Intervention de Marie-Christine Blandin

Réunion du 10 décembre 2009 à 15h00
Concentration dans le secteur des médias — Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons touché juste, si j’en crois la dureté inhabituelle des mots de M. le rapporteur et le lyrisme hostile de M. le ministre, évoquant, pêle-mêle, un « procès d’intention », une « doctrine autoritaire », le « pavé de l’ours » ou la « démagogie ».

Pour couper démocratiquement le lien entre l’État et l’information, il avait été fait le choix – contestable – de la privatisation et du financement par de grands groupes industriels, sans prendre la précaution d’éviter les intérêts liés.

M. Thiollière a, dans sa réponse, fait l’amalgame entre le financement public, qui rend libre, et la dépendance de la commande publique, qui peut rendre obligé. Cela n’a rien à voir !

Désormais, ce n’est plus le savoir-faire, le métier qui comptent, c’est le capital.

Les vendeurs d’eau, d’armes, d’avions ou de bétons contrôlent des canaux audiovisuels ou des titres de presse. En contrôlent-ils les contenus ? Le rapporteur a estimé le débat « opportun » mais la « confiance » lui suffit. Pourtant, la confiance dans la mise en concurrence a bien été trahie par le nivellement par le bas des programmes, l’uniformisation de l’information dissimulée par la variété des titres.

Nous avons confiance dans la déontologie des journalistes, mais les conditions qui leur sont faites les mettent sous tension quand ils font preuve d’indépendance, ou même formulent des critiques ou des doutes quant aux choix du pouvoir. Ils sont vulnérabilisés. Faut-il vous rappeler le licenciement d’un cadre de TF1 ayant eu l’audace d’émettre des doutes auprès de sa députée UMP sur la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi HADOPI ?

Le code de déontologie que vous avez évoqué, monsieur le ministre, ne met pas en avant la responsabilité des éditeurs, et passe sous silence les conditions de travail et les pressions qui en découlent. Même en oubliant certaines proximités familiales et amicales avec le chef de l’État, nous ne pouvons faire nôtre la confiance que vous prônez avec les grands groupes.

Les principes de séparation des pouvoirs et des rôles sont les bases de la démocratie : la République a confiance dans ses médecins, mais elle limite leur mission à la prescription et leur interdit de vendre des médicaments. La France a confiance dans ses procureurs, mais elle est plus tranquille quand des juges d’instruction indépendants construisent le dossier.

Après les principes, il y a l’expérience. Souvenez-vous de TF1 écrivant dans son Livre blanc le brouillon de la loi sur l’audiovisuel. Souvenez-vous de Bouygues condamné à verser 42 millions d’euros pour entente de prix avec les autres opérateurs de téléphonie mobile. Souvenez-vous du rapport de la Cour des comptes, à l’été 2009, pointant les sondages d’opinion commandés par l’Élysée : la société des rédacteurs du Figaro a contesté qu’on les expurge avant publication.

Seules les règles peuvent éloigner le risque de dépendance des rédactions, les risques de comportements trop zélés ou d’autocensure.

Car elle peut venir vite, l’autocensure ! Quand les prisons de toute une nation vous sont confiées pour 48 millions d’euros par an, vous n’avez pas envie de parler de « politique répressive ». Quand de complaisants arbitrages publics sur les agrocarburants ou sur les véhicules électriques accompagnent vos 100 000 hectares de palmiers à huile ou vos batteries de deuxième génération, alors que vous possédez Direct matin, Direct soir, la chaîne Direct 8, la moitié de Metro et un tiers de 20 Minutes, nous n’y lisons pas que le Grenelle a été en partie trahi. Quand Le Figaro vante le Rafale comme étant « le meilleur avion du monde », ou qu’il insiste sur le futur contrat « historique », on cherche presque au bas de la page le bon de commande !

La fragilité financière de la presse écrite, la baisse des recettes bouleversent le paysage et appellent à rénover la loi anti-concentration de 1986. La position d’industriel-communicant obligé n’est pas déontologique. TF1 contrôlée par Bouygues, Lagardère – Europe 1, Paris Match – actionnaire d’EADS mais aussi administrateur de LVMH – La Tribune –, propriété du groupe Arnault, lui-même actionnaire de Bouygues : plus que de la concentration, c’est un carambolage !

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