Intervention de Bernard Jomier

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 8 décembre 2020 à 16h00
Examen du rapport

Photo de Bernard JomierBernard Jomier, rapporteur :

Nous avons fait, pendant l'épidémie de covid-19, l'expérience douloureuse d'une communication gouvernementale verticale, peu lisible, parfois empêtrée dans ses contradictions. Cette illisibilité a participé à miner la confiance de nos concitoyens dans le discours scientifique censé éclairer les pouvoirs publics dans la gestion de la crise. Le Gouvernement n'est, bien sûr, pas le seul responsable de cette situation ; les désaccords publics parfois vifs au sein de la communauté scientifique ont également contribué à désorienter l'opinion publique face aux inconnues de ce nouveau virus.

Le Gouvernement revendiquait pourtant des décisions de gestion de la crise fondées sur des avis d'experts de renommée internationale. Mais la méthode employée pour mobiliser l'expertise scientifique l'a vraisemblablement desservi dans cet exercice de légitimation. Plutôt que de coordonner les agences sanitaires existantes, qui bénéficient d'une légitimité institutionnelle solide, le Gouvernement a multiplié les instances d'expertise ad hoc : le conseil scientifique, le comité analyse, recherche et expertise (CARE) et le comité vaccin covid-19 ont été mis en place en dehors de tout formalisme particulier ; les avis de ces deux dernières structures ne sont d'ailleurs même pas consultables en ligne.

Ajoutons à cela le nouveau « Monsieur vaccin », désigné la semaine dernière par le Gouvernement sans aucun cadre garantissant son autonomie et son indépendance ; sa voix viendra s'ajouter au concert d'experts déjà intervenus dans la définition de la stratégie vaccinale. La Haute Autorité de santé (HAS) a, en effet, publié plusieurs avis sur la stratégie vaccinale, de même que le conseil scientifique, le CARE et le comité vaccin covid-19 au travers d'un avis commun. Bref, on assiste à une profusion d'avis scientifiques, qui vient semer la confusion et ne permet pas de dégager une vision stratégique convaincante des pouvoirs publics, à l'heure où les anti-vaccins font entendre leur voix.

Par ailleurs, quand nous l'avons interrogé sur les moyens propres de fonctionnement des instances scientifiques qu'il a créées, le ministère de la santé s'est contenté de répondre de façon lapidaire : « Les attributions et le secrétariat [de ces structures] sont du ressort du Gouvernement. » Cette réponse est parfaitement inacceptable dans un contexte où la légitimité de la parole scientifique est mise en question.

Afin de réintroduire de la cohérence dans l'expertise scientifique et d'en renforcer la légitimité, nous vous proposons de créer une instance nationale d'expertise scientifique unifiée et indépendante qui serait activée, en cas de crise sanitaire, dès le déclenchement du stade 1 du plan Organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles (Orsan). Elle serait chargée de mobiliser et coordonner l'expertise de nos agences sanitaires et organismes de recherche.

À titre d'exemple, cette instance nationale pourra mobiliser Santé publique France, le réseau Sentinelles et l'unité de modélisation mathématique de l'institut Pasteur pour l'élaboration de scenarii d'évolution de l'épidémie. Dans la même logique pluridisciplinaire, elle pourra réunir les experts de la HAS, de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), de Santé publique France et du centre national de référence compétent pour proposer aux autorités politiques une stratégie de test.

Cette instance devra bien entendu être dotée de ses propres moyens de fonctionnement, afin de ne pas conditionner la publication de ses avis au bon vouloir de l'administration. Elle devra, par ailleurs, disposer d'un pouvoir d'auto-saisine lui permettant de se saisir de toute problématique en lien avec la crise sanitaire. Cette instance ne sera, du reste, pas limitée aux seules crises pandémiques ; elle pourra ainsi être mobilisée à l'occasion d'accidents industriels ou d'événements naturels ou climatiques nécessitant qu'un avis scientifique vienne éclairer la décision politique en toute indépendance et en toute transparence.

Dans le souci d'ouvrir l'expertise scientifique à la société civile, nous proposons également l'activation par la conférence nationale de santé (CNS) d'un comité de liaison citoyen qui assurera une remontée vers l'instance nationale d'expertise des retours d'expérience et des questionnements issus des leviers territoriaux de démocratie sanitaire que sont les conférences régionales de la santé et de l'autonomie (CRSA) et des conseils territoriaux de santé (CTS). Ainsi, ce comité de liaison participera de l'adaptation des mesures de gestion de la crise et des recommandations sanitaires aux réalités territoriales, en particulier pour les territoires ultramarins.

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