Nous procédons à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes réalisée à la demande de notre commission, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur le système éducatif dans les académies ultramarines.
L'enseignement dans les outre-mer est un enjeu d'égalité et de respect du droit à l'instruction. En 2017, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) avait publié un avis alarmant sur l'effectivité de l'enseignement dans les outre-mer. Mais il manquait une analyse approfondie des besoins et des actions menées jusqu'à présent. C'est la raison pour laquelle les travaux de la Cour sont particulièrement bienvenus.
Nous recevons M. Louis Gautier, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions de cette enquête. Je salue sa première audition devant notre commission depuis sa nomination à la présidence de la troisième chambre. Pour nous éclairer sur le sujet, et répondre aux observations de la Cour et du rapporteur spécial Gérard Longuet, est également présent aujourd'hui M. Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, qui a déjà eu l'occasion d'être entendu par notre commission il y a deux ans à l'occasion de la restitution de l'enquête de la Cour sur le recours aux personnels contractuels dans l'Éducation nationale. Après avoir entendu M. Gautier, Gérard Longuet, rapporteur spécial, présentera les principaux enseignements qu'il tire de cette enquête et je passerai la parole à M. Geffray pour y répondre. À l'issue de nos débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.
Je suis accompagné d'André Barbé, qui est le président de la section chargée du secteur éducatif, et des deux rapporteurs qui ont conduit l'enquête, Mme Sylvie Vergnet et M. Jean-Christophe Potton. Si les enquêtes de la Cour portent souvent sur des chiffres et des documents, ils ont conduit aussi des enquêtes de proximité et de terrain.
La Haute Assemblée, en 2009, s'était interrogée sur la qualité de l'enseignement dans un rapport d'information sur les départements d'outre-mer (DOM) intitulé Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l'avenir. Déjà, vous portiez un constat relativement sévère sur le système éducatif outre-mer, en montrant que la plupart des indicateurs de réussite restaient en retrait par rapport à ceux de la métropole et en pointant une insuffisante prise en compte des spécificités des DOM dans la politique éducative. Onze ans plus tard, le rapport de la Cour, hélas !, ne contredit pas ces conclusions sévères, même s'il les nuance sur certains aspects.
L'enquête de la Cour s'est concentrée sur les cinq DOM que sont la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et La Réunion. Tous disposent d'académies de plein exercice, ce qui facilite les comparaisons, notamment avec les statistiques nationales et les académies métropolitaines. Ils ont beaucoup de points communs, liés aux difficultés de l'éloignement géographique, aux conditions climatiques, à un contexte socio-économique qui fait que les taux de chômage, par exemple, sont plus importants. Tous nécessitent des efforts supérieurs en matière d'infrastructures pour corriger l'isolement, faire face à l'allongement de la problématique des transports scolaires ou pour y développer l'internat.
On observe pourtant des distinctions importantes.
La première distinction est historique. La départementalisation de Mayotte est récente, et la définition de son académie aussi. Il y a presque un siècle entre la création du premier lycée en Martinique et celle du premier lycée à Mayotte, en 1980. Les contrastes se manifestent également du point de vue de la démographie scolaire, en baisse aux Antilles, stagnante à La Réunion, et en très forte progression en Guyane et à Mayotte, notamment à cause de l'immigration clandestine. De ce fait, les traitements devraient être différents non seulement entre les DOM et la métropole, mais entre les DOM eux-mêmes. Ce n'est pas ce que cette enquête montre.
Elle montre d'abord un engagement incontestable de l'État. Le coût annuel du système éducatif des cinq académies ultramarines est d'environ 4 milliards d'euros. Le coût par élève outre-mer est supérieur de 30 % au coût moyen des élèves en métropole. Cette différence, qui devrait entraîner des effets immédiatement favorables au profit de l'outre-mer, est principalement absorbée par les surrémunérations versées aux agents titulaires affectés outre- mer.
Ces surrémunérations contribuent d'ailleurs à accroître certaines disparités peu justifiables dans ces académies elles-mêmes. Ainsi, La Réunion, qui est très fortement attractive en elle-même, fait par ailleurs l'objet d'une très forte concentration du montant des surrémunérations... Certes, il est difficile d'adapter un système global de rémunération de personnels statutaires, mais certains éléments de primes spécifiques permettraient de compenser plus favorablement Mayotte et la Guyane. Or, le système ne joue même pas de manière égalitaire entre Mayotte et la Guyane. Ces différenciations ne trouvent donc pas beaucoup de justifications, eu égard aux problématiques auxquelles il conviendrait de faire face.
Ces pesanteurs sont renforcées par la stagnation des carrières réalisées outre-mer. Dans certains départements attractifs, on constate que le renouvellement des enseignants se fait avec beaucoup plus de difficultés. On constate aussi, curieusement, que la proportion des personnels hors classe, qui se limite à 6 % des enseignants en métropole, monte à 28 % en Guadeloupe. En fait, ce sont des fins de carrière. La question de la démographie des enseignants, et de leur meilleure affectation, pose problème.
Si les montants que l'État consacre à la scolarisation des enfants outre-mer sont en partie absorbés par une gestion coûteuse, et pas toujours assez dynamique, des enseignants, les dispositifs d'éducation prioritaire sont largement étendus dans ces départements, ce qui a évidemment un coût par élève beaucoup plus important car ils assurent un taux d'encadrement des élèves très nettement supérieur à celui de la métropole - plus de 30 % supérieur dans le primaire en Martinique, par exemple . La Cour fait observer que, appliqués de manière très uniforme, ces dispositifs ne constituent pas toujours les meilleures réponses.
