Sur l'isolement, comme l'a noté le président Alain Milon, nous n'avons sans doute pas exactement la même position, mais nous sommes d'accord sur le constat suivant : la stratégie « tester, tracer, isoler » n'a pas été mise en place. Il y a certes eu des avancées sur le plan quantitatif pendant l'été, mais il n'y a pas eu d'organisation d'ensemble ni de mise en place d'un système de traçage efficace. L'assurance maladie l'a reconnu lors de son audition, 80 % des personnes testées positives n'avaient pas été identifiées dans une chaîne de transmission. Le Premier ministre, conscient du problème, avait d'ailleurs annoncé le recrutement de plusieurs milliers de personnes pour tracer.
La manière dont on aborde la question de l'isolement est assez révélatrice de la manière dont sont traitées ces questions en France. Quand on me parle d'isolement, je pense en premier à aider ceux qui ne sont pas en capacité de s'isoler, comme cela avait été envisagé au printemps. On sait bien que l'on n'est pas touché de la même façon selon ses conditions de logement ou de revenus. On a trouvé des taux de contamination de 50 à 80 % dans certains foyers collectifs d'hébergement. Au printemps, on voulait utiliser les hôtels vides pour proposer des places d'hôtels aux malades qui ne peuvent pas s'isoler, car ils habitent à plusieurs dans de petits appartements. Ce dispositif a été abandonné, et aujourd'hui on rouvre le débat sur une question très clivante, celle de la contrainte. Pour qui ? Pour celles et ceux qui ne peuvent s'isoler du fait de leurs conditions de logement ? Mais ces personnes n'attendent qu'une chose, qu'on leur propose de pouvoir s'isoler dans de bonnes conditions ! La question de la contrainte est la dernière à se poser, car elle soulève une question de libertés publiques. Avant cela, il faudrait faire en sorte que toute la chaîne fonctionne, assurer le suivi et la quarantaine de ceux qui prennent l'avion, faire en sorte de ne pas avoir les résultats du test dix jours après, etc.
Nous estimons que la culture scientifique des Français n'est pas le principal problème. Lorsque la doctrine sur les masques a été cohérente, tout le monde a mis un masque. Dès lors que la parole est cohérente, fondée et expliquée, les Français adhèrent. À l'inverse, lorsqu'ils entendent des discours scientifiques à géométrie variable qui n'ont d'autres fins que de justifier une pénurie, ils ne sont pas crétins et ils n'adhèrent pas.
Je partage la remarque de Mme Sollogoub : les Français ont été très troublés par la crise et ils attendent simplement qu'on leur dise la vérité, y compris dans toute sa complexité, qu'on leur explique comment on en est arrivé là. Le rapport peut sembler à charge, car il dit les choses crûment, mais à aucun moment on ne dit que tout a déraillé en deux ans : on explique que l'empilement des structures ne date pas d'hier ; on est remonté dix ans en arrière pour la gestion des masques, etc. Nous avons un devoir de vérité à l'égard de nos concitoyens.
Nous n'avons pas été les meilleurs dans la gestion de la crise, mais nous n'avons pas été non plus les moins bons. Nous sommes dans la moyenne. C'est une vraie nouvelle. Beaucoup de Français ont encore la conviction que nous avons le meilleur système de santé du monde. Ce n'est pas le cas. Dresser un hit-parade des pays n'a en soi aucun intérêt, mais nous devons comprendre pourquoi d'autres ont été meilleurs que nous.
Le nombre de lits en réanimation est important pour limiter la mortalité des malades, mais ce nombre ne réduit en rien la vitesse de propagation du virus. La première des choses à faire est donc d'empêcher le virus de circuler. Il ne nous appartient pas de dire quel est le nombre de lits de réanimation nécessaire dans notre pays en temps ordinaire. Nous faisons le constat que nous avons réussi à passer de 5 000 à 10 000 lits de réanimation, mais cela n'a pas empêché une certaine forme de pénurie, car il y a eu des effets de tri. Nous ne devons pas toutefois nous focaliser uniquement sur ce point. Il est important de disposer d'un nombre suffisant de lits en réanimation pour éviter que les malades ne meurent. Cependant, l'enjeu est avant tout d'empêcher la circulation du virus : se concentrer sur les lits en réanimation, c'est, comme le confinement, la marque d'un échec ou d'une incapacité collective à freiner suffisamment le virus. Au printemps, il n'y avait probablement pas d'autre choix que le confinement ; en revanche, à l'automne, si la circulation du virus a repris dans tous les pays à climat tempéré, elle n'a pas repris avec la même intensité partout. Si la stratégie « tester, tracer, isoler » avait été réellement déployée, elle n'aurait sans doute pas empêché la reprise de l'épidémie en France, mais pas dans les mêmes proportions.