Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de résolution européenne qui est aujourd’hui en discussion pose au fond trois questions, chacune ayant son importance.
Quelles conclusions concrètes doit-on tirer des décisions rendues par la Cour de justice des Communautés européennes dans ces affaires « Viking Line », « Laval » et « Rüffert » ? Faut-il réviser la directive 96/71/CE ? Faut-il affirmer la primauté des droits sociaux sur les autres droits au niveau communautaire ?
À chacune de ces questions, je souhaite, au nom du Gouvernement, et plus spécifiquement de Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, apporter des éléments de réponses précis, qui viendront compléter et conforter ce qui vient d’être dit par MM. Badré et Laménie.
Je ne referai pas ici une analyse juridique des décisions rendues par la Cour de justice des Communautés européennes, la CJCE, que chacun d’entre vous connaît, mais je soulignerai trois points.
Premièrement, dans les différentes décisions, la CJCE, en réalité, défend la directive 96/71/CE. Elle affirme aussi le caractère fondamental des droits sociaux. Dans l’arrêt « Viking Line », la CJCE indique que « le droit de mener une action collective, y compris le droit de grève, doit donc être reconnu en tant que droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect ».Voilà qui est clair !
Deuxièmement, sur le fond de ces affaires, la difficulté n’est pas de dessiner une je-ne-sais quelle hiérarchie des normes, mais bien de concilier l’exercice de deux libertés reconnues chacune comme fondamentales : celle de librement travailler au sein de l’Union et celle d’y faire librement grève.
À cette question, la CJCE apporte une réponse simple et constante. Elle invite le juge national à se référer au respect du double principe de nécessité, d’une part, et de proportionnalité, d’autre part. Ce double principe est classique dès lors que l’on cherche à concilier l’exercice de deux libertés, y compris dans le droit du travail interne. Je rappelle qu’il figure depuis 1992 à l’article L. 1121-1 du code du travail. Là encore, la jurisprudence de la CJCE se doit d’être comprise plutôt que critiquée.
Enfin, troisièmement, la France ne fait pas partie des États membres mis en difficulté par les jurisprudences « Laval » et « Rüffert ». Les choses doivent être clairement dites ! En France, les employeurs détachant temporairement des salariés sur le territoire national sont soumis aux dispositions légales, mais aussi aux dispositions conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d’activité.
C’est la règle posée par l’article L. 1262-4 du code du travail. Et c’est tout le bénéfice du mécanisme d’extension des conventions collectives de branche pour tous les accords de branche, que les salariés soient détachés ou non.
Venons-en à l’essentiel des motivations de cette proposition de résolution, car ce n’est pas tant la CJCE qui est en cause que la révision de la directive qui est demandée ainsi que l’ajout d’une « clause de primauté » des droits sociaux.
Je commencerai par ce dernier point.
Faut-il inscrire dans le traité une clause de primauté des droits sociaux ?
Permettez-moi, monsieur Yung, de citer votre rapport sur l’Europe sociale : « Alors qu’elle était relativement absente du traité de Rome, la dimension sociale du projet européen a peu à peu émergé […]. Elle est aujourd’hui à l’origine d’un important acquis communautaire, composé de plus de deux cents textes ».
Vous avez raison, monsieur le sénateur : la dimension sociale du projet communautaire est maintenant une évidence et un acquis.
Cet acquis vient d’être amplifié et conforté par l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Je ne vous rappellerai pas le rôle essentiel de la France et du Président de la République dans la création des conditions d’entrée en vigueur de ce traité.
Je ne vous rappellerai pas, non plus, les atermoiements du parti socialiste qui dit « oui » au traité, en tout cas pour une partie du PS, mais dit « non » à la révision constitutionnelle autorisant sa signature !