… cette Europe, disais-je, dont nous redoutions le risque qu’elle conduise à un abaissement des exigences sociales et à un nivellement par le bas des droits des citoyennes et citoyens de l’Union européenne. Non, cette Europe-là, nous ne la cautionnons pas et ne la cautionnerons jamais.
Nous pensons que les risques sociaux contenus aujourd’hui dans l’Union européenne vont bien au-delà des craintes que suscitent les jurisprudences récentes de la Cour de justice des communautés européennes, la CJCE.
Ces jurisprudences ne sont que le révélateur d’une construction européenne qui prétend concilier développement économique et promotion des droits sociaux mais qui, en dernière analyse, a sciemment décidé de faire primer le premier sur la seconde.
Cependant, une fois rappelée notre volonté de construire une Europe des peuples, une Europe solidaire et fraternelle, plutôt que de nous abstenir, nous avons décidé de soutenir ce texte et de saisir cette occasion pour tenter de changer ce qui peut l’être. Nous ferons donc des propositions pour renforcer encore les exigences de ce texte quant aux droits à l’action collective des travailleurs, même si nous sommes bien conscients que notre marge de manœuvre est pour le moins réduite.
Ainsi, dans quatre arrêts qui illustrent cette question, et je vous proposerai dans un instant un amendement qui ajoute ce quatrième arrêt dans la résolution, les droits du marché ont-ils primé sur les droits des salariés à exercer une action collective.
Aujourd’hui, si le droit de mener une action collective est considéré par la CJCE comme « un droit fondamental », son exercice est soumis à des restrictions qui l’obligent à s’effacer devant un autre principe jugé plus fondamental encore, celui du libre exercice des prestations de service. Notre collègue Richard Yung a d’ailleurs mentionné tout à l’heure le cas de ces marins finlandais à qui on voulait imposer le droit letton, et dont le mouvement de grève a été déclaré illicite.
L’adoption de la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services a certes présenté un progrès par rapport à la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, qui aboutissait souvent à appliquer au contrat de travail la loi du lieu de résidence habituelle du travailleur détaché, c’est-à-dire la loi la « moins-disante », avec tous les risques de violation des droits des travailleurs et de dumping social que cela pouvait comporter.
La directive de décembre 1996 impose au contraire le droit du travail du pays d’accueil pour les travailleurs détachés. Ainsi, elle donne corps au vieil adage selon lequel « À Rome, il faut vivre comme les Romains ! ».
Cependant, l’interprétation faite par la CJCE de l’article 49 du traité instituant la Communauté européenne fait que cette directive se retrouve aujourd’hui presque entièrement vidée de sa substance.
Le noyau dur de règles impératives qu’elle contient se réduit et toutes les actions que les salariés mettent en place pour en faire assurer le respect sont condamnées comme étant contraires au principe de libre exercice des prestations de service.
Aujourd’hui, malgré toutes les déclarations d’intention des textes fondateurs, les droits économiques priment sur les droits sociaux. Il faut d’urgence changer le curseur de place. Si un juste équilibre de ces intérêts peut être atteint, nous l’appelons de nos vœux. Mais s’il doit y avoir hiérarchie des normes, nous pensons que celle-ci doit se faire en faveur des salariés.
Pour conclure, après avoir rappelé notre souhait de construire une Europe des peuples et notre entente sur les constats formulés, nous vous proposerons de compléter cette résolution par l’inscription d’une série de droits pour les salariés qui s’articuleront autour de trois axes.
Tout d’abord, nous souhaitons améliorer l’information dont vont pouvoir disposer les travailleurs détachés au sein de l’Union.
Nous souhaitons ensuite développer la coordination entre les administrations des États membres et renforcer l’effectivité des sanctions qui pourront être prononcées en cas de violation des obligations découlant de textes communautaires.
Enfin, devant la remise en question du droit à l’action collective - et notamment du droit de grève -, nous proposerons également que celui-ci soit intégré dans le noyau dur des droits que tout État doit accorder à un salarié détaché.
Certes, nous avons bien conscience qu’au sein des 27 États membres, ces droits n’ont pas le même contenu et n’offrent pas le même niveau de protection juridique. Cependant, et c’est là l’objectif de la construction européenne, nous estimons qu’il faut tendre à améliorer les conditions de vie et de travail de chacune et chacun de nos concitoyens européens et mettre en œuvre, en quelque sorte, l’Europe du mieux-disant social !