Les indicateurs de performance, quant à la consommation des crédits publics, montrent une image en trompe-l'oeil. Dans certains départements, comme la Guadeloupe, la Martinique ou La Réunion, les taux de réussite aux diplômes nationaux - brevet ou baccalauréat - se sont nettement améliorés et sont très proches de la moyenne nationale. Sur la maîtrise du français, par exemple, environ 13 % ou 14 % des élèves peuvent se trouver en difficulté dans la maîtrise de la langue en moyenne nationale. Outre-mer, cette proportion est plus importante : 21 % à La Réunion, 25 % en Martinique, 28,7 % en Guadeloupe, 44,2 % en Guyane et 75,4 % à Mayotte. Dans certaines académies, c'est un problème essentiel de réussite scolaire, surtout quand il est corroboré par des indicateurs concernant la lecture, qui montrent des écarts similaires. Les évaluations conduites à l'occasion des Journées défense et citoyenneté, qui portent sur des jeunes de 17 à 18 ans, montrent qu'en moyenne, en France, 11,5 % ont des difficultés de lecture. Dans l'Aisne, qui est le département le plus mal classé du point de vue de cet indicateur, ce taux culmine à 17 %. Outre-mer, ces indicateurs sont de 27 % à La Réunion, 32 % en Guadeloupe, 34 % en Martinique, 51 % Guyane et 73,7 % à Mayotte. Ils sont donc de deux à six fois supérieurs aux indicateurs nationaux.
Faute de solutions ou de pratiques scolaires sinon développées sur mesure, du moins considérablement adaptées à des défis qui ne sont pas les mêmes entre La Réunion et la Guyane, entre la Martinique et Mayotte, on applique des méthodes, des usages, des pratiques administratives qui ne permettent pas de rendre plus performant le système de l'enseignement outre-mer : voilà le principal enseignement du rapport qui vous a été transmis. Le dispositif scolaire reste très uniforme, alors que les besoins particuliers des académies appellent des solutions particulières et des adaptations fortes des dispositifs nationaux.
Or, dans ces départements, le recrutement et l'affectation des personnels obéissent aux règles de droit commun ; l'organisation et le fonctionnement des structures administratives et scolaires ne sont généralement pas adaptés au contexte local, y compris quand il s'agit de dispositifs particuliers, comme l'éducation prioritaire ou le dispositif anti-décrochage.
La gestion des personnels outre-mer, envoyés depuis la métropole ou qui font carrière outre-mer, se traduit par une surconsommation d'emplois administratifs, quand on peine cruellement à pourvoir des postes en informatique. La Cour des comptes a conduit une enquête sur la scolarisation pendant le confinement. L'adaptation à l'école à distance et aux pratiques numériques peut demander un renfort particulier outre-mer. Cela permettrait notamment, dans certaines zones, de maintenir une continuité de l'enseignement éducatif pendant une période cyclonique ou d'ouragan. La Cour a rendu récemment, à la demande de l'Assemblée nationale, un rapport sur les problèmes de santé scolaire. Dans les départements d'outre-mer, c'est une problématique qui peut se poser avec acuité. De même, nous avons relevé une difficulté à pourvoir les postes dans ces domaines.
L'éducation prioritaire, que j'ai évoquée, est l'exemple même du dispositif utilisé de manière massive, mais qui ne prend pas suffisamment en compte un certain nombre de contraintes locales.
Il nous paraît urgent que le ministère entretienne avec les académies un dialogue de gestion qui, dès le départ, se démarque des dispositifs mis en place pour toutes les académies, pratique davantage du sur-mesure, et s'interroge sur les caractéristiques des populations qui doivent être scolarisées et le contexte socio-économique. J'ai évoqué tout à l'heure les difficultés de maîtrise du français ou d'accès à la lecture. Dans certains départements, à Mayotte ou en Guyane, il y a un nombre important d'enfants allophones qui n'ont pas le français comme langue maternelle. C'est pourtant la clé d'accès à l'enseignement. Les centres académiques pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav) ont des besoins qui devraient être beaucoup mieux satisfaits pour intégrer tous ces enfants dans l'institution scolaire.
La Cour formule onze recommandations, qui vont dans le sens d'une meilleure connaissance des réalités locales, puis d'une adaptation des dispositifs, voire des enseignements, aux réalités de terrain. Sur la sélection, la formation et le recrutement des enseignants, on s'aperçoit qu'il y a peu de formations préalables à la connaissance, ne serait-ce que culturelle, des zones dans lesquelles les enseignants vont intervenir.
Nous insistons sur la nécessité d'une acclimatation des méthodes et des outils aux situations locales. Il faut être moins systématique et adapter les dispositifs à la logique de l'outre-mer. Des pondérations doivent également s'établir entre les cinq académies, notamment pour tenir compte d'une démographie scolaire qui n'est pas la même et de difficultés qui sont plus accusées ici qu'ailleurs.
Je salue le président de la troisième chambre de la Cour des comptes et toute l'équipe qui a conduit cette étude sur l'enseignement scolaire dans les départements d'outre-mer, ainsi que mes interlocuteurs habituels du ministère de l'éducation nationale, puisque je rapporte le budget de l'enseignement scolaire.
