Je salue le président de la troisième chambre de la Cour des comptes et toute l'équipe qui a conduit cette étude sur l'enseignement scolaire dans les départements d'outre-mer, ainsi que mes interlocuteurs habituels du ministère de l'éducation nationale, puisque je rapporte le budget de l'enseignement scolaire.
J'ai écouté attentivement votre présentation d'un sujet extraordinairement difficile. Au fond, il s'agit de l'histoire de la poule et de l'oeuf. Est-ce que l'enseignement est difficile parce que les départements le sont, ou les départements sont-ils difficiles parce que l'enseignement que nous organisons, et dont nous avons collectivement la responsabilité, est un enseignement qui ne fonctionne pas comme il pourrait ou comme il devrait fonctionner ?
Lire votre rapport est un vrai bonheur, car il apporte beaucoup d'informations avec sincérité et sur un ton qui change - je ne dis pas que la Cour des comptes nous ait habitués à un discours terne et prudent : vous avez une tradition de liberté et de responsabilité, et vous n'avez pas manqué à cette culture, qui consiste à porter l'attention là où les choses ne sont pas immédiatement compréhensibles. À l'issue de sa lecture, on arrive à deux certitudes absolues : cela coûte cher, et cela ne marche pas très bien. Une fois que l'on a dit cela, on n'a pas réglé le problème, mais, au moins, on a le mérite de l'avoir posé. Vous l'avez fait, complètement.
Est-ce l'héritage ? Vous avez rappelé qu'un siècle sépare l'implantation du premier lycée à la Martinique de celui à Mayotte. Vous avez bien montré, aussi, dans votre rapport, qu'il existe deux groupes dans cet ensemble, de typologies assez différentes. D'une part, les Antilles sont installées dans une tradition républicaine classique et posent des problèmes un peu différents. Je pense à la Guadeloupe, à la Martinique et à La Réunion, qui n'appartient pas aux Antilles, mais qui s'en rapproche à cet égard. D'autre part, deux départements posent, manifestement, des problèmes sinon insurmontables, du moins qui exigent un signal d'alarme permanent, tant la complexité de la situation locale est forte et tant les pressions et les tensions sur le service public de l'enseignement sont considérables. Je pense à la Guyane - et les chiffres que vous donnez sur la population dont les enfants n'ont pas la langue française comme langue maternelle sont sérieusement préoccupants - et à Mayotte. Les chiffres que j'évoque rappellent peut-être certaines enclaves d'Île-de-France. En tous cas, les Casnav sont débordés.
On ressent à la Martinique et à la Guadeloupe, et en partie à La Réunion, le sentiment d'une espèce d'usure ou de fatigue du système, où l'on a des institutions installées et des résultats qui restent meilleurs qu'en Guyane et qu'à Mayotte, heureusement, mais qui ne sont cependant pas à la hauteur de l'effort financier considérable qui est consenti pour chaque élève.
Je salue notre collègue Jacques Grosperrin, qui est le rapporteur pour avis des crédits de la mission « Enseignement scolaire » au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et qui est très impliqué sur ces sujets.
Nous avons une responsabilité, nous autres parlementaires, celle d'apporter des réponses. On ne peut pas rester indifférents à un tel diagnostic.
Certaines questions me surprennent. Vous indiquez dans votre rapport que le temps d'études est toujours, dans les académies ultramarines, inférieur au temps d'études métropolitain. Vous recommandez d'ailleurs de comptabiliser plus précisément le nombre réel d'enseignants par élève présent, et de le comparer à la situation nationale. Vous avez l'impression qu'il y a une évaporation. Les statistiques sont en apparence comparables, et les tableaux sont les mêmes, mais le contenu des tableaux n'a pas tout à fait le même sens.
On peut comprendre, avec la réalité insulaire et l'isolement, la politique générale de remplacement. Le remplacement est un besoin permanent, et la politique de remplacement n'est pas satisfaisante. On peut imaginer que la nature de ces départements rend les remplacements plus difficiles.
Sur l'échec scolaire, j'ai tendance à considérer que les difficultés scolaires reflètent autant les difficultés de la société que les faiblesses du système d'enseignement. Mais vous posez une bonne question, que j'avais d'ailleurs croisée dans une responsabilité antérieure de ministre de la défense : il faut que les systèmes tiennent compte de la sociologie, de la structure sociale, du niveau culturel des populations que nous avons à prendre en compte. Nous avions à la défense le service militaire adapté (SMA), qui reste minoritaire, hélas, mais qui satisfait ceux qui y passent. On se demande donc, parfois, s'il ne faudrait pas essayer de trouver des systèmes plus spécifiques. Je suis persuadé que l'Éducation nationale a dû y réfléchir.
Je pense qu'à Mayotte, il y a une véritable alarme. Je ne suis guère compétent sur la question, mais je la renvoie à M. Geffray, qui en tant que directeur général de l'enseignement scolaire porte, j'en suis persuadé, un regard très attentif sur la singularité de Mayotte où, théoriquement, toutes les classes de CP et de CE1 ont été dédoublées, avec, pour résultat, des systèmes qui sont difficiles à faire fonctionner.
En Guyane, il faudrait déjà que l'ordre public assure l'étanchéité des frontières, ce qui n'est manifestement pas le cas. L'Éducation nationale est le réceptacle de toutes les difficultés familiales et de toutes les difficultés que vivent ces élèves, que vous qualifiez à juste titre d'allophones. Difficile d'apprendre les autres matières lorsqu'on ne maîtrise pas ce qui nous est commun, le français.
Je voudrais poser la question du recrutement des enseignants dans ces deux départements. Il faut vraiment avoir l'esprit missionnaire, quand on n'est pas né en Guyane ou à Mayotte, pour décider d'aller y consacrer sa vie et d'affronter une société sans doute passionnante, chaleureuse et pleine de qualités humaines formidables, mais difficile à gérer au quotidien. Or la France ne fabrique plus de pères blancs laïcs - ni de hussards noirs, d'ailleurs... Comment avez-vous l'intention de pourvoir à ces emplois, qui sont beaucoup plus difficiles à exercer face à des élèves attentifs sans doute, et qui ont la volonté de réussir, mais qui partent de loin sur le chemin de cette réussite ?
Je n'étais pas informé de la décroissance démographique aux Antilles, et je suis frappé du fait qu'elle est surtout subie par l'enseignement public, alors que l'enseignement privé a l'air de se maintenir. Moi qui suis libéral, j'aime la concurrence, qui nous oblige à faire des efforts pour essayer de gagner des parts de marché, si l'on est en économie, ou des parts d'électorat, si l'on est sur le terrain politique. En l'espèce, s'agit-il d'une concurrence loyale qui s'est établie entre le public et le privé ? Comment se fait-il que le privé ne perde pas d'effectifs ?
Cette question nous est commune. Si nous n'apportions pas de solution, nous serions de mauvais parlementaires. C'est la raison pour laquelle, monsieur le président, votre prédécesseur avait saisi les prédécesseurs de nos invités - mais la continuité républicaine veut que des équipes différentes s'attaquent à un même problème, qui est de donner à nos jeunes des DOM les mêmes possibilités et les mêmes perspectives qu'en métropole.