Intervention de Louis Gautier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 décembre 2020 à 15h00
Système éducatif dans les académies ultramarines — Audition de Mm. Louis Gautier président de troisième chambre de la cour des comptes et édouard geffray directeur général de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Louis Gautier, président de la troisième chambre de la Cour des comptes :

Je suis accompagné d'André Barbé, qui est le président de la section chargée du secteur éducatif, et des deux rapporteurs qui ont conduit l'enquête, Mme Sylvie Vergnet et M. Jean-Christophe Potton. Si les enquêtes de la Cour portent souvent sur des chiffres et des documents, ils ont conduit aussi des enquêtes de proximité et de terrain.

La Haute Assemblée, en 2009, s'était interrogée sur la qualité de l'enseignement dans un rapport d'information sur les départements d'outre-mer (DOM) intitulé Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l'avenir. Déjà, vous portiez un constat relativement sévère sur le système éducatif outre-mer, en montrant que la plupart des indicateurs de réussite restaient en retrait par rapport à ceux de la métropole et en pointant une insuffisante prise en compte des spécificités des DOM dans la politique éducative. Onze ans plus tard, le rapport de la Cour, hélas !, ne contredit pas ces conclusions sévères, même s'il les nuance sur certains aspects.

L'enquête de la Cour s'est concentrée sur les cinq DOM que sont la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et La Réunion. Tous disposent d'académies de plein exercice, ce qui facilite les comparaisons, notamment avec les statistiques nationales et les académies métropolitaines. Ils ont beaucoup de points communs, liés aux difficultés de l'éloignement géographique, aux conditions climatiques, à un contexte socio-économique qui fait que les taux de chômage, par exemple, sont plus importants. Tous nécessitent des efforts supérieurs en matière d'infrastructures pour corriger l'isolement, faire face à l'allongement de la problématique des transports scolaires ou pour y développer l'internat.

On observe pourtant des distinctions importantes.

La première distinction est historique. La départementalisation de Mayotte est récente, et la définition de son académie aussi. Il y a presque un siècle entre la création du premier lycée en Martinique et celle du premier lycée à Mayotte, en 1980. Les contrastes se manifestent également du point de vue de la démographie scolaire, en baisse aux Antilles, stagnante à La Réunion, et en très forte progression en Guyane et à Mayotte, notamment à cause de l'immigration clandestine. De ce fait, les traitements devraient être différents non seulement entre les DOM et la métropole, mais entre les DOM eux-mêmes. Ce n'est pas ce que cette enquête montre.

Elle montre d'abord un engagement incontestable de l'État. Le coût annuel du système éducatif des cinq académies ultramarines est d'environ 4 milliards d'euros. Le coût par élève outre-mer est supérieur de 30 % au coût moyen des élèves en métropole. Cette différence, qui devrait entraîner des effets immédiatement favorables au profit de l'outre-mer, est principalement absorbée par les surrémunérations versées aux agents titulaires affectés outre- mer.

Ces surrémunérations contribuent d'ailleurs à accroître certaines disparités peu justifiables dans ces académies elles-mêmes. Ainsi, La Réunion, qui est très fortement attractive en elle-même, fait par ailleurs l'objet d'une très forte concentration du montant des surrémunérations... Certes, il est difficile d'adapter un système global de rémunération de personnels statutaires, mais certains éléments de primes spécifiques permettraient de compenser plus favorablement Mayotte et la Guyane. Or, le système ne joue même pas de manière égalitaire entre Mayotte et la Guyane. Ces différenciations ne trouvent donc pas beaucoup de justifications, eu égard aux problématiques auxquelles il conviendrait de faire face.

Ces pesanteurs sont renforcées par la stagnation des carrières réalisées outre-mer. Dans certains départements attractifs, on constate que le renouvellement des enseignants se fait avec beaucoup plus de difficultés. On constate aussi, curieusement, que la proportion des personnels hors classe, qui se limite à 6 % des enseignants en métropole, monte à 28 % en Guadeloupe. En fait, ce sont des fins de carrière. La question de la démographie des enseignants, et de leur meilleure affectation, pose problème.

Si les montants que l'État consacre à la scolarisation des enfants outre-mer sont en partie absorbés par une gestion coûteuse, et pas toujours assez dynamique, des enseignants, les dispositifs d'éducation prioritaire sont largement étendus dans ces départements, ce qui a évidemment un coût par élève beaucoup plus important car ils assurent un taux d'encadrement des élèves très nettement supérieur à celui de la métropole - plus de 30 % supérieur dans le primaire en Martinique, par exemple . La Cour fait observer que, appliqués de manière très uniforme, ces dispositifs ne constituent pas toujours les meilleures réponses.