J'ai écouté attentivement votre présentation d'un sujet extraordinairement difficile. Au fond, il s'agit de l'histoire de la poule et de l'oeuf. Est-ce que l'enseignement est difficile parce que les départements le sont, ou les départements sont-ils difficiles parce que l'enseignement que nous organisons, et dont nous avons collectivement la responsabilité, est un enseignement qui ne fonctionne pas comme il pourrait ou comme il devrait fonctionner ?
Lire votre rapport est un vrai bonheur, car il apporte beaucoup d'informations avec sincérité et sur un ton qui change - je ne dis pas que la Cour des comptes nous ait habitués à un discours terne et prudent : vous avez une tradition de liberté et de responsabilité, et vous n'avez pas manqué à cette culture, qui consiste à porter l'attention là où les choses ne sont pas immédiatement compréhensibles. À l'issue de sa lecture, on arrive à deux certitudes absolues : cela coûte cher, et cela ne marche pas très bien. Une fois que l'on a dit cela, on n'a pas réglé le problème, mais, au moins, on a le mérite de l'avoir posé. Vous l'avez fait, complètement.
Est-ce l'héritage ? Vous avez rappelé qu'un siècle sépare l'implantation du premier lycée à la Martinique de celui à Mayotte. Vous avez bien montré, aussi, dans votre rapport, qu'il existe deux groupes dans cet ensemble, de typologies assez différentes. D'une part, les Antilles sont installées dans une tradition républicaine classique et posent des problèmes un peu différents. Je pense à la Guadeloupe, à la Martinique et à La Réunion, qui n'appartient pas aux Antilles, mais qui s'en rapproche à cet égard. D'autre part, deux départements posent, manifestement, des problèmes sinon insurmontables, du moins qui exigent un signal d'alarme permanent, tant la complexité de la situation locale est forte et tant les pressions et les tensions sur le service public de l'enseignement sont considérables. Je pense à la Guyane - et les chiffres que vous donnez sur la population dont les enfants n'ont pas la langue française comme langue maternelle sont sérieusement préoccupants - et à Mayotte. Les chiffres que j'évoque rappellent peut-être certaines enclaves d'Île-de-France. En tous cas, les Casnav sont débordés.
On ressent à la Martinique et à la Guadeloupe, et en partie à La Réunion, le sentiment d'une espèce d'usure ou de fatigue du système, où l'on a des institutions installées et des résultats qui restent meilleurs qu'en Guyane et qu'à Mayotte, heureusement, mais qui ne sont cependant pas à la hauteur de l'effort financier considérable qui est consenti pour chaque élève.
Je salue notre collègue Jacques Grosperrin, qui est le rapporteur pour avis des crédits de la mission « Enseignement scolaire » au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et qui est très impliqué sur ces sujets.
Nous avons une responsabilité, nous autres parlementaires, celle d'apporter des réponses. On ne peut pas rester indifférents à un tel diagnostic.
Certaines questions me surprennent. Vous indiquez dans votre rapport que le temps d'études est toujours, dans les académies ultramarines, inférieur au temps d'études métropolitain. Vous recommandez d'ailleurs de comptabiliser plus précisément le nombre réel d'enseignants par élève présent, et de le comparer à la situation nationale. Vous avez l'impression qu'il y a une évaporation. Les statistiques sont en apparence comparables, et les tableaux sont les mêmes, mais le contenu des tableaux n'a pas tout à fait le même sens.
On peut comprendre, avec la réalité insulaire et l'isolement, la politique générale de remplacement. Le remplacement est un besoin permanent, et la politique de remplacement n'est pas satisfaisante. On peut imaginer que la nature de ces départements rend les remplacements plus difficiles.
Sur l'échec scolaire, j'ai tendance à considérer que les difficultés scolaires reflètent autant les difficultés de la société que les faiblesses du système d'enseignement. Mais vous posez une bonne question, que j'avais d'ailleurs croisée dans une responsabilité antérieure de ministre de la défense : il faut que les systèmes tiennent compte de la sociologie, de la structure sociale, du niveau culturel des populations que nous avons à prendre en compte. Nous avions à la défense le service militaire adapté (SMA), qui reste minoritaire, hélas, mais qui satisfait ceux qui y passent. On se demande donc, parfois, s'il ne faudrait pas essayer de trouver des systèmes plus spécifiques. Je suis persuadé que l'Éducation nationale a dû y réfléchir.
Je pense qu'à Mayotte, il y a une véritable alarme. Je ne suis guère compétent sur la question, mais je la renvoie à M. Geffray, qui en tant que directeur général de l'enseignement scolaire porte, j'en suis persuadé, un regard très attentif sur la singularité de Mayotte où, théoriquement, toutes les classes de CP et de CE1 ont été dédoublées, avec, pour résultat, des systèmes qui sont difficiles à faire fonctionner.
En Guyane, il faudrait déjà que l'ordre public assure l'étanchéité des frontières, ce qui n'est manifestement pas le cas. L'Éducation nationale est le réceptacle de toutes les difficultés familiales et de toutes les difficultés que vivent ces élèves, que vous qualifiez à juste titre d'allophones. Difficile d'apprendre les autres matières lorsqu'on ne maîtrise pas ce qui nous est commun, le français.
Je voudrais poser la question du recrutement des enseignants dans ces deux départements. Il faut vraiment avoir l'esprit missionnaire, quand on n'est pas né en Guyane ou à Mayotte, pour décider d'aller y consacrer sa vie et d'affronter une société sans doute passionnante, chaleureuse et pleine de qualités humaines formidables, mais difficile à gérer au quotidien. Or la France ne fabrique plus de pères blancs laïcs - ni de hussards noirs, d'ailleurs... Comment avez-vous l'intention de pourvoir à ces emplois, qui sont beaucoup plus difficiles à exercer face à des élèves attentifs sans doute, et qui ont la volonté de réussir, mais qui partent de loin sur le chemin de cette réussite ?
