Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne soumise au débat de notre assemblée s’inscrit dans notre volonté de conjuguer la lutte contre le dumping social et la promotion de l’harmonisation sociale entre les pays de l’Union.
Sa discussion intervient deux semaines après la présentation de la Commission Barroso II, qui prépare actuellement son programme législatif.
C’est dans ce contexte que nous avons souhaité, par le dépôt de cette proposition de résolution, aborder les problématiques relatives aux droits des travailleurs détachés, dont on évalue le nombre à un million, notamment dans le domaine du bâtiment et des travaux publics.
La directive sur le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, adoptée en 1996, est aujourd’hui remise en cause par plusieurs arrêts de la CJCE. Notre résolution en propose la révision, afin que les objectifs qui lui étaient initialement assignés soient réaffirmés et respectés.
La directive sur le détachement des travailleurs établit un ensemble de règles minimum obligatoires qui doivent s’appliquer aux travailleurs détachés dans le pays d’accueil : durée maximale du travail, salaire minimum, conditions de mise à disposition des travailleurs. Elle consacre, par l’instauration d’un noyau dur de règles, un principe d’égalité de traitement entre travailleurs sur un même lieu, quels que soient leur statut et l’État d’établissement de l’entreprise.
Elle affirme clairement un objectif : la lutte contre le dumping social.
La directive se trouve confrontée à des obstacles dans sa mise en œuvre. Elle pâtit du défaut d’information des travailleurs détachés sur leurs droits et de l’insuffisance des contrôles, rendant plus difficile l’emploi des sanctions pourtant prévues par la directive en cas de manquement au respect des règles minimum obligatoires.
Soucieux de lever ces difficultés, les États ont considéré que la meilleure voie à suivre était sans doute la recherche d’une meilleure coopération administrative entre les États. Au regard des développements récents, on peut douter que ceux-ci y soient véritablement incités.
Par trois arrêts récents, la CJCE opère une forte remise en cause de la directive : de son objet, de son contenu et de son champ d’application.
Ces trois arrêts subordonnent l’exercice du droit de grève à la liberté d’établissement s’agissant de l’arrêt « Viking », à la négociation collective s’agissant de l’arrêt « Laval », et à l’existence d’un salaire minimum pour l’arrêt « Rüffert ».
Ils opèrent tous les trois, par une interprétation très restrictive de la directive, une hiérarchie entre, d’une part, la libre prestation des services et, d’autre part, les droits sociaux, notamment les droits à l’action collective.
La CJCE, par ces arrêts, oppose des droits que la directive s’attache à concilier. De fait, c’est l’objectif d’égalité de traitement entre travailleurs et, par conséquent, l’esprit même de la directive qui sont contredits.
L’objet de la directive est de garantir aux travailleurs détachés un niveau de protection minimale en termes de rémunération et de conditions de travail. Le législateur européen n’a pas souhaité faire de cette directive un outil contribuant principalement à faciliter la prestation transnationale de service.
Constatant que la volonté du législateur a été contredite par ces arrêts, il importe de la réaffirmer.
Il y a urgence à préciser le champ d’application de la directive, devenu incertain : est-ce une directive d’harmonisation minimale laissant les États libres de hausser par la loi et les conventions collectives le niveau de protection des salariés, ou est-ce une directive dont le noyau dur serait un plafond, préfigurant un nivellement par le bas ?
La CJCE remet en question les systèmes de conventions collectives négociées entreprise par entreprise, car celles-ci ne définiraient pas un droit « d’application générale » ainsi que l’exige le paragraphe 8 de l’article 3 de la directive. De fait, ce qui est mis en cause, c’est le modèle scandinave d’autorégulation et de négociation sociale qui s’est construit sur des syndicats forts.
Des clarifications paraissent nécessaires. Elles témoigneraient de la volonté de mettre un terme aux incertitudes nées des arrêts de la CJCE. Celles-ci appellent une révision de la directive, seule à même de soustraire les droits des travailleurs détachés aux aléas de la jurisprudence et de garantir une sécurité juridique suffisante.
