Intervention de Richard Yung

Réunion du 10 décembre 2009 à 15h00
Droits syndicaux en europe — Rejet d'une proposition de résolution européenne

Photo de Richard YungRichard Yung :

Ces craintes ont été relancées par la jurisprudence récente de la CJCE. Dans trois arrêts – Viking, Laval, Rüffert –, la Cour a reconnu le droit de mener une action collective comme un droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire. Ce faisant, la Cour a anticipé l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, lequel rend juridiquement contraignante la Charte des droits fondamentaux, qui fait partie intégrante du traité, et reconnaît l’importance du dialogue social et de la négociation collective.

Mais, dans le même temps, la Cour a aussi limité la définition des règles impératives de protection minimale fixées par la directive, en rappelant que les travailleurs détachés sont soumis aux normes sociales minimales, légales ou contractuelles, « d’application générale » du lieu de travail et non à l’ensemble des accords collectifs.

Ce faisant, elle a placé les grandes libertés économiques que sont la liberté d’établissement et la libre prestation de services au-dessus des droits sociaux. Elle a, en particulier, soumis l’exercice du droit à l’action collective à un contrôle de proportionnalité, selon l’expression employée dans le jargon communautaire, ce qui revient en fait à le limiter.

Je citerai l’exemple de l’arrêt Viking, une société finnoise qui a décidé de faire passer son navire sous pavillon letton, imposant à ses braves marins, qui affrontent avec courage la mer Baltique, des contrats, des salaires et des conditions de travail lettons. Les marins se sont mis en grève, ont organisé un blocus, bref se sont défendus. La CJCE a estimé que les travailleurs pouvaient certes appliquer le principe général du droit de grève pour défendre leurs intérêts, mais que, en l’occurrence, ils avaient limité la liberté d’établissement et de prestation de services de l’entreprise en question. En application du principe de proportionnalité, elle a donc déclaré leur action illégale. Si ce n’est pas une remise en cause d’un droit fondamental, je me demande bien ce que c’est !

La CJCE laisse entendre que la directive a prévu une harmonisation maximale, les salariés détachés ne pouvant pas obtenir plus que les minima légaux. En d’autres termes, elle donne du grain à moudre à ceux qui remettent en cause la coordination des politiques sociales au niveau communautaire.

Cette jurisprudence a mis en exergue les difficultés liées à l’application de la directive, notamment dans les pays ayant recours à des conventions collectives non nationales. En Europe du Nord et en Allemagne, les conventions collectives ou les accords sont signés, selon une tradition ancienne, par branche professionnelle, donc verticalement, et par Land ou par région, c’est-à-dire horizontalement. Il est vrai que nous sommes loin du modèle de la convention collective qui s’applique à tous, comme dans notre belle République unitaire.

La position de la CJCE, qu’il faudrait creuser, est la suivante : soit la convention collective est d’application nationale, et elle considère qu’il n’y a pas de problème ; soit elle est d’application verticale ou horizontale, donc limitée, et la Cour considère alors qu’il n’y a pas de convention collective.

Il me semble que, derrière cette jurisprudence quelque peu provocante, la CJCE cherche à « renvoyer la balle » au législateur européen. Elle estime que le travail n’a pas été achevé. Les lacunes observées dans la législation laissant des possibilités de s’y soustraire, elle voudrait donc que le législateur la complète pour ne pas être obligée de l’interpréter.

La Commission européenne a, elle aussi, mis en évidence les difficultés liées à la mise en œuvre de la directive. Le 13 juin 2007, il y a donc plus de deux ans, elle a souligné que les principaux problèmes résidaient dans le manque d’information des travailleurs détachés sur leurs droits, dans la faiblesse des contrôles qui diffèrent d’un État à un autre et, partant, dans la difficulté générale d’imposer des sanctions pourtant prévues dans la directive.

En conséquence, la Commission a appelé les États membres à améliorer leur coopération en la matière, mais cela est resté pour l’instant un vœu pieux. Si un cadre juridique n’est pas développé au niveau communautaire, les États continueront ainsi. Nous connaissons la faiblesse des effectifs de l’inspection du travail en France : je n’ai pas le chiffre en tête, mais il est en tout cas insuffisant. Vous comprendrez que le suivi et le contrôle des contrats de travailleurs détachés ne soient pas sa priorité.

En dépit de ce constat, rien n’a été fait ces dernières années pour clarifier et préciser la directive ni par la Commission, ni par le Conseil, ni même par le Parlement européen. Et pourtant nombreux sont ceux qui reconnaissent que cela est nécessaire.

Lors de son audition devant le Parlement européen en septembre dernier, M. Barroso n’a pas proposé de révision de la directive, mais il a suggéré d’adopter un règlement d’application qui préciserait son interprétation.

Cette solution nous a laissés quelque peu perplexes. Qu’apportera de plus un tel outil juridique, que nous ne connaissons pas, par rapport à une modification de la directive ? À notre avis, rien !

À l’instar du Parlement européen et de la Confédération européenne des syndicats, nous pensons que la résolution des problèmes que je viens d’indiquer passe par une révision de la directive de 1996 ou, le cas échéant, si cet outil est plus facile à manipuler, par l’adoption d’un règlement communautaire.

Dans sa résolution sur les défis pour les conventions collectives dans l’Union européenne du 22 octobre 2008, le Parlement européen demande lui-même une révision de la directive afin que « l’équilibre entre les droits fondamentaux et les libertés économiques soit réaffirmé dans le droit primaire pour contribuer à prévenir un nivellement par le bas des normes sociales ». Cette position a été soutenue par le groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen ainsi que par le parti socialiste européen.

Nous pensons donc qu’il est nécessaire d’apporter une réponse politique afin de ne pas laisser un tel sujet à la seule appréciation des juges au cas par cas.

Concrètement, nous proposons d’introduire dans la directive une délimitation temporelle dans la définition du travailleur détaché – celle donnée par le règlement communautaire de 1971 ne nous paraissant pas suffisamment claire –, de garantir une information correcte des salariés sur les droits dont ils disposent lorsqu’ils sont détachés dans un autre État membre et de renforcer les contrôles ainsi que les moyens de sanction en cas de non-respect des dispositions de la directive. Comme chacun peut le constater, le dispositif que nous proposons est somme toute assez modeste.

L’adoption d’un texte plus protecteur pour les salariés est non seulement souhaitable, mais également possible. La coordination des politiques sociales à l’échelon communautaire est certes difficile, mais les pays d’Europe centrale ont beaucoup évolué sur cette question. Traditionnellement hostiles ou réservés, ils sont maintenant eux-mêmes victimes de dumping social de la part d’autres pays des Balkans. Les Bulgares, par exemple, prennent le travail des Hongrois. Ainsi va l’histoire.

Outre la révision la directive concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, nous proposons d’introduire dans les traités une clause de progrès social affirmant la primauté des droits sociaux fondamentaux sur les libertés fondamentales du marché intérieur. Nous reprenons là ni plus ni moins la clause Monti, du nom du fameux commissaire européen responsable du secteur « marché intérieur », qui était pourtant un libéral.

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