Je n'étais pas informé de la décroissance démographique aux Antilles, et je suis frappé du fait qu'elle est surtout subie par l'enseignement public, alors que l'enseignement privé a l'air de se maintenir. Moi qui suis libéral, j'aime la concurrence, qui nous oblige à faire des efforts pour essayer de gagner des parts de marché, si l'on est en économie, ou des parts d'électorat, si l'on est sur le terrain politique. En l'espèce, s'agit-il d'une concurrence loyale qui s'est établie entre le public et le privé ? Comment se fait-il que le privé ne perde pas d'effectifs ?
Cette question nous est commune. Si nous n'apportions pas de solution, nous serions de mauvais parlementaires. C'est la raison pour laquelle, monsieur le président, votre prédécesseur avait saisi les prédécesseurs de nos invités - mais la continuité républicaine veut que des équipes différentes s'attaquent à un même problème, qui est de donner à nos jeunes des DOM les mêmes possibilités et les mêmes perspectives qu'en métropole.
Merci, monsieur le rapporteur spécial. Je ne suis pas sûr que vous ne soyez pas à l'initiative de cette enquête de la Cour des comptes ...Vous avez bien fait de susciter ce rapport, car celui-ci est intéressant et éclairant, sur ce sujet que nous n'avons pas l'habitude d'envisager. Je passe maintenant la parole à M. Geffray.
Nous partageons l'essentiel des analyses du rapport, et la plupart des questions qui ont été posées.
D'abord, il s'agit de réalités territoriales extraordinairement différentes, qu'on pense en termes d'insularité, de taille - il suffit de comparer la Guyane à Mayotte, par exemple -, ou d'attractivité - la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion sont très attractives, contrairement à Mayotte et à la Guyane. Les situations démographiques diffèrent aussi, comme vous l'avez dit, puisqu'à une décroissance démographique très importante des Antilles répond une forte croissance démographique à Mayotte. Et le climat social varie également : il était difficile l'an dernier en Martinique, avec des conséquences sur l'ouverture des écoles. Nous devons donc avoir une vision panoramique de situations qui sont objectivement assez difficiles à comparer les unes avec les autres et qui, de ce fait, n'appellent pas nécessairement la même réponse.
L'engagement, incontestable, de l'État se traduit à la fois quantitativement et qualitativement. Ces territoires ne font pas l'objet d'indifférence, mais, bien au contraire, d'une attention extrême.
C'est peut-être le plus préoccupant : avec beaucoup de bonne volonté, on n'arrive pas à trouver la solution !
Au-delà des aspects budgétaires, financiers ou de ressources humaines, le coeur du réacteur est la dimension pédagogique. Nous menons en ce moment même le dialogue stratégique de gestion et de performance avec les académies : nous passons une journée, ou une demi-journée, avec les académies pour parler de la façon dont elles expérimentent les choses. L'enjeu est le renforcement pédagogique dans le premier et le second degré dans l'ensemble de ces départements, pour que le niveau remonte.
Il s'agit de territoires d'innovation pédagogique. En Martinique, les résultats de 2020 montrent qu'en CP, par exemple, la trajectoire des évaluations est meilleure qu'au niveau national. Et en CE1, tout comme en sixième, je crois, une expérimentation a été lancée à grande échelle : elle s'appelle EOL, pour expression orale libre. Tous les jours, dans les classes, les élèves pratiquent obligatoirement l'expression orale. Quand ils arrivent en sixième, ils sont plus à l'aise, en termes de fluence de lecture, que ceux qui les ont précédés. Nous nous efforçons de tirer toutes les conséquences des évaluations qui ont été mentionnées. Aucun pays au monde ne conduit des évaluations à cette échelle, aussi précises et surtout aussi universelles, et qui permettent d'avoir une photographie du réel. Et ces évaluations - je diverge sur ce point de l'avis de la Cour -, qui sont d'abord des instruments mis à disposition des professeurs, sont aussi au coeur de notre dialogue avec les académies. Nous essayons de comprendre, à l'échelle d'un département, pourquoi l'on observe tels ou tels types de lacunes. C'est sur la base de ces photographies que nous pouvons repenser certaines approches pédagogiques.
Nous avons lancé deux plans de formation : le plan mathématique et le plan français. Chaque année, 16 % des professeurs des écoles en bénéficient. Ainsi, en six ans, tous les professeurs des écoles auront effectué cette formation, fondée sur ce qu'on appelle les constellations, c'est-à-dire des groupes de pairs qui permettent de remonter la pente en mathématiques et en français. Les difficultés en lecture, ou dans la maîtrise des phonèmes, renvoient à cette nécessité impérative. Or ces constellations sont construites au niveau territorial. Il ne s'agit pas d'un objet technocratique, parti de la Centrale, mais de la création de constellations locales, avec des référents au niveau de chaque circonscription, eux-mêmes formés pour cela - à hauteur de 24 jours de formation continue en un an. Il s'agit de reprendre ensemble, les pratiques pédagogiques, pour se demander comment emmener plus haut ses élèves en mathématiques ou en français. C'est bien de l'adaptation à une réalité territoriale, puisque la constellation est conçue au niveau de la circonscription, et même parfois de l'école. En 2020, nous aurons constitué 6 000 constellations en mathématiques, avec 40 000 professeurs sur tout le territoire. Déjà, en sixième, on observe une augmentation régulière, y compris cette année, du niveau. Cette dynamique nous permet de faire ce que la Cour des comptes recommande à juste titre : épouser les réalités pédagogiques territoriales.