Ce n’est pas la Cour qui est défaillante, c’est la législation.
Je me réjouis qu’en commission des affaires européennes nous soyons parvenus à une analyse partagée sur la réalité des remises en cause de la directive et leurs conséquences sur son effectivité.
Néanmoins, certains continuent à s’opposer à sa révision. Je souhaiterais répondre aux principales objections formulées.
D’abord, on prétend que les remises en cause opérées par la jurisprudence de la Cour auraient des effets limités, circonscrits aux pays nordiques. Elles restent dans tous les cas contraires au considérant 12 de la directive, qui met à égalité législation et conventions collectives de travail conclues par les partenaires sociaux. Au-delà, plusieurs développements récents invalident l’hypothèse selon laquelle ces arrêts n’auraient d’influence que sur le droit conventionnel des pays nordiques.
Au Royaume-Uni, début 2009, des grèves ont été déclenchées dans une raffinerie contre l’emploi de travailleurs portugais et italiens à des conditions de travail et de rémunération différentes de celles offertes aux ouvriers locaux. L’Allemagne connaît les mêmes phénomènes. Remettre en cause le traitement à égalité de la loi et des conventions collectives ouvre à l’évidence une brèche dans le dispositif global et cohérent porté par la directive.
Ensuite, on dit craindre que la révision de la directive ne soit pas sans risque ; certains pays pourraient profiter de celle-ci pour opérer son détricotage.
La mise en garde est légitime, mais reste floue quant à l’origine de ces attaques possibles. De qui parle-t-on ? Pas du Parlement européen qui, dans une résolution du 22 octobre 2008, a demandé que « l’équilibre entre les droits fondamentaux et les libertés économiques soit réaffirmé dans le droit primaire pour contribuer à prévenir un nivellement par le bas des normes sociales ». Il ne s’agit pas non plus de la Confédération européenne des syndicats, la CES, qui a fait savoir son soutien à une révision de la directive. Quant aux vingt-sept partis socialistes et sociaux démocrates, ou au PSE, ils portent dans leurs parlements nationaux, et au Parlement européen, une demande de révision de la directive.
S’il y a risque de détricotage dans le cadre d’une révision de la directive, il vient principalement du groupe du parti populaire européen, le groupe PPE, au Parlement européen. Je ne doute pas - je m’adresse à nos collègues de la majorité - que vous saurez conjurer ce risque et convaincre vos homologues d’opérer une révision non pas dans le sens du nivellement par le bas, mais dans celui d’une consolidation juridique.
Enfin, José Manuel Barroso aurait pris des engagements rendant caduque la révision que nous demandons dans notre proposition de résolution.
Lors de son audition par le Parlement européen, José Manuel Barroso a présenté les orientations politiques de la prochaine commission. Il a déclaré ne pas tolérer que « des droits sociaux fondamentaux, tels que le droit d’association ou le droit de grève, qui sont essentiels pour le modèle de société européen, soient menacés » et juger nécessaire de « faire en sorte que nos valeurs d’intégration, d’équité et de justice sociale soient reprises dans une nouvelle approche ».
En réalité, l’approche nouvelle prônée par José Manuel Barroso reprend la voie déjà empruntée par la précédente commission de normes interprétatives, avec les limites que nous connaissons s’agissant de leur portée juridique. Surtout, le choix d’une norme interprétative de la Commission européenne met de côté le Parlement européen et le Conseil des ministres.
À nos yeux, la révision de la directive, qui est à la fois opportune au regard du calendrier et nécessaire en termes de lutte contre le dumping social, s’impose. S’en tenir au simple rappel des normes portées par la directive témoignerait d’une volonté de freiner toute consolidation juridique. En adoptant cette résolution, notre assemblée enverrait un signal fort à la Commission au moment où celle-ci travaille à son programme législatif. Elle donnerait surtout aux travailleurs des Vingt-sept un espoir réel dans la construction de l’Europe sociale.
C’est pourquoi le groupe socialiste vous demande, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de résolution européenne.