Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 10 décembre 2009 à 15h00
Concentration dans le secteur des médias — Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’étonne du rejet pur et simple de notre proposition de loi prôné par le rapporteur, Michel Thiollière. Évacuer ainsi le débat sur un sujet aussi important pour le fonctionnement de notre démocratie est un peu rapide !

M. le rapporteur a fondé le rejet de ce texte sur deux arguments : d’une part, l’indépendance éditoriale, qui serait l’affaire des journalistes et des rédactions ; d’autre part, la non-conformité au droit communautaire d’une incompatibilité générale entre le secteur des médias et celui des marchés publics.

Sur le premier point, vous vous appuyez sur la non-demande d’intervention du législateur dans les propositions des états généraux de la presse. Je ne reviendrai pas sur les conditions d’organisation et de tenue de ces états généraux ni sur leur représentativité.

Mais c’est faire bien peu de cas de la mobilisation, depuis 2007, de la profession journalistique pour une loi favorisant l’indépendance des rédactions. Les sociétés de journalistes de vingt-sept médias ont ainsi interpelé le Président de la République en ce sens.

Plus récemment, le 5 novembre dernier, les syndicats de journalistes, dans une lettre ouverte à M. Nicolas Sarkozy, lui ont notamment demandé « d’accéder à leur demande d’une réforme législative qui viserait à reconnaître enfin l’indépendance juridique des équipes rédactionnelles quelles que soient la forme de presse et la taille de l’entreprise médiatique ».

Pourquoi demander une loi ? Parce que les efforts des journalistes pour intégrer à leur convention collective une charte déontologique sont restés sans effet, du fait même du refus des éditeurs. Parce que le code de déontologie qui vient d’être rendu public, en ne s’imposant qu’aux seuls journalistes sans engager l'ensemble des maillons de la chaîne éditoriale et de la hiérarchie rédactionnelle, n’aura aucun effet.

Écoutons les journalistes lorsqu’ils affirment : « Oui, les journalistes ont le devoir d’informer. Mais, pour ce faire, il faudrait leur reconnaître des droits et des conditions de travail compatibles avec un vrai travail d’investigation et de vérification. Une information de qualité se doit d’être libérée du poids des actionnaires, des fonds de pension, des publicitaires et des politiques. Qu’attend la France pour reconnaître par la loi l’indépendance des rédactions face aux groupes industriels qui contrôlent notre profession ? »

En tant que parlementaires, nous devrions tous nous sentir interpellés. M. le rapporteur ne peut se contenter de recommander à la Haute Assemblée de renvoyer les journalistes à un rapport de force avec leur rédaction, le propriétaire de leur média ou ses actionnaires. Tel ne peut pas être le message du Sénat à l’audiovisuel et à la presse !

Voilà pourquoi un rejet pur et simple de notre proposition de loi est un non-sens. La Haute Assemblée n’a-t-elle aucune proposition à formuler pour garantir l’indépendance de nos médias, de surcroît dans une période où l’interpénétration entre pouvoir politique, économique et médiatique ressurgit avec une acuité nouvelle, et où même la liberté d’expression de nos écrivains semble remise en cause ?

Concernant l’argument juridique, la commission se fonde sur un récent arrêt de la Cour de justice des communautés européennes portant sur une disposition législative grecque qui empêche la participation à un marché public de tout entrepreneur impliqué, directement ou par intermédiaires, dans les médias d’information. Cette décision appelle deux observations.

Premièrement, notre proposition de loi est construite sur un modèle inverse. Nous n’interdisons absolument pas de participer à des marchés publics, nous souhaitons, au contraire, interdire à toute personne détenant plus de 1 % du capital d’une entreprise privée vivant de la commande publique de se voir attribuer une autorisation d’édition d’un service de télévision ou de radio, ou de procéder à l’acquisition, à la prise de contrôle ou à la prise en location-gérance d’un titre de presse.

Deuxièmement, M. Thiollière le précise lui-même dans son rapport : « Dans le dispositif proposé, ces sociétés garderaient les autorisations dont elles ont déjà bénéficié, mais elles ne pourraient pas, par exemple, disposer d’une nouvelle autorisation pour un service de télévision mobile personnelle. » Nous ne nous situons donc pas dans le cadre d’une interdiction générale.

La législation grecque a été jugée disproportionnée au regard de l’objectif recherché, à savoir la garantie du respect du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires et de transparence des marchés publics. Pour notre part, nous entendons défendre un principe de valeur constitutionnelle, celui du pluralisme des courants d’expression : cela implique que les téléspectateurs, les auditeurs et les lecteurs soient à même d’exercer leur libre choix, sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions.

Dans ces conditions, dans la mesure où le dispositif proposé vise un objectif tout autre, rien ne permet d’affirmer a priori qu’il serait jugé comme disproportionné.

Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aimerais insister sur un point : en opposant une fin de non-recevoir à notre texte, le Sénat signifierait que l’indépendance des médias est un non-sujet. Il me semble particulièrement dommageable que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication adresse un tel signal à ceux de plus en plus nombreux qui, dans le contexte actuel, doutent légitimement de l’indépendance de nos médias.

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