Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, est-il anachronique, comme vient de le dire à l’instant notre collègue Marie-Christine Blandin, de lutter contre la concentration des médias en défendant la démocratie ?
Personne ne songerait à s’insurger contre ce principe, mais quand il s’agit de le mettre en application, ce sujet semble véritablement poser problème, y compris au sein de notre assemblée.
Pourtant, à l’issue des états généraux de la presse, Nicolas Sarkozy avait, en janvier dernier, annoncé une batterie de mesures destinées à soutenir un secteur qu’il invitait alors fermement « à se réformer, tant dans ses contenus éditoriaux que dans ses méthodes de gestion ».
L’objectif, il est vrai, était séduisant sur le principe, les moyens d’y parvenir un peu plus douteux, surtout si l’on se fonde sur les trente-quatre recommandations formulées dans son rapport par la secrétaire nationale de l’UMP, Mme Giazzi. Dans ce rapport, remis le 11 septembre 2008 à Nicolas Sarkozy, elle prônait notamment une libéralisation tous azimuts du paysage médiatique avec, au passage – ce n’est pas le moindre des détails –, l’ouverture du capital de l’Agence France-Presse pour en faire une société anonyme et l’assouplissement des « verrous » anti-concentrations… Cela laisse pantois !
On connaît par ailleurs les rapports que le Président de la République entretient avec la presse, rapports qui allient alternativement la stigmatisation, l’intimidation et un mélange de complicité séductrice : jugements péremptoires, parfois méprisants sur les programmes de la télévision publique, attaques frontales contre le directeur d’un quotidien lors d’une conférence de presse, intervention auprès de l’actionnaire d’un hebdomadaire entraînant de facto le départ du patron de la rédaction…
À n’en pas douter, Nicolas Sarkozy veut que la presse se réforme. Le seul problème, c’est qu’il aimerait bien la réformer lui-même, à son idée et peut-être même à son bénéfice personnel, ou en tout cas au bénéfice de ses amis, propriétaires – on le sait – d’une grande partie des médias de notre pays.
C’est pourquoi nous défendons aujourd’hui cette proposition de loi qui vise à réguler la concentration dans le secteur des médias.
Si le Président de la République, en l’espèce, joue de son influence directe, de nombreuses entreprises d’édition, de presse écrite ou de télévision à forte audience sont économiquement contrôlées par des groupes financiers ou des industriels privés, non seulement proches du pouvoir mais également dépendants des commandes publiques.
Ces relations font naître des doutes sur le degré réel de liberté et d’indépendance des titres de presse ou des chaînes de radio ou de télévision concernés, d’autant que ces groupes sont eux-mêmes liés entre eux.
Je rappelle à mon tour que Lagardère détient une participation de 10 % dans la société européenne EADS, dont il a été l’un des cofondateurs.
Aussi avons-nous proposé de fixer des règles anti-concentration qui seraient de nature à garantir l’effectivité des principes de liberté, de pluralisme et d’indépendance des médias.
Cette proposition n’est pas sortie de nulle part. Elle vient optimiser l’existant et contrecarrer les velléités actuelles de ceux – ils sont nombreux – qui rêvent de médias « à la Murdoch ».
La volonté du Président de la République de voir émerger du « Grenelle » de la presse de grands groupes de médias français, de taille européenne, susceptibles de concurrencer les Anglo-Saxons est du reste révélatrice.
Bien au contraire, si l’on veut sauvegarder le pluralisme de l’information, il est capital de renforcer les dispositifs anti-concentration.
C’est avec les citoyens de ce pays, avec tous ceux qui entendent défendre la liberté de l’information et la démocratie, qu’au-delà des clivages politiques et syndicaux, le Syndicat national des journalistes avait appelé à la résistance contre les effets dévastateurs de la concentration dans les médias.
Contre-pouvoirs nécessaires, bien réels, les médias doivent exercer leur mission en toute indépendance, et il nous faut éviter ce que l’on pourrait appeler « les liaisons dangereuses ».
Mais le Président de la République, encore lui, n’aime pas les contre-pouvoirs, et les exemples sont nombreux. Voilà quelques semaines, monsieur le ministre, avant que vous soyez nommé, le Président de la République s’était donné les moyens de nommer lui-même le président de France Télévisions, ce qui est profondément révélateur.
Je l’ai déjà dit, nous assistons malheureusement à une grave dérive du quinquennat. En France, on a beaucoup stigmatisé le système clanique mis en place par Silvio Berlusconi pour contrôler l’opinion grâce à un dispositif qui est en passe de contaminer notre pays. Aussi est-il fondamental de sauvegarder l’indépendance des médias et, à cette fin, il nous faut contrecarrer leur financiarisation.
Cette proposition de loi a pour objet, comme l’a rappelé mon collègue David Assouline, d’interdire le cumul – avéré en France – de l’activité d’éditeur dans les médias avec celle d’entrepreneur agissant dans le cadre de la commande publique. Cela permettrait d’éviter les conflits d’intérêt entre ces deux types d’activités et, en même temps, de garantir le respect des principes de liberté, de pluralisme et d’indépendance des médias.
Oui, l’information est multifacettes mais internet, s’il constitue une nouvelle voie d’expression, ne saurait apporter, à lui seul, la solution à tout. C’est la raison pour laquelle j’invite notre assemblée à voter cette proposition de loi.