J'en viens à la question de la formation, de la préparation, de la sensibilisation des professeurs au sujet des langues parlées localement. Ils exercent leur métier dans un environnement où une partie de la population n'a pas le français pour langue maternelle, et doivent l'intégrer dans leur pédagogie. La formation initiale a été réformée, et la réforme est entrée en vigueur le 1er septembre 2020. Nous avons repensé la maquette de formation dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé), pour renforcer la formation dans les savoirs fondamentaux et, en même temps, que 10 % de la scolarité soit laissée à la main de l'Inspé, pour être adaptée à la réalité territoriale. Quand nous formons un professeur, nous le formons pour qu'il puisse agir sur tout le territoire national, parce que l'école est une. En même temps, ce n'est pas la même chose de commencer sa carrière dans les académies de Créteil ou de Versailles, de Limoges, ou de Guyane. C'est pourquoi 10 % du temps de formation est consacré à la projection dans une réalité territoriale.
La gestion des ressources humaines a été évoquée, à juste titre, par la Cour des comptes. Certaines académies sont clairement attractives ; du coup, mécaniquement, une population structurellement plus âgée y exerce, ce que révèle le taux de hors classe. Dans d'autres académies, la Guyane et Mayotte, moins attractives, on aura plutôt de jeunes professeurs, attirés par un système de rémunération que la Cour a analysé. L'impact est bien sûr différent en termes de besoin de remplacement. Plus la population est âgée, plus le besoin de remplacement est fort. La géographie a aussi un impact sur les besoins de remplacement. Si un professeur tombe malade au sud de la Guyane, il faut acheminer quelqu'un jusque-là... L'optimisation des moyens de remplacement et l'adaptation complète à la réalité du territoire sont deux aspects qui sont au coeur de notre dialogue avec les académies.
Comment construire des parcours de jeunes professeurs issus de ces territoires ? Je pense notamment à la Guyane et à Mayotte. Un premier dispositif est la pré-professionnalisation : de jeunes étudiants sont recrutés, parallèlement à leurs études, pour découvrir le métier de professeur en étant d'abord en observation, puis en intervention, puis en pratique à responsabilité, toujours sous l'autorité de leur mentor. Quelque 200 pré-professionnalisations sont en cours en Guyane depuis la rentrée. Les intéressés poursuivent leur parcours dans le système universitaire guyanais, tout en découvrant le métier de professeur, avant de passer le concours en Guyane. Une telle démarche les ancre dans une réalité pédagogique très puissante et suscite des vocations, puisque cela les met financièrement à l'abri pendant leurs études.
Deuxième dispositif : nous pratiquons des recrutements dérogatoires de professeurs des écoles à Mayotte, et nous réfléchissons à faire de même en Guyane pour le second degré. La dérogation porte sur le niveau de diplôme : on les recrute plus jeunes, mais avec un processus de titularisation plus long - et donc une formation plus longue. L'idée est de créer un vivier local de professeurs, certes pas exclusif, parce qu'il faut du brassage, car le professorat est un instrument puissant de promotion sociale : les hussards noirs existent encore ! Nous offrons des perspectives à ces jeunes, qui passent par le professorat, avec des modalités de scolarisation en fin de formation et une prise en charge financière adaptées, via la préprofessionnalisation et une stagiairisation précoce dans les études, ce qui leur permet ensuite de s'épanouir dans la transmission et dans la progression de leurs élèves.
Tout cela doit s'articuler avec la mise en oeuvre la plus adaptée possible des dispositifs que je qualifierai, au sens large, « d'égalité des chances », c'est-à-dire ceux qui participent à l'amélioration des conditions d'apprentissage de l'élève.
Il s'agit de dispositifs nationaux - je pense notamment aux cordées de la réussite et aux internats d'excellence - qui ont vocation à se déployer tout particulièrement dans ces départements, dans le cadre de la lutte contre les fractures territoriales. En effet, en Guyane, un élève met parfois trois ou quatre heures pour se rendre au collège - certains doivent même se lever à quatre heures du matin pour s'y rendre en pirogue. Les internats sont donc indispensables.
Dans le cadre du plan Guyane, un certain nombre de lycées et de collèges sont en construction et le sujet de l'internat est une question majeure, car il crée les conditions d'apprentissage adaptées. Il en va de même avec les cordées de la réussite, qui créent une passerelle entre le monde du supérieur et le monde du scolaire, l'objectif étant de libérer les ambitions. Bien entendu, l'internat ne doit pas se trouver dans une ville et le dispositif des cordées de la réussite dans une autre. Leur juxtaposition est nécessaire pour créer la continuité en termes de conditions de l'apprentissage.
Ce rapport est très intéressant et très documenté, et lorsque vous nous dites que le ministère de l'éducation nationale n'est pas en capacité de décompter les jours et les heures non enseignés, qu'il y a un coût supplémentaire de l'ordre de 30 % pour les enfants déscolarisés en métropole et que les moyens du ministère ne sont pas ajustés aux besoins, vous êtes dans votre rôle.
S'il est important de le signaler, cela veut dire aussi que les moyens peuvent être décuplés, dans la mesure où vous nous avez indiqué que le parc des établissements scolaires mahorais ne pouvait pas suivre la croissance des effectifs scolaires.