Les indicateurs de performance, quant à la consommation des crédits publics, montrent une image en trompe-l'oeil. Dans certains départements, comme la Guadeloupe, la Martinique ou La Réunion, les taux de réussite aux diplômes nationaux - brevet ou baccalauréat - se sont nettement améliorés et sont très proches de la moyenne nationale. Sur la maîtrise du français, par exemple, environ 13 % ou 14 % des élèves peuvent se trouver en difficulté dans la maîtrise de la langue en moyenne nationale. Outre-mer, cette proportion est plus importante : 21 % à La Réunion, 25 % en Martinique, 28,7 % en Guadeloupe, 44,2 % en Guyane et 75,4 % à Mayotte. Dans certaines académies, c'est un problème essentiel de réussite scolaire, surtout quand il est corroboré par des indicateurs concernant la lecture, qui montrent des écarts similaires. Les évaluations conduites à l'occasion des Journées défense et citoyenneté, qui portent sur des jeunes de 17 à 18 ans, montrent qu'en moyenne, en France, 11,5 % ont des difficultés de lecture. Dans l'Aisne, qui est le département le plus mal classé du point de vue de cet indicateur, ce taux culmine à 17 %. Outre-mer, ces indicateurs sont de 27 % à La Réunion, 32 % en Guadeloupe, 34 % en Martinique, 51 % Guyane et 73,7 % à Mayotte. Ils sont donc de deux à six fois supérieurs aux indicateurs nationaux.

Faute de solutions ou de pratiques scolaires sinon développées sur mesure, du moins considérablement adaptées à des défis qui ne sont pas les mêmes entre La Réunion et la Guyane, entre la Martinique et Mayotte, on applique des méthodes, des usages, des pratiques administratives qui ne permettent pas de rendre plus performant le système de l'enseignement outre-mer : voilà le principal enseignement du rapport qui vous a été transmis. Le dispositif scolaire reste très uniforme, alors que les besoins particuliers des académies appellent des solutions particulières et des adaptations fortes des dispositifs nationaux.

Or, dans ces départements, le recrutement et l'affectation des personnels obéissent aux règles de droit commun ; l'organisation et le fonctionnement des structures administratives et scolaires ne sont généralement pas adaptés au contexte local, y compris quand il s'agit de dispositifs particuliers, comme l'éducation prioritaire ou le dispositif anti-décrochage.

La gestion des personnels outre-mer, envoyés depuis la métropole ou qui font carrière outre-mer, se traduit par une surconsommation d'emplois administratifs, quand on peine cruellement à pourvoir des postes en informatique. La Cour des comptes a conduit une enquête sur la scolarisation pendant le confinement. L'adaptation à l'école à distance et aux pratiques numériques peut demander un renfort particulier outre-mer. Cela permettrait notamment, dans certaines zones, de maintenir une continuité de l'enseignement éducatif pendant une période cyclonique ou d'ouragan. La Cour a rendu récemment, à la demande de l'Assemblée nationale, un rapport sur les problèmes de santé scolaire. Dans les départements d'outre-mer, c'est une problématique qui peut se poser avec acuité. De même, nous avons relevé une difficulté à pourvoir les postes dans ces domaines.

L'éducation prioritaire, que j'ai évoquée, est l'exemple même du dispositif utilisé de manière massive, mais qui ne prend pas suffisamment en compte un certain nombre de contraintes locales.

Il nous paraît urgent que le ministère entretienne avec les académies un dialogue de gestion qui, dès le départ, se démarque des dispositifs mis en place pour toutes les académies, pratique davantage du sur-mesure, et s'interroge sur les caractéristiques des populations qui doivent être scolarisées et le contexte socio-économique. J'ai évoqué tout à l'heure les difficultés de maîtrise du français ou d'accès à la lecture. Dans certains départements, à Mayotte ou en Guyane, il y a un nombre important d'enfants allophones qui n'ont pas le français comme langue maternelle. C'est pourtant la clé d'accès à l'enseignement. Les centres académiques pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav) ont des besoins qui devraient être beaucoup mieux satisfaits pour intégrer tous ces enfants dans l'institution scolaire.

La Cour formule onze recommandations, qui vont dans le sens d'une meilleure connaissance des réalités locales, puis d'une adaptation des dispositifs, voire des enseignements, aux réalités de terrain. Sur la sélection, la formation et le recrutement des enseignants, on s'aperçoit qu'il y a peu de formations préalables à la connaissance, ne serait-ce que culturelle, des zones dans lesquelles les enseignants vont intervenir.

Nous insistons sur la nécessité d'une acclimatation des méthodes et des outils aux situations locales. Il faut être moins systématique et adapter les dispositifs à la logique de l'outre-mer. Des pondérations doivent également s'établir entre les cinq académies, notamment pour tenir compte d'une démographie scolaire qui n'est pas la même et de difficultés qui sont plus accusées ici qu'ailleurs.

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