontarisme, nous n’y arriverons pas.
Sur la question des routes, je veux relever un point qui est essentiel dans cet article 2 et dont il n’a pas été question : c’est la notion de voies urbaines. Dans les entrées de ville, comme d’ailleurs dans un certain nombre de villes, on a affaire à de vraies autoroutes, à des voies express traumatisantes, dangereuses même pour les gens qui font leurs courses.
Je revendique notre position qui est de transformer ces voies en avenues. Tout le monde sait ce qu’est une avenue.
Une avenue, cela ne veut pas dire grand-chose !
On peut se promener dans une avenue, on peut la traverser.
Il reste donc beaucoup à faire, et, si nous proposons une loi, c’est parce que nous pensons que, sans loi, on n’avancera pas comme il faut sur ce sujet.
Le sous-amendement n'est pas adopté.
L'amendement est adopté.
Après la troisième phrase du deuxième alinéa de l’article 28 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs, sont insérées deux phrases ainsi rédigées :
« Il comporte une annexe définissant des conditions d’amélioration de la desserte par les transports en commun des entrées de villes. Cette annexe mentionne les mesures d’aménagement et d’exploitation à mettre en œuvre afin de rendre accessibles par les transports en commun les équipements construits ou reconstruits dans ces zones. »
Je voulais simplement rappeler à la Haute Assemblée que la commission souhaite le rejet de l’article 3.
L'article 3 n’est pas adopté.
Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
Permettez-moi d’évoquer une fois de plus Faust, le célèbre opéra de Gounod dans lequel un chœur entonne « Marchons, marchons ! », alors que tous les figurants restent sur place.
Sourires
Notre philosophie, qui n’est peut-être pas la vôtre, consiste à dire que, face aux traumatismes, au désastre que nous constatons depuis cinq décennies dans ce pays, il faut véritablement faire preuve de volontarisme, faute de quoi nous n’y arriverons pas.
Tout à l’heure, monsieur le rapporteur, vous avez évoqué Jean-Paul Charié, qui était un ami personnel bien que nous ne partagions pas les mêmes convictions politiques. J’avais eu l’occasion de parler avec lui de la loi de modernisation de l’économie. Or celle-ci a malheureusement encore accru les capacités d’extension des grandes surfaces, dans l’anarchie la plus complète.
Bien sûr, nous ne voterons pas contre le texte issu de nos travaux. Pourquoi ?
D’abord, monsieur le rapporteur, pour ce qui est des principes, vous avez proposé que notre assemblée adopte l’article qui les consacre. Cela est donc positif.
Par ailleurs, comme je l’ai souligné dans l’objet de mes sous-amendements, les deux adjonctions proposées par les deux commissions vont dans le bon sens.
Nous nous abstiendrons donc lors du vote sur ce texte, car, même si nous voulons marquer l’avancée qu’il représente, il faut, à notre avis, des moyens législatifs autrement plus forts pour être efficaces.
Ce débat, comme l’a dit M. Ambroise Dupont, aura permis de braquer à nouveau les projecteurs sur le sujet. Nous n’avons pas fini d’en parler et j’espère surtout que nous trouverons les moyens d’agir parce qu’il y va de l’intérêt de notre pays, et je veux croire que nous en sommes tous conscients.
J’ai retiré mon amendement quand j’ai compris que l’on pouvait questionner, informer les élus locaux et négocier avec eux quand une difficulté se présentait. Comme je l’ai dit à notre collègue Jean-Pierre Sueur, je considère que la loi doit être le dernier rempart quand il n’y a plus d’accord possible.
Je ne voudrais pas que nous légiférions sur tous les sujets qui sont de la responsabilité des élus locaux. Après tout, c’est à eux de savoir s’ils ont envie de se battre ou s’ils préfèrent se retrancher derrière une réglementation, de se mettre en quelque sorte à l’abri des courants d’air !
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
La proposition de loi est adoptée.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 14 décembre 2009 à quatorze heures trente et le soir :
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ratifiant l’ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés (n° 48, 2009-2010).
Rapport de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (n° 115, 2009-2010).
Texte de la commission (n° 116, 2009-2010).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.