Pour faire suite au rapport Azéma-Mathiot sur l'évolution de la politique d'éducation prioritaire, une expérimentation sera réalisée en métropole - à Lille, Marseille et Nantes. Une autre a déjà été effectuée en Guyane. Monsieur Geffray, disposons-nous des résultats de celle-ci ?
Par ailleurs, les évaluations auxquelles il a été procédé à l'international ne pourraient-elles pas être un indicateur intéressant sur ce qui se passe dans ces territoires, par rapport à la métropole ? Car nous devrons, à un moment donné, mener une vraie réflexion - c'est ce que nous appelons l'académisation de la gestion.
Ne devrions-nous pas donner davantage d'autonomie au recteur, pour qu'il puisse rendre compte des heures qui ne sont pas effectuées, ainsi que de ce qui fonctionne ou pas, afin qu'une gestion plus fine puisse être instaurée ?
J'ai été frappée par le pourcentage d'enseignants hors classe. Je me suis demandé s'il résultait plutôt de la démographie des enseignants ou de l'attractivité des postes pour les enseignants métropolitains. J'ai la réponse, il s'agit de l'attractivité. En revanche, le directeur a bien précisé qu'il convenait de distinguer deux zones. Au-delà de la moyenne, pouvez-vous nous donner les écarts types selon les départements ? Car si la Guyane et Mayotte ne sont pas des territoires attractifs, les pourcentages sont plus élevés dans les autres territoires.
Pouvez-vous nous préciser, par ailleurs, quelle rémunération perçoivent les enseignants quand ils terminent leur carrière dans les départements et régions d'outre-mer (DROM), notamment au titre de la prime de « vie chère » ?
Notre rapporteur spécial a parlé de l'intérêt de la compétition. Les dispositifs que vous avez mentionnés fonctionnent comme le baccalauréat : ceux qui ont le niveau sont reçus. Des études ont-elles été menées sur la facilité, ou la difficulté, qu'ont les jeunes des DROM à intégrer des processus compétitifs et sélectifs, qui se trouvent dans leur grande majorité en métropole ? Ce serait une autre manière d'avoir une photographie de la qualité de l'enseignement dans ces territoires, par rapport à la métropole.
Enfin, parvenons-nous à leur proposer l'intégralité de la diversité des enseignements qui sont offerts aux élèves de métropole ? Si oui, comment arrivez-vous à répondre aux contraintes logistiques ? Sinon, quelles sont les disciplines qui ne sont pas proposées ?
Je suis surpris par les informations contenues dans ce rapport. Je pensais que depuis le rapport relatif aux défis et aux chances que représentent les outre-mer, commis en 2009, des progrès avaient été réalisés. Or il n'en est rien.
Mme Lavarde l'a indiqué, nous ne disposons que de moyennes, alors que nous souhaiterions connaître les écarts types. Par exemple, Saint-Barthélemy a une tradition de scolarisation dans le privé depuis longtemps - environ 50 % des élèves sont dans le privé. À Saint-Martin, quelque 110 communautés coexistent et l'anglais est la langue parlée dans les rues. Des innovations pédagogiques sont d'ailleurs nécessaires. Or tout cela entre dans la moyenne académique de la Guadeloupe. Disposez-vous de chiffres spécifiques à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy ?
Concernant l'évaluation des niveaux, j'ai lu que le taux de réussite au brevet et au baccalauréat était à peu près équivalent à celui de la métropole. Or, lorsque des évaluations sont réalisées, les résultats sont étonnants. Disposez-vous d'évaluations sur le niveau des élèves de seconde ? Comment pouvons-nous avoir un taux de réussite aussi important au baccalauréat et nous rendre compte qu'il y a de véritables problèmes en termes de fluence, notamment en sixième, et d'acquis fondamentaux ?
Par ailleurs, pouvons-nous avoir des éclairages sur ce que vous avez appelé, monsieur le directeur, le « dialogue stratégique » ? Comment s'adapte l'innovation pédagogique ? Avez-vous des statistiques sur l'absentéisme des élèves et des enseignants ?
Enfin, concernant les recrutements et notamment les remplacements, je connais une enseignante qui exerce depuis vingt ans et qui n'a jamais été intégrée. C'est un calvaire pour certains professeurs. Bien entendu, au-delà du confort des enseignants, ce qui est important, ce sont les résultats obtenus. Mais, manifestement, il reste un effort à réaliser en termes de gestion, d'intégration, de formation...
Je remercie le rapporteur spécial, notre collègue Gérard Longuet, pour son travail. Outre sa publication, nous devons donner une suite à ce rapport - législative ou réglementaire.
J'ai pour ma part deux interrogations.
D'abord, j'ai été étonné par vos propos concernant le profil des enseignants dans certains DROM, à savoir que la population enseignante était en seconde partie de carrière, ce qui ne favorisait pas de nouvelles méthodes de travail. Il me semblait pourtant qu'il était préférable d'avoir des enseignants expérimentés. D'ailleurs, le fait qu'en Seine-Saint-Denis, ce soit des jeunes professeurs qui exercent est vécu comme un regret. Quel est donc le bon âge pour enseigner ?
Ensuite, votre rapport ne traite pas de la situation en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, cette compétence étant de la responsabilité des gouvernements respectifs. Malgré tout, des échanges ont-ils lieu avec ces gouvernements et connaissez-vous le niveau et la qualité des enseignements ?
Monsieur le président, je parlais de la structure démographique des professeurs pour, le cas échéant, poser la question du besoin de remplacement.
D'accord, car, pour moi, il ne s'agissait pas d'une question d'innovations pédagogiques, d'autant que la Martinique, que j'ai citée en exemple, non seulement innove, mais fait partie des départements attractifs.
S'agissant de l'évolution du niveau des élèves sur l'ensemble du cycle, nous constatons que les évaluations réalisées au début de CP sont moins bonnes dans les DROM qu'au niveau national, notamment pour toutes les raisons qui ont été indiquées. Des variations sont par ailleurs constatées entre les collectivités. Dans certaines d'entre elles, l'écart se réduit énormément entre le CP et le CE1, dans d'autres, l'écart reste le même. Je souligne que les données ont été faussées, cette année, par la crise sanitaire.
En sixième, les écarts se réduisent sensiblement. Nous ne disposons pas encore, pour la seconde, de la même remontée statistique systématique qui nous permettrait d'avoir la même photographie qu'en CP et en sixième. Je ne suis donc pas en mesure de vous dire si les écarts se réduisent. En revanche, nous savons que, concernant l'espérance pour un élève de sixième de passer un examen national comme le baccalauréat, hormis la Guyane et Mayotte, les taux des autres DROM sont comparables à un certain nombre d'académies de métropole.
Concernant les innovations pédagogiques, j'en ai discuté, il y a deux jours, avec la ministre de l'éducation polynésienne. Je vous donnerai deux exemples.
D'abord, nous expérimentons dans le premier degré, depuis 2019, le dispositif « Devoirs faits », instauré dans les collèges. Un tiers des élèves de collège profite de ce dispositif en France, contre 66 % en Guyane et 46 % à Mayotte. Sachant que les enjeux du premier degré sont particuliers, nous y avons déployé ce dispositif ; 40 000 élèves des académies d'outre-mer en bénéficient.
Ensuite, la Polynésie française se caractérise par un éloignement géographique très important des archipels et des îles, ce qui pose un problème au moment du passage du primaire au collège. Nous avons donc décidé de conserver la fin du cycle 3 à l'école, les élèves ne partant au collège qu'à la fin de leur sixième. Cela permet de finir un cycle et de retarder le départ au collège, qui peut parfois être à deux jours de bateau.
Au vu des résultats de ce type d'innovations, dérogatoires aux territoires ultramarins, un recteur de DROM peut nous demander, demain, d'appliquer cette mesure pour une école et un collège qui sont particulièrement éloignés l'un de l'autre.
S'agissant des rémunérations complémentaires, le rapport contient un tableau qui montre parfaitement les écarts, je n'y reviendrai donc pas.
En ce qui concerne l'intégration des étudiants des DROM dans les formations sélectives post-bac, je n'ai pas ici les chiffres, mais je vous les communiquerai.
Madame le sénateur, s'agissant des écarts types en termes de rémunération, vous trouverez dans le rapport, à la page 37, des éléments sur des bases de rémunération d'enseignants certifiés néo-titulaires et d'enseignants certifiés depuis cinq ans. Vous ne retrouverez donc pas les écarts que j'ai évoqués, notamment pour le haut de la pyramide des enseignants.
Mayotte est un territoire attractif pour un enseignant certifié néo-titulaire, puisqu'il perçoit 47 911 euros nets par an. En revanche, et nous ne nous l'expliquons pas, ce même enseignant percevrait 10 000 euros de moins en Guyane.
Des différences existent entre les territoires, y compris en termes de réussite scolaire. Le tableau de la Cour indique les rattrapages auxquels il a été procédé, notamment dans les diplomations ; des progrès sont à souligner depuis votre enquête de 2009. Il est vrai, cependant, que les jeunes adultes qui ont quitté le système scolaire plus tôt et que nous retrouvons lors de la Journée défense et citoyenneté (JDC) présentent un taux d'analphabétisme ou de difficulté à la lecture plus élevé.
Nous avons parlé du « hors classe », mais je dois vous indiquer qu'il y a aussi le « hors la classe ». Dans certains départements, comme les Antilles, nous constatons un phénomène de sédentarisation. Les enseignants y sont nombreux, mais sans affectation particulière. Ils effectuent des remplacements ou sont affectés à des tâches administratives. De sorte que le ratio « élèves par enseignant » n'est pas mauvais, mais traduit davantage cette sédentarisation, sans forcément répondre aux besoins d'adaptation du personnel enseignant à la démographie scolaire.
Dans ce rapport, nous traitons essentiellement de la situation des enseignants des Antilles et de La Réunion. Or, on constate dans ces académies un excès dans les capacités d'enseignement du premier degré, par rapport à une démographie scolaire en baisse. L'affectation des moyens opérée chaque année, par le biais des ouvertures et des fermetures de postes, ne permet pas de suivre la décrue des effectifs scolaires. S'agissant d'académies monodépartementales, ce qui limite les possibilités de réaffectation, les enseignants sur place se retrouvent alors en manque d'élèves. En conséquence, ils sont affectés à d'autres tâches, comme le remplacement ou l'encadrement pédagogique. Toutefois, il est particulièrement étonnant de constater que, malgré ce surcroît d'enseignants, les statistiques du ministère sur le remplacement sont très mauvaises. C'est peut-être d'ailleurs l'une des raisons qui poussent les familles à se désintéresser de l'enseignement public, même si d'autres facteurs peuvent jouer.
Il s'agit également d'enseignants plus âgés. À l'inverse, les enseignants des académies de Guyane et de Mayotte disposent d'un personnel très jeune, très mobile, et insuffisant en nombre. Cette insuffisance numérique est d'ailleurs compensée par le recours aux contractuels, ce qui crée un très fort turn-over.
Nous sommes donc face à des situations extrêmement contrastées du point de vue de la démographie du corps enseignant, et la pédagogie en subit les conséquences. Certes, dans le premier degré, des expérimentations passionnantes ont lieu sur tous les territoires. Mais parallèlement, l'âge des enseignants aboutit à une pédagogie assez classique, ce que regrettent souvent les inspecteurs. On observe donc une véritable dichotomie.
Il est difficile de conclure cet échange de façon péremptoire et définitive. Le propre des enquêtes de la Cour des comptes est de pouvoir dire que, si le roi n'est pas nu, il n'est pas très habillé ! Ces dernières sont donc utiles pour mettre en lumière certaines situations, au sein desquelles les paradoxes sont nombreux.
Le rapport a le mérite de mieux différencier Mayotte et la Guyane des autres territoires. Même si les problèmes auxquels ils sont confrontés ne sont pas strictement les mêmes, ces départements sont face à un véritable défi : ils ne sont pas stabilisés démographiquement. La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe, en revanche, se différencient par leur stabilité démographique, qui leur permet de mieux adapter les moyens dont ils disposent. Ils peuvent ainsi faire un effort de proximité et d'adaptation dans la gestion des équipes et calibrer leur effort pédagogique. Je salue par ailleurs votre politique de soutien et d'affirmation de l'identité des établissements scolaires, qui est certainement un bon relais pour tenir compte des réalités locales.
Je découvre le projet EOL, qui est très intéressant. Il est vrai que, dans ces territoires, on retrouve une forme de bilinguisme de fait. Dans ce contexte, l'utilisation du français académique peut être une façon de progresser et d'être plus à l'aise dans l'ensemble des enseignements.
En revanche, j'ai moins compris la partie relative à la formation des professeurs, et plus spécifiquement, le rôle de la préprofessionnalisation, d'une part, et des contractuels, d'autre part.
Nous n'avons pas d'éléments de réponse sur le maintien d'une forte scolarisation dans le secteur privé et le déclin de l'enseignement public, situation spécifique à la Guadeloupe et à la Martinique. Il est vrai que certaines traditions peuvent jouer un rôle. Par exemple, Saint-Martin est une petite île par rapport aux réalités démographiques de la Guadeloupe et de la Martinique, et à ce titre, la situation est difficilement comparable. Je n'ai rien contre le fait que l'enseignement privé réussisse, mais il serait intéressant d'en pointer les raisons.
Concernant la gestion des personnels, il est évident qu'un retour ou une fin de carrière au pays est souhaité - nous pouvons le comprendre. Toutefois, cela devrait se doubler d'une mobilisation des expériences pour s'efforcer de faire du renforcement.
Le dispositif « Devoirs faits », réservé aux collèges en métropole, s'étend au primaire dans les académies ultramarines. C'est une très bonne formule. De manière plus générale, puisque les enseignants sont présents, faisons en sorte qu'ils contribuent à une intensification de l'enseignement auprès des élèves qui, manifestement, en ressentent le besoin dans le secondaire.
Ce type de rapport se trouve un peu « à cheval » entre les compétences de la commission de la culture et de la commission des finances. Aux finances, nous avons d'ailleurs un regard plutôt culturel sur le sujet. Pourtant, les chiffres sont extraordinairement significatifs, et reflètent une véritable singularité. En particulier, nous devons revoir ce problème de la masse salariale. Certes, le coût de la vie est supérieur, et nous devons nous fonder sur cette réalité.
L'école ne peut pas échapper à la singularité des sociétés insulaires. Nous pouvons, cependant, mieux utiliser nos moyens, comme la Cour des comptes nous y invite, en les mobilisant au service d'un enseignement plus efficace. Cette zone d'éducation prioritaire singulière ne se confond pas avec celles que nous trouvons en métropole et mérite un regard plus global. Ce n'est pas forcément agréable pour ceux qui organisent l'enseignement d'être ainsi stigmatisés, mais, si l'on ne s'attaque pas à cette singularité, si l'on ne mobilise pas des moyens importants pour les adapter à des besoins bien identifiés, nous passerons à côté de la solution. Pour l'instant, nous limitons la casse ; le dossier reste ouvert. Note d'optimisme, le ministère a manifestement pris la mesure des difficultés.
Nous pourrions peut-être comparer le contenu du rapport de 2009 - dont j'ignorais l'existence - et celui 2021 ; notre action n'a d'intérêt que mise en perspective sur une longue période.
Je tiens à remercier la Cour des comptes qui, fidèle à elle-même, nous a présenté un excellent travail. Plus particulièrement, je remercie le directeur général dont je connais la forte implication personnelle, ainsi que ses équipes, avec cette idée de faire avancer la qualité de l'enseignement. En effet, les problèmes quantitatifs - à l'exception de Mayotte et de la Guyane - sont plutôt derrière nous ; le moment est venu de « faire du qualitatif », afin de donner des chances de succès à tous, ce qui reste la meilleure façon de conforter la République.
La commission autorise la publication de cette enquête, en application de l'article 58-2 de la LOLF, en annexe au rapport d'information du rapporteur spécial.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La commission nomme Mme Nadine Bellurot rapporteure spéciale des crédits de la mission « Investissements d'avenir ».
La réunion est close à 16 h 30.